II. LE FONCTIONNEMENT INTERNE DES INTERCOMMUNALITÉS : FAVORISER LES SOLUTIONS CONCERTÉES ENTRE LES ÉLUS
A. L'INTERCOMMUNALITÉ, UNE SUPER-COMMUNE ?
1. Le couple intercommunalité-communes : un équilibre délicat entre logique intégrative et autonomie communale
a) Les communes face au risque d'autonomisation de l'intercommunalité
La montée en puissance de l'intercommunalité, sous l'effet des réformes adoptées depuis le début des années 2000, ébranle le pouvoir communal tel qu'il s'est affirmé historiquement, politiquement et institutionnellement.
Délicate à analyser sur le plan juridique55(*), cette recomposition du paysage institutionnel local entraîne bel et bien, en pratique, un déplacement du pouvoir des communes vers celui des structures intercommunales dont, rappelons-le, la légitimité émane de celle des communes elles-mêmes.
Poussée plus loin, cette tendance peut même aboutir, dans certaines situations, à ce qu'à l'intercommunalité classique, au sens d'espace de coopération garant des prérogatives communales, vienne se substituer une « supra-communalité », entité territoriale fonctionnant indépendamment des communes et décidant à leur place. On rappellera cependant que l'intercommunalité n'est pas une collectivité locale et qu'au sein du bloc communal, les communes sont les seules à détenir une clause générale de compétence.
Si une telle dérive est encore peu fréquente, les témoignages et remontées de terrain que la mission d'information a pu recueillir montrent que le lien entre l'intercommunalité et les communes s'est distendu au cours de la dernière décennie, sous l'effet de différents facteurs : regroupement forcé, multiplication des transferts de compétences, manque de dialogue avec les élus municipaux, excès d'autorité de la part de l'exécutif intercommunal...
La consultation des élus mise en oeuvre par la mission d'information du Sénat sur le thème « Faciliter l'accès aux services publics : restaurer le lien de confiance entre les administrations et les administrés », qui a mené ses travaux parallèlement à cette mission sur l'intercommunalité, souligne, elle-aussi, les critiques récurrentes sur la « dispersion des compétences » entre les différents échelons locaux, plus particulièrement entre communes et EPCI, à l'origine d'une certaine frustration des élus municipaux. L'un d'entre eux estime que « les mairies... perdent progressivement leurs compétences au profit des intercommunalités dont les services paraissent, parfois, bien loin des préoccupations des habitants », à tel point que « la mairie [...] devient un bureau de renseignement »56(*).
b) Mieux associer les élus municipaux au fonctionnement des intercommunalités
(1) Pour une gouvernance intercommunale véritablement démocratique
Pour faire vivre l'esprit communautaire et permettre à la démocratie intercommunale de fonctionner, les communes doivent se sentir écoutées et prises en compte ; trop nombreuses sont celles, notamment parmi les plus petites, qui se disent aujourd'hui « laissées au bord du chemin ».
À cet égard, les élus entendus par la mission ont souvent mis en cause le fonctionnement interne des intercommunalités, dont les services sont largement perçus comme exclusivement tournés vers la commune centre, au détriment des autres communes de l'intercommunalité, alors que leurs demandes sont tout aussi légitimes : à leurs yeux, tout se passe comme si la « technostructure » de l'intercommunalité continuait à avoir comme seul interlocuteur, ou tout du moins comme interlocuteur privilégié, le seul maire de la commune centre, ne reconnaissant pas la légitimité des autres maires à leur adresser des demandes.
Les propos tenus par Éric Krezel, vice-président national de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) devant la mission illustrent bien cette incompréhension : « Nous sommes souvent confrontés à des questionnements ou des retours d'agents territoriaux qui ne connaissent pas du tout le fonctionnement de l'intercommunalité. Il leur est difficile de comprendre qu'un jour ils travaillent pour la ville de Saint-Dizier, et, qu'à compter du lendemain - nous sommes alors en 2017 -, ils travaillent pour les 60 communes de la communauté d'agglomération. Ils ont exercé leur métier comme ils savaient le faire. En matière d'urbanisme, par exemple, je pense à une personne qui a instruit un dossier concernant ma commune au sein de la communauté d'agglomération. Je souhaitais voir les choses avancer rapidement, car il s'agissait d'un projet économique important. Mais je me suis vu répondre que le dossier devait d'abord passer entre les mains du chef de service, puis du maire de Saint-Dizier. J'ai dû faire comprendre que, dans ce cas, les fonctionnaires exerçaient leur métier pour les 60 communes de la communauté et que j'étais donc leur interlocuteur direct. Il existe une forme d'incompréhension du rôle et de la place des maires. Une intercommunalité, ce n'est pas une entité unique, avec un maire et une équipe, mais ce sont 60 entités. Et donc chacune doit être respectée, quelle que soit sa taille. »
Si, à force de pédagogie, les choses se sont améliorées, le constat de services trop tournés vers la seule commune centre semble encore d'actualité, à l'image des regrets exprimés à ce sujet par le maire d'une autre petite commune d'une communauté d'agglomération entendu par la mission. Selon Paul-Roland Vincent, maire de Bourgneuf, « l'agglomération dispose de cadres administratifs de catégorie A, auxquels les trois employés de Bourgneuf ont du mal à tenir tête. Ils nous envoient très vite dans les cordes, car nous ne sommes pas des "sachants". ».
