EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 1er juillet 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Jean-Baptiste Blanc, sur « Quel bilan pour le Fonds national des aides à la pierre (FNAP) ? ».
M. Claude Raynal, président. - Nous allons maintenant entendre une communication de M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial des crédits de la mission « Cohésion des territoires », sur le Fonds national des aides à la pierre (FNAP).
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial. - Le sujet que nous abordons aujourd'hui est grave, tant la crise du logement social est prégnante. La direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) vient de publier une étude dans laquelle elle fait état d'une hausse inquiétante en 2024 du taux de chute, c'est-à-dire du taux d'annulation d'opérations de construction de HLM pourtant programmées.
Je ne reprendrai que quelques chiffres qui vous convaincront de l'urgence actuelle : 2,7 millions de demandes de logement dans le parc social ne sont pas pourvues, un chiffre en hausse de 31,5 % par rapport à 2016 ; seuls 85 381 logements sociaux ont été agréés en 2024, soit 30,5 % de moins qu'en 2016.
Je retiens la date de 2016 comme point de comparaison, car il s'agit de l'année de création de l'établissement public sur lequel a porté le contrôle que je vous présente : le Fonds national des aides à la pierre.
Pour éclairer les enjeux auxquels fait face ce fonds, je commencerai par vous rappeler son objet. Le FNAP répartit entre les régions des subventions qui bénéficient aux bailleurs sociaux et sont utilisées comme des fonds gratuits qui permettent aux opérations de logements sociaux de s'équilibrer.
Ce dispositif d'aide pour initier l'opération est complété, au cours de l'exploitation, par divers avantages fiscaux dont bénéficient les bailleurs et qui leur permettent de rentrer dans leurs fonds.
La création du fonds, en 2016, a permis d'unifier en un seul circuit le financement des aides à la pierre. En effet, jusqu'alors, un fonds de péréquation géré par les bailleurs sociaux se superposait au financement par crédits budgétaires des aides à la production de logements sociaux.
Outre l'existence de deux circuits de financement, deux gouvernances, avec deux stratégies parfois distinctes, cohabitaient.
L'objectif de réunir en un seul organisme l'État, les bailleurs sociaux et les collectivités territoriales pour définir une politique cohérente a été globalement atteint, malgré des évolutions possibles dont je vous ferai part à la fin de mon propos.
En revanche, la promesse d'un financement paritaire de ces aides à la pierre, porté par l'État et les bailleurs, est loin d'avoir été tenue. En effet, l'État s'est désengagé dès 2018 du financement du FNAP. Si Action Logement a pris le relais, entre 2018 et 2024, des crédits budgétaires versés par le programme 135 au fonds, cette source est désormais tarie et le FNAP court, dès 2026, le risque de ne plus pouvoir honorer ses engagements.
En 2025, avec seulement 126,4 millions d'euros de recettes, soit deux fois moins que l'an dernier et trois fois moins que l'année de sa création, le FNAP ne peut financer ses actions que par la mobilisation de sa trésorerie. Néanmoins, avec un niveau de charge constant estimé à 300 millions d'euros, ce schéma de financement ne pourra pas être reconduit en 2026 si les recettes ne sont pas rehaussées.
Face à ces difficultés, le président du FNAP a créé un groupe de travail sur l'avenir du fonds qui s'est réuni quatre fois pendant le semestre dernier. Réunissant des membres du conseil d'administration et d'autres acteurs du logement social, comme Action Logement et la Banque des territoires, ce groupe de travail a réfléchi à diverses hypothèses : suppression des aides à la pierre ; maintien des aides à la pierre, mais suppression du FNAP ; maintien du FNAP selon divers scénarios.
Je dois dire que la suppression du FNAP n'aurait pas grand intérêt pour les finances publiques. Son action est en effet déjà portée, à titre gracieux, par la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages. Il n'y aurait donc aucun effet bénéfique à une réinternalisation des missions du fonds.
Parmi les scénarios de maintien du FNAP, que je privilégie, le périmètre d'action et les moyens du fonds ont pu faire l'objet de propositions nombreuses, parfois irréalistes. Le conseil d'administration, à l'exception des représentants de l'État qui y siègent, a ainsi voté en faveur d'un scénario d'intégration au sein du FNAP des missions de rénovation énergétique des logements sociaux et pour 525 millions d'euros de recettes, dont 100 millions d'euros de crédits budgétaires.
