M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Madame la présidente de la commission des lois, je suis vraiment en désaccord avec vous sur la question du droit à l’oubli. (Mmes Annick Billon et Olivia Richard opinent.) Je ne veux pas de droit à l’oubli, je le récuse profondément ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et GEST. – M. Philippe Grosvalet applaudit également.)

C’est pourquoi j’ai assumé de soutenir l’imprescriptibilité. Les victimes n’ont pas la possibilité d’oublier ! Si elles oublient, c’est uniquement parce que les traumatismes qu’elles ont subis ont été enfouis dans leur mémoire, du fait de mécanismes de défense et de protection, du sceau du secret, de la honte et de l’impossibilité de parler.

Quoi qu’il en soit, je ne veux pas que le droit les oublie, je ne veux pas d’une pacification de la société qui se ferait au détriment des victimes ! Nous avons tous ici entendu des témoignages de victimes disant que les crimes sexuels qu’elles avaient subis les condamnaient à perpétuité.

J’assume, au travers de ces amendements sur l’imprescriptibilité, de dire aux bourreaux, à celles et ceux qui ont commis le pire des crimes, à savoir le crime sexuel à l’encontre des enfants, que jusqu’au dernier jour et jusqu’à leur dernier souffle ils ne pourront pas dormir tranquilles. Je ne veux pas que leur cas soit pacifié et qu’ils bénéficient du droit à l’oubli ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, GEST, SER et CRCE-K. – Mme Laure Darcos applaudit également.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 rectifié ter, 15 rectifié ter, 18 rectifié, 21 rectifié bis et 31 rectifié.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 250 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 323
Pour l’adoption 98
Contre 225

Le Sénat n’a pas adopté.

Je mets aux voix l’amendement n° 19 rectifié.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 251 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l’adoption 178
Contre 163

Le Sénat a adopté.

En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé, et les amendements nos 5 rectifié, 16 rectifié bis et 41 n’ont plus d’objet.

Article 1er
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Article 2

Après l’article 1er

M. le président. L’amendement n° 32, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le second alinéa de l’article 2226 du code civil est complété par les mots : « à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ».

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Mme Mélanie Vogel. Avec votre permission, monsieur le président, je présenterai également l’amendement n° 33.

M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 33, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, et ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 706-48 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Une telle expertise peut également être ordonnée pour apprécier l’existence d’un obstacle de fait insurmontable rendant impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, en application de l’article 9-3. »

Veuillez poursuivre, ma chère collègue.

Mme Mélanie Vogel. Ces deux amendements de repli sont différents, mais ils s’inscrivent dans une même logique.

L’amendement n° 32 vise à inscrire dans le droit l’apport de la jurisprudence permettant de faire courir le début de la prescription à partir de la consolidation du préjudice. C’est déjà possible aujourd’hui, mais seulement grâce à la jurisprudence. Il s’agit donc de l’ancrer dans la loi.

L’amendement n° 33 a pour objet de permettre aux victimes de faire suspendre la prescription si elles peuvent démontrer qu’elles souffrent d’une amnésie traumatique. Cet élément constituerait alors un obstacle insurmontable. Dans ce cas, la suspension de la prescription est, là aussi, déjà théoriquement possible. Il s’agit simplement de clarifier la situation en inscrivant cette possibilité dans le code civil.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Que le point de départ du délai de prescription soit fixé au moment de la consolidation du dommage est, selon nous, favorable aux victimes de violences sexuelles.

Inscrire ce principe dans la loi poserait néanmoins deux problèmes. D’une part, cela introduirait une redondance au sein de l’article 2226 du code civil. D’autre part, le juge perdrait ainsi une liberté d’appréciation pouvant bénéficier aux victimes. Par exemple, si la consolidation intervient avant la majorité, ce qui est possible, le droit actuel et la jurisprudence permettent au juge de retenir le point de départ le plus favorable, qu’il s’agisse de la majorité ou de la consolidation.

La commission a donc émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Ces amendements sont déjà satisfaits par la rédaction du premier alinéa de l’article 2226 du code civil, qui fait courir le début de la prescription à compter de la date de la consolidation. Quant au deuxième alinéa dudit article, il dispose que, pour certains préjudices, l’action en responsabilité civile est prescrite par vingt ans.

Je demande donc le retrait de ces amendements ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 32.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 33.

(Lamendement nest pas adopté.)

