Afin de renforcer la traçabilité des contrôles d'identité, l'article 3 tend à prévoir la remise systématique d'une attestation à la personne ayant fait l'objet d'un contrôle. Il s'agit là du fameux « récépissé », un temps soutenu par le gouvernement du président François Hollande. Celui-ci avait finalement abandonné cette idée, pour de bonnes raisons. Permettez-moi donc de faire miens les arguments avancés à l'époque par Bernard Cazeneuve pour s'opposer à ce récépissé, car ils sont encore valides aujourd'hui.
D'un point de vue opérationnel, la délivrance systématique d'un récépissé alourdirait fortement la procédure de contrôle, sans que la plus-value de ce document pour la personne contrôlée apparaisse de manière évidente.
La possession d'un tel récépissé n'exonérerait de fait en rien son détenteur de contrôles postérieurs, ne serait-ce que parce qu'il faudrait alors vérifier la concordance entre son identité et celle qui figure sur l'attestation.
Par ailleurs, il peut arriver que la multiplication des contrôles en un temps et un lieu donnés puisse être jugée opportune. Elle peut tout à fait être dictée par les nécessités d'une enquête judiciaire ou la préservation de l'ordre public.
D'un point de vue technique, le récépissé supposerait ensuite nécessairement la création d'un fichier de masse. Ne serait-ce pas disproportionné au regard de l'objectif visé ? Compte tenu de ces éléments, il me semble plus pertinent de privilégier les pistes d'aménagements techniques existantes, notamment la modification de l'architecture du fichier des personnes recherchées. Il s'agirait d'introduire un « bouton » qui permettrait, lors de chaque consultation effectuée en mobilité, de préciser si celle-ci est opérée dans le cadre d'un contrôle d'identité ou non. Ce faisant, la traçabilité des contrôles serait systématisée. Là encore, M. le ministre pourra nous préciser les choses.
Enfin, l'article 4 vise à prévoir une activation systématique du dispositif des caméras-piétons. La jurisprudence constitutionnelle invite davantage à encadrer les hypothèses de captation qu'à les systématiser. Par ailleurs, un tel dispositif se heurterait à des contraintes matérielles liées aux capacités de stockage.
Mes chers collègues, vous l'aurez compris, la commission ne partage ni l'esprit de cette proposition de loi ni les mesures qu'elle prévoit. Nous vous invitons donc à la rejeter ou, le cas échéant, à adopter les amendements de suppression qui sont été déposés à bon escient par certains de nos collègues.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je dois reconnaître aux rédacteurs de cette proposition de loi ainsi qu'à ceux qui la soutiennent une certaine constance.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C'est aimable !
M. Michaël Weber. Mais est-ce bon signe ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Après les textes déposés par Éliane Assassi au Sénat en décembre 2016 et par Éric Coquerel à l'Assemblée nationale en décembre 2017, nous devons de nouveau examiner une proposition de loi visant à lutter contre les contrôles d'identité dits « abusifs ».
L'objet de ce texte, si l'on s'en tient à son intitulé, est de rétablir la confiance entre la police et les Français. Je dois dire, avec beaucoup de sympathie, à l'auteure de cette proposition de loi que son texte est de nature à laisser entendre que les contrôles réalisés par nos services de police sont régulièrement, pour ne pas dire systématiquement, orientés, voire douteux : en clair, il s'agirait de contrôles « au faciès ».
Je ne peux que contester, en tant que ministre auprès du ministre de l'intérieur, mais aussi dans un cadre beaucoup plus large, un tel point de vue !
Au vu de la charge importante de nos services de police, il peut arriver que certains intervenants ne se comportent pas bien. Néanmoins, ils sont parfaitement identifiés, et font l'objet de poursuites ainsi que de sanctions.
Madame Narassiguin, on ne saurait prétendre aujourd'hui que nos compatriotes n'ont pas confiance dans les services de police. Votre analyse s'appuie directement sur les résultats d'une étude du Défenseur des droits de 2012, qui avait été confiée au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip).
