PRÉSIDENCE DE M. Loïc Hervé
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Mises au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour une mise au point au sujet d'un vote.
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, lors du scrutin public n° 277 sur l'ensemble de la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires, mon collègue Gilbert-Luc Devinaz et moi-même souhaitions voter contre, et non nous abstenir.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Di Folco, pour une mise au point au sujet d'un vote.
Mme Catherine Di Folco. Lors du scrutin public n° 271 sur l'ensemble de la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé, mes collègues Sylvie Valente Le Hir et Daniel Laurent souhaitaient voter pour.
Par ailleurs, lors du scrutin public n° 277, mon collègue Alain Houpert souhaitait s'abstenir.
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly, pour une mise au point au sujet d'un vote.
M. Patrice Joly. Lors du scrutin public n° 277 sur l'ensemble de la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires, je souhaitais voter contre, et non m'abstenir.
Il en va de même de mes collègues Éric Jeansannetas, Jean-Claude Tissot et Viviane Artigalas.
M. le président. Acte vous est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles figureront dans l'analyse politique des scrutins concernés.
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Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi autorisant la ratification de la résolution LP.3(4) portant amendement de l'article 6 du Protocole de Londres de 1996 à la Convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion de déchets et autres matières est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
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Communication d'avis sur des projets de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a émis un avis favorable, par 32 voix pour et 1 voix contre, à la nomination de Mme Lydie Evrard aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.
Par ailleurs, la commission des lois a émis un avis favorable, par 37 voix pour et 1 voix contre, à la nomination de M. Christian Charpy aux fonctions de président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
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Modification de la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française
Adoption d'une proposition de loi organique dans le texte de la commission
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique tendant à modifier le II de l'article 43 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, présentée par Mme Lana Tetuanui et M. Teva Rohfritsch (proposition n° 223, texte de la commission n° 581, rapport n° 580).
Ce texte a fait l'objet d'une consultation de l'Assemblée de la Polynésie française, qui a émis un avis défavorable le 24 avril 2025.
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Lana Tetuanui, auteure de la proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et RDPI.)
Mme Lana Tetuanui, auteure de la proposition de loi organique. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, je salue toutes celles et tous ceux du fenua, c'est-à-dire de notre territoire, qui nous suivent via le net : ia ora na – bonjour à tous !
Permettez-moi avant tout de remercier le président du Sénat, ainsi que l'ensemble des présidents de groupe, d'avoir inscrit notre proposition de loi à l'ordre du jour de cette séance.
Cette proposition de modification du II de l'article 43 de la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française, que mon collègue Teva Rohfritsch et moi-même avons déposée, tend tout simplement à accorder aux maires des 48 communes et des 98 communes associées la possibilité d'intervenir, « s'ils le souhaitent » – ces mots ont leur importance –, dans certains domaines relevant de la compétence de notre collectivité.
En effet, si les dispositions actuelles de notre statut obligent au vote d'une loi du pays pour permettre l'intervention de nos communes dans les compétences énumérées au II de l'article 43, il se trouve que rien n'a été fait depuis 2004. Ce constat a été mis en exergue dans les rapports de diverses missions sénatoriales et dénoncé fortement par nos maires lors du dernier congrès de nos communes à Tubuai.
Il aura fallu de la volonté, de la détermination et de l'audace pour faire bouger les lignes, pour clarifier et légitimer les actions de nos tavana, c'est-à-dire de nos maires.
Pour lever toute ambiguïté, il n'est pas question ici de transfert de compétences, et encore moins de transfert de moyens. Il ne s'agit que de la volonté légitime de faire en sorte que le pays, l'État et les communes avancent ensemble, en bonne intelligence.
Cette réforme est d'autant plus attendue que, en Polynésie, la clause de compétence générale ne produit que des effets a minima.
