Mme la présidente. La parole est à Mme Salama Ramia.
Mme Salama Ramia. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la préservation des services publics est une question essentielle. Elle constitue un axe fondamental des priorités défendues par le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), qui a toujours soutenu les initiatives législatives allant dans le sens des services de proximité.
La notion de service public dépasse largement la simple organisation d’infrastructures ou de moyens humains. Elle incarne les valeurs et les principes d’égalité, de solidarité et de justice sociale qui sont les piliers de notre République.
Avoir accès aux services publics, c’est pouvoir jouir de nombreux droits fondamentaux, tels que le droit à la santé, au logement, à l’éducation ou à l’hébergement d’urgence.
Lorsque le service public faillit, c’est la cohésion nationale elle-même qui se fragilise. Ce constat revêt une importance particulière en outre-mer, où la continuité territoriale et l’accès aux services publics constituent des besoins impérieux. Nos territoires ultramarins connaissent des réalités géographiques et économiques spécifiques qui appellent des réponses sur-mesure pour garantir l’égalité républicaine.
Dans l’ensemble de notre territoire, des services accessibles et de qualité sont indispensables, non seulement pour accompagner les Français dans leur vie quotidienne, mais également pour bâtir une République plus solidaire.
Dans ce contexte, la constitution du réseau France Services offre un exemple concret de solution rapprochant le service public des Français. Les 2 840 espaces recensés répondent aux besoins des zones rurales et périurbaines, redonnant vie à des territoires parfois dépourvus d’infrastructures adaptées et offrant un accompagnement de proximité.
La Cour des comptes en a récemment dressé un bilan plus que positif : le nombre de demandes traitées est passé de plus de 1 million en 2020 à près de 9 millions en 2023, preuve que l’État est capable d’innover pour mieux servir nos concitoyens.
En intégrant une charte des services publics au bloc de constitutionnalité, la proposition de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd’hui entend mieux préserver et assurer un fonctionnement pérenne de l’ensemble des services publics.
Je comprends l’intention des auteurs de ce texte et salue leur travail pour soumettre ce sujet au débat. Cependant, le véhicule législatif et la rédaction choisis ne nous semblent pas servir leurs objectifs. Ils risquent au contraire de perturber significativement l’organisation des services publics, déjà bien établie, et reposant principalement sur la jurisprudence du Conseil d’État.
En effet, le champ retenu à l’article 1er de la charte supprime le critère organique inhérent au service public. Il ne permet plus d’identifier l’organisme, public ou privé, chargé de la mission de service public, c’est-à-dire la personne qui l’assume, alors que ce critère constitue l’essence même de la construction de notre droit. La définition proposée paraît à la fois trop rigide et trop large, au risque d’accroître de manière incertaine le domaine d’intervention des pouvoirs publics.
En ces termes, cela serait de nature à compromettre la gestion efficace des services publics par les collectivités et les pouvoirs publics.
De la même manière, ériger une définition des services publics au niveau constitutionnel peut limiter la souplesse de ces derniers et complexifier leur adaptation aux réalités économiques qui évoluent constamment. C’est grâce à cette faculté d’adaptation que, sans attendre une révision constitutionnelle, les langues régionales ont pu faire leur entrée dans les services publics, comme à Mayotte.
Enfin, en imposant à l’État d’être le garant du fonctionnement pérenne des services publics, l’article 4 expose les collectivités territoriales à un risque de contrôle accru de la part de l’État, mettant en péril le principe de libre administration consacré par l’article 72 de la Constitution.
Si l’accès de tous à des services publics de qualité est un objectif naturellement partagé, il est délicat de modifier la Constitution de cette manière, au risque de diluer son caractère fondamental et de l’exposer à des révisions opportunistes.
Je tiens ici à rappeler mon attachement, ainsi que celui du groupe RDPI, au service public et aux valeurs qu’il incarne. Nous avons à cœur de maintenir un service public de qualité, proche des usagers, et au plus près de la réalité des territoires.
En l’état, ce texte ne permet malheureusement pas d’atteindre les objectifs annoncés. C’est pourquoi nous y serons défavorables. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi constitutionnelle initiale.
proposition de loi constitutionnelle instaurant une charte des services publics
Article 1er
Le premier alinéa du Préambule de la Constitution est complété par les mots : « et dans la Charte des services publics. »
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.
