M. le président. La parole est à M. Georges Naturel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Georges Naturel. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le rapporteur – cher Mathieu Darnaud –, madame, monsieur les auteurs de la proposition de loi organique – chers Lana Tetuanui et Teva Rohfritsch –, mes chers collègues, je vais défendre devant vous ce texte qui a été validé – cela a été dit à plusieurs reprises – par 47 des 48 maires de Polynésie française ; c'est un élément important qu'il convient de souligner.

Mon collègue Robert Wienie Xowie qui vient de s'exprimer et moi-même savons, en tant qu'anciens maires, de quoi l'on parle ici !

Chacun connaît les défis que pose l'éparpillement géographique de nos territoires d'outre-mer. Mais il faut avoir vécu cette réalité pour comprendre au quotidien combien elle rend la puissance publique fragile, quand elle est distante, mais aussi efficace quand elle est incarnée localement, au plus près des habitants.

Dans les archipels de la Polynésie française comme dans les provinces rurales ou insulaires de la Nouvelle-Calédonie, les communes sont bien souvent le seul visage de la République. Elles assurent la distribution de l'eau potable, la gestion des déchets, l'état civil et les secours d'urgence. Elles prennent en charge des compétences sociales, éducatives, sanitaires, parfois sans base juridique, mais avec responsabilité, parce qu'il faut bien faire et parce que personne d'autre ne le fera.

Or, trop souvent, ces communes sont contraintes d'attendre l'aval ou les moyens d'un gouvernement éloigné, à Tahiti comme à Nouméa. Cette attente ralentit et, parfois, décourage.

Dans le cas polynésien, le mécanisme prévu depuis 2004 pour encadrer l'intervention des communes, au travers de l'adoption de lois du pays, n'a été mobilisé que trois fois en vingt ans, et toujours pour des objets très limités – on a évoqué notamment la crise sanitaire. Ce constat d'immobilisme a conduit nombre de maires à agir en dehors du droit, avec les risques que cela implique pour eux.

La proposition de loi organique que nous examinons vise précisément à lever ce verrou en Polynésie française, en autorisant les communes à intervenir de plein droit dans certains domaines de proximité comme l'aide sociale, la culture, le sport ou le développement local, sans attendre que soit votée une loi du pays, mais en permettant, si les communes le souhaitent, d'encadrer leur action par une convention.

Ce texte ne bouleverse pas l'équilibre institutionnel. Il ne remet pas en cause les compétences du pays. Il ne procède à aucun transfert autoritaire. Il permet simplement ce que la pratique impose déjà : que les communes puissent exercer des responsabilités dès lors qu'elles sont en situation d'y répondre, avec le soutien de leurs administrés. Il prévoit que cette action peut être encadrée par convention avec la Polynésie française, mais sans en faire une condition préalable. Il rétablit, en somme, la confiance dans l'intelligence des élus de terrain et dans leur attachement au cadre collectif.

Cette subsidiarité est une adaptation logique à la géographie, à la réalité de terrain et à la volonté des élus locaux de répondre présent.

Permettez-moi de souligner un autre mérite du texte : il sécurise juridiquement les initiatives locales. Car, aujourd'hui, les maires qui prennent leurs responsabilités le font souvent dans une zone grise, en s'exposant à des risques juridiques, sans garantie de financement ni appui en ingénierie. Ce n'est plus tenable. À la légitimité démocratique doit correspondre une sécurité juridique ; cette proposition de loi organique le permet.

Je veux ici remercier les auteurs de cette proposition de loi organique, nos collègues polynésiens, et saluer les travaux de la commission des lois, qui ont permis d'en préserver l'esprit tout en renforçant les garanties de coordination avec le pays. Le dialogue est maintenu, la hiérarchie des compétences respectée et l'action de proximité enfin rendue possible.

C'est d'ailleurs dans ce sens que vont les préconisations du rapport sénatorial rendu à l'issue de la mission d'avril 2024 en Polynésie française. Il y a là un socle solide, équilibré, permettant de faire évoluer le statut de manière pragmatique.