La modification est largement soutenue par 47 des 48 maires polynésiens – cherchez l'erreur… (Sourires.) Par ailleurs, lors de son examen de la proposition de loi, le 16 avril dernier, la commission des institutions de l'assemblée de Polynésie a émis sur celle-ci un avis favorable à l'unanimité. C'était sans compter sur les manœuvres du leader indépendantiste, qui n'a d'autres centres d'intérêt que la décolonisation et l'indépendance de la Polynésie…
Nous proposons une nouvelle rédaction du II de l'article 43, pour permettre aux communes d'intervenir quand elles le souhaitent, sans forcément solliciter les moyens du pays, mais avec l'obligation d'informer les autorités de celui-ci et de l'État. En ce sens, l'amendement du rapporteur qui a été adopté en commission des lois répond parfaitement aux préconisations formulées en Polynésie française, auxquelles je souscris pleinement.
Monsieur le ministre, nous espérons vivement que le souhait de nos tavana d'agir conformément au texte qui est soumis à notre examen de ce jour sera entendu et que vous ne céderez pas aux manœuvres purement politiciennes ou aux caprices de certains.
Mes chers collègues, oui, je plaide pour plus de considération à l'égard de l'ensemble de nos maires polynésiens dans l'exercice de leurs fonctions.
Je plaide aussi pour que nos tavana, au travers de cette modification statutaire, cessent d'être les victimes de marchandages politiques, au gré des gouvernements.
Je plaide surtout pour que nous puissions tous répondre à cet appel, en votant unanimement notre proposition de modification. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP, RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Teva Rohfritsch, auteur de la proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Teva Rohfritsch, auteur de la proposition de loi organique. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, Lana Tetuanui et moi-même vous soumettons aujourd'hui, avec force et conviction, une proposition de loi organique très attendue par nos maires de Polynésie, nos tavana.
Il s'agit de modifier le statut de la Polynésie française pour permettre enfin à nos communes de répondre efficacement aux besoins concrets de leurs habitants dans des domaines autres que ceux de l'eau, de l'assainissement ou du traitement des déchets ménagers.
En Polynésie, la clause générale de compétence a été attribuée non aux communes, mais au pays, la collectivité. Depuis l'adoption de la loi organique du 27 février 2004, l'article 43 du statut de la Polynésie française prévoit que, pour intervenir dans certains domaines d'intérêt local, les communes polynésiennes doivent être expressément et préalablement habilitées par une loi du pays, selon un mécanisme lourd.
Comme ma collègue l'a rappelé, ce mécanisme n'a été mobilisé que trois fois en vingt ans, notamment lors de la crise covid, pour des mesures sociales d'urgence. C'est vers les maires que l'État et le pays en plein chaos se sont alors tournés.
Mes chers collègues, trois fois en vingt ans ! C'est maigre… Vous l'aurez compris, ce chiffre témoigne non pas d'une absence de besoin, mais d'une sorte de verrou institutionnel qui pose potentiellement la question de la libre administration de nos collectivités.
Nos communes constituent le seul maillon visible de la République, le seul lien direct entre nos populations et une autorité publique, la seule porte à laquelle il est possible de frapper lorsque surviennent les urgences du quotidien ou pour de simples démarches administratives.
Oui, nos îles sont paradisiaques, mais elles sont isolées par l'océan, sur une étendue de 5 millions de kilomètres carrés. Dans nos îles, le mot « résilience » n'est pas une notion philosophique : c'est un défi quotidien, avec pour lourd fardeau le paroxysme de la vie chère, sur fond de carence des services publics.
Dans ce contexte, c'est vers nos tavana que se tournent les administrés quand ils requièrent une intervention sur des dispositions relevant du champ de compétence du pays.
Ce constat a été fréquemment rappelé ici, ces derniers mois, par les missions sénatoriales qui ont fait le déplacement jusque dans nos archipels, notamment dans le cadre des travaux de notre commission des lois et de la délégation aux outre-mer. Je sais que vous-même y êtes très sensible, monsieur le ministre.
Bien qu'il soit au service de sa population, un maire ne peut aujourd'hui venir en aide à ceux qui font vivre leur île, les pêcheurs, les agriculteurs, les artisans ou les perliculteurs.