M. Pascal Savoldelli. J’ai entendu les objections de nos collègues des différents groupes – Union Centriste, Les Républicains, Les Indépendants, etc. Reste que, chers collègues de la majorité sénatoriale – et c’est d’ailleurs vrai également pour vous, monsieur le garde des sceaux –, vous avez oublié de préciser que vous aviez décidé de réinventer le service public, ce qui rend notre débat de ce soir particulièrement utile !
Vous évoquez un nouveau management public. Vous voulez que l’idéologie managériale, avec les critères de gestion de l’entreprise privée, s’applique au service public. M. Le Rudulier a d’ailleurs eu l’honnêteté de dire qu’il y avait trop de rigidité dans notre texte et qu’il fallait confier cela au privé.
Je le répète, et d’ailleurs tout le monde l’a dit, les méthodologies de gestion du service public reposent sur l’intérêt général, qui est multidimensionnel et supérieur à l’intérêt de l’entreprise. L’entreprise a toute sa place – ce n’est pas la question ! –, mais elle repose sur le taux de rentabilité interne et le retour sur investissement.
Si nous avons déposé cette proposition de loi constitutionnelle, c’est pour montrer que laisser le management privé s’immiscer dans le management public est contraire à trois principes. Je souhaite particulièrement appeler votre attention sur ce point, monsieur le garde des sceaux.
D’abord, le principe d’égalité : le contrat sera une source autonome du droit de la fonction publique, ce qui introduira une concurrence entre les modes de recrutement, de formation et de gestion des droits et obligations.
Ensuite, le principe d’indépendance : l’agent recruté par contrat n’est tenu qu’au respect des règles posées par celui-ci dans le cadre de sa mission et pendant la durée du contrat.
Enfin, le principe de responsabilité : le contractuel n’a pas de comptes à rendre autres que ceux qui correspondent à son champ d’activité.
Le service public est donc mis à mal dans son essence même, dans son ADN, que vous êtes nombreux à avoir rappelé ici.
Par ailleurs, il existe trois risques : ceux d’une confusion des finalités, d’un risque de conflits d’intérêts et d’une captation de l’action publique par le privé.
Si nous avons souhaité constitutionnaliser la charte, c’est parce que nous pensons que le service public est l’expression d’un effort collectif solidaire, qui s’apprécie sur un temps long. Je suis membre de la commission des finances, mais on ne peut pas juger le service public à l’aune d’une annualisation budgétaire. C’est impossible ! Il faut avoir l’audace de prendre le risque de concevoir le service public sur le long terme. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. Mes chers collègues, je vous invite fortement à relire les comptes rendus des débats qui ont eu lieu lors de l’adoption de la Charte de l’environnement. Ils sont éloquents.
Finalement, à l’exception du groupe socialiste, qui tient aujourd’hui le même discours que celui qu’il a alors tenu, les positions des uns et des autres ont évolué. Pourtant, qui viendrait aujourd’hui remettre en cause l’existence de cette charte et son utilité ? Qui oserait dire qu’elle est trop contraignante ?
À mon tour d’insister, à la suite de Pascal Savoldelli, oui, il s’agit d’un choix politique ! Sommes-nous, oui ou non, capables d’assurer à long terme, indépendamment des colorations politiques des gouvernements à venir, la pérennité de l’accès aux services publics et leur développement ? Voulons-nous remettre en cause le modèle à la française au nom de la liberté individuelle ? Cette liberté – choisir de travailler ou de garder un enfant ou un parent âgé en difficulté, choisir où faire ses études parce que l’école publique est en crise, choisir de se soigner ou non – n’est en fait fondée que sur la richesse : cela ne relève pas de la liberté individuelle !
Cette casse des services publics oppose les gens – je l’ai souligné lors de la discussion générale. Elle conduit nos concitoyens à s’affronter, par jalousie : il y a celui qui fait un effort et celui qui n’en fait pas, celui qui agit et celui qui subit. C’est cela qui nourrit le terreau de l’extrême droite.
Je termine en évoquant le consentement à l’impôt. Le sujet fait actuellement débat à l’occasion de la discussion du projet de loi de finances, que nous examinerons bientôt dans cet hémicycle.