Les difficultés financières du pays et les besoins du fonds, qui s'élèvent à environ 300 millions d'euros, nous demandent d'être plus mesurés. La rénovation ne saurait être intégrée cette année aux missions du fonds.
En termes de recettes, il m'apparaît nécessaire de trouver une solution pour que le FNAP sécurise, pour 2026, un niveau d'au moins 250 millions d'euros. Cet abondement pourra être réparti entre l'État et les bailleurs dans le cadre d'une négociation.
À plus long terme, un questionnement plus large du financement du logement social devra être mis en oeuvre. En jouant sur l'ensemble des facteurs, le Gouvernement devra, à l'horizon 2027, reconstruire une politique publique dans un secteur qui a subi de très fortes coupes.
Le niveau de loyer, qui permet de financer l'investissement des bailleurs, pourrait être revu, même si son incidence sur le montant des aides personnelles au logement doit nous laisser vigilants en ces temps de contrainte budgétaire. De même, le niveau et l'efficacité des dépenses fiscales en faveur des logements sociaux - 2 milliards d'euros en 2025 selon la direction de la législation fiscale - doivent être questionnés. Le maintien de la réduction de loyer de solidarité, qui transfère chaque année 1,3 milliard d'euros de charges de l'État aux bailleurs sociaux, pourra aussi être examiné.
Cette réflexion française pourrait avoir lieu concomitamment avec le travail lancé par la Commission européenne pour encourager la production de logements abordables. En effet, en décembre 2024, une « task force logement » a été mise en place par le commissaire à l'énergie et au logement, Dan Jørgensen, et, en mars 2025, la Banque européenne d'investissement (BEI) a annoncé l'ouverture de 10 milliards d'euros sur deux ans pour financer le secteur du logement. Les nouveaux modèles de financement pourraient ainsi prendre appui sur la disponibilité de fonds européens.
Au niveau du FNAP, il conviendra cependant que l'État réinvestisse des crédits budgétaires dès que cela sera possible : il devient chaque année plus difficile de justifier le pilotage du fonds par l'État alors que ce dernier ne participe plus à le financer.
Je reviendrai, dans un second temps, sur les enjeux de gouvernance que connaît le FNAP.
Un premier enjeu est celui de la gouvernance financière du fonds.
Au-delà de la question des moyens alloués au FNAP, les règles internes d'ouverture et de report de crédits ont fait l'objet de difficultés qu'il convient de résoudre.
D'une part, les restes à payer du fonds, c'est-à-dire les autorisations d'engagement n'ayant pas encore donné lieu à des crédits de paiement, sont très élevés - près de 2 milliards d'euros. C'est plus que les 1,9 milliard d'euros d'engagements non soldés que le fonds avait repris à sa charge, lors de sa création, sur des opérations antérieures à 2016. Il convient donc de chercher activement à les réduire, dans un contexte où les opérations sont de plus en plus souvent annulées en raison de l'impossibilité de les équilibrer.
Dans ces cas, les restes à payer perdent alors de leur lisibilité, car il est difficile de savoir combien d'entre eux devront réellement faire l'objet de décaissement. Il faut pour cela placer l'agrément et la demande de subvention après la délivrance du permis de construire pour renforcer la sincérité des projets et s'assurer d'un moindre taux d'annulation, aussi appelé taux de chute.
D'autre part, les reports de crédits ont fortement augmenté. Les reports vers 2025 ont atteint 692 millions d'euros, alors que 123 millions d'euros avaient été reportés vers 2017. Cela est dû au fait que des crédits de paiement versés par le FNAP au budget de l'État ne sont finalement pas décaissés, faute de mise en oeuvre des opérations. Le FNAP obtient alors un remboursement et reporte les crédits vers l'année suivante. Ce circuit n'est pas très sensé et empêche la bonne lecture des besoins en crédits de paiement du fonds. Je salue donc la réforme des règles financières qui s'imposent au FNAP qui a eu lieu en 2023. Révisée en 2024, elle a permis de stabiliser pour la première année ces reports. Je serai attentif à ce que cette amélioration perdure.
Ensuite, en termes d'organisation interne du fonds, si le bilan est globalement positif, des évolutions vers une meilleure territorialisation des aides doivent être mises en oeuvre.