Les tavana sont bien seuls dans leur commune, les administrations ne pouvant être représentées sur chacune des 78 îles habitées du fenua. Aussi, parce que nécessité fait loi, ils agissent, sans cadre, sans filet, sans moyens, pour répondre aux urgences, comme ils le peuvent.
Nos tavana agissent pour faire éclore des activités sur leur territoire : réunir des artisans sous un abri de fortune pour accueillir un bateau de croisière et vendre des produits locaux ; transporter les fruits et légumes vers le village avec une barge ; soutenir le nettoyage des plages ; préserver la paix sociale ; protéger les ressources du lagon, qui se réchauffe et s'acidifie ; mener des actions de protection des espèces endémiques…
Ils agissent sans pouvoir mobiliser de l'ingénierie publique, sans gouvernance claire et cohérente, s'exposant à des risques évidents, notamment sur le plan pénal.
Concrètement, cette proposition de loi vise à mettre le droit en conformité avec la réalité. Elle assouplit le dispositif prévu dans le statut, en supprimant l'obligation préalable d'une loi du pays habilitant expressément les communes à intervenir dans les domaines d'action énumérés.
Enrichie avec pertinence par l'amendement, adopté en commission des lois, du rapporteur Mathieu Darnaud, que je tiens à remercier personnellement de son travail de très haute qualité, notre proposition de loi prévoit aussi d'encourager encore le dialogue entre les collectivités. Elle répond ainsi aux demandes formulées par le gouvernement de M. Brotherson, actuel président du territoire.
J'y insiste, notre texte ne crée pas de rupture et ne vient en aucun cas réduire ou limiter le champ d'intervention des autres institutions de la Polynésie française. Il s'agit bien d'habiliter nos communes à agir, au plus près de nos populations, dans un cadre qui respecte la réglementation édictée par l'État et le pays, auquel elles ne sauraient se substituer.
Mes chers collègues, comme l'a dit ma collègue Lana Tetuanui, cette évolution statutaire est soutenue, en Polynésie française, par 47 maires sur 48. Elle a recueilli le soutien unanime de la commission des institutions de notre assemblée le 16 avril dernier, même s'il est vrai que, en séance plénière, elle a pu diviser la majorité indépendantiste.
Notre débat doit être abordé de manière transpartisane, avec la rigueur et la solennité auxquelles nous appelle la matière organique.
Protéger les tavana et leur reconnaître la capacité d'agir par la mise en application des principes de différenciation et d'adaptation, n'est-ce pas là l'essence même de notre mandat de sénateur ? À cet égard, je sais toute la sagesse de notre chambre et toute la bienveillance et l'attention que vous accordez à nos territoires, certes lointains, mais bien ancrés dans la République.
C'est pourquoi, mes chers collègues, nous vous invitons à soutenir cette proposition de loi organique, à soutenir les maires de Polynésie française et à rappeler tous ensemble que le Sénat est bien la chambre des communes, mais aussi celle de tous nos tavana.
Mauruuru ! Je vous remercie. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, depuis toujours, notre institution, le Sénat, fait résonner la voix de nos communes.
Le « grand conseil des communes de France », comme l'appelait Gambetta, a toujours su tisser un lien étroit avec nos différentes collectivités locales, dans l'Hexagone, mais également outre-mer. C'est finalement l'esprit de ce texte, dont je veux saluer les auteurs.
Aujourd'hui, le Sénat, en examinant cette proposition de loi, souhaite mettre en exergue les nécessaires proximité et agilité que permettent les communes.
À de nombreuses reprises, il a souligné dans différents rapports – je pense notamment au dernier en date, celui de nos collègues Nadine Bellurot, Guy Benarroche et Jérôme Durain –, la nécessité que les communes de Polynésie, n'ayant pas la clause de compétence générale, puissent prendre des initiatives qui leur permettent d'exercer des pans de compétences non définis au I de l'article 43, parce qu'il y va d'un intérêt de proximité. Cela a été rappelé par notre collègue Teva Rohfritsch et mis sur le devant de la scène notamment à l'occasion de la crise sanitaire du covid.