Voulons-nous, oui ou non, réconcilier les Français avec le consentement à l’impôt ? J’y suis favorable, ce qui ne signifie pas que les plus pauvres devront payer plus d’impôts demain. Personne ne dit cela – pas de caricatures entre nous ! Nous payons des impôts, parce que l’État nous protège et nous sécurise. C’est à cette question que nous devons répondre avant toute chose.
Le sujet est en tout cas très intéressant. Il nous permettra de décider de ce que voulons offrir aux Français demain. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 27 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 262 |
Pour l’adoption | 34 |
Contre | 228 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 2
La Charte des services publics est ainsi rédigée :
« Le peuple français,
« Considérant :
« Que toute activité qui concerne le développement social, culturel, éducatif, économique et personnel de la société tout entière a vocation à constituer un service public et à être défendue comme tel ;
« Que le service public est le vecteur de l’intérêt général, qui exige le dépassement des intérêts particuliers, afin de s’imposer à l’ensemble de la Nation ;
« Que le service public est le socle de notre contrat social. Il est à la fois le fondement et la limite du pouvoir des gouvernants. Dès lors, leurs prérogatives ne sont que la contrepartie de leur obligation d’œuvrer pour le lien social, à la réalisation et au développement de la solidarité nationale, en prenant en charge les activités d’intérêt général indispensables à la vie collective ;
« Que l’État, expression et garant de l’intérêt général, est historiquement en charge des fonctions collectives pour concrétiser cette volonté d’équité sociale ;
« Que le service public permet d’assurer une répartition équitable des richesses produites et l’accessibilité aux biens essentiels et, le cas échéant, de remédier à la défaillance de l’initiative privée.
« Proclame :
« Art. 1er. – Les services publics concernent les activités indispensables à la réalisation et au développement de la cohésion sociale. Ils concilient le progrès social, la protection de l’environnement et le développement économique.
« Art. 2. – Le service public est régi selon les principes d’égalité, de continuité, de neutralité, d’adaptabilité et d’accessibilité. En découle un principe de proximité en vertu duquel un service public, qu’il soit dématérialisé ou non, doit impérativement proposer un accueil physique de proximité et accessible pour tous les usagers.
« Art. 3. – La personne publique assure directement le service public qu’elle a créé. À titre d’exception, une personne privée peut se voir déléguer la gestion d’un service public, en cas de nécessité impérative motivée.
« Art. 4. – L’État garantit la préservation et le fonctionnement pérenne de l’ensemble des services publics locaux ou nationaux. Pour ce faire, les financements publics doivent être suffisants afin de garantir leur bon fonctionnement et assurer la gratuité ou une tarification juste et équitable.
« Art. 5. – Les services publics assurés par les collectivités territoriales à la suite d’un transfert de compétences par l’État doivent être strictement et durablement compensés. Ces transferts financiers doivent être compatibles avec les principes d’autonomie financière et de libre administration.
« Art. 6. – Les gouvernants ont le devoir de prévenir et de limiter les atteintes aux services publics, qu’ils soient administratifs ou industriels et commerciaux. Une évaluation sociale, environnementale et économique doit être préalable à toute modification du périmètre d’un service public.
« Art. 7. – Les agents et les usagers du service public disposent de droits et de pouvoirs leur permettant d’évaluer les missions à remplir et les moyens institutionnels, humains et financiers à mobiliser, afin de garantir le bon fonctionnement des services publics.
« Art. 8. – La présente Charte inspire l’action européenne et internationale de la France. »
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que, si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle, dans la mesure où les deux articles qui la composent auraient été supprimés.
Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je vous rassure, mes chers collègues, c’est la dernière fois que je m’exprime sur ce texte. (Sourires.)
Si le CRCE-K, qui est un groupe politique de gauche, a déposé cette proposition de loi constitutionnelle, c’est parce que celle-ci s’inscrit dans la suite des combats politiques émancipateurs qui ont fait les grandes heures de la gauche française. Ces combats, nous en sommes convaincus, doivent être défendus et rester d’actualité pour ne pas s’affaiblir.