L'ensemble des membres du conseil d'administration du FNAP ont salué la possibilité qu'offre le fonds de permettre un dialogue permanent entre les parties prenantes du financement du logement social. Composé de quinze membres, dont cinq représentants de l'État, cinq représentants des bailleurs sociaux et cinq représentants du Parlement et des collectivités territoriales, le conseil d'administration travaille à la répartition des aides dans les territoires.
Le travail d'analyse de fond est mené par la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages et relayé par les services déconcentrés de l'État. Par conséquent, la prégnance de l'État sur l'organisation et le fléchage des crédits demeure.
Plusieurs interrogations sur l'emploi de ces crédits sont apparues dans l'analyse que j'en ai faite. D'une part, certaines régions comme l'Île-de-France sont surreprésentées parmi les bénéficiaires d'aides à la pierre ; d'autre part, certains bailleurs bénéficient d'aides particulièrement massives.
Il convient, par conséquent, de travailler à rapprocher le fléchage des crédits du FNAP vers les territoires, au plus près des besoins.
Plusieurs pistes concrètes pourraient le permettre.
D'abord, les aides, réparties par le FNAP au niveau régional, le sont au sein des comités régionaux de l'habitat et de l'hébergement, les CRHH, et utilisées selon deux modalités possibles : soit par délégation des crédits à des collectivités qui sont délégataires de la compétence des aides à la pierre, soit par les services déconcentrés lorsque le territoire n'est pas délégataire. Aller vers la décentralisation de la compétence est bénéfique, car la gestion en délégation semble plus efficace et plus rapprochée des besoins locaux. Cependant, ce mouvement doit s'accompagner d'un suivi renforcé des crédits utilisés dans les territoires délégués. Le système d'information des aides à la pierre (Siap), application unifiée pour le suivi des aides, est très lacunaire à ce sujet.
Ensuite, le développement d'une méthodologie commune pour la remontée d'informations sur les besoins locaux doit devenir une priorité pour la DHUP.
Enfin, les zonages de tension entre la demande et l'offre de logements sont aujourd'hui au nombre de trois, se chevauchent, voire se contredisent parfois. Pour rapprocher les aides des besoins locaux, il est absolument nécessaire de tendre vers une convergence voire une fusion de ces trois zonages, et j'appelle à ce qu'une méthode soit mise en oeuvre pour que leur révision soit récurrente.
Je finirai par un mot sur la mission du FNAP auprès des logements très sociaux et des maîtrises d'ouvrage d'insertion. Ces opérations, à niveaux de loyers particulièrement bas, nécessitent parfois jusqu'à 50 % de fonds gratuits pour être équilibrées. Par conséquent, l'outil des aides à la pierre est vital pour elles. Il me semble donc nécessaire que le FNAP continue à soutenir particulièrement ces opérations, qui sont cruciales pour donner des solutions de logement aux plus vulnérables de nos concitoyens.
M. Claude Raynal, président. - Je cède la parole à Mme Amel Gacquerre, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques.
Mme Amel Gacquerre, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. - Le rapporteur spécial a très bien décrit la gravité de la situation. Les besoins en logements sociaux augmentent de manière exponentielle. Le FNAP, dont la création en 2016 avait suscité bien des interrogations, a été une réussite. Il a permis de simplifier le financement d'une grande partie des logements sociaux. La question de son maintien ne se pose pas. L'enjeu est de trouver les crédits pour abonder ses recettes, car l'État, comme vous l'avez indiqué, n'est pas au rendez-vous. L'avenir de ce fonds est menacé, dès l'année prochaine, alors que la crise du logement connaît un paroxysme.
Vous avez évoqué plusieurs pistes d'amélioration. L'une d'elle concerne la mobilisation des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) pour 250 millions d'euros. Certains envisagent de mettre fin à la réduction du loyer de solidarité (RLS).
Nous avons besoin à la fois de réformes urgentes, pour financer la construction de logements sociaux cette année, et de réformes structurelles, pour renforcer le modèle économique de financement des logements sociaux, et notamment des logements très sociaux financés par le prêt locatif aidé d'intégration (PLAI), lesquels doivent représenter 30 % des logements neufs dans chaque programme immobilier. Nous manquons d'un vrai modèle économique en la matière. Il faut réfléchir à ces questions dès maintenant, en amont du projet de loi de finances.
Nous plaidons pour davantage de territorialisation et de décentralisation, par le biais des autorités organisatrices de l'habitat (AOH). Les territoires attendent la mise en oeuvre de cet outil, qui est une coquille vide aujourd'hui. Un tel dispositif permettrait de gagner en efficacité dans la mobilisation des fonds pour la construction de logements sociaux.
