compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Guy Benarroche,
Mme Marie-Pierre Richer.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 4 décembre 2024 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Hommage aux victimes du cyclone Chido à Mayotte
M. le président. Messieurs les ministres, mes chers collègues, le cyclone Chido a durement frappé, en le traversant de part en part, le département de Mayotte, laissant derrière lui un paysage de désolation. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que MM. les ministres, se lèvent.)
À des dégâts considérables s’ajoute un bilan humain dont nous ne connaissons pas encore l’ampleur, en nombre de blessés et de pertes humaines, en raison de l’étendue de l’habitat informel et des grandes difficultés d’accès.
Compatissant à la douleur de nos compatriotes mahorais, je tiens à leur exprimer au nom du Sénat tout entier notre solidarité et notre soutien, mais aussi à les assurer de notre mobilisation à leurs côtés pour les aider à surmonter cette terrible épreuve. J’assure toutes les familles, en particulier celles qui ont perdu un proche et dont le courage et la résilience forcent le respect, de notre profonde sympathie.
J’ai une pensée particulière pour nos collègues sénateurs de Mayotte, Salama Ramia et Saïd Omar Oili, avec lesquels je me suis entretenu au téléphone, ainsi que pour notre ancien collègue Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État à la francophonie.
Je remercie les services de l’État, le préfet, le président du conseil départemental, les forces de secours et de sécurité et les acteurs de la sécurité civile et de la santé, ainsi que les militaires, tous mobilisés pour venir en aide à la population dans des conditions extrêmement difficiles. L’heure est à l’urgence pour permettre à nos compatriotes, si attachés à la République, en particulier aux nombreux enfants isolés, de disposer d’eau, de nourriture, d’un toit pour s’abriter et de l’accès aux soins.
Les communes, sur lesquelles s’appuie l’État, jouent un rôle essentiel dans ce dispositif. Je salue l’engagement des maires et de l’ensemble des élus, qui, comme toujours lors des crises, sont en première ligne pour apporter un soutien immédiat à la population et pour aider leurs collectivités à surmonter cette épreuve.
Lorsque viendra le temps de la reconstruction, nous devrons réfléchir avec les élus locaux à une solution durable tenant compte de la situation des Mahoraises et des Mahorais, du département et de son environnement régional.
En hommage aux victimes et pour exprimer notre solidarité à nos compatriotes du département de Mayotte, je vous invite, mes chers collègues, à observer une minute de silence. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que MM. les ministres, observent une minute de silence.)
3
Hommage à Roger Madec, ancien sénateur
M. le président. Mes chers collègues, c’est avec une profonde tristesse que nous avons appris le décès soudain de notre ancien collègue Roger Madec, qui fut sénateur de Paris. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que MM. les ministres, se lèvent.)
Son nom restera lié au XIXe arrondissement de Paris, où il s’engagea très tôt, après ses études, comme militant au parti socialiste. C’est là qu’il choisit ensuite de s’investir. Il y fut conseiller de Paris, puis maire de l’arrondissement en 1995, un mandat qu’il occupa durant dix-huit années. Il fut également vice-président du conseil régional d’Île-de-France.
Élu sénateur en septembre 2004, puis réélu en septembre 2011, il siégea naturellement au sein du groupe socialiste. J’ai donc une pensée pour tous ses collègues de groupe, en particulier ceux qui l’ont connu, ainsi que pour les sénateurs qui ont siégé en même temps que lui.
Au sein de notre institution, il travaillait notamment sur les questions relatives aux droits des collectivités territoriales. Nous nous souvenons de son investissement lors des débats de société qui marquèrent son mandat, notamment ceux sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes du même sexe.
Président de Paris Habitat jusqu’en 2020, il était attentif au respect du principe d’un logement pour chacun.
Ses proches le décrivent comme un homme de conviction attentif aux autres, notamment ceux dont la situation est la plus précaire, mais aussi comme un élu de terrain, qui fit beaucoup pour son arrondissement.