Je suis surprise des positionnements des uns et des autres, mais pas tant que cela finalement au regard de ce qui s’est passé durant les dernières décennies. Je me félicite que nous ayons choisi ce véhicule législatif – une proposition de loi constitutionnelle –, car, le pire en politique, c’est de beaucoup promettre, de vivement s’opposer, sans rien mettre en œuvre. On ne peut pas, à certains moments, défendre le service public et, à d’autres, engager des privatisations. Nous devons, je le crois, avoir une cohérence collective.
C’est d’ailleurs pour cela, et vous l’avez évoqué, monsieur le garde des sceaux, que nous avons débattu de la question de savoir si les services publics étaient constitutifs de notre société, de notre vision de la démocratie. Si tel est le cas, il faut les sortir du giron parlementaire pour les constitutionnaliser. Nous pourrions presque avoir un débat de philosophie politique en la matière !
Nous voterons l’article 2 en regrettant de ne pas avoir su rassembler davantage. Nous en prenons acte et nous vous donnons rendez-vous au budget pour défendre les services publics, afin que personne ne puisse s’offusquer de la fermeture ou de la dégradation de tel ou tel service public dans son territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’article 2.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 28 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 262 |
Pour l’adoption | 34 |
Contre | 228 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Les deux articles de la proposition de loi constitutionnelle ayant été successivement supprimés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi constitutionnelle instaurant une Charte des services publics n’est pas adoptée.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Dominique Théophile.)
PRÉSIDENCE DE M. Dominique Théophile
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
9
Plan budgétaire et structurel national à moyen terme et orientation des finances publiques
Débat organisé à la demande de la commission des finances
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des finances, sur le plan budgétaire et structurel national à moyen terme et sur l’orientation des finances publiques.
Dans le débat, la parole est à M. le ministre.
M. Antoine Armand, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de m’exprimer pour la première fois à cette tribune et d’avoir l’honneur d’ouvrir, au nom du Gouvernement, le débat sur les orientations économiques et financières de notre pays.
Ce débat a lieu sur la base du plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT) ce qui constitue une nouveauté. Ce plan s’inspire des nouvelles règles macroéconomiques et budgétaires européennes. Son but est de tracer une perspective sur plusieurs années, afin de prévoir une trajectoire équilibrée qui tienne compte des questions financières, en particulier des finances publiques, économiques et de croissance.
Je vous prie d’excuser l’absence du ministre chargé du budget et des comptes publics, Laurent Saint-Martin, qui est retenu à l’Assemblée nationale par l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.
Je vous remercie par ailleurs d’avoir permis que ce débat se tienne à un autre moment que celui auquel il était prévu. Je me réjouis, monsieur le président de la commission des finances, que nous puissions poursuivre ce soir la discussion que nous avons entamée dans votre commission, sur votre invitation.
Je commencerai par retracer rapidement les perspectives économiques et le cadre macroéconomique. La croissance mondiale devrait s’élever à 3,2 % en 2024 et à 3,4 % en 2025. Elle s’explique notamment par l’assouplissement monétaire engagé par les banques centrales américaine et européenne. La succession de chocs que nous avons connus – chocs économique et financier, pandémie de covid-19, invasion de l’Ukraine – continue de provoquer des effets sur les économies mondiales.
La croissance de la zone euro – 0,8 % en 2024 – est au ralenti. Elle devrait devenir plus dynamique et atteindre 1,4 % en 2025, mais rester encore loin de celle des États-Unis, par exemple, qui atteint près de 3 %.
Dans le contexte de sortie de crise pandémique, économique et financière, on peut dire que la croissance de la France demeure stable. Vous le savez, celle-ci atteindra au troisième trimestre de cette année le double des deux trimestres précédents, pendant lesquels elle était de 0,4 %, portant notre acquis de croissance à 1,1 % en 2024, ce qui constitue un élan pour les prochains mois et pour l’année prochaine.
Selon nos estimations, la croissance devrait s’établir à 1,1 % en 2025 ; nous aurons, je n’en doute pas, des débats sur ce sujet. Néanmoins, toujours d’après les estimations de mon ministère, la composition de cette croissance devrait évoluer : elle serait davantage tirée par la consommation des ménages et par un regain d’investissement des entreprises.
Dans les conditions économiques que nous connaissons, l’assouplissement des crédits, avec la poursuite de la baisse des taux, le retour à la normale de l’inflation – d’après nos prévisions, elle devrait être de 1,8 % pour l’année 2025 – et le soutien public renouvelé à l’économie devraient permettre, à moyen terme, à la croissance française, selon nos hypothèses de trajectoire, d’atteindre 1,4 % en 2026, puis 1,5 % en 2027 et en 2028.