Sans entrer dans le détail, ce rapport établissait que le type de mesures que vous préconisez poserait un problème quasiment constitutionnel puisqu'il faudrait – pour lutter contre un nombre si peu important de cas, comme l'a souligné M. le rapporteur – établir des fichiers tenant compte des origines ethniques ou raciales,…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pas du tout !
M. François-Noël Buffet, ministre. … ce que la France s'interdit de faire !
Une étude de l'Ifop (Institut français d'opinion publique) de septembre 2024 a établi que 71 % de nos compatriotes avaient spontanément un sentiment positif sur la police, qu'ils éprouvaient de la sympathie, mais aussi de la confiance. Globalement, 79% des Français affirmaient dans cette étude avoir une bonne opinion de la police et 85 % avaient une bonne opinion de la gendarmerie.
Je n'insisterai pas davantage sur les raisons pour lesquelles nos compatriotes sont satisfaits et ont confiance dans leur police. Je ne citerai pas non plus la liste des affaires qui n'ont fait que renforcer cette confiance. Il n'en demeure pas moins que nous devons aborder le fond de ce texte. Le Gouvernement y est-il favorable ? La réponse est non.
M. Michaël Weber. Quelle surprise !...
M. François-Noël Buffet, ministre. Je comprends que vous ne soyez guère surpris !
Ce refus n'est pas simplement proclamatoire, il repose sur un certain nombre d'analyses.
À l'article 1er, l'indication selon laquelle le contrôle doit exclure les discriminations prévues et réprimées par le code pénal est, nous semble-t-il, juridiquement superfétatoire dans la mesure où ces infractions peuvent déjà être reprochées aux policiers et aux gendarmes, comme à n'importe qui d'ailleurs, si les éléments constitutifs sont réunis, comme pour toute infraction. La possibilité de contester le comportement anormal d'un policier est donc tout à fait ouverte.
De même, la précision selon laquelle le contrôle d'identité « doit être mis en œuvre dans le respect de la dignité des personnes » est redondante avec ce que prévoit déjà le code de la sécurité intérieure, qui tient compte de ces éléments.
À l'article 2, l'exigence de motivation des demandes de l'autorité administrative susceptibles de précéder les réquisitions du procureur ne vise pas tant à modifier le cadre juridique des contrôles d'identité sur réquisition qu'à les rendre plus identifiables, et donc plus critiquables.
À l'article 3, vous prévoyez la délivrance d'un récépissé, dont l'objet réel est de déterminer l'identité du contrôleur et la motivation du contrôle. Vous avez regretté que ce projet n'ait pas abouti sous la présidence de François Hollande, mais peut-être s'est-il lui-même rendu compte qu'une telle mesure ne serait pas efficace ou qu'elle serait extrêmement complexe à mettre en œuvre. Quoi qu'il en soit, les choses ont aujourd'hui évolué puisque la loi en vigueur impose déjà de rendre visible le référentiel des identités et de l'organisation (RIO) des agents. La taille de ce numéro d'identification que porte chaque agent sur son uniforme sera d'ailleurs bientôt agrandie.
D'autres dispositions apparaissent en outre contrevenir à l'ambition affichée par les auteurs du texte. Ainsi, l'obligation d'enregistrer systématiquement les contrôles d'identité qui figure à l'article 4 reviendrait paradoxalement à autoriser une collecte généralisée et discrétionnaire d'images par les agents compétents, causant ainsi une atteinte plus grande aux droits et libertés des personnes, notamment au droit au respect de la vie privée – c'est un point non négligeable.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement suivra la commission et émettra un avis défavorable à l'adoption de la proposition de loi. Néanmoins, je ne voudrais pas terminer cette intervention sans préciser deux points.
Premièrement, l'inspection générale de la police nationale fait aussi son travail d'enquête et ne laisse rien passer, comme cela a été parfaitement documenté, y compris par le Sénat. Lorsqu'elle est saisie, les enquêtes sont menées jusqu'à leur terme et les sanctions sont prises chaque fois que cela s'impose.
