III. AUDITION DE M. BERNARD CARON, PRÉSIDENT ET DE M. JEAN-LOUIS BUHL, DIRECTEUR DE L'AGENCE CENTRALE DES ORGANISMES DE SÉCURITÉ SOCIALE (ACOSS)

Réunie le mercredi 15 mars 2000 sous la présidence de M. Jean Delaneau, président , la commission a procédé à l'audition de M. Bernard Caron, président de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), et de M. Jean-Louis Buhl, directeur.

M. Jean Delaneau, président,
a indiqué que cette audition s'inscrivait dans le cadre de la mission de contrôle sur la gestion des exonérations de cotisations de sécurité sociale, conduite par MM. Charles Descours, Jacques Machet et Alain Vasselle, rapporteurs des lois de financement de la sécurité sociale.

Il a rappelé que les rapporteurs avaient procédé à un certain nombre d'auditions préparatoires, s'étaient déplacés à l'ACOSS pour y rencontrer ses responsables, et avaient consacré une journée à un contrôle sur place à l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Arras, où ils avaient pu s'entretenir également avec des responsables d'entreprise.

M. Bernard Caron s'est, en préambule, félicité du principe de compensation posé par la loi du 25 juillet 1994, imposant à l'Etat de rembourser intégralement à la sécurité sociale le manque à gagner résultant des exonérations de cotisations. Il a estimé que cette loi avait permis de disposer d'une grille de lecture financière des mesures d'exonération. Il a toutefois regretté que ne soient pas compensées les mesures, prises depuis 1994, d'extension du champ d'application ou de majoration du taux d'exonération de dispositifs existants avant 1994.

Puis M. Bernard Caron a rappelé que les organisations patronales estimaient, depuis fort longtemps, que les charges sur les salaires étaient trop élevées. Il a précisé que la convergence des économies européennes imposait de prêter attention, dans ce domaine, à la compétitivité des entreprises françaises.

M. Bernard Caron a estimé que l'ACOSS appliquait une législation complexe avec professionnalisme. Il a regretté que les concepteurs des mesures d'exonération fassent preuve d'une inventivité sans cesse croissante. Il a souligné que le dispositif d'exonération de cotisations sociales résultait d'une superposition de strates successives et était au total difficile à comprendre, difficile à appliquer et difficile à sécuriser juridiquement. Il a estimé, à cet égard, que les dispositifs liés à la réduction du temps de travail étaient particulièrement complexes, rappelant que la circulaire du 3 mars 2000 sur la réduction du temps de travail ne comportait pas moins de 15 pages. Il a constaté, en outre, que l'efficacité d'un certain nombre de mesures se diluait au fil des ans, et qu'il était à tout le moins très difficile de mesurer leur impact. Il a indiqué que l'informatique des URSSAF était fortement mise à contribution pour gérer les différents dispositifs d'exonération, et il a considéré que la complexité juridique faisait peser, au total, une lourde charge, et un risque non négligeable sur les entreprises.

M. Bernard Caron a estimé qu'au-delà d'un discours incantatoire sur la simplification, il apparaissait désormais nécessaire de regrouper certaines mesures d'exonération et d'assurer la sécurité juridique des assujettis. Il a estimé que le développement d'un contentieux social considérable était significatif des défauts du système actuel, malgré les efforts de l'ACOSS, qui avait diffusé une " Charte du cotisant ".

M. Jean-Louis Buhl a souhaité rappeler la logique, le contenu et les conditions d'application des différents dispositifs d'exonération de cotisations.

Il a souligné que ces dispositifs, qui s'étaient multipliés et diversifiés au cours des dix ou quinze dernières années et avaient fait l'objet de nombreux ajustements et compléments, reposaient sur l'analyse selon laquelle les allégements de charges constituaient un levier pour inciter à l'embauche et assurer une meilleure compétitivité des entreprises.

Il a précisé ainsi que les trente-six mesures, qui étaient aujourd'hui en vigueur, relevaient de logiques multiples, visant différentes catégories de salariés (exonération pour favoriser l'embauche de certaines catégories de travailleurs), d'entreprises (exonération premier salarié), d'activités (exonérations spécifiques au textile et au secteur des hôtels-cafés-restaurants), de zones géographiques (zones de redynamisation urbaine, zones de revitalisation rurale), de niveaux de salaires (exonération bas salaires) ou encore de durées du travail (temps partiel, 35 heures). Il a constaté que ces mesures relevaient principalement de la politique de l'emploi, mais pouvaient poursuivre également un objectif d'aménagement du territoire.

M. Jean-Louis Buhl a précisé qu'environ 150 textes différents, modifiés de manière fréquente, régissaient les différents dispositifs, dont les règles de cumul étaient elles-mêmes particulièrement complexes. Il a estimé qu'en dépit des efforts d'informations réalisés, les risques d'insécurité juridique conduisaient certains employeurs à renoncer au bénéfice d'une mesure.