Je ne m’étendrai pas, car nous avons eu l’occasion de les évoquer à plusieurs occasions, sur les fondamentaux qui permettent d’espérer un tel niveau de croissance : le soutien à l’apprentissage et à l’emploi, la réforme des retraites et ses effets progressifs, ainsi que les éventuelles futures réformes de l’assurance chômage. Je note aussi la progression du taux d’emploi, qui n’a jamais été aussi élevé depuis qu’il a été mesuré pour la première fois par l’Insee en 1975.
Outre la situation économique, il nous faut évidemment évoquer la situation des finances publiques. La dette colossale de notre pays, qui serait de 3 300 milliards d’euros à la fin de l’année 2024 selon nos estimations, crée évidemment une situation problématique. Elle est le résultat – je ne le rappellerai pas à cette assemblée – d’un demi-siècle de déficits successifs. La dernière fois que notre budget a été équilibré, c’était en 1974 ! Je tenais à mentionner ces quelques repères qui me paraissent éloquents.
Depuis 1974, notre dette a augmenté de presque 100 points de PIB. À titre indicatif, entre 1991 et 1996, après la crise du système monétaire, elle a crû de 23 points de PIB ; entre 2008 et 2013, pendant la crise financière, elle a augmenté de 25 points de PIB ; entre 2019 et 2024, elle a connu une hausse de 15 points de PIB.
Je n’ai pas non plus besoin de rappeler à quel point ce niveau de dette affecte à la fois notre souveraineté, notre crédibilité et notre capacité à aborder l’avenir, et ce très directement.
En effet, 50 milliards d’euros sont versés chaque année – ils le seront donc en 2024 – pour les seuls intérêts de la dette : cela représente un euro sur huit de notre budget. Cette charge de la dette risque de devenir le premier poste de dépense dans les toutes prochaines années, devant l’éducation, la défense ou la transition écologique.
La dette a également un impact direct sur notre capacité de financement. L’écart de taux de financement avec l’Allemagne augmente : il est actuellement de près de 0,8 %, contre 0,5 % au début de l’année. Le taux de financement à dix ans du Portugal est désormais plus faible que le nôtre.
Je crois que nous sommes d’accord pour dire que cette situation ne peut pas durer. Pour le dire en un mot, nous devons dès aujourd’hui faire des efforts difficiles pour ne pas avoir à faire demain ou après-demain des efforts douloureux, comme ce fut le cas chez d’autres partenaires européens.
Laurent Saint-Martin et moi vous avons d’ores et déjà proposé, dans le projet de loi de finances pour 2025, de ramener le déficit public sous les 5 % l’année prochaine, soit – c’est important de le rappeler – un effort de 60 milliards d’euros par rapport à la tendance, c’est-à-dire par rapport à la croissance spontanée de nos dépenses publiques.
Cet effort est constitué pour les deux tiers – soit 40 milliards d’euros – d’économies, c’est-à-dire de réduction de dépenses fiscales et sociales, et pour un tiers – soit 20 milliards d’euros – de contributions fiscales qui seront, je le redis, ciblées, temporaires et exceptionnelles.
L’objectif du PSMT est de passer sous la barre des 3 % de déficit en 2029. Il correspond à un engagement pris dans le cadre des traités européens, mais également, à quelques points de pourcentage près, au solde à partir duquel nous stabilisons notre dette, en d’autres termes, celui à partir duquel nous pouvons avoir un horizon de désendettement.
Si l’on suit la trajectoire, notre dette commencera à décroître à partir de l’année 2028. Le budget pour 2025 est la première pierre de la stratégie de politique économique qui est déclinée dans le PSMT, dont les délais d’élaboration ont été retardés en raison du contexte de la nomination du gouvernement du Premier ministre Michel Barnier.
Le premier pilier du PSMT est la soutenabilité et l’efficacité de la dépense publique. Je rappelle que celle-ci représente 57 % de la richesse nationale de notre pays. Dès l’année prochaine, nous fusionnerons les opérateurs publics qui ont des activités proches et nous moderniserons notre système de santé, notamment pour lutter contre la fraude.
