Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. François Bonhomme,
M. Mickaël Vallet.
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Sécurité des professionnels de santé
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé (proposition n° 430 [2023-2024], texte de la commission n° 563, rapport n° 562).
Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s'effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l'insérant dans votre terminal de vote. En cas de difficulté, les huissiers sont à votre disposition.
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d'un orateur par groupe, l'orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe disposant de trois minutes.
Vote sur l'ensemble
M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Annie Le Houerou applaudit également.)
Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mardi dernier, nous avons examiné la proposition de loi de nos collègues centristes visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé.
Les débats ont montré, si besoin était, que nous condamnions de manière unanime la violence exercée contre les personnels de santé. Nous avons aussi apporté notre soutien total aux victimes.
Redisons-le ici, les violences à l'encontre des agents du service public de santé, dont la mission consiste à soigner les malades, sont inacceptables et intolérables. Chaque jour, soixante-cinq professionnels de santé sont victimes d'agressions physiques ou verbales en France, selon le ministère de la santé et de la prévention.
Le centre hospitalier régional universitaire de Nancy, dans mon département de la Meurthe-et-Moselle, n'échappe pas à la règle. En 2023, près de cinq cents signalements d'agression y ont été effectués.
L'hôpital de Nancy a choisi de mettre en place une cellule de veille permettant de partager l'ensemble des situations de violence qui sont remontées par les agents afin, ainsi, de ne pas les banaliser.
Comme dans les autres hôpitaux, les lieux où se concentrent les violences sont le service des urgences et le secteur de gériatrie accueillant des patients présentant des troubles cognitifs.
Je regrette que les discussions de la semaine dernière aient essentiellement tourné autour de la surenchère répressive contre les auteurs des actes de violence, quand nous aurions souhaité débattre davantage des raisons de ces violences, et surtout des moyens de les endiguer.
Les éléments déclencheurs de la violence contre les professionnels de santé sont la prise en charge du patient, le refus des soins d'hygiène et de toilette, et les temps d'attente excessifs. Sur ces trois points, ce texte n'apporte aucune réponse et le Gouvernement ne s'est engagé dans aucun chantier susceptible de les traiter.
L'amélioration de la prise en charge du patient exige davantage de moyens humains et financiers pour l'hôpital. Il faut cesser les politiques d'austérité et les coupes dans les dépenses !
Il est vrai que, chaque année, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) progresse, mais à un niveau inférieur à l'évolution des besoins. Quand un hôpital voit sa dotation progresser de 3,8 % – et c'est tant mieux ! –, les besoins progressent dans le même temps de 4,5 % et l'inflation de 1 %. Les hôpitaux reçoivent donc moins que ce qu'ils dépensent ou ont besoin de dépenser.
Ajoutez à cela l'augmentation de trois points chaque année pendant quatre ans des cotisations à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) et vous constaterez comme moi que l'écart se creuse, sans jamais être compensé.
Selon le rapport de Jean-Christophe Masseron, président de SOS Médecins France, et de Nathalie Nion, cadre supérieure de santé, présenté en juin 2023, la sécurité des professionnels de santé est avant tout un sujet systémique.
Pour s'en convaincre, il suffit d'en lire la conclusion : « Les difficultés du système de santé, qui ne sont malheureusement pas nouvelles, potentialisent et acutisent aujourd'hui la problématique des violences en santé : insultes, outrages, ″petites menaces″, dégradations, destructions, vols ou, plus grave, agressions physiques avec ou sans arme, menaces de mort, crimes… Les auditions et l'analyse des différents rapports sur les violences ont bien mis en évidence que ces violences pouvaient venir des patients, de leur entourage, mais aussi des professionnels de santé eux-mêmes, parfois entre pairs, et malheureusement aussi parfois, lorsque la pression se fait trop forte, envers les patients en devenant eux-mêmes maltraitants. »
La moindre des choses, à la lecture de ces phrases, serait d'admettre que les ressorts de la violence à l'égard de nos professionnels de santé sont systémiques, et que cette proposition de loi n'y apporte qu'une réponse parcellaire.