L'éloignement ressenti par les communes est un défi majeur pour les intercommunalités, particulièrement pour celles de grande taille. Il est vrai que la constitution d'intercommunalités XXL a entraîné une dilution des petites communes dans des ensembles beaucoup plus vastes : avec 129 communes, la communauté de communes de la Haute-Saintonge est celle qui compte le plus de communes. La communauté d'agglomération du Pays Basque regroupe, pour sa part, 158 communes. Le conseil communautaire de ces intercommunalités XXL peut dépasser 100 voire 200 membres : il atteint par exemple, 233 membres pour la communauté d'agglomération du Pays Basque, ou 161 membres pour la communauté de communes de la Haute-Saintonge. Comment s'étonner dès lors que le maire d'une petite commune entendu par la mission, seul représentant de sa commune au conseil communautaire estime qu'il « faudrait passer la moitié de son temps à l'agglomération ; mais quand on est le seul représentant de sa commune, c'est impossible. Résultat : les décisions se prennent sans vous » ?
Inverser cette tendance passe nécessairement par une meilleure implication des maires et des élus municipaux dans la gouvernance intercommunale, tant au niveau de la conception des politiques publiques intercommunales que dans leur déploiement opérationnel. Il s'agit d'ailleurs là d'une revendication très largement exprimée par les intéressés.
Face au risque de déconnexion de l'intercommunalité de la vie communale, la mission d'information juge indispensable que les structures intercommunales se tournent vers des modes de gouvernance incluant toutes les communes membres, dans leur diversité démographique, géographique et économique, c'est-à-dire garantissant à l'ensemble de leurs élus d'être pleinement associés au fonctionnement intercommunal.
Elle observe que sur le terrain, de « bonnes pratiques » de nature à éviter la mise à l'écart de communes et à favoriser la participation des élus municipaux existent d'ores et déjà. Ceci témoigne d'une réelle prise de conscience de l'importance de l'enjeu par certaines intercommunalités et de leur capacité à mettre en place des solutions adaptées aux caractéristiques institutionnelles et politiques locales. L'une de ces bonnes pratiques a particulièrement retenu l'attention de la mission d'information : celle d'une organisation par pôles géographiques correspondant aux anciennes intercommunalités. Ce fonctionnement a notamment été mis en place dans le département de la Manche, ainsi que l'a expliqué en audition Christiane Tincelin, maire de Barfleur : « Les anciennes communautés de communes sont devenues des pôles de la communauté d'agglomération du Cotentin, qui couvre tout le nord du Cotentin, soit 129 communes. Les distances sont grandes et les problématiques très différentes entre la commune de La Hague à l'ouest et les petits villages de la côte est. On a donc conservé - et c'est une très bonne idée - des pôles, qui correspondent aux anciennes communautés de communes. Les quinze communes du pôle du Val-de-Saire travaillent dans la proximité et préparent, ensemble, les réunions du conseil communautaire. C'est une bonne unité intermédiaire entre le petit village et la grande agglomération. »
Faisant confiance à l'intelligence collective locale, la mission d'information ne souhaite pas imposer, suivant une logique verticale dont les territoires ne veulent plus, un modèle de fonctionnement intercommunal, ni même proposer la création de nouveaux outils. Certains sont déjà prévus par la loi et méritent d'être mieux exploités.
Tel est le cas de la conférence des maires qui, quand elle n'est pas méconnue, fait l'objet d'une utilisation à géométrie variable. Dans certaines intercommunalités, elle constitue parfois un passage obligé pour que le président de l'intercommunalité présente certains dossiers. Dans d'autres intercommunalités, elle représente un véritable espace de discussion et de dialogue. Il est vrai que, comme l'a souligné un élu lors de son audition : « les choses changent radicalement selon les personnalités ».
La conférence des maires, un outil de gouvernance à mieux exploiter
Prévue à l'article 1er de la loi « Engagement et proximité » du 27 décembre 2019, la conférence des maires est un outil de gouvernance complémentaire au conseil communautaire, destiné à renforcer le dialogue entre l'EPCI et les maires de ses communes membres.
Obligatoire (sauf dans les cas où le bureau de l'EPCI comprend déjà l'ensemble des maires des communes membres), la conférence des maires est composée de l'ensemble des maires des communes membres, sous la présidence du président de l'EPCI. Elle se réunit, sur un ordre du jour déterminé, à la demande de son président ou d'un tiers des maires dans la limite de quatre fois par an.
Extraits de propos tenus sur la conférence des maires lors des auditions
? Lyliane Piquion-Salomé, présidente d'Interco' Outre-mer : « C'est justement l'intérêt de la conférence des maires, qui permet aux maires de se mettre d'accord et d'assurer un partage équilibré et juste dans l'intérêt de chaque commune formant l'intercommunalité. Il s'agit de s'appuyer sur l'intelligence collective et la solidarité et de mettre en place des outils partagés. »
? Paul-Roland Vincent, maire de Bourgneuf : « La conférence des maires, qui n'a pas de pouvoir de décision, devrait avoir un rôle plus affirmé dans le fonctionnement de l'intercommunalité. »
? Cécile Raquin, directrice de la DGCL : « Le législateur, notamment le Sénat, a d'ailleurs instauré des outils comme la conférence des maires ou le pacte de gouvernance au moment de la constitution du conseil communautaire. L'essentiel relève de la pratique locale, de la volonté des élus de travailler en commun. Les choses fonctionnent plus ou moins bien selon les territoires. »
? Florence Cornier Picotin, secrétaire générale adjointe de l'ADGCF : « Nous fonctionnons efficacement grâce à la conférence des maires [...] qui est un lieu de fermentation et de dialogue, dans la recherche d'un service public efficace. »
Pour que la conférence des maires ne soit pas une « simple chambre d'enregistrement » pour reprendre l'expression employée par Yann Scotte, maire d'Hardricourt, à l'occasion de la table ronde réunissant des maires non membres du bureau du conseil communautaire, il convient évidemment que le président de l'intercommunalité soit avant tout un véritable chef d'orchestre.