D’autres propositions ont été formulées pour améliorer l’efficacité de la dépense publique. Les nombreuses revues de dépenses dont nous disposons, qui ont d’ailleurs souvent été fournies par votre assemblée, doivent nous permettre d’aller en ce sens.
Laurent Saint-Martin et moi-même souhaitons poursuivre ce travail, en lançant une première revue complète de dépenses pour supprimer au moins 5 milliards d’euros de dépenses qui n’auraient pas de caractère prioritaire entre 2025 et 2027. Je précise que cette revue portera aussi sur les niches fiscales et sociales. Nous disposons en effet de nombreux éléments montrant qu’elles sont soit incompatibles avec certains de nos objectifs de politique publique, notamment en termes d’emploi ou de transition écologique, soit relativement inefficientes.
Pour ce faire, l’ensemble des administrations publiques seront mobilisées. Elles devront présenter chaque année un rapport qui détaillera leurs résultats, donc l’impact budgétaire de leurs actions. Avec Laurent Saint-Martin, je souhaite associer les parlementaires que vous êtes, si vous en êtes d’accord, à cette recherche de transparence et d’efficacité de la dépense publique.
Je l’évoque ici, même si cela n’est pas écrit stricto sensu dans le PSMT : il est important, et même impératif, que nous suivions mieux et beaucoup plus régulièrement l’évolution de la dépense publique afin de mieux anticiper l’ensemble des prévisions. Ce suivi doit aussi être fait au cours même d’une année, et pas seulement d’une année sur l’autre, qu’il s’agisse des dépenses de la sphère locale, de la sphère sociale ou de celles de l’État, eu égard aux récents développements que nous avons connus et que vous avez, en toute légitimité, soulignés.
Chacun sait à quel point il est difficile de réduire la dépense publique et d’assumer une hausse temporaire des prélèvements, même celle-ci est ciblée et exceptionnelle. Je le dis ici en amont du débat budgétaire que nous aurons, nous instruirons toutes les propositions de baisse de dépenses qui permettront d’éviter des augmentations d’impôts et les retiendrons chaque fois que cela sera possible. Il me paraît important de prendre cet engagement.
Le deuxième pilier du PSMT est la transition écologique et énergétique. Je le rappelle, les émissions de CO2 ont baissé de 25 % entre 1990 et 2022, et de 5,8 % en 2023. Néanmoins, pour atteindre l’objectif de l’accord de Paris en 2050, la route est encore très longue, et notre capacité à associer nos partenaires européens et internationaux sera extrêmement importante.
C’est tout l’intérêt du plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc) que le Premier ministre Michel Barnier a souhaité poursuivre et intensifier, grâce, à la fois, à l’entrée en vigueur d’un certain nombre de dispositifs, par exemple la loi Industrie verte (loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte), et au verdissement de la commande publique. Nous devons également poursuivre certains chantiers, comme le plan France 2030.
D’autres éléments ont été évoqués par le Premier ministre, par exemple l’amélioration du financement des projets industriels qui ont besoin, en France comme en Europe, de capitaux privés et publics pour se développer, ce qui permettra de renforcer notre souveraineté.
Pour asseoir et renforcer cette souveraineté industrielle, le PSMT prévoit le développement de l’ensemble des énergies décarbonées, au premier rang desquelles l’énergie nucléaire, qui constitue l’une de nos forces, avec des EPR2 (Evolutionary Power Reactor 2), mais aussi de nouveaux types de réacteurs nucléaires innovants, et les énergies renouvelables.
Il faut aussi réussir à faire baisser la demande, en faisant des efforts de sobriété et de rénovation énergétique dans tous les secteurs, à commencer par le domaine public.
Le troisième pilier du PSMT concerne la réindustrialisation, dans le cadre de l’agenda de compétitivité français et européen. En effet, cet agenda de réformes doit poursuivre cette tendance, en plus de servir à la décarbonation de notre économie.
Telle était l’ambition du Premier ministre, lorsqu’il a annoncé la création d’un livret d’épargne dédié à l’industrie. J’aurai l’occasion de donner prochainement des précisions sur la forme et les modalités que prendra ce livret, qui doit être déployé dans les tout prochains mois.
