B. LES ENJEUX DU FINANCEMENT À VENIR : MIEUX GÉRER LES RESTES-À-PAYER DANS UN CONTEXTE DE CRISE DU LOGEMENT SOCIAL

1. Le mode de gestion du FNAP a eu pour conséquence la massification de restes-à-payer
a) Dès sa création, le FNAP a dû reprendre à son compte les restes-à-payer des anciens fonds concourant au logement social

Lors de la création du FNAP en 2016, les bailleurs sociaux et l'État ont conclus que le nouveau fonds reprendrait à sa charge les engagements antérieurs contractés dans les deux circuits de subvention préexistant mais n'ayant pas donné lieu à un décaissement des crédits.

En effet, lorsqu'une opération de logement social bénéficie d'une subvention, le décaissement des crédits lié à cette opération n'a pas lieu en un seul exercice mais se poursuit en général sur dix ans après l'engagement pris par le bailleur de la mener à bien. Il était donc nécessaire que l'ensemble des crédits ouverts avant la création du FNAP mais non encore versés soient repris par le fonds.

Chaque année, une partie des crédits de paiement versés par le FNAP sert donc à solder ces engagements antérieurs à sa création, jusqu'à leur terme.

Ces « restes-à-payer ante 2016 » avaient été évalués à 1 863 millions d'euros lors de la création du FNAP. Ils sont aujourd'hui évalués à 84,7 millions d'euros. Au titre de 2025, selon l'avenant n° 15 à la convention entre l'État et le FNAP18(*), le besoin de décaissement prévisionnel pour les restes-à-payer antérieurs s'élève à 20 millions d'euros.

Devenir des restes-à-payer ante 2016 repris par le FNAP lors de sa création

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, données avenant n° 15 à la convention du 22 septembre 2016 relative au financement par le FNAP des actions prévues à l'article L. 435-1 du code de la construction et de l'habitation.

Au total, depuis 2016, le FNAP a versé 1 456 millions d'euros pour les opérations validées avant sa création, soit 78 % des restes-à-payer identifiés. Il est donc possible de constater un taux de chute19(*) de près de 17 %, ce qui est tout à fait considérable et correspond bien à l'effondrement du nombre de logements sociaux agréés dans la période qui a suivi 2016. De 124 226 logements sociaux agréés en 2016, ce nombre est tombé à 85 381 en 2024.

b) Le mode de gestion et les règles financières du FNAP ont mené à un accroissement de ces restes-à-payer
(1) L'abandon en 2023 de la « règle d'or », incapable d'enrayer l'accroissement des reports de crédits

Face aux engagements massifs auxquels le FNAP faisait face lors de sa création en 2016, une « règle d'or » avait été mise en place pour tenter de limiter l'accroissement des restes-à-payer. L'article 1 du décret de création du FNAP20(*) portait création de l'article R. 435-3 du code de la construction et de l'habitation qui détermine les prérogatives du conseil d'administration du FNAP et prévoyait cette règle.

Celle-ci s'énonçait ainsi : « le montant annuel [des] nouvelles opérations et actions ne peut être supérieur au montant total des versements effectués par le Fonds national des aides à la pierre au profit de l'État au cours de l'exercice ».

Concrètement, cette règle a été mise en oeuvre de façon légèrement différenciée entre les différents fonds de concours auxquels contribuent les crédits que verse le FNAP à l'État. Ces fonds de concours, depuis le 1er janvier 202121(*), sont au nombre de deux :

- le fonds de concours n° 1-2-00479 « Contribution du FNAP à la mise en oeuvre de la politique du logement - Opérations nouvelles », qui subventionne la construction de nouveaux logements sociaux ainsi que l'accompagnement et l'ingénierie sociale dans le cadre de la maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale (MOUS).

- le fonds de concours n° 1-2-00480 « Contribution du FNAP à la mise en oeuvre de la politique du logement - PLAI adaptés et IML communes carencées ».

Pour le fonds de concours 479, la règle se traduisait par les modalités suivantes : si cette dernière prévoyait que le montant d'autorisations d'engagement de nouvelles opérations ne pouvait dépasser les crédits de paiement versés chaque année, dans les faits, il y avait identité entre les AE et les CP. Le FNAP demandait à l'État d'ouvrir sur ce fonds de concours autant d'AE dédiées aux aides à la pierre que de CP qu'il allait verser. En contrepartie, le FNAP s'engageait à rembourser à l'État ces crédits avec un échéancier de 7 ans.

Pour le fonds de concours 480, l'application de la règle était légèrement plus stricte puisqu'elle imposait une identité entre les AE et les CP.