Deuxièmement, le ministère de la justice, chaque année, fait établir un bilan annuel sur les contrôles d'identité, qui peut être consulté. Cela démontre que le Gouvernement et le garde des sceaux veillent avec précision à ce que les règles de droit qui sont applicables aujourd'hui soient parfaitement respectées.
Malgré l'avis défavorable que le Gouvernement émet, je ne voudrais pas laisser croire que nous soyons indifférents aux situations qui ne respectent pas les règles et qui conduisent à contrôler parfois abusivement un certain nombre de personnes. À chaque fois que le cas se produit, des sanctions sont prises, mais il faut aussi dire que de tels abus ne sont pas un principe de fonctionnement de notre police, dont chacun s'accorde à saluer aujourd'hui l'engagement face à des difficultés extrêmement importantes.
Pour voir nos forces de l'ordre à l'œuvre de plus près depuis le mois de janvier dernier, je peux témoigner que le rappel des règles, s'agissant de l'usage d'armes à feu mais aussi des conditions dans lesquelles sont effectués les contrôles d'identité, occupe une place importante dans la formation de nos agents.
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Salama Ramia.
Mme Salama Ramia. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui une proposition de loi dont l'intention peut sembler louable, celle de rétablir la confiance entre la police et la population, mais dont la traduction législative soulève de profondes réserves, tant sur le constat que sur le fond.
Avant tout, j'aimerais rappeler que les forces de l'ordre exercent leurs missions dans un cadre juridique et déontologique déjà dense, complexe et très contraignant. Le code de procédure pénale, les chartes déontologiques et les éclairages progressifs de la jurisprudence encadrent strictement les pratiques qui relèvent de la compétence des forces de l'ordre. Ce cadre existe, il fonctionne. Lorsqu'il est mal appliqué, ce sont les pratiques qu'il faut corriger, pas systématiquement la norme.
Car, oui, des dérives existent, et la justice judiciaire comme la justice administrative l'ont reconnu à plusieurs reprises. La dernière décision marquante est celle du Conseil d'État du 11 octobre 2023, qui a reconnu la réalité de certains contrôles d'identité discriminatoires.
Ces faits doivent être condamnés avec fermeté. Ils le sont par la justice, par les inspections générales, par les autorités hiérarchiques. C'est précisément parce que l'État de droit fonctionne que ces décisions ont pu être rendues.
Confondre dérives individuelles et défaut systémique du cadre juridique est, à notre sens, une erreur. Le Conseil d'État, dans sa décision, a clairement écarté le caractère systémique ou généralisé des contrôles discriminatoires, comme le soutenaient les associations requérantes. Ce rappel montre que le système fonctionne, que la dérive est non pas la règle mais l'exception, et qu'elle doit être traitée comme telle par les voies existantes.
Permettez-moi, à ce titre, d'aborder l'article 2, qui vise à instaurer diverses dispositions pour durcir les motivations permettant de procéder à un contrôle d'identité. Le dispositif prévoit, notamment, de restreindre le champ des contrôles d'identité dits administratifs en augmentant le degré de gravité exigé pour effectuer ce contrôle, passant donc à « un risque d'atteinte grave à l'ordre public ».
Cette modification du seuil d'intervention ne constitue pas une simple précision juridique : elle transforme profondément la nature même de cette pratique, en la vidant de sa substance préventive. Elle peut d'ailleurs constituer une régression par rapport à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui reconnaît la sauvegarde de l'ordre public comme une nécessité, dans la vie démocratique, pour l'exercice des libertés.
Le contrôle d'identité est un outil essentiel du travail des forces de l'ordre et constitue leur premier levier d'action. Il est au cœur de la prévention, de la lutte contre la délinquance et de la recherche d'infractions. C'est un levier opérationnel qui doit rester disponible et dont il faut pouvoir user avec discernement, mais sans entraves superflues.
Je m'étonne également du constat qui est fait ici de la relation entre la population et sa police. Contrairement à ce que le texte semble suggérer, le lien de confiance n'est, à nos yeux, pas rompu. Une enquête publiée en juillet 2023, à la suite des émeutes urbaines, a révélé que 77 % des Français avaient une bonne image de la police, et qu'un quart en avaient même une très bonne image. Ces chiffres ne traduisent pas un divorce !