Une autre piste est la mobilisation des fonds européens. C'est une solution que l'on évoque beaucoup dans de nombreux domaines, mais je n'ai pas l'impression que nous soyons organisés pour pouvoir le faire dès 2026. Nous manquons notamment d'ingénierie.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le financement du FNAP devait être paritaire, mais l'État s'est désengagé dès 2018. Il est problématique que l'État ne respecte pas ses engagements contractuels, alors que l'on connaît l'ampleur de la crise du logement en France. Comme on le dit chez nous : « grand diseux, petit faiseux ! ».
Notre rapporteur a soulevé l'importance des reports de crédits. Ce n'est rien d'autre qu'une forme de cavalerie budgétaire regrettable de la part de l'État.
On évoque souvent une territorialisation du fonds. Il faut développer la contractualisation, mais il convient aussi de s'interroger sur le zonage dans les territoires et dans les quartiers excentrés. Les logements sociaux sont souvent en mauvais état. C'est préjudiciable aux parcours résidentiels et à la cohésion sociale. De même, l'offre de logements sociaux privés est de mauvaise qualité. C'est pourquoi la question de la décentralisation est posée.
Nous avions réalisé un contrôle sur l'utilisation des fonds européens il y a quelques années. Le Grand Est la région qui utilise le mieux les fonds européens, grâce à une organisation transversale de ses services. Elle n'a pas créé d'équipe dédiée en la matière.
M. Jean-François Rapin. - Vous avez évoqué les fonds européens. L'ouverture de crédits par la BEI rentre dans le cadre de ses actions visant à soutenir la réfection thermique des logements. Je suis plus inquiet du fait que la Commission européenne souhaite s'occuper de la question du logement. Cela ne fait pas partie de ses compétences primaires. La question de la subsidiarité se pose donc. Le cadre financier pluriannuel européen post-2027 est difficile à établir. Les discussions sont tendues. La commission des affaires européennes du Sénat a d'ailleurs adopté, sur l'initiative de Florence Blatrix Contat et Christine Lavarde, un avis sur le sujet. Si la Commission veut s'intéresser à la question du logement, qui relève de la compétence des États, la France risque d'être perdante, car il y a des retards plus flagrants à combler en la matière en Europe de l'Est. Cela coûtera un argent fou. Gare donc aux emballements en la matière ! Il faut veiller au respect du principe de subsidiarité.
M. Claude Raynal, président. - La Commission européenne interviendrait au titre de la politique de cohésion ?
M. Jean-François Rapin. - Il n'y a pas de fondement dans les traités, mais un commissaire européen a affiché sa volonté de s'intéresser à la question du logement. On sait comment cela se passe : cela commence par des déclarations, puis des textes sont déposés... La Commission européenne s'appuie souvent sur ses compétences relatives au fonctionnement du marché intérieur pour justifier ses actions.
M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur spécial. - Il y a un malaise en ce qui concerne le FNAP. C'est pourquoi nous nous sommes intéressés à la question et que nous nous sommes demandé s'il fallait conserver ce fonds. Je le répète : même si la réflexion sur la suppression d'agences est d'actualité, la suppression du FNAP ne serait pas source d'économies. Ses missions sont déjà mises en oeuvre par l'administration centrale en interne. C'est la DHUP qui gère, de facto, le fonds.
Le problème, c'est la gestion financières illisible et la répartition territoriale qui ne me semble pas toujours adaptée aux besoins. La crise du logement est aiguë ; notamment en ce qui concerne le logement très social.
Nous proposons de conserver la gouvernance actuelle, car celle-ci associe l'État et les élus. Il convient en revanche de territorialiser davantage, par le biais des AOH par exemple. Il faut décentraliser et contractualiser, dans une perspective pluriannuelle.
La question cruciale est celle du financement. Il manque 250 millions d'euros. Nous appelons l'État et les bailleurs sociaux à entamer des discussions sur le sujet. Mais le feront-ils ?
M. Claude Raynal, président. - J'observe que c'est le second rapport que nous examinons ce matin, et c'est la seconde fois que nos rapporteurs nous proposent de pérenniser le dispositif étudié !
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pérenniser un dispositif ne signifie pas conserver tels quels les crédits !
La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.