Je veux assurer sa famille et ses proches de notre sympathie et leur présenter nos condoléances les plus sincères.
Je vous propose, mes chers collègues, d’observer un moment de recueillement. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que MM. les ministres, observent une minute de silence.)
4
Conférence des présidents
M. le président. Les conclusions adoptées par la conférence des présidents, réunie le mercredi 11 décembre 2024, sont consultables sur le site du Sénat.
En l’absence d’observations, je les considère comme adoptées.
Conclusions de la conférence des présidents
La conférence des présidents a pris acte, en application de l’article 6 bis du règlement, de la demande de création d’une commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants (droit de tirage du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky) et d’une commission d’enquête aux fins d’évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis (droit de tirage du groupe Union Centriste).
Ordre du jour des prochaines séances du Sénat
SEMAINE SÉNATORIALE
Mercredi 18 décembre 2024
À 14 h 30 et, éventuellement, le soir
- projet de loi spéciale prévue par l’article 45 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (texte n° 207 ; demande du Gouvernement en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution).
Ce texte sera envoyé à la commission des finances avec une saisine pour avis de la commission des affaires sociales.
• Réunion de la commission pour le rapport : mardi 17 décembre en début d’après-midi
• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mardi 17 décembre à 18 heures
• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 18 décembre matin
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 17 décembre à 15 heures
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mercredi 15 janvier 2025
À 16 h 30
Désignation :
- des dix-neuf membres de la commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants (droit de tirage du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky) ;
- des vingt-trois membres de la commission d’enquête aux fins d’évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis (droit de tirage du groupe Union Centriste).
• Délai limite de remise, au secrétariat de la direction de la législation et du contrôle, des candidatures à ces commissions d’enquête : mardi 14 janvier à 14 h 30
5
Souhaits de bienvenue à un nouveau sénateur
M. le président. Je salue l’arrivée de notre nouveau collègue, Jean-Marc Ruel, sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite la bienvenue dans notre assemblée. (Applaudissements.)
6
Loi spéciale prévue par l’article 45 de la Lolf
Adoption définitive d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi spéciale prévue par l’article 45 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 207, rapport n° 210, avis n° 209).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
M. Antoine Armand, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de m’associer à l’hommage qui vient d’être rendu à M. Roger Madec, qui fut membre de cette assemblée.
Je m’associe également au message adressé par le président Gérard Larcher à nos compatriotes mahorais, en rappelant la solidarité du Gouvernement envers toutes les victimes et leurs proches.
Je tiens à insister sur l’extraordinaire mobilisation de l’ensemble des services de secours et des services de l’État, qui, depuis des jours, ne dorment plus et travaillent chaque minute pour venir au secours des victimes, identifier les dégâts et préparer dès maintenant la reconstruction. Mon collègue Laurent Saint-Martin et moi-même travaillons aussi à cette préparation, en réunissant quotidiennement à Bercy une cellule de crise, afin que soient mises en place les aides d’urgence, tandis que se poursuivent les opérations de secours.
Je tiens aussi à exprimer à Mme la sénatrice et à M. le sénateur de Mayotte notre soutien, celui du Premier ministre et du Gouvernement tout entier.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous n’ignorez pas qu’une motion de censure, adoptée le 4 décembre dernier lors de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale, a interrompu la discussion des textes financiers, qu’elle a compromis l’adoption d’une loi de finances pour 2025 et qu’elle a, pour le moment, privé notre Nation d’un budget.
J’ai eu l’occasion de le dire en commission des finances, et je le répète ici, cette situation est grave et exceptionnelle. Je ne reviendrai pas sur les nombreux impacts immédiats pour nos compatriotes ; j’en citerai seulement quelques-uns.
Pour nos compatriotes ultramarins, il n’y aura pas de baisse de la TVA sur 6 000 produits alimentaires au 1er janvier en Martinique et en Guadeloupe ; en Nouvelle-Calédonie, le prêt d’un milliard d’euros qui était prévu ne pourra être accordé, faute de garantie votée en loi de finances au 1er janvier.