Le lien entre la police et la population ne se décrète pas. Il se renforce, notamment par la confiance que les législateurs que nous sommes doivent accorder à ceux qui veillent sur notre sécurité.
En somme, cette proposition de loi part d'un constat contestable, prévoit des réponses inadaptées et risque, in fine, de produire l'effet inverse de celui qui est recherché, en affaiblissant la légitimité de la police, en alourdissant son action et en semant le doute là où nous attendons, au contraire, de la clarté et du soutien.
Dans ces conditions, mes chers collègues, le groupe RDPI votera contre ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset.
M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le lien de confiance associant la police et la population est indispensable à la vie en société. Les forces de l'ordre républicaines protègent les citoyens, à tout moment et sur l'ensemble du territoire.
Je souhaite ici rendre hommage à l'engagement de ces femmes et de ces hommes qui, quotidiennement, sont animés par leur mission de protéger et de servir la Nation.
L'honneur de cet engagement oblige les policiers et les gendarmes à une grande responsabilité dans l'exercice de leurs fonctions. Parce qu'ils sont les représentants de la loi, une partie de la promesse d'égalité devant le droit repose sur eux.
Comme le constate l'auteure de la proposition de loi, nombreuses sont les institutions publiques et les organisations associatives qui interpellent la puissance publique sur l'encadrement des contrôles d'identité.
Je me contenterai de citer à mon tour la décision de 2023 du Conseil d'État, qui reconnaît que les contrôles d'identité discriminatoires ne sont pas des « cas isolés ».
Malheureusement, cette situation, si elle est connue des personnes discriminées, demeure difficilement saisissable pour les pouvoirs publics.
En effet, la Cour des comptes déplore un manque de contrôle judiciaire, ainsi qu'une absence totale de traçabilité : il est impossible de connaître précisément le nombre ou les motifs des contrôles d'identité.
Ainsi, tant pour les victimes de discriminations que pour les forces de l'ordre, parfois injustement pointées du doigt, le cadre légal pourrait être insuffisamment protecteur.
Si, comme le rappelle M. le rapporteur, notre droit prévoit un certain nombre de dispositions interdisant tout acte discriminatoire, l'établissement de la vérité est rendu parfois difficile.
Je tiens à rappeler que la présentation de ces faits ne vise en aucun cas à stigmatiser le travail de nos forces de l'ordre : il s'agit de conforter leur protection juridique et d'améliorer l'exercice quotidien de leurs missions.
Cependant, la réalité nous oblige à ne pas balayer d'un revers de main la proposition de notre collègue, mais, au contraire, à examiner dans le détail des solutions qui pourraient améliorer une situation étayée par des rapports sérieux et indéniables.
Le rapporteur relève que le cœur des dispositions proposées pose des difficultés. Si l'adoption de la proposition de loi entraînerait sans nul doute des changements importants dans le quotidien de nos policiers, elle s'inspire de mécanismes déjà éprouvés au Royaume-Uni pour les récépissés de contrôle, voire préconisés par différentes inspections générales pour ce qui concerne la systématisation de l'enregistrement vidéo des contrôles.
Je souhaite que nos discussions nous permettent de renforcer notre modèle de police, qui s'inscrit dans la liberté, l'égalité, la fraternité et la proximité. Soyons lucides : la distance entre police et population ressentie dans certains territoires éloignés de la République est réelle, et parfois renforcée par les discriminations. Acceptons que notre modèle d'ordre républicain soit toujours perfectible !
Le groupe du RDSE, partagé sur la proposition de loi, réservera son vote à l'issue des débats. (Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Corinne Narassiguin, ainsi que M. Ian Brossat, applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Sophie Patru. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Sophie Patru. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie nos collègues Corinne Narassiguin et Jérôme Durain de nous permettre aujourd'hui de rouvrir ici un vieux débat, qui a agité maintes fois nos arcanes parlementaires et les sphères médiatiques. Je les en remercie, car il concerne un sujet évolutif, celui du contrôle d'identité abusif, qui serait l'une des raisons de ce que certains jugent comme un éloignement entre la police et les citoyens.