Il est certain que le renforcement du rôle de la conférence des maires ne pourra pas se faire si celle-ci reste marquée par les « fâcheries politiciennes » de maires « pas convaincus par principe par l'intercommunalité », pour reprendre les termes d'un élu rencontré par la mission. Dans le respect de tous, le président de la structure intercommunale doit être animé d'une véritable volonté d'animation de son territoire. Cette condition nécessaire a conduit un interlocuteur de la mission à soulever la question de la suppression du « cumul horizontal » des fonctions de président du département et de président de l'intercommunalité, compte tenu du rôle essentiel de la présidence de l'intercommunalité et du fort engagement local qu'elle suppose.
Sans aller jusque-là, qui plus est à quelques mois des élections municipales, et sous la réserve tenant au respect et à la considération que tous les élus doivent pouvoir ressentir, la mission d'information incite les intercommunalités à renforcer le rôle de la conférence des maires. Il pourrait ainsi être envisagé que cette conférence puisse adopter une « motion d'alerte », qui permettrait l'inscription obligatoire à l'ordre du jour du conseil communautaire d'un débat sur le sujet ayant motivé le vote de ladite motion.
Recommandation n° 3 : Afin d'associer l'ensemble des communes, notamment les plus petites, à la gouvernance des intercommunalités, renforcer la place de la conférence des maires en lui permettant, par exemple, de voter une motion d'alerte.
La mission rappelle par ailleurs l'obligation faite à l'exécutif communautaire de communiquer chaque année aux maires des communes membres un rapport traçant l'activité de l'intercommunalité au cours de l'année écoulée.
Article L5211-39 du code général des collectivités territoriales :
Le président de l'établissement public de coopération intercommunale adresse chaque année, avant le 30 septembre, au maire de chaque commune membre un rapport retraçant l'activité de l'établissement accompagné du compte administratif arrêté par l'organe délibérant de l'établissement. Ce rapport fait l'objet d'une communication par le maire au conseil municipal en séance publique au cours de laquelle les représentants de la commune à l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale sont entendus. Le président de l'établissement public de coopération intercommunale peut être entendu, à sa demande, par le conseil municipal de chaque commune membre ou à la demande de ce dernier.
Les représentants de la commune rendent compte au moins deux fois par an au conseil municipal de l'activité de l'établissement public de coopération intercommunale.
Recommandation n° 4 : Garantir la mise en oeuvre effective de l'obligation de communication aux maires du rapport annuel d'activité de l'intercommunalité.
(2) Maintenir le mode actuel d'élection des conseillers communautaires
Outre les pratiques de gouvernance, un autre élément joue un rôle central dans la place accordée aux communes au sein de l'intercommunalité : les modalités d'élection au sein des organes délibérants.
À ce sujet, certaines personnes entendues par la mission d'information ont exprimé leur volonté de voir les conseillers communautaires élus au suffrage universel direct, arguant d'une légitimité démocratique plus forte puisque découlant du vote des citoyens. A l'inverse, l'AMF est évidemment viscéralement opposée à une telle éventualité, y voyant le moyen de « tuer les communes » et estimant qu'il convient de ne pas éloigner les citoyens des lieux de responsabilité et de décision.
La mission d'information n'estime pas souhaitable de retenir cette solution, ne serait que compte tenu du calendrier électoral à venir en 2026. Le mode d'élection actuel des conseillers communautaires, par « fléchage » depuis la liste des candidats au conseil municipal pour les communes de 1 000 habitants et plus57(*), garantit en effet le fait que le conseil communautaire soit l'émanation des conseils municipaux. A contrario, leur élection au suffrage universel direct les doterait d'une légitimité propre et les placerait en concurrence directe avec les conseillers municipaux. Comme l'a résumé Romain Colas, vice-président de l'APVF lors de son audition, « une élection au suffrage universel direct [des conseillers communautaires] risquerait de politiser et de créer de la conflictualité ».
Qui plus est, la légitimité démocratique de l'intercommunalité doit rester attachée à l'élection municipale dans la mesure où les EPCI à fiscalité propre ne sont pas des collectivités territoriales aux termes de l'article 72 de la Constitution du 4 octobre 1958, mais bien des groupements créés à l'initiative des communes. C'est tout le sens de l'article L. 273-5 du code électoral qui précise que « nul ne peut être conseiller communautaire s'il n'est conseiller municipal ou conseiller d'arrondissement ».
Recommandation n° 5 : Maintenir le mode d'élection actuel des conseillers communautaires.
c) Conforter le statut de l'élu local
La mission d'information considère qu'une intercommunalité ne peut véritablement fonctionner si les élus ne sont pas présents et aptes à se prononcer en pleine connaissance de cause sur les nombreux dossiers relevant de leur intercommunalité.
D'un point de vue général, cette question renvoie à l'évidence à la question du statut de l'élu local, sujet d'intérêt majeur pour l'exercice démocratique sur les territoires et, en particulier pour le Sénat, à l'origine de la proposition de loi visant à encourager, à faciliter et à sécuriser l'exercice du mandat d'élu local, qui reste, en septembre 2025, toujours en discussion. Les élus, souvent contraints, dans les petites communes tout du moins, de concilier vie professionnelles et exercice du mandat municipal et du mandat intercommunal, doivent disposer d'une juste rémunération.