Pour conclure, je veux élargir un instant mon regard. Monsieur le ministre, la Nouvelle-Calédonie observe cette réforme avec beaucoup d'intérêt, car nous connaissons les mêmes tensions, les mêmes besoins et les mêmes attentes. Nos communes rurales, nos communes insulaires, aux moyens parfois dérisoires, assument pourtant des responsabilités de plus en plus lourdes. Elles le font avec courage, avec inventivité,...

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Georges Naturel. ... mais trop souvent avec des outils juridiques dépassés ou inadaptés à nos réalités archipélagiques.

La présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer l'a dit avant moi : les membres du groupe Les Républicains voteront ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Teva Rohfritsch applaudit également.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi organique tendant à modifier le ii de l'article 43 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la polynésie française

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi organique tendant à modifier le II de l'article 43 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française
Article unique (fin)

Article unique

Le II de l'article 43 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française est ainsi modifié :

1° Au début du premier alinéa, les mots : « Dans les conditions définies par les actes prévus à l'article 140 dénommés “lois du pays” et la réglementation édictée par la Polynésie française, » sont supprimés ;

2° Le dernier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent détermine par délibération les actions qu'il entend mener dans les matières énumérées aux 1° à 8°, dans le respect de la réglementation édictée par la Polynésie française et au terme d'un délai qui ne peut être inférieur à six mois, ainsi que les modalités de leur mise en œuvre. Cette délibération est transmise au président de la Polynésie française, au président de l'assemblée de la Polynésie française et au haut-commissaire de la République.

« Au terme du délai mentionné dans cette délibération, la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale peut engager les actions qu'elle prévoit. Les modalités d'interventions respectives de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale et de la collectivité de Polynésie française ainsi que les moyens mis à leur disposition sont, le cas échéant, précisés par convention. »

M. le président. L'amendement n° 1, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Alinéa 4

1° Première phrase

Remplacer le mot :

édictée

par les mots :

et des politiques publiques adoptées

2° Après la première phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

Elles ne peuvent entrer en contradiction avec ces dernières

La parole est à Mme Marianne Margaté.

Mme Marianne Margaté. Cet amendement, étroitement lié aux échanges que nous avons eus avec le gouvernement de la Polynésie française, vise à apporter une clarification, attendue, dans l'organisation de l'action publique locale sur le territoire polynésien.

Dans la rédaction actuelle de l'article unique, il est fait référence au respect de la réglementation édictée par le pays. Mais chacun sait ici que cela ne suffit pas à rendre compte de la réalité de l'action publique. Le pays ne se contente pas d'édicter des normes ; il planifie, impulse, porte des politiques publiques, souvent transversales, qui mobilisent des moyens importants et structurent des trajectoires de développement à long terme.

C'est dans ce cadre que tend à s'inscrire cet amendement visant non pas à contraindre, mais à organiser, non pas à limiter la libre administration communale, à laquelle notre groupe est profondément attaché, mais à permettre à chacun d'agir dans un cadre lisible, cohérent et partagé.

Concernant les compétences énumérées au II de l'article 43 de la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française, la coordination n'est pas un luxe : elle est une nécessité démocratique, car, au bout de la chaîne, la responsabilité suivant la compétence, ce sont bien souvent les communes qui porteront la charge budgétaire, juridique ou pénale.

Cela protège le cadre d'action, sécurise les décisions locales et renforce la cohérence d'ensemble, dans le respect de toutes les composantes institutionnelles qui maillent la Polynésie française.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Je comprends tout à fait l'esprit de cet amendement. Pour autant, je voudrais souligner deux points.

Premièrement, lors de nos échanges, que j'ai rappelés lors de la discussion générale, avec l'assemblée de la Polynésie française, avec les tavana, leurs syndicats et le président de la Polynésie française, tous ont pointé du doigt le besoin d'agilité et souhaité, unanimement, faire en sorte que le II de l'article 43 soit utilement complété par certaines dispositions.

Cet amendement vise à prévoir que les politiques publiques du pays d'outre-mer qu'est la Polynésie française soient inscrites dans la convention, laquelle demeure facultative, ou qu'elles soient portées par les tavana et les communes dès lors qu'un accord serait trouvé.