Bien que l'intention des auteurs du texte soit louable, je ne partage pas le constat, tout à fait critiquable, qui apparaît dès l'intitulé de la proposition de loi : il serait nécessaire de « rétablir le lien de confiance entre la police et la population », car cette confiance aurait disparu.
Or, selon une étude récente de l'Ifop, 71 % des Français ont confiance dans les forces de l'ordre ou éprouvent pour elles de la sympathie. Ce chiffre montre clairement que, dans leur majorité, nos concitoyens soutiennent l'action de nos policiers et gendarmes, qui sont au service de leur sécurité.
Aussi, je mets tout de suite fin au suspense, s'il y en avait un : le groupe Union Centriste suivra la position de la commission des lois et votera contre ce texte.
En effet, l'excellent travail de notre collègue rapporteur, François Bonhomme, a souligné que les exigences de motivation des contrôles d'identité et d'absence de caractère non discriminatoire sont déjà garanties par le droit existant. Par conséquent, la réaffirmation de ces exigences dans la proposition de loi est redondante. Les contrôles d'identité sont déjà strictement encadrés par des garanties juridiques solides pour prévenir les risques de discriminations et de pratiques discrétionnaires. Le cadre juridique et déontologique de l'action des policiers et des gendarmes est complet et efficace.
L'adoption de la proposition de loi restreindrait excessivement le recours aux contrôles d'identité, outil indispensable pour nos forces de l'ordre. La commission a exprimé, à juste raison, des préoccupations quant à l'impact négatif que cette restriction pourrait avoir sur l'efficacité des missions de police, en matière tant de prévention des troubles à l'ordre public que de recherche des auteurs d'infractions.
L'introduction d'un dispositif de récépissé pour les contrôles d'identité alourdirait considérablement la procédure de contrôle, sans apporter de bénéfices clairs pour les personnes contrôlées, alors que nos policiers s'insurgent déjà régulièrement de la dimension administrative trop poussée de leurs tâches. Nous risquerions ainsi de détourner les agents de leurs missions principales et de les lester d'une charge administrative inutile.
La création d'un fichier de masse pour la traçabilité des contrôles d'identité soulève aussi des questions de proportionnalité et de respect des libertés publiques.
Quant à l'activation systématique des caméras-piétons lors des contrôles d'identité, elle se heurte à des contraintes matérielles et juridiques, notamment en termes de capacités de stockage et de respect de la jurisprudence constitutionnelle.
En parallèle, il est important de reconnaître l'importance des défis auxquels nos policiers sont confrontés actuellement.
Rennes, dans mon département, a récemment été le théâtre de plusieurs incidents violents impliquant la police. Le vif émoi qu'a provoqué la course-poursuite entre trafiquants de drogue, au cours de laquelle un enfant a été touché de deux balles dans la tête, ou encore l'énième fusillade intervenue très récemment en pleine journée dans un restaurant du quartier de Villejean illustrent bien les dangers auxquels habitants et forces de l'ordre sont confrontés quotidiennement. Ces risques doivent nous inciter à limiter les contraintes de nos policiers plutôt que d'en ajouter.
En conclusion, cette proposition de loi n'est pas nécessaire et pourrait même être contre-productive. Il est essentiel de continuer à soutenir et à protéger nos forces de l'ordre, tout en travaillant à des solutions pragmatiques et opérationnelles pour renforcer la confiance et la collaboration entre la police et la population.
Il ne s'agit pas de nier l'éventualité que certains comportements individuels de policiers ou de gendarmes soient inadaptés, voire discriminatoires. Mais, lorsqu'elles sont révélées, ces dérives sont aujourd'hui sanctionnées, comme M. le ministre François-Noël Buffet a pu l'indiquer tout à l'heure : le droit positif le permet déjà !
Outre qu'il fait planer un doute généralisé à l'encontre de nos forces de l'ordre, le dispositif que vous nous proposez, chers collègues socialistes, serait inefficace et ne permettrait nullement de garantir que les rares cas de discriminations disparaîtraient.
Le groupe Union Centriste votera donc contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat.