Les auteurs du rapport préconisent d'agir sur les déterminants de la violence par l'amélioration des conditions d'accueil des patients et de leurs proches.
La priorité devrait être d'agir là où la violence s'exerce : dans le secteur de la psychiatrie, les Ehpad et les services d'urgences. Dans ces trois lieux, le manque de moyens se double d'un manque de personnel. Or la pénurie de personnel marque le début de la déshumanisation du lien entre les patients et les soignants.
Attendre des heures sur un brancard avant d'être soigné est une souffrance pour les patients. Mais attendre sans pouvoir discuter avec le personnel soignant pour connaître les raisons du retard ou le temps d'attente transforme cette souffrance en impatience et, surtout, en sentiment de ne pas être pris en charge, voire pris en compte.
Il faut, je le répète, des moyens financiers et des moyens humains. Mais en attendant, quel message envoyons-nous aux professionnels épuisés qui démissionnent ?
Nous devons a minima nous assurer que les directions des établissements garantissent protection et soutien aux victimes. En la matière, ce texte contient de légères avancées.
En conclusion, malgré ses très nombreuses réserves, le groupe CRCE-K s'abstiendra sur ce texte afin d'adresser un message de soutien aux professionnels de santé victimes de violences. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Gisèle Jourda et M. Jean-Marc Vayssouze-Faure applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Anne Souyris. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires tient tout d'abord à rappeler avec force que la violence contre les soignants est inacceptable.
Elle est un symptôme alarmant de la dégradation de notre pacte social. Elle est aussi le symptôme de la dégradation des conditions d'exercice des métiers du soin, exercés avec dévouement dans des contextes de plus en plus difficiles.
Médecins, infirmières, aide-soignants, pharmaciens, psychologues, sages-femmes, kinésithérapeutes : tous les professionnels de santé méritent la sécurité, le respect et la reconnaissance. Ce point nécessite clarté et fermeté. Aussi, je réitère au nom du groupe écologiste notre plein soutien à l'ensemble des professions de santé.
Malheureusement, telle qu'elle nous est présentée, la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé n'est pas à la hauteur. Et c'est peu dire ! Rien dans ce texte ne ressemble à une mesure de prévention des violences faites aux professionnels de santé.
Nous disposions pourtant de pistes intéressantes, d'une part dans le rapport de Jean-Christophe Masseron, président de SOS Médecins, et de Nathalie Nion, cadre de santé à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), d'autre part dans le plan interministériel pour la sécurité des professionnels de santé, présenté en septembre 2023 par Aurélien Rousseau et Agnès Firmin Le Bodo.
Une mesure parmi d'autres consistait à sécuriser les établissements de santé en aménageant des espaces d'accueil et de soin et en améliorant les flux des patients.
Monsieur le ministre, vous avez rappelé, lors de la discussion générale, qu'une enveloppe de 25 millions d'euros par an avait été allouée à la sécurisation des bâtiments et qu'elle était reconduite en 2025. J'espère donc que vous viendrez présenter en détail devant la commission l'utilisation de cette enveloppe.
Sans entrer plus avant dans les autres mesures préventives du plan interministériel – vous m'avez fait remarquer, à juste titre, que quatre ministres se sont succédé depuis sa présentation –, citons le développement de dispositifs de signalement d'urgence des professionnels isolés en ville et à l'hôpital, le renforcement des relations entre, d'une part, les établissements et les professionnels de santé et, d'autre part, les services de police ou de gendarmerie compétents, ou encore la généralisation de « référents sécurité » dans les territoires.
Ces mesures auraient été utiles pour améliorer la sécurité des professionnels de santé. Je regrette que ce texte n'en fasse aucune mention.