C'est particulièrement vrai des élus qui sont par ailleurs travailleurs frontaliers, qui ne bénéficient d'aucun aménagement professionnel - crédit d'heures, autorisations d'absence et congés spécifiques.
d) La formation des élus municipaux et des exécutifs communautaires : un levier d'amélioration de la gouvernance
Une meilleure formation des conseillers municipaux et des exécutifs communautaires constitue également un levier d'amélioration de la gouvernance des intercommunalités.
Les travaux de la mission d'information ont en effet mis en lumière un déficit de formation des élus à la gouvernance propre aux intercommunalités et un manque de connaissance des outils existants. Lors de son audition, Éric Krezel, vice-président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), a ainsi indiqué : « Il y a un manque important en matière de formation. Je dois souvent rappeler à mes collègues membres du bureau de l'intercommunalité pourquoi nous avons prévu le pacte de gouvernance, le pacte fiscal et financier ; j'ai parfois le sentiment qu'ils ne se sentent pas concernés. Il me paraît essentiel de former et d'associer davantage les élus. »
Or, la bonne compréhension des méthodes de fonctionnement et de travail de chacune des strates ainsi que des enjeux et contraintes spécifiques auxquels sont confrontés, respectivement, les élus municipaux et les conseillers communautaires, garantirait en effet un dialogue plus fluide et efficace et, in fine, une meilleure prise en compte des problématiques rencontrées par les communes - et notamment par les plus petites d'entre elles - ainsi que par les EPCI à fiscalité propre.
Ainsi, pour les exécutifs communautaires, des modules spécifiques de formation dédiés aux méthodes de gouvernance des intercommunalités, à la prise en compte des positions exprimées par chacune des communes ou encore à l'utilisation des outils de gouvernance propres aux EPCI à fiscalité propre (pacte de gouvernance, projet de territoire, pacte fiscal et financier, etc.) pourraient être proposés.
Ces modules pourraient être inclus dans le catalogue des formations éligibles au droit individuel à la formation des élus locaux (Dife).
La formation des élus locaux
Les élus locaux bénéficient d'un droit à la formation structuré autour de deux cadres distincts.
D'une part, les élus locaux ont droit à une formation adaptée à leurs fonctions58(*), financée par les collectivités territoriales - la loi précise à cet égard que le montant du budget de la collectivité territoriale doit représenter entre 2 % et 20 % du montant total des indemnités de fonction maximales théoriques des membres de l'organe délibérant59(*).
Les formations éligibles sont uniquement
des formations liées à l'exercice du mandat.
Elles doivent correspondre à un répertoire précis
fixé par arrêté
- le répertoire des
formations liées à l'exercice du mandat local60(*) - et ne peuvent être
dispensées que par des organismes agréés à ce
titre, après avis du Conseil national de la formation des élus
locaux (CNFEL). Les élus ont le libre choix des thématiques
suivies, à la condition qu'elles soient conformes au répertoire
précité.
D'autre part, les élus locaux bénéficient d'un droit individuel à la formation des élus (Dife), créé par la loi n° 2015-366 du 31 mars 2015 visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat. Ce dispositif permet à l'ensemble des élus locaux d'acquérir, chaque année, indépendamment du nombre ou de la nature des mandats exercés, des droits à formation, comptabilisés en euros, financés par des cotisations prélevées sur les indemnités de fonction des élus.
Ces droits leur permettent de financer des formations qu'ils sélectionnent sur une plateforme numérique appelée « Mon compte élu », rattachée à leur compte personnel de formation (CPF). Les formations éligibles dans le cadre du Dife recouvrent un champ plus large. Il peut s'agir de formations liées à l'exercice du mandat, ne pouvant être dispensées que par des organismes de formation agréés après avis du CNFEL, mais également de formations sans lien avec l'exercice du mandat, visant à permettre l'acquisition de compétences de nature à favoriser la réinsertion professionnelle de l'élu à l'issue de son mandat. À ce titre, l'élu mobilisant son Dife a accès à toutes les formations proposées sur la plateforme du CPF.
La mise en place de ces modules de formation spécifiques aux intercommunalités répondrait à un véritable besoin, comme l'a souligné Éric Krezel devant les membres de la mission. En effet, à l'heure actuelle, « la formation des présidents d'intercommunalité est un problème, ils ne sont pas préparés à partager leurs connaissances. L'intercommunalité n'est pas une commune, c'est une entité à part, composée de 65, 60, 40 composantes, qui sont les communes. Il faudrait parvenir à faire projet ensemble, en additionnant les idées de chacun, mais c'est une démarche qui fait défaut aux élus. Et pourtant, des outils comme la conférence des maires existent, mais ils sont mal utilisés ».
Recommandation n° 6 : Compléter le catalogue des formations éligibles au droit individuel à la formation des élus (Dife) par des formations spécifiques dédiées aux titulaires d'un mandat exécutif communautaire, et notamment à la gouvernance des intercommunalités.
Au-delà de ces formations, des formules souples et plus légères pourraient permettre de mieux faire partager les enjeux et les modalités de fonctionnement des intercommunalités auprès des élus : une « journée des maires et des conseillers municipaux » pourrait être organisée en début de mandat puis autant que nécessaire en cours de mandat, par chaque EPCI à fiscalité propre. Ce dispositif serait l'occasion de présenter aux maires l'organisation de l'intercommunalité, les outils de gouvernance (conférence des maires, projet de territoire, pacte de gouvernance, etc.) ainsi que les services pouvant être offerts par l'intercommunalité aux communes membres, en termes d'ingénierie locale ou encore de mutualisations (mise à disposition d'agents ou de services, services communs, etc.). A également été cité auprès de la mission, l'exemple d'une communauté d'agglomération ayant constitué en son sein une « assemblée informelle des petits maires », qui peuvent légitimement se sentir dépassés par la technicité des nombreuses délibérations sur lesquelles ils sont amenés à se prononcer.
