AVANT-PROPOS
L'automne 2025 correspondra au 80e anniversaire de la sécurité sociale, créée par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945, et élément essentiel du pacte républicain.
La sécurité sociale, élément essentiel du pacte républicain
En 1944, le programme du Conseil national de la résistance (CNR), intitulé Les jours heureux, prévoyait « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l'État » et « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ».
De même, selon le préambule de la Constitution de 1946, la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs » ; et « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».
Par ailleurs, selon l'article 22 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, « toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l'effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l'organisation et des ressources de chaque pays ».
La sécurité sociale en crise
Près d'un siècle après sa création, la sécurité sociale est en crise.
Le vieillissement de la population majore les besoins des branches vieillesse, maladie et autonomie.
La réforme des retraites de 2023, qui prévoit le passage de l'âge d'ouverture des droits de 62 ans à 64 ans, est contestée par la majorité de l'opinion7(*).
Dans le cas de la santé, l'effort de réduction du déficit de la branche maladie de 2011 à 2019, mais aussi la tendance spontanée des dépenses à croître plus rapidement que le PIB, ont conduit à des mesures de régulation contestées par certains patients et professionnels. Un nombre de médecins par habitant inférieur à la moyenne des pays comparables8(*), joint à la tendance de l'activité économique à se concentrer dans les grandes métropoles, ont renforcé les difficultés d'accès aux soins.
Le déficit de la sécurité sociale oblige, pour limiter sa dégradation, à maîtriser la dynamique des dépenses et des recettes.
Un déficit sans précédent hors période de crise
La sécurité sociale aurait, selon les prévisions du rapport de juin 2025 à la commission des comptes de la sécurité sociale, un déficit de 21,9 milliards d'euros en 2025 et 24,8 milliards d'euros en 2029.
Le déficit augmenterait rapidement en 2024 et en 2025, en dehors de toute crise économique ou sanitaire ; puis il s'installerait, poursuivant son augmentation. Ce serait une situation sans précédent par rapport à ce qui, par comparaison, pourrait sembler une relative maîtrise du déficit ces vingt dernières années.
Solde de la sécurité sociale (Robss + FSV) : exécution et prévision
(en milliards d'euros) |
(en points de PIB) |
CCSS : Commission des comptes de la sécurité sociale. FSV : Fonds de solidarité vieillesse. LFSS : loi de financement de la sécurité sociale. Robss : régimes obligatoires de base de sécurité sociale.
Source : Mecss du Sénat, d'après les LFSS, le Placss 2024, le rapport à la CCSS de juin 2025 et l'Insee
L'objectif du présent rapport : cadrer le débat et proposer une « boîte à outils »
La discussion du PLFSS pour 2025 a montré toute la difficulté à s'entendre sur la manière de ramener la sécurité sociale à l'équilibre9(*).
Aussi, la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat a décidé le 17 décembre 2024 de réaliser un contrôle sur le financement de la sécurité sociale, portant à la fois sur les recettes et sur les dépenses, afin de déterminer les principales options envisageables pour ramener la sécurité sociale à l'équilibre et l'y maintenir.
Champ du rapport
Conformément aux compétences de la Mecss, le présent rapport se limite au champ de la sécurité sociale - c'est-à-dire des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss) et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) - et des organismes concourant à son financement - Fonds de réserve des retraites (FRR) et Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).
Il ne traite donc pas, en particulier, des régimes complémentaires de retraite, de l'assurance chômage, des complémentaires santé, ou des minima sociaux.
Ce champ restreint correspond à celui des lois de financement de la sécurité sociale.
En particulier, les projections à long terme du présent rapport portent sur le périmètre de la sécurité sociale.
Compte tenu des masses financières en jeu et des perspectives des différentes branches, la quasi-totalité des mesures présentées concernent les branches vieillesse, maladie et autonomie.
Le rapport se place dans une perspective de réduction du déficit de l'ensemble des administrations publiques. Ainsi, il n'examine pas les manières de réduire le déficit de la sécurité sociale en augmentant celui de l'État (nonobstant la compensation insuffisante des exonérations sociales).