Pour revenir à la présente proposition de loi, la rapporteure a souligné lors de la discussion générale que les mesures de ce texte avaient « une portée avant tout symbolique ». Je la rejoins sur ce point.
Le plus grave arrive. Cette loi se cantonne à accroître les peines contre les actes de violence et les outrages à l'encontre des professionnels de santé. Or cette aggravation des peines permettra-t-elle de réduire les violences ? Dissuadera-t-elle les auteurs de ces actes, qui sont pour la plupart des patients en psychiatrie ou aux urgences ?
Nous ne pouvons que rester perplexes face à l'efficacité des dispositifs prévus dans le texte pour prévenir concrètement ces violences.
Quid de la mise en place effective des ratios professionnels-patients, qui permettraient pourtant un apaisement dans les services ? La loi est votée : à quand son application ?
Avant de conclure, je souhaite apporter notre soutien entier aux professionnels de soins qui travaillent dans des dispositifs de réduction des risques liés à l'usage de drogue. En plus des violences visées par la proposition de loi, ces professionnels subissent en effet depuis quelque temps les attaques de groupements d'extrême droite.
Je pense en particulier à la halte « soins addictions » du Xe arrondissement de Paris, attaquée en décembre 2022 par le groupuscule Argos, proche du groupe Génération identitaire, dissous en mars 2021.
Je salue ici Alexandra Cordebard, maire du Xe arrondissement, et l'ensemble des professionnels et personnes qui font fonctionner cette halte « soins addictions ». Je remercie également la préfecture de police de Paris pour sa vigilance.
Nous attendons toutefois une action renforcée de la part du Gouvernement pour défendre ces structures essentielles d'accès aux soins et d'accompagnement social des usagers de drogue. Je l'invite à étudier la dissolution du groupe d'extrême droite Argos qui, sous prétexte d'une nouvelle structure juridique, poursuit en fait les actes du groupe dissous Génération identitaire.
Vous l'aurez compris, si le groupe écologiste partage l'objectif affiché de cette proposition de loi, il ne peut que regretter son cruel manque d'ambition et l'absence assourdissante de mesures préventives.
Pour ces raisons, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Hussein Bourgi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, en préambule, d'avoir une pensée, qui peut être largement partagée sur ces travées, à l'endroit du sapeur-pompier qui a été agressé le week-end dernier de manière scandaleuse et qui lutte aujourd'hui pour sa survie.
Je voudrais lui dire, ainsi qu'à ses compagnons et frères et sœurs d'armes, avec l'accord du président du Sénat, que nous leur adressons toute notre sollicitude, que nous pensons à eux et que nous condamnons de la manière la plus ferme possible les auteurs de cette agression scandaleuse. Il appartiendra à la justice de faire son travail, et tout son travail. (Applaudissements.)
Nous parlons aujourd'hui plus particulièrement des professionnels de santé, mais nous le savons toutes et tous hélas trop bien : le fléau de la violence concerne l'ensemble des professions et des secteurs d'activité, qu'il s'agisse des sapeurs-pompiers, des forces de l'ordre, des enseignants ou même des élus. Aucun quartier d'une grande ville, aucun territoire rural n'est épargné.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. Hussein Bourgi. C'est pour lutter contre ce fléau qui gangrène notre société que nous délibérons aujourd'hui de cette proposition de loi relative aux violences verbales et physiques et aux outrages subis par les professionnels de santé, ainsi qu'aux dégradations leur portant préjudice.
Pour près de 20 000 plaintes déposées chaque année, combien d'actes ne donnent pas lieu à un dépôt de plainte ? Dans une enquête réalisée auprès des professionnels de santé, un tiers d'entre eux déclaraient avoir été victimes de violences au moins une fois dans leur vie professionnelle.