À cet égard, je tiens à formuler une mise en garde. Au cours des six mois que dureront les discussions entre les tavana et le pays, au terme desquelles un accord doit être trouvé, afin de permettre l'exercice des compétences et la mise en œuvre des actions souhaitées dans les meilleures conditions, il convient de ne pas alourdir la charge de travail des maires. J'insiste sur ce point ; notre collègue drômois, Bernard Buis, a d'ailleurs établi une comparaison audacieuse, mais éclairante, avec sa commune de Lesches-en-Diois...

Il est évident que, si cette démarche est rendue trop complexe, des communes telles que Hiva Oa, dans les Marquises, ou Tumaraa auront beaucoup plus de mal à mener ce travail à bien, car elles ne disposent pas nécessairement de l'ingénierie dont bénéficient, par exemple, les communes de Faaa ou de Papeete. Je pense donc qu'il faut conserver cette agilité, cette liberté et cette intelligence collective si l'on veut qu'un accord soit conclu.

J'émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre d'État. Sans aucunement contester le droit d'amendement, je rappelle que, à la suite des divers débats et concertations qui ont eu lieu, M. le rapporteur a porté en commission un amendement visant, à la fois, à consolider l'agilité qu'il a décrite et à créer les conditions d'une cohérence entre le pays et les communes.

Le Gouvernement part du principe qu'il convient de conserver cette agilité et de conforter le compromis qui a été élaboré. Je m'en remets donc, sur cet amendement, à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 3, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Alinéa 5, seconde phrase

Remplacer le mot :

sont

par les mots :

peuvent être

La parole est à Mme Marianne Margaté.

Mme Marianne Margaté. Il s'agit ici de clarifier le caractère facultatif des conventions prévues au II de l'article 43 organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française.

Dans le texte qui nous est soumis, la formulation suivante pose une difficulté d'interprétation : « Les modalités d'interventions respectives de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale et de la collectivité de Polynésie française, ainsi que les moyens mis à leur disposition sont, le cas échéant, précisés par convention. »

En droit, le recours au présent de l'indicatif tend à produire une obligation, là où l'intention du rapporteur, si l'on se réfère au texte de son rapport, est bien de préserver une souplesse dans les relations entre le pays et les communes, sur la base du caractère facultatif des conventions.

L'expression « le cas échéant » n'efface pas cette ambiguïté : elle ne désigne ni l'autorité qui apprécie la situation ni les critères qui fonderaient l'opportunité d'une convention. Elle laisse donc ouverte la possibilité pour une collectivité locale de considérer qu'une convention s'impose et d'en tirer des conséquences juridiques, financières, voire contentieuses. On comprend ainsi que des inquiétudes puissent subsister.

En proposant de remplacer le mot « sont » par les mots « peuvent être », nous souhaitons réaffirmer le principe de libre engagement des parties sur la base du consentement mutuel. Ce principe ancre l'esprit de coopération dans la loi, sans transformer la souplesse attendue en obligation imprévue.

C'est pourquoi nous vous invitons à adopter cet amendement, que nous qualifions de rédactionnel.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Je crois avoir été relativement clair, et le texte l'est tout autant : je réaffirme le caractère facultatif de la convention.

L'avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre d'État. Sagesse.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Avant de mettre aux voix l'article unique de la proposition de loi organique, je donne la parole à Mme Lana Tetuanui, pour explication de vote.

Mme Lana Tetuanui. Même si le vote n'est pas encore intervenu – je suis convaincue qu'il sera positif –, il convient de vous remercier tous, mes chers collègues !

Je veux dire à mon collègue de Nouvelle-Calédonie, Robert Wienie Xowie, que dans son intervention un mot m'a interpellée, celui de « parole ». En effet, le peuple polynésien, qui est un peuple du Pacifique, est très sensible à ce mot.

Je pense, cher Robert Wienie Xowie, que si d'aucuns ont renié leur parole, ce ne sont certainement pas ceux qui ont voté la proposition de loi, unanimement, une semaine avant cette séance publique ! En commission, le vote était unanime ; alors, en séance, qui donc a renié sa parole ? Je pose la question en toute sérénité...