Après l’article 1er
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Après l’article 2

Article 2

Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° L’article 7 est ainsi modifié :

a) Après le mot : « derniers », la fin du troisième alinéa est supprimée ;

b) Après le même troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le délai de prescription d’un viol est prolongé, le cas échéant, en cas de commission sur une autre victime par la même personne, avant l’expiration de ce délai, d’un nouveau viol, d’une agression sexuelle ou d’une atteinte sexuelle, jusqu’à la date de prescription de cette nouvelle infraction. » ;

1° bis et 2° (Supprimés)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 22, présenté par Mmes Corbière Naminzo, Varaillas et Cukierman, M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

I. – Après l’alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

a) Au troisième alinéa, les mots : « , lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, » sont supprimés ;

II. – Alinéa 6

Rétablir le 2° dans la rédaction suivante :

2° Le dernier alinéa de l’article 9-2 est ainsi modifié :

a) Les mots : « commis sur un mineur » sont supprimés ;

b) À la fin, les mots : « commis sur un autre mineur » sont supprimés.

La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.

Mme Marie-Claude Varaillas. Nous l’avons souligné lors de la discussion générale, la prescription glissante est une grande avancée. Nous souhaitons l’élargir aux victimes majeures.

La prescription glissante permet de prolonger le délai de prescription d’un délit ou d’un crime sexuel si l’auteur des faits viole ou agresse sexuellement un autre enfant par la suite. Elle permet ainsi de juger l’ensemble des faits commis par des agresseurs sériels. Pour l’heure, elle ne s’applique qu’aux victimes mineures ; nous proposons de l’étendre aux victimes majeures ayant subi un crime de viol.

Une telle évolution semble nécessaire dans la mesure où, le plus souvent, le violeur ne commet pas à un seul viol, comme en attestent de grandes affaires judiciaires médiatisées, récentes ou non. Nous devons conférer à notre droit les moyens de mieux réprimer ces infractions sérielles.

En l’état du droit, une jeune femme de 18 ou 19 ans qui serait l’une des victimes d’un violeur en série, aux côtés de personnes mineures, ne pourrait pas bénéficier, pour sa part, de la prescription glissante. Nous devons remédier à cette situation injuste.

Que les crimes soient commis sur des majeurs ou des mineurs, l’intérêt de la prescription glissante est le même : mieux condamner les crimes sexuels et mieux reconnaître les victimes pour leur permettre de se reconstruire. Nous souhaitons que cette prescription soit étendue aux victimes majeures, afin de ne pas laisser celles-ci sur le bord de la route.

M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 3 rectifié est présenté par Mmes Guillotin et M. Carrère, MM. Masset, Grosvalet, Cabanel, Guiol, Bilhac, Gold et Laouedj, Mme Pantel, MM. Roux, Daubet et Fialaire et Mme Jouve.

L’amendement n° 34 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 6

Rétablir le 1° bis et le 2° dans la rédaction suivante :

1° bis Au quatrième alinéa de l’article 8, après le mot : « article, », sont insérés les mots : « d’un viol, » ;

2° Le dernier alinéa de l’article 9-2 est ainsi modifié :

a) Les mots : « commis sur un mineur » sont supprimés ;

b) À la fin, les mots : « commises sur un autre mineur » sont supprimés.

La parole est à M. Philippe Grosvalet, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié.

M. Philippe Grosvalet. Cet amendement vise à rétablir l’article 2 dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.

Il s’agit d’étendre le mécanisme de la prescription glissante aux victimes majeures d’un viol, mais aussi d’une agression sexuelle ou d’une atteinte sexuelle. Cette approche est plus juste, car elle repose sur une vérité que nous connaissons tous. Dans la pratique, les viols, les agressions et les atteintes sexuelles relèvent d’un même continuum d’infractions ; l’affaire Joël Le Scouarnec illustre tragiquement cette réalité.

La frontière juridique établie entre ces infractions ne reflète pas la logique de leurs auteurs, dont notre droit pénal doit tenir compte.

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l’amendement n° 34.

Mme Mélanie Vogel. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. En préambule, je rappelle que le texte de la commission a prévu la prescription glissante pour les majeurs en cas de viol. C’est une véritable avancée issue du texte de l’Assemblée nationale, qui a été retenue.

La petite subtilité, ce sont les deux restrictions que nous avons apportées sur la question de l’interruption de la prescription et sur celle de l’atteinte sexuelle. À défaut, on appliquerait une prescription criminelle à un délit, ce qui introduirait une confusion entre prescription délictuelle et prescription criminelle.

L’amendement n° 22, en visant à rétablir la version initiale du texte, soulève donc une difficulté légistique qui avait été pointée à l’Assemblée nationale.