Je ne reviendrai pas non plus sur les aides aux agriculteurs ou sur celles à l’innovation pour les petites et les moyennes entreprises, qui ne pourront être accordées.
Il s’agit d’une très mauvaise nouvelle pour notre économie. Tous ces problèmes, que d’aucuns ont refusé de voir, ont pourtant été rappelés très clairement et très explicitement vendredi dernier par une agence de notation, qui a abaissé la note de notre pays.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette loi spéciale que mon collègue Laurent Saint-Martin et moi-même vous présentons aujourd’hui n’est pas un budget.
Il ne s’agit pas d’un budget, car ce n’est pas une loi sous-tendue par une prévision de croissance, une prévision de déficit, une prévision d’endettement, bref un cadre économique et financier qui permettrait aux acteurs économiques, dans l’ensemble de nos territoires, de se projeter, d’identifier les occasions d’investissement et les possibilités d’emploi.
Ce texte ne peut en aucun cas nous faire croire – je veux le redire ici – que nos déficits ont disparu, que notre dette n’existe plus et qu’il n’y a pas d’urgence budgétaire !
Je connais vos travaux, votre détermination et la conscience que vous avez, sur toutes ces travées, de l’urgence budgétaire. Je vous le dis donc très simplement : notre déficit, notre dette et l’urgence budgétaire sont toujours là, et cette dernière ne fera que s’aggraver avec les jours et les semaines. Nous devrons collectivement, en tant que responsables politiques, y apporter une réponse.
Ce projet de loi spéciale prévu, vous le savez, à l’article 47 de notre Constitution, a été présenté devant la commission des finances du Sénat moins d’une semaine après la censure, conformément à l’engagement pris par le Président de la République devant les Français le 5 décembre dernier. Il n’est donc – je le répète – qu’un texte technique, sans portée politique, qui vise uniquement à éviter la discontinuité budgétaire entre la fin de l’exercice 2024 et l’adoption d’un budget.
Il ne s’agit pas, comme on l’entend trop souvent, de la reconduction du budget de l’année 2024. Comme le rappelle la circulaire du Premier ministre, ainsi que l’article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf), il s’agit d’ouvrir le minimum de crédits nécessaires à la continuité de la vie de la Nation et des services publics, dans une limite maximale, qui est celle du budget de l’année précédente.
En aucun cas nous ne pouvons dire – donc nous en satisfaire – que cette loi permettrait de passer une année. Au contraire, cette loi, qui vise à éviter la discontinuité, appelle d’autant plus l’urgence budgétaire !
Ce projet de loi, que mon collègue Laurent Saint-Martin détaillera, vise seulement à atteindre deux objectifs : premièrement, continuer à lever l’impôt, permettre de tenir nos engagements, notamment à l’égard de l’Union européenne, et donner de la visibilité aux collectivités locales ; deuxièmement, permettre à l’État et aux organismes de sécurité sociale de continuer à émettre de la dette.
Aujourd’hui, notre responsabilité collective est donc contenue à l’examen et à l’adoption de cette loi spéciale que nous vous soumettons.
Je veux saluer ici, bien sûr, l’esprit de responsabilité dont a fait preuve l’Assemblée nationale en adoptant ce texte à l’unanimité des 481 députés votants. Je ne doute pas que le Sénat fera de même.
Nous devrons dès demain, bien au-delà des clivages politiques, donner un cadre économique, financier et donc budgétaire à notre pays. Il en a besoin, et nous le lui devons.
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé du budget et des comptes publics.
M. Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’avoir, à mon tour, une pensée pour l’ensemble de nos compatriotes de Mayotte, en particulier pour tous les agents de la direction générale des finances publiques (DGFiP), des douanes et de l’Urssaf qui sont mobilisés en permanence.