Une semaine après le vote en commission, certains ont oublié le quotidien de 280 000 habitants au profit d'une personne ; je tenais à le dire. Or on ne peut pas sacrifier le quotidien des Polynésiens pour assouvir, peut-être – c'est moi qui le dis –, les ambitions d'un seul ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC, RDSE, RDPI et Les Républicains. – M. Éric Jeansannetas applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Teva Rohfritsch, pour explication de vote.

M. Teva Rohfritsch. Je tiens tout d'abord à remercier l'ensemble des orateurs, ainsi que M. le ministre d'État, M. le rapporteur et tous les groupes, en particulier le groupe Communiste Républicain Citoyen Écologiste – Kanaky, lequel souhaitait, si je me réfère à l'intervention de son chef de file, faire preuve d'ouverture, tout au moins en fonction de la tournure que prendrait notre débat...

Lana Tetuanui a évoqué la question de la parole. Pour ma part, j'ai débattu, au sein de la commission des institutions, des affaires internationales et des relations avec les communes de l'assemblée de la Polynésie française, avec le gouvernement et la majorité, qui s'est clairement prononcée en faveur de la proposition de loi organique.

Certes, lors de la séance plénière, le débat a été davantage politicien et polémique, et il a moins porté sur le fond. Mais, si l'on examine les suffrages exprimés, on constate que le texte n'a pas été rejeté à une large majorité : sur les 57 représentants de l'Assemblée de la Polynésie française, il y a eu 29 voix contre, 25 voix pour et 3 abstentions. Pour autant, les discussions concernaient clairement autre chose que le fond du sujet que nous avons évoqué aujourd'hui.

Les seuls arguments techniques qui, à notre sens, méritaient de retenir l'attention des sénateurs ont été repris et synthétisés par M. Mathieu Darnaud dans l'amendement de la commission des lois, dont l'adoption a réglé les problèmes qui avaient été présentés objectivement par le président de la Polynésie française, Moetai Brotherson.

À aucun moment M. Brotherson n'a évoqué, au sein de la commission des institutions de l'Assemblée de la Polynésie française, la question des politiques publiques ! Son souci était simplement que la réglementation polynésienne soit respectée ; il lui a été fait droit au travers de l'amendement porté par le rapporteur.

J'appelle tous les groupes du Sénat à soutenir cette proposition de loi organique de manière transpartisane, à l'occasion de cette niche transpartisane, car les maires polynésiens et la population de nos îles ont besoin du soutien de tous. N'entrons pas dans la polémique politicienne qui peut exister entre les groupes politiques siégeant au sein de l'assemblée de la Polynésie française !

Il est de notre devoir et de notre responsabilité, en tant que sénateurs, de voter unanimement sur la seule question qui nous est posée aujourd'hui : va-t-on donner aux maires polynésiens le cadre juridique qui leur permettra d'agir ?

Nous savons tous ici qu'ils agissent d'ores et déjà sans bénéficier de ce cadre, ce qui met en péril leur mandat et, plus largement, leur honneur en tant que responsables politiques ; ils encourent en effet des sanctions qu'ils ne méritent pas, dans la mesure où ils ne font que combler une carence du service public.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à soutenir unanimement ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi organique tendant à modifier le II de l'article 43 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 278 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 326
Pour l'adoption 326

Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi organique tendant à modifier le II de l'article 43 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française
 

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Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer le dispositif de protection temporaire en France
Article 1er

Amélioration du dispositif de protection temporaire

Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à améliorer le dispositif de protection temporaire en France, présentée par Mme Nadia Sollogoub et plusieurs de ses collègues (proposition n° 233, texte de la commission n° 596, rapport n° 595).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nadia Sollogoub, auteur de la proposition de loi.

Mme Nadia Sollogoub, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie tout d'abord le président du Sénat et les présidents de groupe – particulièrement Hervé Marseille, président du groupe Union Centriste – d'avoir accepté d'inscrire dans cette niche transpartisane un texte qui peut sembler quelque peu technique, mais qui clarifiera et simplifiera la situation de ceux qui relèvent aujourd'hui du dispositif très particulier de la protection temporaire et de ceux qui en bénéficieront peut-être demain, ainsi que le travail des différents services et associations qui instruisent ces dossiers et de tous ceux qui aident et accompagnent les bénéficiaires.