Selon Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales, « l'instauration de relations de confiance entre les élus est l'un des grands enjeux des débuts de mandat. La formation des élus est primordiale : les intercommunalités devraient organiser des « journées des maires » afin de leur expliquer leur organisation administrative, les services qu'elles peuvent leur apporter ».
Recommandation n° 7 : Organiser, à chaque début de mandat puis autant que nécessaire, une « journée des maires et des conseillers municipaux », afin de leur présenter l'organisation de l'intercommunalité, les modalités de sa gouvernance et les services pouvant être offerts aux communes membres.
e) Rapprocher l'action intercommunale des citoyens
L'enjeu de la gouvernance intercommunale ne concerne pas seulement les relations entre l'intercommunalité et les communes, il porte aussi sur le rapport entre l'intercommunalité et les citoyens. Le bilan de l'intercommunalité doit aussi être dressé en termes de services rendus aux habitants, car c'est sa vocation première.
Si dans une récente étude de l'Ifop61(*), 85 % des Français affirment que l'intercommunalité est une bonne chose et que ses actions sont efficaces, ils ne sont pourtant que 68 % à connaître sa dénomination et seuls 43 % sont capables de donner le nom du président de l'intercommunalité à laquelle appartient leur commune de résidence. Ces résultats ambivalents illustrent d'un côté, un certain degré de reconnaissance de la légitimité des intercommunalités de la part des Français, de l'autre leur difficulté à bien identifier cette strate territoriale supplémentaire et ses acteurs décisionnaires, dont la notoriété est moindre que celle des maires.
La mission d'information a recueilli de nombreux témoignages soulignant ce manque de lisibilité de l'intercommunalité aux yeux des Français. André Laignel, premier vice-président de l'Association des maires et des présidents d'intercommunalités de France (AMF) a ainsi déclaré : « La commune et les maires sont, de beaucoup, les structures et les élus préférés de nos concitoyens. Tous les sondages depuis dix ans vont dans le même sens. L'intercommunalité arrive très loin derrière les départements et les régions dans l'appréciation des élus eux-mêmes, sans parler de la population : les gens ont du mal à savoir ce qui relève de la commune ou de l'intercommunalité. » Un même constat a été dressé par Éric Krezel, vice-président national de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) : « Les citoyens ne comprennent pas les questions de compétence et d'organisation. Ils pensent que l'intercommunalité doit faire ce que la commune ne peut pas faire, avec des moyens supplémentaires. ». À propos de la répartition des compétences entre communes et intercommunalités, Sébastien Martin, président d'Intercommunalités de France, s'est exclamé : « Mettons-nous à la place de nos concitoyens : ils ne comprennent rien ! ».
Quand l'intercommunalité est invisible : l'exemple de la voirie
L'exercice de la compétence voirie est l'une des actions publiques à laquelle les citoyens sont les plus attentifs. Qu'il soit obligatoire dès la création de l'intercommunalité (pour les communautés urbaines et les métropoles) ou optionnel (pour les communautés de communes et les communautés d'agglomération), le transfert de cette compétence aux intercommunalités suscite des difficultés pratiques, qui nuisent à la perception de terrain des efforts mis en oeuvre par les collectivités et leurs groupements et, plus généralement, par les élus.
Les objectifs de ce transfert sont clairs : il s'agit de rationaliser la gestion et de réaliser des économies d'échelle, grâce à la mutualisation des moyens et au renforcement de l'ingénierie, notamment dans les EPCI les plus importants que sont les métropoles. Mais, en pratique, il se heurte à des difficultés, qui tiennent à la fois au manque de proximité, à une gouvernance insuffisante et à un bilan financier pas toujours conforme à ce qui était attendu à l'origine.
En 2022, une enquête menée par l'Assemblée des communautés de France (AdCF) sur la mise en oeuvre de la compétence voirie au sein du bloc local avait montré que pour un quart des intercommunalités interrogées, la crainte d'une perte de proximité était explicitement citée comme un obstacle au transfert, juste après les enjeux financiers qui y sont liés. L'enquête soulignait également les limites du « modèle intercommunal » dans la gestion de la voirie : « L'impératif d'une égalité de traitement entre les communes peut avoir pour conséquence une prise en charge minimale des voies par la communauté. Ceci s'observe lorsque les communes compétentes n'ont pas procédé à des investissements sur leurs voies à des niveaux comparables, avant que ne se pose la question du transfert de compétence ».
Les maires soulignent légitimement les conséquences de la perte de compétence de la gestion quotidienne de la voirie, notamment en termes de rapidité d'intervention.
Mais ce sont les citoyens qui expriment le plus vivement leurs craintes quant aux conséquences de ce transfert sur le terrain : allongement du délai d'intervention, moindre prise en compte des spécificités locales et difficulté à identifier le bon interlocuteur. Comme le soulignaient les auteurs de la proposition de loi visant à revenir sur le transfert obligatoire de la compétence voirie des communes vers la métropole d'Aix-Marseille-Provence, en 2019, « cette compétence est au coeur des enjeux du quotidien et de la proximité dont les élus communaux sont tenus de répondre auprès de leurs administrés ». Trop souvent, l'intercommunalité n'est pas identifiée comme l'échelon responsable de l'équipement et les habitants des communes concernées se tournent naturellement vers les élus municipaux, au risque d'aggraver la déconnexion avec une structure considérée comme lointaine.