M. Ian Brossat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi de nos collègues socialistes, portée par Corinne Narassiguin, pose, au fond, deux questions.
Première question, existe-t-il, dans notre pays, des contrôles aux faciès ? La réponse est oui.
Les faits sont têtus, connus, chiffrés, sourcés. Ils ont été évoqués tout à l'heure : selon le Défenseur des droits, les jeunes hommes entre 18 et 25 ans perçus comme noirs ou arabes connaissent une probabilité vingt fois plus élevée que le reste de la population de subir un contrôle d'identité.
Le Conseil d'État a reconnu, à son tour, en 2023, l'existence de pratiques de contrôles d'identité discriminatoires, qui ne sont pas des cas isolés.
Derrière ces chiffres, il y a des réalités au quotidien. Je peux en témoigner personnellement : lorsque, avant d'être élu, j'étais enseignant au lycée Jean-Jacques Rousseau de Sarcelles, je n'ai pas été contrôlé une seule fois sur la ligne du RER D, que j'ai pourtant empruntée tous les jours durant des années, alors que mes élèves faisaient l'objectif de contrôles systématiques quand ils se rendaient à Paris.
On peut faire semblant que cette réalité n'existe pas. On peut faire semblant que personne n'est concerné par les contrôles au faciès. Mais, de fait, ils existent !
Traditionnellement, dans un certain nombre de débats, la droite sénatoriale reproche à la gauche une culture du déni. En l'occurrence, sur ce sujet, je n'ai pas le sentiment que le déni soit de notre côté !
Donc, à la question « les contrôles au faciès existent-ils ? », la réponse est oui. Et, j'y insiste, ce constat s'appuie sur des chiffres et des statistiques.
Seconde question, l'existence de contrôles au faciès pose-t-elle problème ? Oui, je pense qu'elle pose problème dans la République.
Vous nous répondez, mes chers collègues, que les Français ont majoritairement confiance dans leur police – j'ai entendu cet argument à de nombreuses reprises. C'est vrai ; toutes les statistiques le prouvent. Vous l'avez évoqué, monsieur le rapporteur, la police inspire confiance à plus de 70 % des Français. C'est une autre réalité.
Ces deux réalités se contredisent-elles ? Absolument pas. Les Français peuvent, dans leur grande majorité, avoir confiance en la police, et une minorité d'entre eux peut subir des contrôles au faciès. Or, je le dis ici, cette situation pose un problème de cohésion sociale, de cohésion nationale.
Lorsqu'une partie de nos compatriotes subissent des contrôles au faciès, ces discriminations liées à leur couleur de peau, c'est la société dans son ensemble qui doit s'interroger. Les Français n'en sont peut-être pas tous conscients, mais cela ne veut pas dire pour autant que ce n'est pas un problème. Donc, oui, nous devons traiter cette question.
La proposition de loi comporte un certain nombre de mesures. J'y reconnais aussi un certain nombre d'exigences qui avaient été portées par Éliane Assassi dans une proposition de loi déposée en 2016, notamment la création d'un récépissé de contrôle d'identité.
Nous y sommes toujours favorables – on ne pourra pas dire que nous ne sommes pas cohérents. J'entends bien que la majorité sénatoriale, elle, n'y est pas favorable, mais, on aura beau tourner le problème dans tous les sens, les contrôles au faciès existent, et il est important que nous puissions agir.
C'est la raison pour laquelle notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER. – M. Michel Masset applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte vise à renforcer la confiance que notre population doit avoir dans sa police. C'est un objectif de longue date pour notre groupe.
Loin des clichés dont nous affuble parfois – pour ne pas dire souvent, voire très souvent – l'autre partie de l'hémicycle et les membres des derniers gouvernements,…
M. François Bonhomme, rapporteur. Cela commence bien…
M. Guy Benarroche. … notre position est claire : la police doit être respectée dans son action. Vous avez bien entendu, monsieur le rapporteur ! (M. le rapporteur sourit.)
Ce sont non pas les erreurs ou les errements de quelques-uns qui posent problème, mais l'incapacité systémique d'y remédier.