Je remercie également Isabelle Florennes, rapporteure du texte, la présidente de la commission des lois et les membres de ladite commission de leur découverte bienveillante d'une réalité particulière, de leur maîtrise du dossier et de leurs apports pondérés et équilibrés.

Je rappelle que, le 3 mars 2022, à la suite de l'agression de l'Ukraine par la Russie, le Conseil de l'Union européenne a, pour la première fois, enclenché le dispositif de la protection temporaire.

La protection temporaire concerne les étrangers non européens contraints à l'exil en raison de conflits armés, de violences ou de graves violations des droits de l'homme dans leur pays d'origine. Il s'agit de gérer le cas très particulier des mouvements migratoires temporaires.

Devant l'afflux de populations fuyant les bombardements, l'Europe a estimé que les conditions exceptionnelles étaient pour la première fois réunies pour que chaque pays de l'Union, selon ses modalités propres, accueille les Ukrainiens sous le régime de la protection temporaire.

Ainsi, la France a mis en place un « panier » de droits correspondant à ce statut.

Unanimement, les Ukrainiens ont exprimé leur reconnaissance et leur profonde gratitude pour tout ce qui a été organisé en urgence et leur a permis de trouver la sécurité dont ils avaient un besoin vital.

Je vous remercie également, mes chers collègues, d'avoir légiféré en urgence, afin que le dispositif soit rapidement opérationnel.

Personne n'imaginait – ni nous, ni vous, ni eux – que ce conflit durerait aussi longtemps. En 2025, force est de constater que le dispositif de la protection temporaire n'est pas adapté dans la durée et que, dans l'intérêt de tous, il doit être ajusté. Le recul nous donne cette expérience et nous permet de dresser un constat.

La tendance est claire et elle s'accélère : les bénéficiaires de la protection temporaire se tournent massivement vers des demandes d'asile, ce qui est totalement contraire à l'esprit du dispositif, lequel doit rester transitoire !

Aujourd'hui, la France est au sein de l'Union européenne le neuvième pays d'accueil des Ukrainiens, mais elle reçoit près de 50 % des demandes d'asile formulées par des ressortissants ukrainiens au sein de l'Union.

Les demandes de sortie du dispositif de la protection temporaire vers l'asile deviennent systématiques. C'est un phénomène qui s'accélère et qui est propre à la France : 3 250 demandes ont été formulées en 2023, puis 12 031 en 2024 ; et l'on compte déjà près de 5 000 demandes en 2025.

Ces demandes reçoivent généralement une réponse positive. Il y a urgence à enrayer ce phénomène, et cela pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, parce que les Ukrainiens et Ukrainiennes de tous âges, arrachés brutalement à leur patrie, souhaitent dans leur grande majorité y retourner, et il faut absolument que cette possibilité leur reste toujours offerte.

Ensuite, parce que la France n'a pas vocation à garder sur son territoire ces populations fragilisées, auxquelles elle a proposé, avec une immense générosité, un abri temporaire.

Enfin, parce que nos services administratifs sont déjà embolisés par les demandes d'autres réfugiés, dont certains ont un besoin urgent de leurs papiers, il est ridicule de les surcharger avec les dossiers de protégés qui demandent l'asile par défaut, mais souhaitent au fond pouvoir retourner chez eux.

Mes chers collègues, je vous le répète, ce texte traite de l'exemple ukrainien, mais ce n'est pas un texte pour les Ukrainiens. Il s'appuie sur notre expérience récente afin d'améliorer un dispositif qui, demain, hélas ! bénéficiera peut-être à d'autres peuples fuyant la barbarie et la guerre.

Plusieurs causes étant à l'origine des demandes d'asile massives que l'on constate actuellement, plusieurs pistes d'amélioration existent.

Tout d'abord j'ai souhaité, à l'article 1er, améliorer la reconnaissance des diplômes, en particulier médicaux, afin de permettre des retours à l'emploi dans des métiers en tension.