Cette réalité s'impose à nous, et c'est la raison pour laquelle il nous appartient, au travers de ce texte, d'envoyer un message de solidarité et de soutien aux professionnels de santé qui travaillent au quotidien dans des conditions difficiles, à l'hôpital public, dans les cabinets libéraux ou au domicile des patients.
Au travers de ce texte, nous adressons aussi un message de fermeté à celles et ceux qui mettent en cause, physiquement, verbalement ou sur les réseaux sociaux, les professionnels de santé et qui s'en prennent parfois à leur matériel, dans les cabinets, à l'hôpital public ou dans leurs véhicules.
Nous leur adressons un message de fermeté en aggravant le quantum des peines encourues lorsque la justice est saisie pour sanctionner de tels faits.
Monsieur le ministre, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera cette proposition de loi en formulant deux vœux.
Le premier est facilement réalisable. Il consiste à vous demander d'intercéder le plus rapidement possible auprès du ministre de l'intérieur et du ministre de la justice pour que les nouvelles dispositions que nous allons voter puissent être mises en œuvre le plus rapidement possible.
Je pense en particulier à la disposition, introduite ici même par amendement, qui prévoit qu'un ordre professionnel ou une organisation professionnelle puisse accompagner le professionnel de santé ou se substituer à lui lorsque ce dernier ne veut pas ou ne peut pas aller porter plainte lui-même.
Il conviendra, dès la promulgation de la loi, d'appliquer rapidement cette disposition sur le terrain, afin de ne pas donner le sentiment d'un effet d'annonce. À cet égard, il appartiendra aux ministres de l'intérieur et de la justice de donner les instructions idoines à leurs services et à leurs agents.
Le deuxième vœu que je formule – chacun et chacune d'entre nous s'y reconnaîtra sans doute – est le renforcement des moyens.
Que 90 % des agressions soient commises par des patients, par leur famille ou par leurs proches doit nous interroger. Lorsque l'on nous dit que les secteurs les plus concernés par les agressions sont les urgences, les unités psychiatriques, les Ehpad et la gériatrie, il est aisé de constater que c'est le manque de moyens, ici ou là, qui fait que les délais d'attente s'allongent aux urgences.
C'est aussi le manque de moyens qui fait que des parents venus visiter un grand-père, une grand-mère, un père ou une mère dans une unité de gériatrie puissent considérer que le personnel n'a pas suffisamment pris soin de leur parent et, parfois, s'en prennent à lui de manière illégitime.
Lorsque nous discutons avec les organisations syndicales et les chefs de service, toutes et tous nous disent que des moyens humains supplémentaires permettraient certainement de réduire cette tension, d'apaiser ce climat anxiogène et de permettre à chaque professionnel de santé de travailler dans les conditions les plus sereines possible, au bénéfice des patients.
Vous l'avez compris, monsieur le ministre, si nous votons cette proposition de loi, c'est en espérant que vous nous proposerez, demain, ces moyens tant attendus sur le terrain, lesquels viendront consolider l'hôpital public en France, vaisseau amiral de l'offre de soins.
Ces moyens devront également permettre d'apporter le soutien et la reconnaissance nécessaires aux infirmiers et infirmières qui, vous le savez, demandent davantage de reconnaissance et souhaitent pouvoir exercer en pratique avancée. Il faut, en outre, lutter contre la désertification médicale.
En un mot, c'est un acte de foi laïque que nous faisons aujourd'hui en direction du monde de la santé et de celles et ceux qui l'incarnent au quotidien. Au travers de leur blouse blanche, ils incarnent une certaine idée du service public. Ils incarnent un ensemble de valeurs que nous pouvons tous et toutes reprendre à notre compte, et que nous défendons en votant cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE-K. – MM. François Patriat et Cyril Pellevat applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les policiers, les pompiers et les professeurs, nous voilà saisis d'un texte visant à réprimer plus durement les agressions et les violences commises envers les professionnels de santé, médecins et infirmières.