Les notes d'exécution budgétaire de la Cour des comptes depuis 2017 ont régulièrement fait état des inconvénients engendrés par une telle règle.

D'une part, la « règle d'or » imposait pour le FNAP le versement au budget de l'État, chaque année, d'un montant de crédits de paiement déconnecté des besoins de l'exercice. En effet, le calcul de ces derniers était fondé sur le montant prévisionnel d'engagement des nouvelles opérations. Or, l'annulation des opérations antérieures qui avaient préalablement mené à l'ouverture d'autorisations d'engagement avait pour conséquence un besoin de crédits de paiement inférieur à celui des autorisations d'engagement chaque année. Une grande partie des crédits de paiement n'était donc pas consommée.

D'autre part, la « règle d'or » interdisait la programmation dans le budget de l'État en année N d'autorisations d'engagement reportées depuis l'année N-1. Les crédits non consommés étaient donc annulés en fin d'exercice, restitués au FNAP puis reprogrammés l'année suivante. Les reports avaient donc une tendance à augmenter d'année en année, en lien avec une masse toujours plus importante de crédits non consommés. Ceci était particulièrement visible sur le fonds de concours 480 pour lequel le décaissement en CP est très lent du fait de la complexité des opérations qu'il soutient.

Évolution des reports de crédits sur le FNAP entre 2017 et 2022

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, données issues des comptes-rendus au FNAP sur l'exécution annuelle

Les reports de crédits nombreux alimentaient, lorsque la « règle d'or » était en application, une augmentation des restes-à-payer puisque les AE étaient systématiquement supérieures aux CP. En 2019, les restes-à-payer s'élevaient à 1 690 millions d'euros. En 2023, ces derniers s'étaient accrus de plus de 800 millions d'euros et atteignaient 2 418 millions d'euros.

(2) Une réforme de 2023, ajustée en 2024, a permis de stabiliser pour la première année les reports et pourrait limiter les restes-à-payer dans les années à venir

À la suite des nombreuses recommandations de la Cour des comptes pour limiter les reports de crédits sur les fonds de concours du FNAP, un travail a été entrepris pour réviser la « règle d'or » et mettre en oeuvre une nouvelle gouvernance financière.

Le décret du 21 février 202322(*) a ainsi modifié l'article R. 435-3 du code de la construction et de l'habitation et renvoyé à un arrêté des ministres du logement, de l'économie et du budget la définition de la règle de gestion.

Par ailleurs, l'arrêté de gestion du 21 février 2023, qui appliquait le décret du même jour, a prévu une règle nouvelle. Le montant des versements annuels du FNAP au budget de l'État doit être supérieur ou égal :

- à la moitié du montant des actions engagées dans l'année par le FNAP, c'est-à-dire des nouvelles autorisations d'engagement ;

- et au sixième, puis au cinquième à partir de 2026, du montant des autorisations d'engagement consommées sur le fonds de concours 479 n'ayant pas encore donné lieu à un décaissement en crédits de paiement au 31 décembre de l'année précédente.

Ces deux nouvelles règles de gestion du FNAP avaient pour objectif de permettre l'ajustement des versements faits à l'État aux besoins de paiement aux bailleurs sociaux et aux collectivités délégataires des aides à la pierre tout en maintenant un haut niveau de financement des aides à la pierre pour la production nouvelle.

Cependant, malgré la modification de la règle de gestion en février 2023, les crédits non consommés et reportés d'une année sur l'autre sur le programme 135 ont continué à augmenter en 2024, indiquant que le calibrage de la règle de gestion n'avait pas permis d'atteindre l'objectif de diminution du volume de crédits reportés.

Face à ce constat, et afin de limiter la mobilisation de ressources nouvelles tant que le stock de crédits en report n'a pas diminué, la nouvelle règle de gestion n° 2 a été modifiée en septembre 202423(*).

Les ratios permettant de dimensionner le versement annuel du FNAP à l'État ont ainsi évolué techniquement. Le montant des restes-à-payer au 31 décembre de l'année N-1 est désormais minoré des crédits de paiement déjà disponibles sur le programme 135 mais non consommés, c'est-à-dire les reports de fonds de concours du FNAP d'une année sur l'autre.

Cette nouvelle règle permet ainsi d'adapter les versements au plus près des prévisions de décaissements de l'État et de prendre en compte les reports de crédits déjà versés sur le budget de l'État mais qui n'ont pas été consommés.