Quant aux amendements identiques nos 3 rectifié et 34, ils tendent à modifier l’article 8 du code de procédure pénale, qui porte sur les délais de prescription applicables en matière délictuelle. La commission, comme je l’ai souligné, a restreint le champ de cette modification pour éviter toute confusion, mais a bien prévu l’application de la prescription glissante. Cet apport, qui doit bénéficier aux personnes majeures en cas de viol, a été salué par tous.

L’avis est donc défavorable sur ces trois amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Je demande le retrait de l’amendement n° 22 au profit des amendements identiques nos 3 rectifié et 34, qui visent à rétablir des éléments introduits à l’Assemblée nationale.

Quand une agression sexuelle est suivie d’un viol, la prescription glissante doit s’appliquer. Or la commission des lois a établi une distinction, considérant que la prescription glissante ne pouvait s’appliquer que s’il s’agissait de crimes. Nous considérons, pour notre part, que les agressions sexuelles doivent aussi être prises en compte, pour permettre le déclenchement de la prescription glissante si un viol est commis ensuite.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 22.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 rectifié et 34.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 252 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l’adoption 155
Contre 186

Le Sénat n’a pas adopté.

L’amendement n° 6 rectifié bis, présenté par Mme Billon, M. Iacovelli, Mme Antoine, M. J.M. Arnaud, Mme Belrhiti, MM. Bilhac et Bonneau, Mme Bourcier, M. Capo-Canellas, Mmes L. Darcos et de La Provôté, M. Delcros, Mmes Devésa, Drexler, Duranton, Gacquerre, Gosselin, Herzog, Housseau, Jacquemet et Jacques, MM. Lafon, Laugier et Levi, Mme Loisier, M. Menonville, Mmes Patru et Perrot, MM. Pillefer, Pointereau et Rochette, Mme Romagny, M. Roux et Mmes Sollogoub, Tetuanui et Vermeillet, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 3

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…) Après le même troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Par dérogation à l’alinéa précédent, l’action publique des crimes de meurtre ou d’assassinat, de tortures ou d’actes de barbaries, de viol et les délits d’agression sexuelles mentionnés à l’article 706-47 du présent code, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, se prescrit de soixante années révolues à compter de la majorité de ces derniers. » ;

La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Une victime d’un viol subi dans l’enfance peut porter plainte au pénal jusqu’à ses 48 ans. Mais ce délai reste forcément insuffisant. De nombreux témoignages montrent que certaines victimes ne retrouvent la mémoire ou ne se sentent capables de dénoncer les faits que beaucoup plus tard.

En 2023, 75 % des témoignages recueillis par la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) concernaient des faits prescrits. Cela s’explique par le fait que 50 % des victimes d’inceste souffrent d’amnésie dissociative. Ce n’est pas aux victimes de s’adapter au droit, mais bien au droit de s’adapter à leur processus de reconstruction.

Le délai de prescription de trente ans empêche ainsi de nombreuses victimes d’obtenir justice, non parce qu’elles n’ont pas voulu parler plus tôt, mais parce que leur traumatisme les a empêché de le faire.

À ce titre, dans sa recommandation 60, la Ciivise appelle à rendre imprescriptibles les violences sexuelles commises sur un mineur. La question de l’imprescriptibilité civile, dont nous avons débattu, ne fait pas consensus. Celle de l’imprescriptibilité pénale divise tout autant, voire davantage. Je vous propose donc une voie médiane. L’amendement que je vous soumets vise à doubler le délai de prescription existant au pénal. À l’échelle internationale, d’ailleurs, la tendance est à l’abolition ou à l’allongement des délais de prescription.

Aujourd’hui, dix-huit des quarante-trois États parties à la convention de Lanzarote, soit 41 % d’entre eux, ne prévoient plus de prescription pour tout ou partie des violences sexuelles sur mineur.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. Vous l’aurez compris au regard de nos échanges sur la prescriptibilité civile, nous sommes opposés à l’imprescriptibilité pénale. Or fixer la prescription à soixante ans reviendrait de facto à introduire une imprescriptibilité pénale, ce qui n’est pas souhaitable.

Nous avons entendu les différents arguments, notamment celui de la cohérence entre le civil et le pénal concernant le délai de prescription de trente ans. Il serait contre-productif de refaire le débat et de doubler ce délai.

Vous évoquez la convention de Lanzarote dont la France est partie prenante. Notre pays figure parmi les dix-huit des quarante-trois États qui ont rallongé les délais de prescription, pour mieux prendre en compte la situation des victimes.

Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 2.

(Larticle 2 est adopté.)

