C. LA LOI MOLAC : UNE LOI AMBITIEUSE POUR PROTÉGER ET PROMOUVOIR LES LANGUES RÉGIONALES

À bien des égards, la loi Molac constitue la première loi de défense et de promotion des langues régionales. Pour la première fois depuis longtemps, ce sujet a pu être traité sans polémique autour d'une remise en cause de l'unité de la République. C'est dans un contexte serein et technique que les débats se sont déroulés au Sénat.

Cette loi contient trois volets : le renforcement de l'enseignement des langues régionales, la sécurisation juridique de leur utilisation dans l'espace public et la reconnaissance de leur valeur patrimoniale.

· Le renforcement de l'enseignement des langues régionales

L'article premier fait de l'État et des collectivités territoriales les acteurs de la promotion, de l'enseignement et de la diffusion des langues régionales. Lors de son audition par les rapporteurs, Paul Molac, auteur du texte, a souligné l'importance de cet article qui reconnaît le rôle des collectivités territoriales, notamment en matière d'enseignement et sécurise leurs actions. Prenant l'exemple de l'apprentissage du breton, il a souligné la position en retrait du rectorat « qui a déjà beaucoup d'autres sujets à traiter » en comparaison au volontarisme de la région Bretagne. Selon lui, pour que la promotion des langues régionales et leur enseignement avancent, « il faut que les collectivités territoriales s'en emparent ». Les rapporteurs partagent cet avis sur le rôle essentiel que doivent jouer les collectivités - qui selon les territoires peuvent être le conseil régional, le département, le bloc communal ou un groupement rassemblant plusieurs d'entre elles à l'image de l'office public de la langue basque10(*).

Autre disposition de cette loi, l'article 5 supprime les restrictions à l'enseignement des langues régionales à Mayotte.

Enfin, l'article 6 clarifie la participation financière des communes à la scolarisation dans un établissement privé sous contrat proposant un enseignement de langue régionale situé sur une autre commune lorsque la commune de résidence ne dispose pas d'école dispensant un enseignement de langue régionale.

Cet article vise à préciser les modalités de paiement du forfait scolaire aux écoles privées proposant un enseignement en langue régionale. En effet, la rédaction issue de la loi pour une école de la confiance de 2019 était source de crispation entre les maires, les parents d'élèves et les écoles privées proposant un enseignement en langue régionale.

L'existence d'un forfait scolaire pour les écoles privées immersives associatives :
les contours flous dans la loi pour une école de la confiance de 2019

Le débat sur la possibilité de permettre aux écoles bilingues sous contrat de bénéficier du versement communal des communes est ancien, notamment en Bretagne en faveur du réseau Diwan. En février 2019, Édouard Philippe, alors Premier ministre, avait indiqué dans son discours sur les principaux volets du contrat public pour la Bretagne, en accord avec Loïg Chesnais-Girard, Président du conseil régional « laisser aux communes de Bretagne, représentées au sein de la conférence territoriale de l'action publique, et à la CTAP [conférence territoriale de l'action publique] plus globalement, le soin de se prononcer sur la possibilité d'élargir le forfait scolaire aux écoles bilingues sous contrat. Si les maires sont d'accord et que la CTAP émet un avis favorable, alors le Gouvernement en tiendra compte pour proposer les modifications législatives nécessaires ».

Afin de traduire cet engagement, le Sénat avait voté lors de l'examen du projet de loi pour une école de la confiance un amendement de Maryvonne Blondin prévoyant pour les établissements privés sous contrat du premier degré dispensant un enseignement de langue régionale, et après accord de la CTAP, que la commune de résidence de l'élève et la commune d'accueil de l'école privée sous contrat s'accordent sur le montant d'une participation financière - à la condition que la commune de résidence ne dispense pas d'enseignement de langue régionale. À défaut d'accord, le préfet réunit les maires afin de permettre la résolution de ce différend financier.