En d'autres termes, les reports de crédits sur le programme 135 viennent depuis 2024 en déduction de l'abondement du FNAP à l'État. La Cour des comptes, dans sa note d'exécution budgétaire pour 2024, indique que cette réforme porte déjà ses fruits : « cette réforme de 2024 a permis d'adopter un second budget rectificatif du FNAP qui consommait davantage de reports accumulés sur le programme 135, puisque le versement du FNAP à l'État était inférieur à celui qui aurait prévalu sans la modification de la règle [...]. Le montant des reports de fonds de concours du programme 135 se stabilise pour la première fois en 2024, depuis plusieurs années ».

Évolution des reports de crédits sur le FNAP
en fonction des règles de gestion en vigueur

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, données issues des comptes-rendus au FNAP sur l'exécution annuelle

La modification de ces règles de gestion conduit donc à une meilleure gestion des ressources du FNAP et optimise ainsi le financement du logement social. En garantissant la soutenabilité financière du FNAP, elle assure un équilibre et renforce les marges de manoeuvre financières de l'établissement.

c) L'existence de taux de chute importants révèle la difficulté des bailleurs à mener à bien les opérations engagées et rend difficilement lisibles les restes-à-payer

La direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) prévoit, aujourd'hui, dans les projections de décaissement de l'État pour les aides à la pierre, un taux de chute qui représente l'écart entre le montant d'autorisations d'engagement ouvertes une année N et le montant final de crédits engagés dix ans plus tard, lorsque les opérations doivent être achevées.

Le taux retenu aujourd'hui pour les projections de versement est de 12 %. Si plus de 88 % des montants prévus initialement doivent être finalement engagés, le FNAP ajoute un complément à son versement pour l'État. Si, à l'inverse, le taux de chute est plus élevé que 12 %, le FNAP peut demander à l'État de récupérer le trop-versé.

L'enquête de la DHUP sur les taux de chute publiée en juin 2025 a montré une aggravation du taux de chute en deux ans. Ainsi, en 2022, la DHUP relevait que 6,3 % des opérations agréées deux ans plus tôt avaient été abandonnées ; en 2024, c'est 8,4 %.

Ce taux d'abandon en hausse est lié notamment aux effets des crises sanitaire et énergétique, qui ont d'une part désorganisé le secteur et, d'autre part, accru le coût des opérations.

La problématique de gestion engendrée par cette évolution des taux de chute est qu'elle brouille la lecture des restes-à-payer, comme des crédits reportés chaque année. En effet, une partie des crédits reportés comme des restes-à-payer est à terme annulée pour cause de non mise en oeuvre de l'opération. Il convient par conséquent d'oeuvrer à la limitation de ces taux de chute.

2. La crise du logement social et de la construction accentue la pression financière sur les bailleurs et sur l'État
a) Une explosion des demandes non pourvues dans le logement social, en lien avec le dysfonctionnement du parcours résidentiel

Comme l'indique le rapport de la Fondation pour le logement de février 2025, la difficulté du parc social à satisfaire la demande est désormais enracinée. Le nombre de ménages dont la demande d'accès à une habitation à loyer modéré est non pourvue est passé de 1,4 million en 2013 à 2 millions en 2017, puis à 2,7 millions en 2024.

Ceci est lié à un parcours résidentiel qui est aujourd'hui dysfonctionnel.

D'une part, les personnes qui ont réussi à intégrer le parc social semblent de plus en plus dans l'incapacité à revenir dans le logement classique. Cela se vérifie, comme l'indiquait le rapporteur spécial dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2025, par un effondrement préoccupant du taux de rotation dans le parc social entre 2013 et 2023.

Évolution du taux de rotation dans le parc social

(en pourcentage)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

D'autre part, le manque de place dans le logement social provoque un engorgement au niveau des centres d'hébergement d'urgence : aucune place ne se libère dans le parc social, par conséquent les personnes qui en ont besoin ont plus de mal à en bénéficier et se maintiennent mécaniquement dans des solutions plus précaires.

Le constat de l'accroissement du nombre de places dans le parc d'hébergement d'urgence est ainsi logique, au vu de la difficulté pour les publics fragiles à en sortir en intégrant le parc social.

Évolution du nombre de places dans le parc généraliste d'hébergement d'urgence

(en nombre de places)

Note : les CHRS sont des centres d'hébergement et de réinsertion sociale ; les CHU sont des centres d'hébergement d'urgence.

Source : commission des finances, à partir des projets annuels de performance

b) Un déficit chronique de construction qui pénalise l'entièreté du secteur du logement social

La pression pour un maintien des aides à la pierre est en outre accentuée par la dépression forte que connaît la construction de nouveaux logements sociaux depuis près de dix ans.

En effet, alors que l'objectif de construction fixé en 2024 était de 100 000 logements sociaux agréés, seuls 85 381 agréments ont été émis, soit 85,3 % de la cible. En 2025, avec des recettes deux fois moindres pour le FNAP, le rapporteur s'étonne de l'absence de révision de la cible de logement, qui demeure à 100 000.