De même, il n'aborde la performance sociale que sous l'angle de l'amélioration de l'efficience, dans une perspective de maîtrise des dépenses. Il ne traite pas directement de sujets comme l'amélioration du bien-être, l'augmentation de l'espérance de vie, la redistribution, la lutte contre la pauvreté, la négociation sociale, l'aménagement du territoire.
Afin de garantir l'objectivité des travaux, le 5 février 2025, la Mecss a confié le rapport sur le financement de la sécurité sociale à un membre de la majorité, Élisabeth Doineau, rapporteure générale, et à un membre de l'opposition, Raymonde Poncet Monge, vice-présidente de la commission.
Le présent rapport a pour objet non de préconiser une liste particulière de mesures pour ramener la sécurité sociale à l'équilibre, mais, plus modestement, de présenter des éléments de cadrage et d'analyse destinés à favoriser le rapprochement des points de vue, dans une logique de « boîte à outils ».
Aussi, comme le rapport de la Cour des comptes sur le système de retraites de février dernier10(*), le rapport ne préconise ni ne rejette aucune mesure. Toutes les principales mesures évoquées dans le débat public dont les rapporteures ont eu connaissance sont évoquées, dans la mesure du possible assorties d'un chiffrage. Le lecteur pourra ainsi trouver, en annexe IV au présent rapport, une liste d'une centaine de mesures, qu'il ne saurait bien entendu être question de toutes mettre en oeuvre, leur rendement cumulé étant de plus de cent milliards d'euros (dont plus de la moitié pour les recettes).
À la connaissance des rapporteures, c'est la première fois que l'on publie une liste aussi importante de mesures chiffrées, souvent cantonnées aux notes internes aux administrations.
Toutefois ces mesures chiffrées figurant à l'annexe IV ne correspondent pas à la totalité des mesures pouvant être prises. Certaines mesures, non chiffrables, n'en sont pas moins essentielles, qu'elles concernent la gouvernance ou la recherche d'efficience (en particulier dans le domaine de la santé).
Afin qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur son statut de « boîte à outils », le présent rapport ne comprend pas, comme c'est habituellement le cas, des « propositions », mais les « points d'accord des rapporteures », concernant exclusivement les objectifs et la gouvernance.
Le retour de la sécurité sociale à l'équilibre ne peut être déterminé simplement en « piochant » chaque année des mesures dans une liste. Il implique la mise en oeuvre d'une stratégie, et donc une vision à long terme.
Aussi, le présent rapport présente des projections à politiques inchangées des dépenses, des recettes et du solde de chacune des branches de la sécurité sociale, à l'horizon 2070 (établies en s'appuyant sur des travaux existants).
Les montants sont exprimés en milliards d'euros courants et en points de PIB.
Des montants exprimés en milliards d'euros courants et en points de PIB
Compte tenu de l'horizon éloigné des projections, le présent rapport ne présente les montants (en particulier les soldes) en milliards d'euros (courants) qu'en début de période.
Les montants à des horizons plus éloignés sont quant à eux présentés en points de produit intérieur brut (PIB).
En effet, les montants en points de PIB sont ce qui importe du point de vue de la soutenabilité des finances publiques. Par ailleurs, deux montants en milliards d'euros correspondant à des années éloignées ne peuvent être comparés qu'en neutralisant l'inflation, ce qui oblige le lecteur à réaliser des calculs fastidieux. Pour mémoire, un point de PIB vaut actuellement environ 30 milliards d'euros11(*).
Dans son rapport12(*) de février 2025 sur les retraites, la Cour des comptes a fait le choix de de présenter les soldes en milliards d'euros de 2024. Toutefois, cette pratique étant minoritaire, cela complique les comparaisons avec les autres estimations disponibles. Par ailleurs, plusieurs personnes auditionnées ont estimé que cette convention pouvait induire le lecteur en erreur.
Les rapporteures se sont efforcées d'auditionner le plus grand nombre possible d'experts et de parties prenantes dans le bref délai qui leur était imparti13(*). Au total, près de 40 personnes ou entités (dont la liste figure à la fin du rapport) ont été entendues, ce qui est comparable au nombre d'auditions réalisées pour le rapport14(*) sur la fiscalité comportementale adopté par la Mecss en 2024. Les rapporteures ont veillé au pluralisme des points de vue exprimés.