Ce texte démontre, s'il le fallait encore, l'ensauvagement qui touche notre société, où plus aucune charge, plus aucune profession, aussi respectée et utile soit-elle, n'échappe à ce déferlement de violences gratuites et parfois mortelles.
Selon les statistiques comme selon les témoignages et le vécu de nos soignants, la violence à leur encontre est désormais endémique. Ainsi, alors que ces derniers travaillent dans des conditions toujours plus ardues, s'ajoute désormais au manque de bras, de lits, de temps et de sommeil la peur de l'agression, voire du meurtre.
Le courage de nos soignants n'a jamais été aussi admirable que depuis ces dernières années. Mais leur engagement ne peut pas, ne doit pas, se faire dans la peur.
Nous saluons donc la volonté affichée dans ce texte de renforcer les peines encourues en cas d'agression verbale, physique ou sexuelle à l'encontre des professionnels de santé.
Nous saluons également l'extension de cette protection aux soignants exerçant en libéral, eux aussi trop souvent confrontés à des violences inacceptables dans leurs cabinets ou lors de leurs déplacements.
Nous savons dans quel état ont été laissés nos hôpitaux en raison de la suppression de dizaines de milliers de lits et connaissons la dégradation des conditions de travail des soignants et celle de l'accueil des patients.
Néanmoins, si ces difficultés existent, elles ne peuvent jamais être tolérées comme des explications, voire des justifications, à la violence. Aucune difficulté sociale, aucune frustration ne saurait justifier la violence. Aucun retard aux urgences, aucune lenteur de diagnostic, aucun manque de moyens ne peut expliquer qu'un médecin ou une infirmière soit menacé, frappé ou humilié.
Comme pour le reste de la société, le traitement de l'ensauvagement ne peut passer que par un renforcement drastique de l'échelle des peines, l'application réelle de la sanction pénale et la célérité de la justice.
Cette proposition de loi permet de renforcer les peines, mais elle ne sera effective que par une protection d'ensemble des médecins et soignants, comme du reste de nos concitoyens.
Ainsi, ce texte n'est fatalement qu'une étape, si nécessaire soit-elle, dans le choc d'autorité que nous réclamons pour le pays afin de faire cesser cette épidémie de violence et d'impunité qui touche nos rues, nos écoles et, nous le voyons aujourd'hui, nos établissements de santé.
En attendant, pour nos soignants, pour nos hôpitaux, nous voterons ce texte.
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque jour, près de soixante-cinq professionnels de santé sont victimes d'agressions physiques ou verbales.
Sur la plateforme de l'Observatoire national des violences en milieu de santé, 20 961 signalements ont été effectués en 2024, un chiffre en progression de 6,6 % par rapport à 2023.
Ces chiffres alarmants rappellent le terrible assassinat de Carène Mézino, infirmière mortellement poignardée à l'hôpital de Reims il y a deux ans. Ils rappellent aussi l'agression de plusieurs soignants, le 8 janvier dernier, aux urgences de l'hôpital privé d'Annemasse, dans mon département. À ce propos, je vous remercie encore, monsieur le ministre, d'être venu très rapidement à nos côtés.
Ces violences intolérables n'ont pas leur place dans notre société. En ce sens, je tiens à réaffirmer tout le soutien du groupe Les Indépendants aux professionnels de santé victimes de ces violences, ainsi qu'à leurs proches.
Dans un contexte marqué par la montée des violences contre nos soignants, notre groupe soutient sans réserve la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé.
Ce texte est le résultat d'un long travail. Je tiens à saluer l'ensemble des parlementaires mobilisés pour son adoption, en particulier son auteur, Philippe Pradal, la rapporteure Anne-Sophie Patru, ainsi qu'Agnès Firmin Le Bodo qui, alors ministre, avait soutenu ce texte.
Cette proposition de loi comporte des mesures indispensables pour mieux protéger nos soignants. Je pense notamment à l'aggravation des peines encourues pour des faits de vol et de violences commis dans les locaux des établissements de santé ou à l'encontre des personnels de ces établissements.