Je veux mentionner ici l’agenda fixé par le Premier ministre en matière de simplification. En effet, si la compétitivité-prix et la compétitivité-coût restent essentielles, la compétitivité réglementaire ne l’est pas moins et la coordination de l’ensemble des États est désormais indispensable, à l’heure où certains partenaires extra-européens pratiquent le dumping réglementaire.
À l’échelon national, comme Michel Barnier s’y est engagé, nous simplifierons la vie quotidienne des entreprises et leurs relations contractuelles. De nombreuses normes seront supprimées et les droits des très petites entreprises et des petites et moyennes entreprises seront progressivement rapprochés de ceux des particuliers. Les collectivités territoriales disposant de compétences en matière de développement économique seront associées à cette stratégie, de manière que les efforts de simplification et de réindustrialisation qu’il faudra mener fassent l’objet d’une concertation avec celles et ceux qui les assumeront au quotidien, en particulier les communes, les intercommunalités et les régions.
Cette contribution au dynamisme de l’économie doit nous permettre de soutenir l’emploi et le niveau de vie des Français. Nous maintiendrons, je le redis, les politiques en faveur de l’apprentissage et nous veillerons à améliorer notre taux d’emploi, qu’il s’agisse de l’insertion dans l’emploi des plus jeunes ou bien de l’emploi des seniors que nous encouragerons, dans le cadre du chantier que le Premier ministre a lancé, en concertation avec les partenaires sociaux, à la suite de la récente réforme des retraites.
Cette stratégie de dialogue avec les partenaires sociaux est le signe que nous devons rétablir la confiance : non seulement celle entre l’État et les citoyens, mais également la confiance des entreprises dans le système public et dans la capacité du Gouvernement à déployer des efforts en faveur de la simplification, de la compétitivité et du soutien à l’innovation et à l’industrie.
Au moment de vous présenter ce plan budgétaire et structurel à moyen terme, il me paraît important d’aborder la question de la crédibilité et de la transparence de nos prévisions. Tout d’abord, je tiens à saluer le professionnalisme des équipes du ministère que j’ai l’honneur de diriger. Ensuite, je veux dire avec beaucoup de simplicité et d’humilité que vous nous avez légitimement interpellés sur l’ampleur des écarts récents qui ont été constatés entre les prévisions budgétaires et leur exécution.
J’aurai l’occasion, dans les prochains jours, de préciser le plan d’action pour le renforcement de la transparence des outils de suivi des comptes publics dont j’ai annoncé le lancement lors de mon audition par votre commission des finances et qui devrait permettre d’améliorer ces prévisions.
Je rappelle que celles-ci s’inscrivent dans un contexte d’incertitude radicale qui concerne également l’ensemble de nos partenaires. L’Allemagne a ainsi constaté un décalage d’une ampleur similaire à celui de notre pays pour ce qui concerne ses prévisions de dépenses et de recettes – à hauteur d’environ 12 milliards d’euros –, avec un écart d’un point entre le taux de croissance prévu et sa croissance réelle. Cela doit nous encourager à faire un suivi non seulement plus régulier, mais aussi plus « contesté », au bon sens du terme, en travaillant et en échangeant davantage avec les économistes et l’ensemble des parties prenantes, pour mieux comprendre la situation et améliorer ainsi nos prévisions.
J’aurai donc l’occasion de vous présenter des pistes de réflexion en ce sens dans les prochaines semaines, de vous les soumettre et de vous y associer, si vous le souhaitez.
En conclusion, j’insiste sur le fait que nous voulons retrouver un niveau de déficit satisfaisant, qui nous permette de stabiliser notre dette. C’est une priorité non seulement budgétaire, mais aussi politique, parce que le Premier ministre en a pris l’engagement. C’est un gage de confiance que nous voulons donner à nos concitoyens, qui s’interrogent légitimement et régulièrement sur l’utilisation de l’argent public, c’est-à-dire de leurs contributions. C’est aussi la condition sine qua non qui nous permettra de libérer l’investissement, d’encourager l’emploi, de développer nos entreprises et de continuer à rester crédibles en Europe.
Dans un contexte européen d’instabilité et de croissance faible, c’est en portant l’ambition d’un agenda pour la compétitivité et la croissance que la France pourra conserver une voix forte au service de notre modèle politique et démocratique. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)