Une centaine de sources bibliographiques ont été consultées. Les principales sont indiquées en annexe I.
Cette approche a amené à retenir pour le présent rapport une structuration en trois parties.
La première partie présente la situation actuelle de la sécurité sociale, en particulier sur le plan financier, avec une projection à politiques inchangées des recettes, des dépenses et du solde des différentes branches à l'horizon 2070.
La deuxième partie examine les principales mesures envisageables pour ramener la sécurité sociale à l'équilibre d'ici 2029, sans prendre parti en faveur de telle ou telle option. Elle présente également certaines mesures relatives à la gouvernance pouvant être mises en oeuvre à court ou moyen terme.
Enfin, même si certaines mesures qu'elle envisage pourraient être mises en oeuvre d'ici 2029, la troisième partie adopte une approche à plus long terme. Elle examine les principales pistes envisageables pour maîtriser sur la durée la dynamique des dépenses de santé, équilibrer les retraites ou financer la politique en faveur de l'autonomie. Elle présente en outre des scénarios tendant à modifier plus profondément le financement de la sécurité sociale.
Le rapport a été examiné par la Mission d'évaluation et de contrôle (Mecss) du Sénat le 1er juillet 2025. Conformément à ce qui a été convenu à cette occasion, il a ensuite été actualisé afin d'intégrer les propositions du rapport « charges et produits » de la Cnam15(*) et du rapport des trois Hauts Conseils au Premier ministre16(*).
Afin notamment de ne pas empiéter sur la discussion du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, il ne présente pas les propositions faites postérieurement à la fin du mois de juillet 2025.
Il a été adopté par la commission des affaires sociales du Sénat le 23 septembre 2025.
* 7 Selon un sondage Elabe pour BFMTV de janvier 2025, 62 % des Français souhaitent revenir à un âge légal de départ à la retraite de 62 ans, tandis que 31 % veulent le maintenir à 64 ans.
* 8 En 2023, il y avait en France 3,2 médecins pour 1 000 habitants (comme au Royaume-Uni), contre 4,6 pour l'Allemagne, 4,3 pour l'Espagne et 4,2 pour l'Italie ( https://data-explorer.oecd.org).
* 9 Les mesures d'amélioration du solde, de 15 milliards d'euros dans le texte initial (dont la moitié de mesures législatives) et 16 milliards d'euros dans le texte du Sénat (avec une proportion analogue de mesures législatives), ont été ramenées à seulement 9 milliards d'euros (dont seulement un tiers de mesures législatives).
* 10 Cour des comptes, Situation financière et perspectives du système de retraites, communication au Premier ministre, février 2025.
* 11 Selon l'Insee, le PIB, exprimé en euros courants, a été de 2 919,9 milliards d'euros en 2024.
* 12 Cour des comptes, Situation financière et perspectives du système de retraites, communication au Premier ministre, février 2025.
* 13 La loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 n'ayant été adoptée que fin février 2025, leurs travaux n'ont pu commencer que mi-mars, les auditions s'étant étendues sur trois mois (entre le 31 mars et le 25 juin). Le rapport a été examiné par la Mecss le 1er juillet 2025, puis a été actualisé pour prendre en compte les propositions du rapport « charges et produits » de la Cnam (juillet 2025) et du rapport des trois Hauts Conseils au Premier ministre (3 juillet 2025).
* 14 Élisabeth Doineau, Cathy Apourceau-Poly, La fiscalité comportementale en santé : stop ou encore ?, rapport d'information n° 638 (2023-2024), mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat, 29 mai 2024.
* 15 Caisse nationale de l'assurance maladie, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses - propositions de l'Assurance Maladie pour 2026, rapport au ministère chargé de la sécurité sociale et au Parlement sur l'évolution des charges et des produits de l'Assurance Maladie au titre de 2026 (loi du 13 août 2004), juillet 2025.
* 16 Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, Haut Conseil du financement de la protection sociale, Pour un redressement durable de la sécurité sociale, rapport au Premier ministre, 3 juillet 2025.