Le ministère du budget et des comptes publics, que je représente ici, leur rend hommage et les remercie chaque jour.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, l’Assemblée nationale a adopté ce texte à l’unanimité. Je forme le vœu qu’il en aille de même au Sénat, afin que ce texte soit mis en œuvre le plus rapidement possible.
Tôt ou tard, il faudra donner un budget à la France. Le projet de loi spéciale que vous vous apprêtez à examiner ne saurait en tenir lieu. Le Premier ministre l’a lui-même clairement souligné, lors de la passation de pouvoir vendredi dernier, et, de nouveau, hier lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement à l’Assemblée nationale.
La situation de nos finances publiques n’a pas changé depuis la censure du Gouvernement. L’état de nos comptes est le même, avec tous les défis que cela emporte pour le présent comme pour l’avenir. La décision de l’agence de notation Moody’s, ne nous dit pas, hélas, autre chose.
Chacune et chacun ici – je le sais – en est parfaitement conscient. Malgré l’issue des débats budgétaires, il ne s’est trouvé personne, sur quelque travée que ce soit, pour contester la gravité de la situation, le caractère excessif de notre endettement ou la nécessité de réduire le déficit.
Il y a donc au Parlement, je le crois, un espace pour engager le redressement des comptes publics, pourvu que les forces politiques qui le composent parviennent à s’entendre, en responsabilité, sur les modalités de l’effort à fournir.
Ce texte ne préjuge donc pas des nouveaux arbitrages qui seront rendus, sous l’autorité de François Bayrou, par un prochain gouvernement de plein exercice. Il ne préempte en aucun cas les futures décisions budgétaires, dont je souhaite évidemment qu’elles soient prises rapidement, dans l’intérêt supérieur de notre pays et de nos concitoyens.
Il n’a pas davantage vocation à permettre la répétition des débats que nous avons eus ensemble lors de l’examen du projet de loi de finances (PLF) et du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Ce texte n’a qu’un seul objectif, qui délimite strictement son contenu : assurer à titre exceptionnel et transitoire la continuité de la vie de la Nation. Il ne peut ni faire moins ni faire davantage, tant la jurisprudence à cet égard est claire.
En premier lieu, la loi spéciale ne permet pas de modifier le code des impôts. Elle n’exprime pas le consentement à l’impôt ; elle n’en constate que la nécessité. Elle ne permet donc ni de reconduire pour l’année suivante les dispositions fiscales qui arrivent à échéance à la fin de l’année 2024 ni de modifier le barème de l’impôt sur le revenu pour l’indexer sur l’inflation. L’avis rendu par le Conseil d’État sur ces deux points ne souffre aucune ambiguïté.
Cette loi spéciale ne peut qu’autoriser temporairement le Gouvernement à continuer à percevoir les impôts et taxes existants jusqu’au vote de la loi de finances de l’année. C’est indispensable pour assurer le financement de nos services publics, de notre système de protection sociale et, bien sûr, des collectivités territoriales.
En second lieu, le décret qui sera pris après la promulgation de la loi spéciale nous place sous le régime restrictif des services votés.
La loi spéciale n’autorise pas le Gouvernement à engager des dépenses nouvelles. Conformément à la Constitution et jusqu’à l’adoption d’une nouvelle loi de finances pour l’année, les crédits se rapportant aux services votés seront donc temporairement ouverts par décret.
Ces services votés correspondent au niveau minimal de crédits jugé indispensable pour permettre l’exécution des services publics en 2025 dans les conditions de l’année précédente. Cela signifie que, en l’absence de loi de finances, le Gouvernement ne pourra pas augmenter les budgets ; je pense à ceux des armées, de la justice et de l’intérieur, par exemple.
Sauf nécessité pour la continuité de la vie nationale ou motif d’urgence caractérisé, le Gouvernement ne pourra pas non plus procéder à de nouveaux investissements ou à des dépenses discrétionnaires de soutien aux associations, aux entreprises ou aux collectivités.