Je me réjouis, d'ailleurs, de l'adoption de deux amendements de sénateurs du groupe Les Indépendants visant à renforcer ce dispositif.
L'amendement de Vincent Louault, tout d'abord, tend à aggraver les peines prévues pour les délits d'agression sexuelle commis dans le cadre de la relation entre le soignant et le soigné. Celui de Corinne Bourcier vise, quant à lui, à étendre l'aggravation des peines prévues à l'article 1er de la proposition de loi au vol de tout produit de santé.
Ces délits, parce qu'ils entravent le bon fonctionnement de notre système de santé, doivent être sévèrement réprimés.
Le texte étend également le champ du délit d'outrage aux professionnels de santé, tout en mettant en place des circonstances aggravantes lorsque le délit est commis dans un établissement de santé.
Nos soignants, au même titre que les forces de l'ordre, les professeurs et les élus, sont en première ligne pour servir la collectivité : les outrages à leur endroit doivent être réprimés de la même façon.
Enfin, cette proposition de loi permet aux employeurs de porter plainte en lieu et place d'un professionnel de santé ou d'un membre du personnel d'un établissement de santé. Une telle mesure permettra de faciliter les dépôts de plainte et les poursuites des auteurs de violences à l'encontre de nos soignants.
Ce dispositif a d'ailleurs été enrichi par un amendement de Daniel Chasseing visant à l'appliquer également aux prestataires de santé à domicile. Ces derniers – ils sont plus de 20 000 en France – interviennent chaque année auprès de deux millions de patients. Ils constituent un pilier de notre système de santé.
Selon le dernier rapport de l'Observatoire national des violences en milieu de santé, de nombreux signalements de violences subies par des professionnels de santé intervenant au domicile des patients ont été recensés.
L'amendement de notre collègue Daniel Chasseing constitue donc une avancée majeure pour mieux les protéger. Son adoption par notre assemblée était nécessaire.
Mes chers collègues, notre rôle en tant que législateurs est de nous assurer que ceux qui s'engagent au service des autres, à l'image de nos soignants, soient pleinement protégés dans l'exercice de leurs fonctions. Il y va de l'avenir de l'ensemble de la collectivité.
L'enjeu de ce texte est également l'attractivité des métiers de la santé. Alors que notre pays fait face à une pénurie de soignants, notre devoir est de veiller à ce que les conditions de travail des professionnels concernés s'améliorent.
L'agression d'un professeur, d'un policier, d'un élu ou d'un pompier – à cet égard, je tiens à remercier notre collègue Hussein Bourgi pour l'hommage qu'il a adressé aux pompiers de Haute-Savoie, notamment à ceux qui ont été agressés à Évian et à Saint-Cergues – porte atteinte à notre pacte social. Il en va de même pour toute agression de soignants, qui sont des piliers de notre société.
Il y a de cela cinq ans, nous étions nombreux à applaudir quotidiennement nos médecins, mobilisés en première ligne face à l'épidémie de covid-19. Aujourd'hui, nous sommes nombreux à déplorer les conditions de travail, souvent difficiles, qui sont les leurs dans les hôpitaux.
Face aux agressions dont ils peuvent être victimes, notre mobilisation collective est essentielle. Car oui, s'en prendre aux personnels de santé, c'est s'en prendre à la collectivité tout entière.
La réponse de l'État doit être d'une fermeté implacable. Trop souvent, ces dernières années, notre pacte social a souffert d'atteintes inacceptables.
Les violences contre les professionnels de santé, les assassinats de policiers dans l'exercice de leurs fonctions, ceux des professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard, ou encore les récentes mises en danger de personnels pénitentiaires, sont des atteintes lourdes aux fondements de notre République.