J'oserai poser la question : finalement, quel territoire a plus que la Polynésie française, qui s'étend sur un espace aussi vaste que l'Europe, besoin de cette proximité ? Quel territoire a davantage besoin de donner une capacité d'initiative aux maires, les tavana, pour qu'ils puissent répondre aux diverses problématiques, lesquelles sont tout à fait différentes selon que nous nous situons à Tahiti, aux Marquises ou aux Australes ?
La volonté des auteurs du texte est justement de permettre plus d'agilité. Je l'ai dit, le statut de la Polynésie française dresse la liste, au I de l'article 43, des compétences qui sont celles des communes en Polynésie française. Mais c'est bien le pays qui a la clause de compétence générale.
Aussi, il semblait important de sécuriser les pratiques de nombreux maires en Polynésie, qui sont sollicités par la population sur de nombreux sujets – au-delà de la crise sanitaire, on peut évoquer, plus largement, l'action de proximité en matière d'aide sociale ou de développement économique.
Je crois que cette proposition de loi organique répond à cet impérieux besoin d'agilité, à ce besoin de plus de proximité que tous, quelle que soit leur appréciation du texte, ont souligné, que ce soit le président du gouvernement, le président de l'assemblée de Polynésie française ou le syndicat des communes – je le dis pour avoir échangé avec l'ensemble des responsables politiques concernés.
Pour répondre à cet impérieux besoin de proximité et d'agilité, il était en effet nécessaire de revisiter le II de l'article 43 du statut, qui permet aux communes d'aller au-delà des compétences énumérées au I du même article.
Nous avons, bien sûr, entendu les préoccupations du pays. À cet égard, considérant qu'il y avait urgence à agir, je me suis efforcé de présenter un amendement visant à ce qu'un dialogue soit établi entre les communes et le pays, pour que l'exercice partagé de la compétence puisse s'opérer dans les meilleures conditions possible, avec ou sans convention.
J'insiste sur un point important : comme notre collègue Lana Tetuanui l'a dit à raison, ce que demandent les tavana de Polynésie française, ce n'est assurément pas d'exercer plus de compétences ni de voir décentralisés des pans entiers de l'action publique. Ce qu'ils demandent, c'est tout simplement de pouvoir agir de façon plus sécurisée et plus encadrée, pour répondre à cette exigence de proximité que j'ai mentionnée, par-delà les nécessaires lois du pays, dont il a été rappelé qu'il n'y en a malheureusement eu que trois en vingt ans. Tel est, mes chers collègues, l'enjeu de ce texte.
Compte tenu du consensus autour du dernier rapport du Sénat sur le sujet – je l'ai cité – et de la quasi-unanimité qui s'est manifestée pour soutenir cette initiative législative, je crois que, aujourd'hui encore, nous aurons tous ici la volonté de faire entendre la voix des tavana, qui s'est élevée à plusieurs reprises.
Mes chers collègues, en votant ce texte, je crois que vous ferez œuvre utile pour les tavana, pour la proximité et pour les habitants de la Polynésie française. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, madame, monsieur les auteurs de la proposition de loi organique, mesdames, messieurs les sénateurs, la Polynésie française est un territoire unique au sein de la République.
Elle abrite plus de 280 000 habitants, répartis sur 48 communes, elles-mêmes disséminées dans 5 archipels, comptant 118 îles, dont 76 sont habitées. Elle s'étend sur 4 000 kilomètres carrés de terres émergées, dispersées sur 5 millions de kilomètres carrés d'océan, soit – rappelons-le – la superficie de l'Union européenne. On conçoit que, dans ces conditions, les enjeux et les attentes ne soient pas forcément les mêmes selon que l'on habite aux Marquises, dans les îles du Vent ou dans les Australes.
Ces quelques chiffres permettent de mieux appréhender le contexte dans lequel intervient cette initiative.