Article 2
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Article 3

Après l’article 2

M. le président. L’amendement n° 8 rectifié bis, présenté par Mmes Billon et Antoine, M. Capo-Canellas, Mmes de La Provôté et Jacquemet, MM. Lafon, Laugier et Levi, Mmes Patru et Perrot, M. Pillefer et Mmes O. Richard, Saint-Pé et Sollogoub, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 706-52 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Au cours de l’enquête et de l’information, l’audition d’une victime de viol prévu aux articles 222-23 à 222-26 du code pénal ou d’agressions sexuelles prévues aux articles 222-27 à 222-33 du même code fait l’objet d’un enregistrement audiovisuel sous réserve de son accord. » ;

2° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :

a) Les mots : « à l’alinéa précédent » sont remplacés par les mots : « aux alinéas précédents » ;

b) Les mots : « du mineur » sont remplacés par les mots : « de la victime ».

La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. En 2023, plus de 100 000 victimes de violences sexuelles ont été recensées, mais seulement 6 % d’entre elles ont porté plainte. Ce chiffre accablant montre à quel point les victimes hésitent à engager des procédures judiciaires. Nombre d’entre elles craignent le processus judiciaire lui-même : 62 % des victimes de viol choisissent de ne pas informer les autorités pour éviter de revivre leur traumatisme.

Le parcours judiciaire peut être une épreuve. Les victimes doivent souvent raconter leur histoire à plusieurs reprises devant différents interlocuteurs. Ces répétitions sont difficiles, elles peuvent raviver leur douleur et aggraver leur détresse psychologique.

Afin d’améliorer leur prise en charge, cet amendement vise à rendre possible l’enregistrement audiovisuel des auditions de victimes majeures, sous réserve de leur accord.

Le code de procédure pénale prévoit déjà cette possibilité pour les mineurs. Je vous propose de l’étendre à toutes les victimes de violences sexuelles, quel que soit leur âge. L’objectif est double : protéger les victimes et renforcer la qualité des preuves.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Le présent amendement vise à permettre l’enregistrement audiovisuel de la personne majeure victime de viol ou d’agressions sexuelles, sous réserve de son accord. Cette mesure existe déjà pour les mineurs.

La commission a émis un avis de sagesse, et non favorable, sur cet amendement, car il importe de réfléchir à la mise en œuvre de cette mesure. La Chancellerie nous a confirmé qu’il était déjà possible, sauf mention contraire de la personne intéressée, de procéder à la captation audiovisuelle de son audition. Puisque c’est déjà possible, pourquoi ne pas l’inscrire dans la loi ?

Mme Laurence Rossignol. Cet amendement n’a-t-il pas été déclaré irrecevable, au titre des articles 40 ou 45 de la Constitution ? Je le voterai, mais je m’en étonne…

M. le président. Veuillez ne pas interrompre la rapporteure !

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Cette proposition de loi concerne les victimes de viols et d’agressions sexuelles. Votre amendement, ma chère collègue, a été déclaré irrecevable au titre de l’article 45, car il portait sur les articles du code civil relatifs au mariage ; il était donc loin de l’objet de ce texte. Je regrette qu’il n’ait pas été retenu, mais je suis certaine qu’il trouvera sa place lors de l’examen de la proposition de loi sur le consentement, car il visait à introduire une précision très utile.

Mme Laurence Rossignol. Vous le voterez, donc ?…

Mme Dominique Vérien, rapporteure. Avis de sagesse, donc, sur cet amendement d’Annick Billon qui vise à permettre l’enregistrement de l’audition des victimes majeures afin de leur éviter de répéter sans cesse un témoignage traumatisant.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Olivia Richard, pour explication de vote.

Mme Olivia Richard. J’ai cosigné cet amendement dont je suis convaincue de la pertinence.

Je tiens à saluer les avocates qui accompagnent les victimes dans un processus pouvant être horriblement douloureux – je parle d’avocates et non d’avocats, car ce sont souvent des femmes que j’ai pu rencontrer.

Encore aujourd’hui, l’accueil de la parole des victimes, notamment dans les commissariats, n’est pas optimal. Le fait de filmer un premier dépôt de plainte évitera à la victime de recommencer sans fin cette démarche très douloureuse.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 8 rectifié bis.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 2.

Après l’article 2
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Article 4

Article 3

I. – Le chapitre II du titre II du livre II du code pénal est ainsi modifié :

1° (Supprimé)

2° (nouveau) L’article 222-33-2-1 est ainsi rédigé :

« Art. 222-33-2-1. – Le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.

« Constituent l’infraction mentionnée au premier alinéa les propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet de restreindre gravement la liberté d’aller et venir de la victime ou sa vie privée ou familiale ou de contraindre sa vie quotidienne par des menaces ou des pressions psychologiques ou financières.