Agréments de logements sociaux depuis 2016

(en nombre de logements financés ou agréés)

Note : France métropolitaine, hors zone ANRU. PLAI : prêt locatif aidé d'intégration. PLUS : prêt locatif à usage social. PLS : prêt locatif social.

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

En prenant des hypothèses optimistes dans la capacité des bailleurs sociaux à mobiliser des fonds, la Caisse des Dépôts anticipe une capacité de production à long terme de 72 000 logements sociaux par an et de 80 000 réhabilitations24(*). Ceci est très loin du besoin, qui avoisine plutôt les 120 000 logements par an.

Cette situation de déficit chronique de construction de nouveaux logements sociaux par rapport aux besoins doit être un signal d'alerte pour l'État : le financement du FNAP est nécessaire pour initier ces opérations nouvelles.

3. Les contraintes temporelles de rénovation énergétique des logements sociaux font peser sur les bailleurs une charge supplémentaire

La loi climat et résilience25(*) a doté la France d'un agenda ambitieux en termes de rénovation énergétique des logements. Les bailleurs sociaux, comme les particuliers, sont concernés par ces obligations qui les mettent face à un mur d'investissement. En février 2022, Emmanuelle Cosse, présidente de l'Union sociale pour l'habitat, indiquait ainsi que le montant engagé pour les travaux par les bailleurs s'élevaient à 5 milliards d'euros par an et que ce montant devrait monter à 7,5 milliards d'euros pour atteindre les objectifs en accord avec la loi.

Pour rappel, les obligations de rénovation concernent l'ensemble des logements classés E, F et G selon la méthode du diagnostic de performance énergétique (DPE), soit 1,8 millions de HLM. Les bailleurs font face à l'échéance d'interdiction de mise en location des logements selon le calendrier suivant26(*) :

- 2025 pour les logements classés G ;

- 2028 pour les logements classés F ;

- 2034 pour les logements classés E.

L'enjeu de la rénovation pour les logements sociaux est colossal et demande, d'ici à 2034, près de 100 milliards d'euros d'investissement.

En 2023, le FNAP a ouvert une enveloppe de 200 millions d'euros pour financer la rénovation de 37 277 logements locatifs sociaux. 900 de ces logements faisaient partie de l'expérimentation du dispositif « seconde vie », qui vise à accompagner financièrement les interventions lourdes sur le patrimoine existant pour lui redonner des propriétés équivalentes à celles de la construction neuve.

Cette enveloppe représentait 27 % du total des autorisations d'engagement de 741 millions d'euros prévu au budget rectificatif du 2 mars 2023 du FNAP. À la fin de l'exercice 2023, 179,2 millions d'euros de ces autorisations d'engagement avaient été consommées.

Malgré le succès de cette nouvelle enveloppe, qui correspond à un besoin pressant des bailleurs, cette dernière n'a pas été renouvelée après 2023. En 2024, la gestion de la rénovation des logements sociaux a eu lieu en dehors du FNAP et il devrait en être de même en 2025, aucun engagement au sein du FNAP n'étant prévu pour la rénovation.

Si les contraintes financières qui pèsent sur le FNAP peuvent expliquer ce choix, il n'en demeure pas moins que les échéances de rénovation font peser une contrainte supplémentaire sur les bailleurs.


* 18 Avenant n° 15 à la convention du 22 septembre 2016 relative au financement par le Fonds national des aides à la pierre des actions prévues à l'article L. 435-1 du code de la construction et de l'habitation.

* 19 Le taux de chute correspond à la part des opérations agréées qui sont modifiées ou abandonnées et pour lesquelles les autorisations d'engagement associées sont annulées et ne donnent pas lieu à un paiement.

* 20 Décret n° 2016-901 du 1er juillet 2016 portant création du Fonds national des aides à la pierre.

* 21 Auparavant, deux autres fonds de concours, qui ont été intégrés au fonds de concours 479, existaient : l'un retraçait les restes à payer ante 2016, l'autre le financement des actions d'accompagnement et d'ingénierie sociale dans le cadre de la maîtrise d'ouvrage urbaine et sociale (MOUS).

* 22 Décret n° 2023-125 du 21 février 2023 modifiant les règles relatives au budget du Fonds national des aides à la pierre.

* 23 Arrêté du 6 septembre 2024 portant modification des règles de gestion financière du FNAP.

* 24 Banque des Territoires, « Perspectives, L'étude sur le logement social », édition 2024.

* 25 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

* 26 Article 160 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

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