Nous avons déjà, à plusieurs reprises, notamment lors de l'examen de la Lopmi (loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur) ou de la loi Sécurité globale (loi pour une sécurité globale préservant les libertés), exprimé notre position sur le récépissé de contrôle d'identité.
L'encadrement des pratiques en matière de contrôle d'identité doit évoluer.
Actuellement, les officiers de police judiciaire (OPJ) et les agents de police judiciaire (APJ) peuvent inviter toute personne à justifier de son identité sur la voie publique dans un cadre préventif et administratif, quel que soit le comportement de cette personne, pour prévenir une atteinte à l'ordre public.
Le défaut de statistiques officielles sur les caractéristiques des personnes contrôlées a longtemps empêché de démontrer ce que constataient un grand nombre de nos concitoyens.
Il n'en va plus de même depuis la décision rendue par le Conseil d'État le 11 octobre 2023 : ce dernier y a procédé à de nombreux rappels, notamment qu'« un contrôle d'identité effectué selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable, constitue une discrimination directe ».
Évoquant « un rapport du Défenseur des droits de 2019 selon lequel, notamment, les jeunes hommes "perçus comme noirs ou arabes" ont vingt fois plus de probabilité d'être contrôlés que la moyenne des individus, ainsi qu'un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance du 28 juin 2022 […] s'inquiétant de la persistance de contrôles discriminatoires et de comportements abusifs de la part des forces de l'ordre françaises », le Conseil d'État va beaucoup plus loin, estimant que, « compte tenu de l'absence de traçabilité administrative des contrôles d'identité effectués sur le territoire et de l'impossibilité qui en résulte de déterminer leur nombre et leurs motifs, l'ensemble des témoignages et rapports produits, notamment les études réalisées par le Défenseur des droits, permet de tenir pour suffisamment établie l'existence d'une pratique de contrôles d'identité motivés par les caractéristiques physiques, associées à une origine réelle ou supposée, des personnes contrôlées, qui ne peut être regardée comme se réduisant à des cas isolés ».
Les faits sont là, et, comme nous l'avons toujours dit, nier cette réalité, ce n'est pas aider et soutenir la police,…
M. Jérôme Durain. C'est vrai !
M. Guy Benarroche. … dont l'immense majorité de membres effectue son travail avec engagement, courage et probité.
Cependant, les contrôles au faciès existent et ne sont pas, hélas ! des cas isolés.
Monsieur le rapporteur, le Conseil d'État balaie les arguments qui nient la réalité de contrôles discriminatoires en s'appuyant sur le faible nombre de plaintes : « un rapport du déontologue du ministère de l'intérieur de juillet 2021 » montre « que ces données ne permettent pas de rendre compte de l'ampleur des contrôles d'identité susceptibles de recevoir une telle qualification, en raison notamment de la difficulté à en établir la preuve et de la résignation ou du manque d'information des victimes ».
Le terme « confiance », dans l'intitulé de la proposition de loi, nous paraît majeur. Les dispositions du texte pour rétablir, maintenir ou augmenter cette confiance, au travers notamment de la mise en place d'un système d'enregistrement et de traçabilité, de récépissés ou bien encore de l'enregistrement systématique par les caméras mobiles des policiers, nous semblent importantes.
Elles permettront à la fois de donner des moyens à la police, qui, trop souvent pressurée par sa direction, est encouragée dans une pratique aussi chronophage qu'inutile, et de faire savoir à l'ensemble des citoyens que leur droit à ne pas être stoppés et contrôlés de manière arbitraire, parfois répétitive et souvent discriminatoire, est mieux garanti quand ils le font valoir auprès des instances concernées.
Notre groupe votera ce texte, qui va dans le bon sens et lui permet d'exprimer une nouvelle fois sa demande constante que soient opérées les modifications nécessaires. J'en rappellerai trois : réformer l'IGPN ; modifier la doctrine du maintien de l'ordre dans les manifestations ; mieux former les forces de l'ordre. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jérôme Durain. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, chaque jour, dans nos rues, nos quartiers et nos villes, des femmes et des hommes en uniforme veillent à notre sécurité et au maintien de l'ordre. Ils interviennent dans des situations souvent complexes, parfois dangereuses, toujours essentielles.