M. Jean-Louis Buhl a souligné la lourdeur des systèmes de contrôle nécessaire à une application exacte des dispositifs : contrôle sur pièce des déclarations, contrôle interne des processus, contrôle sur place par les inspecteurs des URSSAF. Il a ajouté que les exonérations de charges sociales constituaient désormais un des chefs de redressement les plus importants (28
% en 1999, représentant 20 % en valeur) et, de surcroît, en croissance rapide. Il a observé, au demeurant, que les contrôles aboutissaient également à des régularisations au bénéfice du cotisant.

M. Jean-Louis Buhl a constaté que le suivi et le contrôle des mesures d'exonération liées à la réduction du temps de travail faisaient l'objet d'un " partage incertain " entre les URSSAF et les services déconcentrés de l'Etat, et a précisé que les URSSAF n'avaient pas compétence pour l'application du droit du travail, s'agissant notamment du calcul de sa durée. Il a indiqué que, dans ces conditions, les contrôles des URSSAF nécessiteraient un avis préalable ou un rapport des directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) pour confirmer le bien-fondé des exonérations. Il a considéré qu'un partenariat plus approfondi entre les administrations déconcentrées de l'Etat et la branche du recouvrement devenait ainsi nécessaire.

Estimant à 95 milliards de francs le montant des exonérations de cotisations, dont 15 milliards de francs représentant les exonérations non compensées, il a relevé qu'il s'agissait ainsi d'un mode de diversification des ressources de la sécurité sociale. Il a rappelé que 85 % des recettes du régime général (cotisations et contribution sociale généralisée) restaient assises sur des rémunérations.

M. Jean-Louis Buhl a indiqué que la gestion des exonérations demandait un suivi rigoureux, dès lors que les URSSAF étaient, en quelque sorte, ordonnateurs des dépenses de l'Etat par le biais de la compensation, et qu'il leur revenait d'adresser, à l'Etat, une facturation précise. Il a ajouté que la neutralité des relations de trésorerie entre l'Etat et la sécurité sociale était, dans ce domaine, quasiment atteinte.

M. Jean-Louis Buhl a rappelé que les dispositions du paragraphe 241 de la convention d'objectifs et de gestion Etat-ACOSS pour la période 1998-2001 comportaient des engagements en faveur " de textes clairs et adaptés aux réalités vécues par les employeurs " et d'une " rationalisation des règles d'assiette au sein du régime général et en liaison avec les autres régimes de protection sociale, à une simplification des mesures d'assiette ou de taux dérogatoires en faveur de l'Etat ". Il a constaté que ces engagements n'avaient guère été suivis d'effet.

M. Jean-Louis Buhl a expliqué qu'une véritable simplification des dispositifs d'exonération, notamment par leur regroupement, lui paraissait une démarche probablement trop ambitieuse au regard des difficultés à revenir sur des situations acquises. Il a considéré, en revanche, qu'une démarche " plus modeste " devait être entreprise autour de cinq points :

- une nécessaire stabilisation des règles (cibles et critères) qui, actuellement, sont parfois modifiées tous les ans ;

- la limitation des objectifs poursuivis à l'emploi, d'autres techniques que les exonérations de cotisations pouvant être utilement mises en oeuvre pour d'autres objectifs, comme l'aménagement du territoire ;

- le choix de modalités d'exonération moins nombreuses, privilégiant, par rapport à l'abattement forfaitaire, la modulation des taux ;

- une clarification des règles de cumul actuellement très difficile à maîtriser ;

- des délais raisonnables quant à la date d'application des mesures nouvelles permettant de préparer leur mise en oeuvre, afin d'éviter de devoir procéder à des applications rétroactives.

M. Jean Delaneau a demandé si l'augmentation de la charge de gestion et de contrôle avait nécessité des recrutements supplémentaires.

M. Jean-Louis Buhl a indiqué que la convention d'objectifs et de gestion entre l'Etat et l'ACOSS était placée sous le signe d'une stabilité des effectifs de la branche du recouvrement. Il a toutefois précisé que le réseau de recouvrement avait dû être renforcé par environ 200 personnes depuis deux ans.

M. Charles Descours, rapporteur, a considéré que les petites et moyennes entreprises (PME) étaient particulièrement touchées par la complexité. Il a demandé si le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) allait faire des propositions de simplification, dans le cadre du projet de " refondation sociale ".

Il s'est interrogé sur le suivi de la création d'emplois par les URSSAF, et sur les relations entre les URSSAF et les DDTEFP, dans le cadre de la loi sur la réduction négociée du temps de travail. Il a demandé si toutes les directions du ministère de l'emploi partageaient le désir de simplification exprimé par l'ACOSS.

Observant qu'il avait constaté lors du contrôle de l'URSSAF d'Arras que cinq dispositifs représentaient à eux seuls près de 90 % des exonérations accordées, M. Alain Vasselle, rapporteur, a demandé si les coûts de gestion des différents dispositifs par les URSSAF avaient été évalués.