Toutefois, lors de la commission mixte paritaire, cette rédaction a connu une double évolution. Premièrement, la référence à un accord de la CTAP a été supprimée. Deuxièmement et surtout, cette contribution a pris un caractère facultatif. Il en est résulté dans de nombreux cas, un refus de contribution de la part de la commune de résidence ou une contribution fortement inférieure à celle due au titre du forfait communal. Comme l'a souligné l'un des rapporteurs, par ailleurs auteur de l'amendement créant l'article 6 dans la loi Molac, « rien qu'en Bretagne, 56 demandes d'arbitrage sont à la charge des préfets. Les relations entre élus communaux, en premier lieu les maires, d'une part, et les parents et les structures des écoles, d'autre part, se tendent ».

L'article 7 permet, dans le cadre de conventions signées entre l'État et les collectivités territoriales concernées, l'enseignement de la langue régionale dans le cadre de l'horaire normal des cours, avec pour objectif de proposer cet enseignement à tous les élèves des territoires concernés et ainsi entrer dans une logique de l'offre afin de généraliser la possibilité de leur apprentissage.

Enfin, la loi prévoit deux rapports annuels relatifs à l'enseignement des langues régionales. Le premier doit permettre de dresser un état des lieux de l'accueil des enfants dont les familles ont fait une demande de scolarisation en langue régionale le plus près possible de leur domicile dans une école maternelle ou infantile.

Le deuxième porte notamment sur l'opportunité pour les établissements scolaires associatifs proposant un enseignement immersif en langue régionale de bénéficier d'un contrat simple ou d'association avec l'État.

À ce jour, quatre ans après l'adoption de la loi, aucun de ces rapports n'a été remis par le Gouvernement au Parlement.

· Une sécurisation juridique de leur usage dans l'espace public

La promotion des langues régionales passe par leur inscription et leur visibilité dans l'espace public. Force est de constater que ni le constituant, ni le législateur, ni le gouvernement n'ont souhaité empêcher leur utilisation de manière concomitante au français. La décision du Conseil constitutionnel n° 94-345 du 29 juillet 1994 sur la loi relative à l'emploi de la langue française est d'ailleurs explicite sur la compatibilité entre le français et les langues régionales : « Considérant que la loi relative à l'emploi de la langue française prescrit sous réserve de certaines exceptions l'usage obligatoire de la langue française dans les lieux ouverts au public, dans les relations commerciales, de travail, dans l'enseignement et la communication audiovisuelle ; qu'elle n'a toutefois pas pour objet de prohiber l'usage de traductions lorsque l'utilisation de la langue française est assurée (etc.) ».

Il en est de même des prises de position des gouvernements successifs, comme en témoignent les propos de Christine Albanel, alors ministre de la Culture en 2008 devant le Sénat « Qui, par exemple, même parmi les législateurs et parmi les élus, sait qu'une collectivité territoriale peut publier les actes officiels qu'elle produit dans une langue régionale, dès lors que ces textes apparaissent comme une traduction du français, qui naturellement - puisque “la langue de la République est le français” - seul fait foi ? ».

Toutefois, certains élus ont été confrontés à une interprétation parfois trop stricte par le juge administratif de la « loi Toubon ».

Afin de lever toute ambiguïté, l'article 8 de la loi Molac permet aux services publics de recourir à des traductions bilingues sur la signalétique, mais aussi sur les principaux supports de communication institutionnelle.

· La reconnaissance de leur valeur patrimoniale

En inscrivant la notion de « patrimoine linguistique, constitué de la langue française et des langues régionales » dans le code du patrimoine, l'article premier de la loi souligne leur valeur patrimoniale, au même titre que le patrimoine bâti. Il permet également de rappeler que l'État et les collectivités territoriales participent à leurs valorisation, promotion et diffusion.


* 10 L'office public de la langue basque est un groupement d'intérêt public regroupant l'État, la région Nouvelle-Aquitaine, le département des Pyrénées-Atlantiques, la communauté d'agglomération du Pays basque et le conseil des élus du Pays Basque.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page