Car si ces derniers sont pris pour cible, c'est souvent précisément parce qu'ils sont des émanations de notre République, parce qu'ils représentent les services publics, parce qu'ils incarnent notre pacte social.
Face à cela, la passivité n'est pas une option ; la résignation non plus. Nous ne laisserons rien passer et serons mobilisés pour protéger ceux qui sont pris pour cible parce qu'ils ont fait le choix de dédier leur vie professionnelle au service des autres.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants soutient sans réserve ce texte et se réjouit de son adoption.
Notre groupe restera vigilant à ce que les mesures votées soient pleinement appliquées et à ce que les personnels de santé, qui, je le répète, constituent un pilier de notre société, soient pleinement protégés.
Pour conclure, je tiens à rendre hommage à l'ensemble de nos professionnels de santé victimes d'agressions et de violence : nous ne laisserons rien passer et serons toujours à leurs côtés. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.)
Mme Marie Mercier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, et surtout, pour certains d'entre vous, mes chers confrères, lorsque j'ai entrepris mes études de médecine, puis effectué des remplacements avant de m'installer, lorsque j'ai choisi d'exercer cette profession un peu spéciale, je n'aurais jamais pensé qu'un jour je m'exprimerais sur la sécurité des professionnels de santé au travail.
Partout sur le territoire, on constate une hausse inédite des violences envers les soignants, mais aussi, comme deux de mes collègues l'ont dit avant moi, envers nos amis pompiers, avec lesquels nous travaillons souvent. Voilà qui est profondément et résolument inquiétant pour l'équilibre de notre société.
Insultes, menaces, agressions physiques, vols, actes de vandalisme : selon le recensement annuel de l'ordre des médecins, le nombre des signalements de violences physiques ou verbales a augmenté de 27 % entre 2022 et 2023. En 2023, 1 581 incidents ont ainsi été signalés auprès du conseil national de l'ordre des médecins.
Certes, ce nombre peut sembler relatif si on le rapporte aux 120 000 médecins libéraux et 60 000 praticiens hospitaliers que compte notre pays, mais c'est la première fois, en vingt ans, depuis que l'ordre réalise cette enquête, que la hausse est si forte.
De plus, les chiffres sont minimisés. Une grande majorité des praticiens ne déclarent pas les violences subies : un tiers seulement des signalements donnent lieu à un dépôt de plainte.
D'où vient cette violence, que l'on retrouve aussi dans les familles, les institutions, les écoles, les cours de récréation, les manifestations et après les matchs, même en cas de victoire ? Peut-être est-elle due à un manque de respect, de civilité, à un problème de rapport à la règle, mais elle relève surtout d'un manque d'éducation.
Les médecins généralistes sont les plus visés, puisqu'ils sont victimes de 64 % des agressions, alors qu'ils ne constituent que 43 % des effectifs.
Cette tension s'expliquerait, notamment, par la difficulté croissante d'accès aux professionnels de santé. Mais ce n'est pas ainsi que l'on attirera les jeunes confrères !
Le taux de réponse pénale est toutefois élevé, grâce à l'application de la circulaire de politique pénale générale du 27 janvier 2025, dans laquelle il est demandé aux parquets de faire preuve de vigilance à l'égard des violences envers les professionnels de santé.
Néanmoins, comme l'a souligné notre collègue rapporteure, les condamnations en première instance sont loin des quantums fixés par la loi. La durée moyenne des peines de prison ferme prononcées n'atteint pas sept mois.
Cette proposition de loi a d'abord été adoptée par l'Assemblée nationale. La commission des lois du Sénat l'a ensuite modifiée, lorsqu'elle l'a examinée le mercredi 30 avril dernier, afin de sécuriser le dispositif sur le plan juridique. Elle a ainsi adopté six amendements. Ensuite, en séance publique, le 6 mai, nous avons de nouveau modifié le texte, en adoptant dix-huit amendements.