Comme vous le savez, la situation à Mayotte, durement touchée, réunit ces deux conditions. Des crédits pourront être ouverts pour l’île de Mayotte, tant sur le fondement de la loi de fin de gestion pour 2024 que sur celui des décrets de services votés pour 2025.
Enfin, la loi spéciale autorise le Gouvernement à recourir aux emprunts nécessaires pour assurer ses engagements, ainsi que le fonctionnement régulier des services publics.
Vous le savez, les recettes fiscales et sociales ne suffiraient pas à couvrir le besoin de financement des administrations publiques ; c’était d’ailleurs tout l’objet des débats sur la dette que nous avons menés. Nous ne pourrions donc pas assurer nos engagements auprès de nos créanciers ni garantir le fonctionnement régulier des services publics sans la possibilité de recourir à l’emprunt.
Par conséquent, il est indispensable d’autoriser tant l’État que les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) à émettre de la dette.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne serai pas plus long. Je n’imagine pas que ce projet de loi ne soit pas adopté. Aussi ne m’étendrai-je pas sur les conséquences de son éventuelle non-adoption.
Il ne s’agit pas d’un texte politique. Il s’agit de parer à l’urgence, dans l’attente d’un nouveau budget. Il s’agit d’assurer la continuité de la Nation, le fonctionnement régulier des services publics et le respect des engagements pris par notre pays.
Avec ce texte, nous vous proposons tout simplement que nécessité fasse loi, dans le respect du droit. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – M. Alain Chatillon applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, en m’exprimant à cette tribune, je constate que nous vivons des temps graves et une période inédite.
Sous la Ve République, en effet, jamais la France n’a connu une telle situation budgétaire. La toute récente censure politique nous a rendus incapables de nous doter d’un budget pour l’année à venir ; nul ne sait à cet instant quand nous serons en mesure d’en voter un.
Sans tomber dans la caricature de certains oiseaux de mauvais augure, il est essentiel de prendre conscience de la gravité du moment : il est tout sauf anodin qu’un pays n’arrive pas à se doter d’un budget.
Cela l’est encore moins compte tenu de la dégradation de nos finances publiques, qui s’est accélérée en 2024. Après une grave crise sanitaire, à laquelle aucun pays n’a échappé, nous avons dû faire face à la crise énergétique et à la crise inflationniste. Même une fois terminées, ces trois crises ont malheureusement conduit notre pays à la perte totale de contrôle de nos finances publiques que l’on observe aujourd’hui.
Au pire moment, voilà que la France s’enfonce désormais dans une crise institutionnelle, qui risque de nous empêcher de redresser la barre. Nous ne sommes pas réunis aujourd’hui pour en déterminer les responsabilités, mais il me semble que notre pays n’avait pas besoin de cela, et nos finances publiques encore moins.
La vérité, c’est que la France se retrouve dans une situation de très grande fragilité. Nous sommes réunis aujourd’hui pour constater les effets délétères de cette crise institutionnelle.
L’agence de notation Moody’s a d’ores et déjà abaissé la note de la dette souveraine de la France. Certes, celle-ci reste relativement élevée, et l’on peut trouver plusieurs raisons de se rassurer en constatant que le spread avec l’Allemagne n’augmente pas davantage ou que le CAC 40 continue de progresser. Mais ne nous voilons pas la face : l’incapacité de la France à se doter d’un budget est très grave, même si elle n’a pas à court terme les conséquences catastrophiques que certains veulent lui donner.
Les deux précédents que nous avons connus sous la Ve République n’ont rien à voir avec la situation actuelle, puisque, tant en 1962 qu’en 1979, le Parlement avait très vite voté un budget au début de l’année suivante. La France ne faisait alors pas face à l’instabilité politique. Comment savoir quand et de quel budget notre pays se dotera pour l’année à venir ?