M. Bernard Caron a confirmé que le problème n'était pas identique dans les PME et dans les grandes entreprises. Il a toutefois estimé qu'il n'était pas sain que les grandes entreprises doivent se résoudre, pour faire face à la complexité administrative, à employer des personnes à des tâches parfaitement improductives. Il a indiqué que le MEDEF avait suscité la création d'un groupement d'intérêt public (GIP) " Modernisation des déclarations sociales " ayant pour but de " masquer la complexité administrative ", par un portail Internet (Net entreprises) permettant aux entreprises de payer leurs cotisations et d'accomplir leurs différentes formalités (déclaration unique d'embauche (DUE), déclaration unifiée de cotisations sociales (DUCS), déclarations annuelles de données sociales (DADS)). Il a ajouté que ce GIP réunissait trente-cinq organismes de protection sociale, en accord avec le ministère de l'emploi et de la solidarité et le secrétariat d'Etat aux PME. Il a rappelé que le MEDEF s'était opposé aux trente-cinq heures, qui ajoutent à la complexité. Il a estimé que les exonérations en vigueur dans les zones franches, relevant de la politique d'aménagement du territoire, étaient particulièrement complexes. Il a regretté l'empilement des dispositifs, sans aucune cohérence d'ensemble selon lui.

M. Jean-Louis Buhl a indiqué que les URSSAF n'étaient pas en mesure de comptabiliser les emplois créés par les différentes mesures. Il a indiqué qu'elles avaient connaissance des effectifs de bénéficiaires des allégements et des effectifs globaux des entreprises, mais qu'il était impossible d'isoler les emplois créés. Il a précisé qu'une convention avait été signée entre l'ACOSS et la direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et que cette direction était chargée du suivi statistique des mesures emploi.

S'agissant des relations URSSAF-DDTEFP dans le cadre des allégements de charges liées à la réduction du temps de travail, il a indiqué qu'un comité de liaison national commun à l'ACOSS, la direction de la sécurité sociale et à la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, s'efforçait d'apporter des réponses juridiques aux questions posées par l'application, sur le terrain, des dispositions législatives et réglementaires. Il a indiqué que de nombreuses réunions avaient lieu au niveau départemental. Il a estimé que la coopération n'était certes pas identique dans tous les départements, mais qu'il était clair que l'objectif était d'éviter les divergences d'interprétation entre les services publics.

Répondant à M. Alain Vasselle, il a indiqué qu'il était impossible d'isoler le coût de gestion propre à chaque dispositif d'exonérations de cotisations, ni même à l'ensemble des dispositifs. Il a estimé intuitivement cette dernière charge à un tiers du coût de traitement d'une déclaration. Il a précisé que la gestion d'un cotisant représentait 1.000 francs par an et que le coût de gestion des URSSAF s'élevait à 0,5 % des masses financières recouvrées.

Il a considéré que toutes les directions du ministère de l'emploi et de la solidarité étaient sensibles à la nécessité de la simplification, mais que la délégation générale à l'emploi devait conjuguer cet impératif avec la priorité qui était la sienne, qui est de favoriser l'emploi.

M. Louis Souvet a estimé que la branche du recouvrement était la mieux à même d'effectuer un bilan des différentes mesures emploi, et de proposer des regroupements, autour de " familles " de mesures, ou des rationalisations. Il s'est interrogé sur la possibilité de réaliser des applications informatiques permettant de guider le cotisant pas à pas.

M. Alain Gournac a souhaité une évaluation complète de l'efficacité des différentes mesures. Il a relevé que les PME étaient confrontées à de grandes difficultés pour calculer leurs cotisations. Il a évoqué l'expérience du chèque emploi-service, qui pourrait être étendue aux très petites entreprises.

M. Jean Chérioux a estimé qu'il était nécessaire de disposer d'une répartition, par branches, des différentes recettes de la sécurité sociale.

M. Jacques Machet, rapporteur, a considéré que la construction de l'Europe sociale pourrait permettre des simplifications.

M. Martial Taugourdeau a rappelé que les erreurs des cotisants, de bonne foi, pouvaient se solder par des majorations de cotisations très préjudiciables.

M. Marcel Lesbros a estimé que la complexité des mesures d'exonération mettait également en cause la responsabilité du législateur.

Répondant aux différents intervenants, M. Bernard Caron a évoqué le nombre de pages paraissant annuellement au Journal officiel " Lois et décrets ". Il a estimé que l'adage " nul n'est censé ignorer la loi " était vain. Il a ajouté qu'il était désormais nécessaire de procéder à un " dépoussiérage ", en supprimant toutes les mesures peu utilisées ou en voie d'extinction. Il a douté de la pertinence des études d'impact accompagnant les projets de loi qui doivent pourtant, en principe, évaluer les mesures proposées en termes de formalité et de coût de gestion.

M. Jean-Louis Buhl a confirmé que l'objectif de sécurité et de stabilité juridique était essentiel. Il a considéré que de gros efforts informatiques, à travers le projet " Net entreprises ", étaient engagés. Il a toutefois signalé que le principe du système déclaratif imposait des contrôles a posteriori. Il a précisé que les URSSAF menaient, de plus en plus, des actions de prévention.

S'agissant des chèques emploi-service, il a relevé que cette simplification majeure était liée à une profession particulière, mettant en jeu une seule caisse de retraite complémentaire. Il a indiqué que le projet de loi d'orientation sur les départements d'outre-mer (DOM) comportait une mesure de " titre emploi-service " et que cette expérience serait intéressante à suivre.

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