Nous avons notamment eu un débat autour du délit d'outrage. La commission des lois préférait compléter le délit d'injure pour répondre aux professionnels tout en préservant la qualité du droit, car le délit d'outrage était jusqu'alors réservé aux personnes chargées d'une mission de service public. Finalement, en séance, nous avons préféré revenir au délit d'outrage.
Nous avons aussi débattu de la disposition permettant aux professionnels de santé de ne pas communiquer leur adresse personnelle lors d'un dépôt de plainte : elle a été supprimée.
Le Sénat a adopté d'autres mesures. Nous avons ainsi pris en compte les violences commises entre membres du personnel, entre professionnels de santé ou entre des membres du personnel et des professionnels de santé.
Les prestataires de santé à domicile ont été inclus dans la liste des personnels protégés à l'article 1er.
Nous avons aggravé le délit d'agression sexuelle commise dans le cadre de la relation entre le soignant et le soigné. De tels faits ne sont pas rares, mes chers collègues, et ne sont ni tolérables ni acceptables. Un examen gynécologique, cela fait mal ; un professionnel de santé doit savoir respecter son patient !
Nous avons également étendu la protection prévue à l'article 1er à tous les vols commis au préjudice d'un professionnel dans l'exercice de ses fonctions, tels que les vols de blocs d'ordonnance ou de tampons professionnels, afin de ne pas limiter le champ d'application du texte aux vols commis dans les établissements de santé.
Nous avons octroyé au conseil national de l'ordre des pharmaciens la capacité de se constituer partie civile en cas d'outrage commis à l'encontre d'un pharmacien.
Nous avons intégré les prestataires de santé à domicile à la liste des professions pour lesquelles l'employeur peut porter plainte.
Nous avons donné compétence aux unions régionales des professionnels de santé (URPS) pour accompagner et soutenir, aux côtés des ordres concernés, les professionnels de santé libéraux agressés qui en font la demande.
Nous avons aussi étendu la protection fonctionnelle à tous les cas où un agent public peut solliciter l'assistance d'un avocat en application du code de procédure pénale, y compris avant l'éventuelle mise en mouvement de l'action publique.
Ce texte témoigne ainsi du soutien des pouvoirs publics aux victimes et du refus de toute banalisation de la violence. Le groupe Les Républicains le votera.
En tant que médecins, nous prêtons un serment, celui d'Hippocrate, qui s'ordonne autour d'une obsession : primum non nocere – je ne nuirai pas.
Les professionnels de santé, qui sont au service de l'autre, méritent une reconnaissance et une attention particulières.
Non, la médecine n'est pas un métier comme un autre. Il nous faut dix ans pour apprendre la vie et la mort – dix années consacrées à la douleur, à la souffrance, à la compréhension de l'intime.
Non, ces études ne constituent pas une charge, pas plus que le sont les études d'anglais, d'histoire ou de mathématiques. Dès la troisième année, les étudiants en médecine se voient confier des tâches, notamment administratives, dans les services.
Si nous voulons une médecine performante, de proximité et de qualité, il est essentiel que nous fassions de la devise de ce serment – primum non nocere – la nôtre. Ne nuisons pas à ceux qui prennent soin des autres. Protégeons-les et accompagnons-les. Je compte sur vous ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l'examen, au Sénat, de la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé.
Avant que nous ne nous prononcions de manière solennelle sur son sort, je souhaite rappeler le caractère attendu et nécessaire de ce texte.
En effet, de nos jours, la violence dans les lieux de soins n'est plus un fait marginal. En 2024, plus de 20 000 signalements ont été recensés par l'Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS). Les actes de violence visant des médecins ont augmenté de 27 % en un an.
Toutefois, au-delà des chiffres et des statistiques, ce sont surtout des personnels qui souffrent, des gestes qui sont interrompus, des soins qui sont perturbés, parfois annulés, par peur, exaspération ou épuisement. In fine, c'est la qualité de notre système de soins qui en pâtit.