Une autorisation d'exercice temporaire avait été accordée aux Ukrainiens jusqu'au 27 décembre 2023 seulement. Cette possibilité leur avait été donnée au début de leur séjour en France, alors qu'ils ne maîtrisaient ni les procédures ni la langue et qu'ils se trouvaient en état de choc. Très peu étaient alors en capacité d'en bénéficier.

Un amendement du Gouvernement, adopté hier lors de l'examen de la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires, non seulement rétablit pour les réfugiés et apatrides la possibilité d'exercer temporairement, dans l'attente de leur réussite aux épreuves de validation des compétences, mais accorde la même possibilité aux bénéficiaires de la protection temporaire. C'est une volonté que je salue.

J'aborde ensuite les problématiques traitant de la mobilité.

Je profite de la présence de M. le ministre pour évoquer un problème récurrent qui, bien qu'il ne soit pas de nature législative, doit faire l'objet d'une attention particulière et trouver une solution rapide : la non-reconnaissance du permis de conduire ukrainien est choquante, alors que le permis de conduire russe est reconnu en France à la suite d'accords bilatéraux.

Alors que le gouvernement ukrainien a réalisé de gros efforts de dématérialisation des procédures afin de sécuriser la délivrance des titres, rien ne semble s'opposer à la signature d'un accord bilatéral sur ce point entre la France et l'Ukraine. La reconnaissance du permis de conduire ukrainien non seulement constituerait un signe diplomatique fort envoyé par la France à ce peuple ami, mais permettrait de nombreux retours à l'emploi, particulièrement dans les territoires ruraux.

Monsieur le ministre, je reçois chaque semaine de tous les collègues et de tous les départements, des demandes pressantes à ce sujet. Je vous sollicite en présence, dans notre tribune, de M. le consul d'Ukraine en France, que je salue. Je vous remercie de comprendre mon insistance et de nous aider.

Par cette proposition de loi, je souhaite contribuer à lever les difficultés de mobilité que rencontrent les bénéficiaires de la protection temporaire en France. Il est à noter que les problèmes d'assurance seront automatiquement réglés lorsque le permis ukrainien sera reconnu en France.

Le troisième volet du texte traite de la couverture sociale des bénéficiaires de la protection temporaire.

Comme je vous l'expliquais plus tôt, la très grande majorité des protégés ukrainiens, dans un contexte de tension budgétaire, de désinformation et d'inégalité de traitement selon les départements, basculent actuellement vers des demandes d'asile. Ces demandes sont accordées dans 98 % des cas et ouvrent droit à l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), au revenu de solidarité active (RSA), à l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) et à l'allocation aux adultes handicapés (AAH).

La solution la plus coûteuse pour le budget des collectivités et de l'État, c'est de laisser faire ! En effet, dans tous les cas, ces bénéficiaires obtiendront une prise en charge sociale. Si nous ne changeons rien, ils obtiendront l'asile, de façon difficilement réversible et donc probablement définitive.

En revanche, si nous rendons le statut de la protection temporaire suffisamment protecteur pour que les Ukrainiens le conservent jusqu'à la fin du conflit, leur prise en charge restera limitée dans le temps et sera donc moins coûteuse.

Ma proposition, monsieur le ministre, mes chers collègues, vise à éviter que la protection temporaire ne soit, pour les réfugiés qui arrivent sur notre territoire, que l'antichambre de l'asile. Bien entendu, elle ne réglera pas tous les problèmes. Des difficultés administratives subsisteront, mais elles sont inévitables en pareille situation. Plusieurs dispositions sont d'ordre réglementaire et ne peuvent donc être traitées ici.

Je ne peux conclure sans évoquer la question de l'apprentissage de la langue, lequel est absolument essentiel. Des moyens suffisants doivent être prévus pour permettre l'intégration des populations concernées le temps de leur séjour.

J'entends les craintes qui sont exprimées. Aussi, je le redis, améliorer le dispositif de la protection temporaire en France, ce n'est en aucun cas créer une charge supplémentaire.

Améliorer ce dispositif en France, c'est clarifier, simplifier la tâche administrative, permettre une insertion temporaire.

Améliorer ce dispositif en France, c'est aider ceux qui sont arrivés chez nous bien malgré eux à rester debout, en attendant la paix et le jour tant espéré de leur retour. (Applaudissements.)