Le cadre institutionnel qui est celui de la Polynésie est également unique. Il est le fruit de la géographie, vous l'avez compris, mais aussi de l'histoire. Et il se caractérise aujourd'hui par une grande autonomie, tant les transferts de compétences vers le pays sont nombreux.
Auditionné hier par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les conséquences des près de 200 essais nucléaires qui ont été menés en Polynésie française entre 1966 et 1996, j'ai eu l'occasion de rappeler que la France était redevable à la Polynésie et aux Polynésiens.
Il en résulte aujourd'hui qu'il n'en va pas en Polynésie française comme il en va ailleurs. Il faut parfois des règles singulières pour adapter la manière d'exercer les politiques publiques, afin de mieux répondre aux besoins de nos concitoyens.
Je veux saluer le travail et la détermination, chacun dans un style différent, des auteurs de la proposition de loi, Lana Tetuanui et Teva Rohfritsch, deux sénateurs à l'écoute des maires polynésiens et engagés pour l'amélioration des dispositifs juridiques et normatifs. Et nous savons à quel point l'exercice du droit, en Polynésie française, requiert ambition et approfondissement.
Je veux aussi saluer l'apport du rapporteur, qui a permis d'améliorer le dispositif du texte. Cher Mathieu Darnaud, vous avez réussi une synthèse dont d'autres n'auraient pas été capables et qui n'était pas évidente concernant la Polynésie – j'y reviendrai.
Le point de départ de cette initiative est, comme l'ont expliqué les auteurs de la proposition de loi, la situation et les compétences des communes polynésiennes, de création relativement récente : la majorité d'entre elles a vu le jour en 1971.
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la loi organique du 27 février 2004 définit le statut de l'autonomie et la répartition des compétences. La Polynésie est unique, je le répète, en ce que les communes ne disposent pas de la clause générale de compétence, qui est réservée au pays. Leurs domaines d'interventions sont définis à l'article 43 de la loi organique.
Le I de cet article énumère le champ des compétences des communes. Il énumère neuf items, dont la voirie communale, la collecte et le traitement des déchets ménagers, la gestion des eaux usées, les écoles du premier degré…
Le II, qui fait l'objet de la présente proposition de loi, prévoit un mécanisme permettant l'exercice par les communes d'autres compétences, mais après le vote d'une loi du pays. Or force est de constater que ce mécanisme ne fonctionne pas, sans doute parce qu'il est trop complexe.
J'en veux pour preuve qu'il n'a été utilisé que trois fois en vingt ans, dont une fois pendant la pandémie de covid, alors même qu'il permet des actions de proximité dans des domaines comme l'aide sociale, l'économie, la culture, le patrimoine local ou le sport.
Dans cet hémicycle, sans doute encore plus qu'ailleurs, on sait que l'échelon communal est celui de la proximité. Et quiconque a exercé des fonctions de maire sait que les administrés attendent que ce dernier réponde à leurs besoins spécifiques quand les autres échelons ne peuvent y pourvoir ! Qui mieux que le maire est en prise avec les besoins des populations, leurs aspirations, leur détresse parfois ?
Vous me l'avez expliqué, madame la sénatrice, monsieur le sénateur, notamment à l'occasion d'une rencontre avec les maires du pays : le contexte actuel, en Polynésie, n'y déroge pas. Et que font les maires, compte tenu de la rigidité du cadre législatif ? Ils exercent déjà de facto certaines compétences qui relèvent pourtant du pays.
L'organisation des festivals culturels et des opérations cartables, les interventions spécifiques pour aider les familles en difficulté à payer la cantine de leurs enfants, l'aménagement des sentiers de randonnée, la gestion des musées ou les interventions en matière de logement : tout cela, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de la Polynésie française le font déjà, mais en dehors d'un cadre juridique sécurisé.
Les maires agissent dans un esprit de responsabilité, car, par-dessus tout, ils savent les devoirs que leur fonction implique auprès de leurs administrés.