En dépit de la meilleure image dont elle bénéficie au sein de l'opinion publique depuis quelques années, l'intercommunalité a encore d'importantes marges de progression pour améliorer sa visibilité auprès des citoyens et renforcer sa légitimité démocratique.
Pour ce faire, la mission d'information identifie deux principaux leviers d'action :
- renforcer la transparence et la pédagogie sur les enjeux intercommunaux, ce qui passe, par exemple, par l'amélioration des outils de communication sur les compétences exercées par l'intercommunalité ou par la mise à disposition de plateformes numériques de suivi des projets intercommunaux et de remontée des propositions citoyennes ;
- impliquer davantage les citoyens dans l'action publique intercommunale, s'agissant par exemple des grands projets d'aménagement, à travers la mise en place de dispositifs participatifs du type assemblée citoyenne consultative, budget participatif ou jury citoyen.
La réussite d'une telle démarche est toutefois conditionnée à plusieurs facteurs : la manifestation d'une volonté politique forte de la part de l'exécutif intercommunal, l'existence de ressources humaines et financières permettant de conduire ces actions de communication et de participation, l'articulation de ces dernières avec celles menées en propre par les communes membres pour éviter les redondances et les concurrences.
Si la mission d'information a conscience que la satisfaction de ces conditions nécessite des transformations profondes en termes de culture politique et d'ingénierie, elle la juge essentielle pour donner du sens à l'action publique intercommunale au service des citoyens. Quoi qu'il en soit, cette meilleure compréhension par tous les citoyens des enjeux de l'intercommunalité (« qui fait quoi ») répond à un impératif démocratique : outre qu'elle contribue à remplir l'objectif de clarté de la loi, elle est d'autant plus nécessaire que les attentes des Français à l'égard de l'action publique en général sont de plus en plus fortes.
2. Renforcer l'implication de l'ensemble des parties prenantes dans une démarche de projet de territoire
a) Le projet de territoire : un document-cadre reconnu par la loi, mais non obligatoire
La notion de projet de territoire a été introduite pour la première fois à propos des agglomérations par la loi n° 99-533 du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, dite loi « Voynet ». Ce projet est alors destiné à déterminer « d'une part, les orientations que se fixe l'agglomération en matière de développement économique et de cohésion sociale, d'aménagement et d'urbanisme, de transport et de logement, de politique de la ville, de politique de l'environnement et de gestion des ressources [...] et, d'autre part, les mesures permettant de mettre en oeuvre ces orientations ». La loi prévoit également la consultation du conseil de développement sur l'élaboration du projet d'agglomération.
Malgré l'intention du législateur de poser le projet de territoire comme un objectif - ce « en vue de quoi » l'intercommunalité est constituée et met en oeuvre ses politiques, il n'en a pas donné une définition juridique précise ni n'en a fait une obligation légale. La terminologie « projet de territoire » stricto sensu n'apparaît d'ailleurs qu'à l'article L. 5211-10-1 du code général des collectivités territoriales, encadrant le rôle du conseil de développement dans l'élaboration de ce projet.
Dans ce cadre juridique, le projet de territoire, tout à la fois document-cadre et démarche stratégique pour l'action publique intercommunale, n'a pas nécessairement à être formalisé. Son exercice est même facultatif, bien que fortement encouragé.
b) En pratique, un usage à géométrie variable d'un outil stratégique pourtant indispensable à une vision intercommunale partagée
La loi n'imposant aucune règle spécifique à son élaboration, le projet de territoire, quand il existe, semble faire l'objet d'une appropriation très diverse selon les intercommunalités, d'après les informations recueillies par la mission d'information.
Sur le fond, alors que certains projets se résument parfois à la somme des intentions des communes membres, d'autres constituent un véritable document programmatique pour l'action intercommunale. Sur la forme, quand certaines intercommunalités ont conçu un peu hâtivement leur projet, sans diagnostic préalable ni véritable concertation, d'autres ont pris le temps d'impliquer l'ensemble des acteurs pour mûrir leurs orientations stratégiques.
Cette mise en oeuvre à géométrie variable du projet de territoire tranche avec l'unanimité dont il fait l'objet en tant que principe. Nombre d'interlocuteurs de la mission d'information ont en effet insisté sur l'importance de cet outil pour donner un cap stratégique à l'intercommunalité et impliquer l'ensemble des acteurs territoriaux.
Ainsi, Éric Woerth, a dressé le constat suivant : « Il [le projet de territoire] est peu répandu et s'accompagne souvent d'une complexité technique chronophage. Il est cependant logique, au sein d'un EPCI, de savoir ce que l'on veut faire ensemble. Cela peut inclure des objectifs concrets, comme multiplier par deux le réseau de pistes cyclables ou changer les modes de recyclage des déchets. La notion d'habitat doit aussi y être intégrée. La définition de ce projet de territoire devait intervenir quelques mois après l'élection. ».