« Les faits mentionnés aux premier et deuxième alinéas sont punis de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende :

« 1° Lorsqu’ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours ;

« 2° Lorsqu’ils ont été commis alors qu’un mineur était présent et y a assisté ;

« 3° Lorsqu’ils ont été commis sur un mineur ;

« 4° Lorsqu’ils ont été commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à l’âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur.

« Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende lorsque l’infraction est commise dans plusieurs des circonstances mentionnées aux 1° à 4°.

« Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 € d’amende lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider.

« Les mêmes peines sont encourues lorsque l’infraction est commise par un ancien conjoint ou un ancien concubin de la victime, ou un ancien partenaire lié à cette dernière par un pacte civil de solidarité. »

II. – (Supprimé)

M. le président. L’amendement n° 35, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

I. – Après l’article 222-14-3 du code pénal, il est inséré un article 222-14-3-1 ainsi rédigé :

« Art. 222-14-3-1. – Sans préjudice de l’application des dispositions des articles 223-15-3 et 222-33-2-1, le fait d’imposer un contrôle coercitif sur la personne de son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin, par des propos ou comportements répétés ou multiples, portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux de la victime, ou instaurant chez elle un état de peur ou de contrainte dû à la crainte d’actes exercés directement ou indirectement sur elle-même ou sur autrui, que ces actes soient physiques, psychologiques, économiques, judiciaires, sociaux, administratifs, numériques, ou de toute autre nature est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail.

« Les mêmes peines sont encourues lorsque cette infraction est commise par un ancien conjoint ou un ancien concubin de la victime, ou un ancien partenaire lié à cette dernière par un pacte civil de solidarité

« Les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 € d’amende lorsque l’infraction a causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours ;

« Les peines encourues sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende lorsque l’infraction :

« 1° A créé chez la victime une situation de handicap temporaire ou permanent ;

« 2° A été commise sur une personne particulièrement vulnérable en raison de son âge, de son handicap visible ou invisible ou de son état de santé physique ou psychologique.

« Les peines encourues sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 1 000 000 € d’amende lorsque l’infraction :

« 1° A été commise en présence d’un mineur, ou dans un contexte où un mineur résidait de manière habituelle au domicile de la victime ou de l’auteur ;

« 2° A été facilitée par l’usage abusif de dispositifs ou d’institutions, tels que des actions en justice, des lieux de soins, des dispositifs administratifs ou des mesures de protection de l’enfance. »

II. – Le code civil est ainsi modifié :

1° Le deuxième alinéa l’article 373-2-1 est complété par les mots : « parmi lesquels l’exercice d’un contrôle coercitif, au sens de l’article 222-14-3-1 du code pénal, d’un parent sur l’autre en présence de l’enfant » ;

2° Aux deuxième et dernier alinéas de l’article 373-2-10, le mot : « emprise » est remplacé par les mots : « contrôle coercitif » ;

3° Au début du 6° de l’article 373-2-11, sont ajoutés les mots : « Le contrôle coercitif, » ;

4° La seconde phrase du premier alinéa de l’article 373-2-12 est complété par les mots : « ainsi que sur un éventuel contrôle coercitif et les psychotraumatismes associés » ;

5° Le troisième alinéa de l’article 378 est complété par deux phrases ainsi rédigées : « Néanmoins, s’il s’agit d’une condamnation reposant sur l’existence d’un contrôle coercitif, la juridiction ordonne le retrait total de l’autorité parentale, sauf décision contraire spécialement motivée. Si elle ne décide pas le retrait total de l’autorité parentale, la juridiction ordonne le retrait partiel de l’autorité parentale ou le retrait de l’exercice de l’autorité parentale, sauf décision contraire spécialement motivée. » ;

6° Au premier alinéa de l’article 378-1, après le mot : « témoin », sont insérés les mots : « d’un contrôle coercitif, » ;

7° À l’article 378-2, après les deux occurrences du mot : « crime », sont insérés les mots : « ou un délit reposant sur l’existence d’un contrôle coercitif » ;

8° L’article 515-11 est ainsi modifié :

a) À la première phrase du premier alinéa, après le mot : « allégués », sont insérés les mots : « , y compris un contrôle coercitif exercé sur la victime, » ;

b) Le 5° est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsque l’ordonnance de protection est prise en raison du contrôle coercitif exercé par la victime, l’absence de suspension de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement fait l’objet d’une décision spécialement motivée » ;

9° L’article 1140 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Une telle contrainte peut résulter du contrôle coercitif qui est imposé au cocontractant ».

La parole est à Mme Mélanie Vogel.