Néanmoins, les élus locaux aussi ont besoin de sécurité. L'exercice des compétences doit être réalisé dans un cadre organisé et, si possible, serein. Cette sécurité s'obtient d'abord par un cadre juridique adapté à la réalité du terrain et qui permette aux maires de faire ce à quoi la nécessité les oblige déjà.
La présente proposition de loi organique est très courte, puisqu'elle comporte un unique article. Elle vise l'efficacité. Elle a pour objet de faciliter et de sécuriser juridiquement l'exercice des compétences par les communes de la Polynésie française.
Voilà pour l'esprit général. Reste à définir les meilleures modalités d'articulation de l'exercice des compétences entre le pays et les communes, car nous devons évidemment garder également à l'esprit un principe cardinal, celui de la lisibilité et de l'efficacité de l'action publique, au service de l'intérêt général.
La rédaction initiale de la proposition de loi prévoyait la suppression de la condition d'adoption d'une loi du pays comme préalable pour permettre l'intervention de communes ou d'EPCI dans les domaines prévus au II de l'article 43 de la loi organique.
La suppression de cette condition pouvait être vue comme une simplification bienvenue, mais pouvait aussi interroger sur la bonne organisation des compétences entre le pays et le bloc communal – vous en avez d'ailleurs débattu.
De même, nous pouvions douter du recours effectif aux conventions entre le pays et les communes ou les EPCI que prévoyait le texte initial. Par ailleurs, dans l'avis qu'elle a rendu le 24 avril et que le Gouvernement ne peut ignorer, l'assemblée de Polynésie regrettait que celui-ci ne prévoie pas « un mécanisme d'information du président de la Polynésie française ».
Le travail en commission mené sous l'égide du rapporteur avec les deux sénateurs polynésiens a permis de trouver une solution de compromis. Le texte qui est soumis au débat cet après-midi prévoit désormais des outils propices au dialogue et à l'articulation entre les différents échelons.
Une commune ou un EPCI qui entend exercer tout ou partie d'une compétence en informera préalablement, par délibération, le président de la Polynésie française, le président de l'assemblée et le haut-commissaire. Cette délibération ouvrira une période minimale de six mois avant la mise en œuvre de l'exercice de la compétence. Six mois, c'est le temps de l'écoute et du partage des points de vue. C'est le temps qu'il faut pour conclure une convention et prévoir les moyens mis à disposition si le besoin s'en fait sentir.
Depuis 2019, l'obligation de transfert de moyens concomitamment au partage de la compétence a été supprimée, afin de faciliter ce partage, mais nous savons que, dans certains cas, un tel transfert sera nécessaire et devra donner lieu à discussion.
Cette nouvelle rédaction est indéniablement une amélioration. Certes, cela créera des différences entre les communes : tout le monde n'exercera pas les compétences de la même manière. Mais n'est-ce pas déjà le cas ?
Les besoins sont différents, car les réalités sont différentes. Les jardins à la française sont d'une grande beauté, mais, selon moi, de bonnes institutions, notamment dans les outre-mer, doivent laisser s'épanouir la diversité des territoires, en conférant à ces derniers un cadre adapté. C'est peut-être cela le jardin à la polynésienne… (Sourires.) En tout état de cause, ce n'est pas la triste uniformité qui nivelle par le bas et qui ne répond à aucune attente ni à aucun besoin.
Nous savons bien que l'exercice des compétences doit parfois être partagé. La présente proposition de loi organique a précisément pour objet de sécuriser ces situations de partage, dans le respect, comme elle le précise bien, de la réglementation du pays.
L'examen des amendements nous permettra sans doute d'aborder les garanties d'action publique partagée, concertée ou, a minima, non contradictoire entre les différents échelons.
Je fais confiance à l'avis du rapporteur et à l'intelligence collective – autrement dit, à la sagesse du Sénat – pour trouver le bon niveau d'intervention, celui qui permet de répondre le mieux possible aux défis sociaux du quotidien. Et je fais confiance aux maires, comme je fais confiance au pays, pour concevoir, avec les élus communaux, les meilleures solutions, adaptées à chaque territoire. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – Mme Lana Tetuanui et M. Jérôme Durain applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons pour échanger sur une proposition de loi qui, en quelque sorte, incarne le travail de notre assemblée : elle montre l'attention portée aux territoires et la concrétisation des travaux menés par les commissions.