La police de la République est un pilier de notre pacte démocratique et républicain. Elle protège les faibles, fait respecter la loi et incarne l'autorité légitime de l'État.
Mais, aujourd'hui, nous le savons, notre police manque de moyens. Elle est sursollicitée, parfois épuisée. Elle doit répondre à des urgences toujours plus nombreuses, avec des effectifs et des ressources qui, eux, ne sont pas illimités.
Dans ce contexte, chaque action compte. Chaque décision doit viser à renforcer l'efficacité de la mission première de la police : protéger la population et faire respecter les droits de tous.
À cet égard, il est temps d'ouvrir un débat lucide, serein et républicain, et il est tout à l'honneur des parlementaires de notre groupe, au premier rang desquels Corinne Narassiguin, que de nous le proposer, sur la manière dont sont employées les forces de l'ordre, notamment sur la pratique des contrôles d'identité, qui interroge de plus en plus de nos concitoyens.
Soyons clairs : il ne s'agit pas ici de remettre en cause le travail des policiers. Ce travail, nous le connaissons ; nous le respectons. Il est difficile, parfois ingrat, mais indispensable. Il ne s'agit pas non plus d'ignorer les réalités du terrain, où la vigilance est de mise. Les exemples récents d'agressions contre les forces de l'ordre parlent d'eux-mêmes.
Mais il faut entendre ce que disent certains Français, ceux qui, parfois, se sentent contrôlés non pas pour ce qu'ils font, mais pour ce qu'ils sont.
Cela pose une double question : d'efficacité d'abord, de justice ensuite.
Sur l'efficacité, de nombreuses études, y compris des rapports produits par la police elle-même, montrent que la majorité des contrôles d'identité ne débouchent sur aucune procédure. De plus, 40 % des policiers et gendarmes s'interrogent sur l'utilité de ces contrôles, puisqu'il n'y a ni infraction constatée ni délit relevé.
C'est la raison pour laquelle nous devons mettre en place une traçabilité des contrôles d'identité, laquelle permettrait de suivre les 32 millions de contrôles effectués par la police, afin d'établir si l'ensemble de ces contrôles a une réelle utilité.
Dans un contexte où chaque heure de présence policière est précieuse, où chaque patrouille compte, peut-on encore se permettre d'allouer autant de temps à une pratique dont l'utilité opérationnelle peut sembler, parfois, marginale ? Ne faut-il pas, au contraire, redéployer les moyens humains correspondants vers des missions plus efficaces – lutte contre les trafics, présence sur les points de deal, protection des victimes de violences ou encore actions de prévention auprès de la jeunesse ?
L'idée de ce que propose Corinne Narassiguin n'est pas de supprimer la totalité des contrôles d'identité : c'est d'en restreindre le caractère massif, qui entraîne forcément des dérives.
C'est là que réside le cœur de notre proposition : réaffecter une partie des ressources aujourd'hui mobilisées pour des contrôles d'identité massifs et parfois arbitraires vers des missions de proximité, d'écoute, d'action concrète, là où la police est attendue, là où elle est utile.
Cette réforme n'est pas simplement une question de stratégie : c'est aussi, profondément, une question de justice.
En effet, lorsque certains citoyens se sentent constamment suspectés et surveillés, ils finissent par douter de l'impartialité de l'institution qui les contrôle. Cette situation abîme le lien de confiance entre la population et sa police. Elle crée de la défiance, de la distance, parfois de la colère, et cette colère finit par être exploitée, conduisant à une fracture hémorragique entre la population et la police.
Or, sans la confiance, il n'y a pas d'ordre républicain durable. J'ajoute que, pour des questions de sécurité et de qualité des relations avec la population, la police doit être irréprochable ; car on ne saurait lutter contre la délinquance si on n'est pas irréprochable. Nous le savons : la majorité des policiers le sont, mais cela ne doit pas empêcher toute remise en question, comme M. le rapporteur semble vouloir le proposer.