Pour sa part, Sébastien Martin, président d'Intercommunalités de France, a déclaré : « Le fait intercommunal, c'est la promesse qu'en se regroupant, ce sera mieux demain. Parfois, ce n'est pas le cas, et cela engendre de la déception. Je constate souvent que la promesse est au rendez-vous lorsqu'un projet de territoire a été construit collectivement. [...] Certains maires éprouvent des difficultés au sein de leur intercommunalité, certains présidents d'intercommunalité ne sont sans doute pas bons. Je ne le conteste pas. Pour améliorer la situation, il convient selon moi de renforcer les outils d'ingénierie mis à disposition des intercommunalités et de développer la notion de projet de territoire, qui doit être au coeur du fait intercommunal. Si l'on se contente de gérer, sans vision, au bout d'un moment, cela n'intéresse plus les élus. »
Dans le même état d'esprit, Régis Petit, président de l'ADGCF, a indiqué : « La question fondamentale est la suivante : qu'avons-nous envie de faire ensemble et avec quelle stratégie ? Dans un projet de territoire, nous devons déterminer nos ambitions communes et nos projets de développement communs, qu'il s'agisse de développement économique adapté à nos réalités ou d'organisation de services comme les centres de loisirs. Ce travail de dialogue et de maturation de création d'un projet de territoire prend généralement un an, parfois 18 mois, en début de mandat. »
À propos du projet de territoire 2025-2035 élaboré par la Communauté d'agglomération Plaine-Vallée dont il est directeur général des services, Fabrice Belkacem, membre du conseil d'administration de l'ADGCF, a expliqué : « Nous venons de [le] finaliser en fin de mandat, les élus étaient initialement divisés, mais ils ont finalement été satisfaits de ce travail réalisé en commun. La clé a consisté à comprendre que ce projet n'était pas une simple addition des projets politiques de chaque commune, mais une vision territoriale partagée. ».
c) Améliorer la légitimité politique du projet de territoire
La mission d'information considère que le projet de territoire est un prérequis indispensable au bon fonctionnement d'une intercommunalité, dont il est en quelque sorte la colonne vertébrale.
Pour autant, elle ne souhaite pas le rendre obligatoire, afin de ne pas rigidifier un exercice qui relève d'une volonté proprement politique, une manière pour chaque intercommunalité de se construire et d'assumer, à un moment donné, ses dynamiques et ses ambitions. « Un projet de territoire ne se décrète pas », comme l'a très bien exprimé lors de son audition Jean-Pierre Viola, président de section à la quatrième chambre de la Cour des comptes.
Un élu auditionné estimait pour sa part qu'un projet de territoire devait s'appuyer sur un dialogue permanent entre élus, de sorte de parvenir à un consensus, la majorité ne devant pas pouvoir, selon lui, imposer le projet à la minorité.
En outre, concilier projet de territoire intercommunal et programme électoral municipal peut se révéler chose difficile. Si la campagne électorale pour les élections municipales est l'occasion, pour les candidats, de présenter leur programme, peu formulent ce que sera leur projet pour l'intercommunalité. Dans les cas extrêmes, sortir de l'intercommunalité peut tenir lieu de projet, à l'image de la Ferté-Macé, dont le maire, lors du scrutin municipal de 2020, avait clairement présenté comme projet la sortie de la communauté d'agglomération Flers Agglo pour rejoindre la communauté de communes du Pays Fertois et du Bocage Carrougien, sans que cet objectif ait été atteint à ce jour.
L'enjeu est plutôt de renforcer la légitimité politique de l'outil. C'est pourquoi la mission d'information invite les intercommunalités, au début de leur mandat, à inscrire à l'ordre du jour de leur organe délibérant un débat obligatoire sur l'élaboration d'un projet de territoire, dans le but d'impliquer l'ensemble des élus dans la démarche politique et stratégique de l'intercommunalité.
C'est d'une certaine manière ce qu'a proposé Romain Colas, maire de Boussy-Saint-Antoine, vice-président de l'Association des petites villes de France, lors de son audition : « Personnellement, je considère que, si des exigences sont posées par la loi, notre responsabilité est de nous assurer qu'elles s'appliquent le mieux possible plutôt que de jouer aux irréductibles Gaulois qui en réalité ne résistent à rien, car la loi s'impose à tous, et qui en définitive n'assument pas leurs responsabilités. [...] Poser en début de mandat des temps obligatoires de discussion des principes de gouvernance et des priorités politiques nous semble être pertinent ».
Recommandation n° 8 : À chaque début de mandat, inscrire à l'ordre du jour de l'organe délibérant de l'EPCI à fiscalité propre un débat obligatoire sur l'élaboration d'un projet de territoire.
3. Renforcer l'État territorial, partenaire au service des communes
Parallèlement à l'évolution des relations entre les communes et leurs groupements qu'elle a induite, la dynamique intercommunale a aussi entraîné une modification des rapports du bloc communal avec l'État. Les auditions et les déplacements effectués par la mission d'information ont ainsi mis en lumière la tendance de l'État à considérer l'intercommunalité comme principal interlocuteur pour le bloc communal, au détriment des communes. Dans certains départements, des services de l'État - parfois les préfectures, parfois les directeurs académiques des services de l'éducation nationale (Dasen) - écrivaient directement au président de l'intercommunalité comme s'il appartenait à ce dernier d'en référer aux maires. Ces derniers sont très irrités par cette façon de procéder. Un élu signalait même que les services de l'État s'adressaient aux intercommunalités, y compris lorsque celles-ci ne détiennent pas la compétence, par exemple dans le domaine scolaire.
Le couple « maire-préfet », historiquement très pertinent pour assurer une réelle territorialisation des politiques publiques, se trouve ainsi concurrencé par le couple « président d'intercommunalité-préfet ».
Ce phénomène de substitution de la commune par l'intercommunalité comme partenaire privilégié se conjugue à l'affaiblissement tendanciel de l'État territorial. Abondamment documentée, cette évolution a fortement affecté les moyens humains des services préfectoraux et tout particulièrement des sous-préfectures. La Cour des comptes a ainsi rappelé, dans un rapport rendu en 2022, que « depuis 2010, les trajectoires d'effectifs des préfectures et des directions départementales interministérielles (DDI) se caractérisent par leur dynamique fortement descendante »62(*).
Limité dans ses moyens, l'État territorial est contraint au désengagement vis-à-vis des communes, en particulier peu peuplées, et compte sur les intercommunalités pour prendre son relais dans les territoires.