En avril 2024, lors d'un déplacement en Polynésie, avec nos collègues Lana Tetuanui et Teva Rohfritsch, je suis allé à la rencontre des acteurs locaux, afin d'explorer ce que beaucoup considèrent, à juste titre, comme le modèle le plus abouti de l'autonomie institutionnelle rendu possible par notre Constitution. Cependant, quoiqu'il soit abouti, ce modèle reste inachevé.
À cette occasion, nous avions rédigé un rapport dans lequel nous émettions quelques préconisations. La recommandation n° 18, en particulier, portait sur la reconnaissance de plein droit aux communes de certaines compétences relevant actuellement du pays. Tel est l'objet de cette proposition de loi organique.
Le rapport d'information de 2024 le soulignait : nous assistons actuellement à une réticence du pays à mettre en œuvre l'article 43 de la loi organique, que nous souhaitons modifier.
En vingt ans, et en prenant en compte l'élargissement, en 2019, des compétences en jeu pouvant être mobilisées par une commune après approbation par un tel acte législatif, seules trois lois du pays ont autorisé l'exercice d'une partie de ces compétences, et cela sur des questions très limitées ou dans des circonstances exceptionnelles.
Le rapporteur l'a bien résumé : certaines de ces matières sont déjà investies par les communes. Le dispositif des lois du pays n'a que très rarement été mobilisé et celles-ci n'ont porté que sur des objets particulièrement restreints. Cette situation fait peser un risque juridique important sur les collectivités, qui exercent parfois déjà de facto certaines de ces compétences de proximité.
Aussi, notre commission a travaillé sur la notion d'opérationnalité de la mesure : une convention facultative pourra être conclue entre les communes ou les EPCI et la Polynésie française, afin de préciser le cadre de ces interventions et les moyens mis à leur disposition. En outre, le texte prévoit un mécanisme d'information préalable du pays sur les actions que les communes ou les EPCI entendent mener.
Le dispositif proposé vise donc à remplacer le mécanisme d'autorisation votée par l'assemblée par des conventions entre la Polynésie et les communes ou EPCI. Il reprend la promesse, elle aussi inachevée, de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) : celle de la différenciation.
Il s'agit non pas d'imposer de nouvelles compétences aux communes de manière globale, mais de permettre l'intervention dans différents domaines de celles qui le souhaitent, pour lesquelles cela est nécessaire ou qui en ont les moyens. C'est une possibilité d'agir, mais dans un cadre de coordination avec le pays.
Ce texte a reçu un soutien massif des maires – 47 sur 48 d'entre eux y sont favorables –, ainsi que, initialement, de l'assemblée de la Polynésie française. En effet, dans son rapport, la commission des affaires internationales et des relations avec les communes de cette assemblée avait rendu un avis unanimement favorable sur cette proposition de loi organique.
Pour des raisons plus complexes, vraisemblablement liées au contexte politique local et à l'arrivée potentielle d'un autre texte concurrent, Moetai Brotherson, président du pays, et Antony Géros, président de l'assemblée de la Polynésie française, ont localement fait basculer le consensus pourtant établi. Cela nous amène au choix – insatisfaisant – de voter un texte sans cette unanimité pourtant au fondement de nos travaux.
La Polynésie est un très beau territoire : j'ai moi-même eu l'occasion de le constater ! Mais ce territoire, morcelé, s'étend sur près de 2,5 millions de kilomètres carrés. Aussi, la centralisation excessive des décisions sur des enjeux parfois très locaux peut freiner le développement de certains territoires.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutient l'échelon local et promeut le développement d'une action publique de proximité décentralisée. Au vu de la réalité du terrain, nous voterons donc ce texte, qui garantira également une meilleure protection de l'action des élus locaux. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, RDSE et RPDI. – Mme Lana Tetuanui applaudit également.)