Les cas étrangers ne sont pas non plus comparables. Même sans budget depuis deux ans, l’Espagne, qui a connu une croissance de 3 % en 2024, se découvre des ressources fiscales en forte progression. En 2024, même sans budget, son déficit public est repassé sous la barre des 3 %. Des conditions à la fois budgétaires et juridiques lui permettent de fonctionner sans budget, ce qui n’est malheureusement pas le cas de notre pays.
Je le rappelle, la France finira l’année avec un déficit public à plus de 6 % du PIB, et la croissance reste atone, la Banque de France ayant récemment abaissé ses perspectives à 0,9 % pour 2025.
Par ailleurs, le taux de chômage repart à la hausse et reste sensiblement supérieur à celui de la zone euro, alors que le nombre de défaillances d’entreprises est au plus haut.
Enfin, le déficit commercial de la France demeure lui aussi abyssal, à plus de 80 milliards d’euros sur les douze derniers mois, tandis que notre dette publique tutoie des sommets vertigineux.
Compte tenu du contexte inédit et très dégradé dans lequel nous avons à examiner ce projet de loi spéciale, je m’étonne des débats causés par ce projet de loi. Il faut revenir à une analyse calme et posée.
Ce projet de loi dit « spéciale » résulte de l’application conjointe de l’article 47 de notre Constitution et de l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). En réalité, le cas de figure actuel, à savoir une censure gouvernementale empêchant la promulgation d’une loi de finances avant la fin de l’année, ne correspond pas strictement aux procédures d’urgence prévues dans ces textes.
Malgré la qualité de notre cadre constitutionnel et organique, nous sommes dans un cas de figure qui n’a pas été prévu par les textes. J’y reviens, il est grave de se trouver dans une telle situation institutionnelle.
Toutefois, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est assez claire : « Il appartient, de toute évidence, au Parlement et au Gouvernement, dans la sphère de leurs compétences respectives, de prendre toutes les mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale ». Cette jurisprudence est confirmée par l’avis du Conseil d’État rendu récemment à la demande du Gouvernement.
Rappelons donc l’objet de ce texte. Il vise à prévoir « les mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale ». Rien que ça, mais tout ça ! La vie nationale doit continuer, mais toutes les mesures qui ne seraient pas strictement « nécessaires » à cette poursuite n’ont pas leur place dans ce texte.
À cet égard, je vous avoue que le débat sur l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu m’a rendu perplexe. Cette indexation n’est évidemment pas nécessaire à la continuité de la vie nationale. Pour autant, elle se fera, et le Gouvernement nous a confirmé que nous disposions de plusieurs mois pour la voter. Je vous propose donc de sortir ce sujet du projet de loi spéciale qui nous occupe. (M. Hervé Gillé proteste.)
Il faut plutôt s’atteler à traiter les enjeux budgétaires et économiques majeurs que j’ai rappelés. À mon sens, cela passe tout d’abord par la poursuite de l’examen du projet de loi de finances pour 2025 en cours de discussion. Cela permettrait de nous donner à la fois un cap et une boussole pour 2025, en entamant le redressement de nos comptes qui est si nécessaire.
Indexation du barème de l’impôt sur le revenu, mesures pour les agriculteurs, trajectoire de la loi de programmation militaire, etc. Je souhaite que, face aux enjeux auxquels notre pays doit faire face, un sursaut nous permette d’unir nos forces rapidement pour parer ces risques immédiats et agir face à l’urgence.
Le projet de loi spéciale – c’est sa nature, je viens de le rappeler – est très court, car il est limité au strict nécessaire. Sa version initiale comportait trois articles ; l’Assemblée nationale en a ajouté un.
Parce que ces articles paraissent nécessaires et suffisants et parce que la priorité est de rassurer les Français en garantissant la poursuite de la vie nationale, la commission des finances propose d’adopter ces quatre articles sans modification, afin que le Sénat vote dès aujourd’hui un texte conforme à celui de l’Assemblée nationale. En effet, l’intérêt supérieur du pays doit prévaloir.