Un tel comportement se manifeste très nettement en matière d'appui d'ingénierie aux communes. Dans un autre rapport également publié en 202263(*), la Cour des comptes relevait ainsi qu'avec « la réduction des effectifs des services déconcentrés de l'État, l'appui aux communes en matière d'ingénierie a fortement diminué » et que « les EPCI, du moins les plus structurés d'entre eux, ont alors assuré ce rôle auprès de leurs communes membres », permettant ainsi à l'État de s'appuyer sur l'intercommunalité « pour assurer le rôle d'assistance aux communes qu'il ne remplit plus ». Un constat similaire a été dressé en audition par Régis Petit, président de l'ADGCF : « À présent, 70 % des compétences du bloc communal s'exercent en intercommunalité. L'intercommunalité offre la capacité de mobiliser une ingénierie que chaque commune individuellement ne pourrait pas financer. Sur des sujets techniques comme l'eau, l'assainissement ou les déchets, l'échelon intercommunal offre une réelle plus-value. Cette ingénierie, autrefois présente dans les services déconcentrés de l'État (direction départementale de l'équipement, direction départementale de l'agriculture), a progressivement glissé vers les intercommunalités, qui comptent souvent plus d'agents de catégorie A que les communes. ».
Or cette situation génère d'importantes inégalités territoriales, puisque toutes les intercommunalités ne fournissent pas de service d'ingénierie à mettre à disposition de leurs communes membres, et pénalise particulièrement les petites communes, qui n'ont pas suffisamment de ressources en interne.
Résoudre cette difficulté suppose un réarmement de l'État territorial, y compris sur le plan budgétaire. Un tel réinvestissement suppose aussi une rationalisation de son accès pour les maires, qui rencontrent actuellement trop souvent des difficultés face à la profusion d'interlocuteurs résultant de l'émiettement et l'agencification de ses services : Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT)...
Une piste d'évolution, notamment suggérée par la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire64(*), pourrait consister à faire du préfet de département, doté d'une autorité fonctionnelle sur les services territoriaux, l'unique porte d'entrée des maires à l'État. C'est également le sens du « retour d'un État fort au niveau local » annoncé par le Premier ministre le 8 juillet dernier, permettant ainsi « de revenir à une organisation beaucoup plus lisible et mieux coordonnée au niveau local ».
En outre, comme l'a souligné la commission d'enquête du Sénat sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État65(*), « Aujourd'hui, il est absurde que les préfets qui sont responsables des politiques prioritaires du gouvernement, chargés de la mise en oeuvre des politiques interministérielles perdent des compétences qui partent dans les agences, avec une tutelle faible ou qui n'existe pas ».
L'État ne peut continuer à parler de plusieurs voix et doit pleinement jouer son rôle de pilote stratégique. L'enjeu n'est pas de fragiliser l'ingénierie territoriale, notamment pour les petites communes, mais d'assurer la cohérence territoriale des décisions mises en oeuvre, au service d'une plus grande proximité et d'une meilleure prise en compte des réalités locales.
Elle simplifiera ainsi l'accompagnement que les maires sont en droit d'obtenir pour la conduite de projets.
Recommandation n° 9 : Simplifier, pour les maires, l'accès aux services d'ingénierie de l'État en centralisant toutes les formalités en un guichet unique.
* 55 Le Conseil constitutionnel ne s'est pas explicitement prononcé sur l'adéquation de l'intercommunalité, dans ses développements récents, avec le principe de libre administration des collectivités territoriales, en particulier des communes.
* 56 https://www.senat.fr/notice-rapport/2024/r24-895-notice.html
* 57 Lorsque la commune compte moins de 1 000 habitants, les conseillers communautaires sont désignés parmi les conseillers municipaux, suivant l'ordre du tableau : d'abord le maire, ses adjoints puis les conseillers municipaux, selon le nombre de sièges attribués à la commune.
* 58 L'article L. 2123-12 du code général des collectivités territoriales prévoit par exemple que « les membres [du] conseil municipal ont droit à une formation adaptée à leurs fonctions. Une formation est obligatoirement organisée au cours de la première année de mandat pour les élus ayant reçu une délégation. Les élus qui reçoivent délégation en matière de prévention et de gestion des déchets ou d'économie circulaire ou en matière d'urbanisme, de construction ou d'habitat sont encouragés à suivre une formation en la matière ».
* 59 Voir par exemple l'article L. 2123-14 du code général des collectivités territoriales pour les communes.
* 60 L'arrêté du 13 avril 2023 relatif au répertoire des formations liées à l'exercice du mandat local précise par exemple que sont éligibles les formations liées aux fondamentaux du mandat (statut et rôle de l'élu, laïcité...), aux politiques publiques et aux actions locales (enfance et jeunesse, emploi et insertion...), à la communication ou encore au management et à la gestion des ressources humaines.
* 61 « Le rapport des Français à leur intercommunalité à 18 mois des élections municipales », étude réalisée par l'Ifop pour Intercommunalités de France, octobre 2024.
* 62 « Les effectifs de l'administration territoriale de l'État », rapport d'observations définitives, S2022-0494 de la quatrième chambre de la Cour des comptes.
* 63 Rapport public thématique sur la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements, Cour des comptes, octobre 2022.
* 64 Rapport d'information fait au nom de la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France par Maryse Carrère, présidente et Mathieu Darnaud, rapporteur, 5 juillet 2023.
* 65 Rapport fait au nom de la commission d'enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État, par Pierre Barros, président et Christine Lavarde, rapporteur, 1er juillet 2025