Présidence de Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Secrétaires :

M. Jean-Michel Arnaud,

Mme Véronique Guillotin.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

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Dossier législatif : proposition de loi instaurant des réponses adaptées et proportionnées pour prévenir notamment le développement des vignes non cultivées
Article unique (début)

Prévenir le développement des vignes non cultivées

Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, instaurant des réponses adaptées et proportionnées pour prévenir notamment le développement des vignes non cultivées (proposition n° 414, texte de la commission n° 647, rapport n° 646).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée. (M. Vincent Louault applaudit.)

Mme Sophie Primas, ministre déléguée, porte-parole du Gouvernement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, en préambule, je vous prie de bien vouloir excuser Mme la ministre de l’Agriculture Annie Genevard, actuellement présente dans le Gers, aux côtés des agriculteurs.

Monsieur le président du groupe d’études Vigne et vin, cher Daniel Laurent, parler de vin en France, ce n’est pas simplement faire mention d’un produit, ni même d’une filière. C’est évoquer une culture, un patrimoine vivant qui irrigue nos territoires, nos terroirs, nos paysages, notre économie, ainsi que, reconnaissons-le, notre identité et notre art de vivre. C’est aussi rappeler le lien profond entre les Français et leurs territoires, sans oublier l’existence d’un héritage façonné au fil des siècles et d’un savoir-faire que le monde entier nous envie.

Toutefois, ce patrimoine est aujourd’hui fragilisé. En effet, la filière viticole se trouve à la croisée de plusieurs bouleversements, dont l’évolution des modes de consommation, bien sûr, mais aussi les effets du changement climatique, ainsi que les tensions sur les marchés internationaux. Autant de défis qui appellent des réponses claires, concrètes et déterminées.

Or l’un de ces défis est aussi discret que redoutable : la santé des vignes, en particulier la lutte contre certaines maladies comme la flavescence dorée, qui menace directement l’équilibre de nos vignobles.

À ce titre, je me réjouis de l’initiative du député Hubert Ott, dont la proposition de loi tend à apporter une réponse ciblée et attendue par la profession. Je salue également le rapporteur de ce texte au Sénat, M. Sebastien Pla, pour le travail rigoureux qu’il a mené. Et je n’oublie pas l’action de Daniel Laurent, qui avait abordé ce sujet au travers d’un amendement rédigé dans les mêmes termes qu’une partie du texte que nous examinons aujourd’hui.

Il s’agit, en l’occurrence, de mieux prévenir les risques liés à la présence de vignes abandonnées ou laissées en friche, qui peuvent devenir de véritables foyers infectieux.

Le droit en vigueur impose déjà aux propriétaires l’arrachage des végétaux contaminés, tout en donnant à l’État un pouvoir d’injonction en cas de manquement. Pourtant, nous constatons tous que cette obligation est fort difficile à appliquer efficacement.

Pourquoi ? Parce que les sanctions actuelles, de nature délictuelle, sont à la fois inadaptées et – admettons-le – peu appliquées. En effet, les peines encourues sont disproportionnées par rapport aux faits, avec jusqu’à six mois d’emprisonnement, et les juridictions, légitimement mobilisées sur d’autres priorités, peinent à instruire ces dossiers dans des délais compatibles avec l’urgence sanitaire.

C’est là tout l’intérêt de la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui. Celle-ci introduit une gradation dans la réponse de l’autorité publique, en privilégiant la voie contraventionnelle et la logique de coopération. Cette évolution permettra une mise en œuvre plus rapide, plus lisible et plus efficace des obligations sanitaires, sans stigmatiser les viticulteurs, qui sont les premiers à vouloir protéger leur outil de travail.

Le texte prévoit, en outre, un élargissement du dispositif à d’autres organismes nuisibles relevant des mesures de quarantaine, afin de rendre le cadre juridique plus cohérent et plus opérant, quel que soit le type de culture concerné.

Mesdames, messieurs les sénateurs, non seulement ce texte est attendu par les professionnels de la vigne, mais il s’inscrit pleinement dans une logique de simplification, de responsabilisation et, surtout, d’efficacité. Aussi, face aux enjeux sanitaires qui touchent nos filières végétales, il est de notre responsabilité collective d’adapter les outils juridiques à la simple réalité et, comme on le dit souvent au Sénat, de faire preuve de bon sens.

Le Gouvernement soutient donc résolument cette proposition de loi. Il appelle à son vote conforme. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP, RDPI, RDSE et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Sebastien Pla, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi instaurant des réponses adaptées et proportionnées pour prévenir notamment le développement des vignes non cultivées a été déposée par le député Hubert Ott. En tant que vigneron, je le remercie de son initiative et salue sa présence dans nos tribunes.

Ce texte est aussi consensuel que nécessaire. Il a été très largement adopté par l’Assemblée nationale, et je ne doute pas qu’il en sera de même ici, au Sénat, puisqu’il n’a fait l’objet d’aucun amendement, que ce soit en commission ou en séance publique.

À l’origine de ce texte, l’on trouve une demande exprimée par la profession depuis plusieurs mois, laquelle vise à promouvoir des sanctions plus aisément applicables à l’encontre des détenteurs de vignes laissées en friche et ne se conformant pas aux obligations d’arrachage édictées par le préfet dans le cadre de la lutte contre la maladie réglementée de la flavescence dorée.

Selon les estimations fournies par le ministère de l’agriculture, le volume de vignes en friche varie de quelques ares, dans les régions Bourgogne–Franche-Comté, Grand Est et Centre-Val de Loire, à plusieurs centaines d’hectares, en Auvergne-Rhône-Alpes, voire à plusieurs milliers d’hectares, dans les régions Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Dans le Beaujolais, la profession a identifié environ 700 parcelles concernées, quand leur nombre dépasse 1 900 dans un territoire qui m’est cher, le Languedoc-Roussillon.

Les raisons de ces abandons sont diverses et souvent liées aux difficultés économiques que rencontrent les exploitants, auxquelles s’ajoutent les questions de succession, donc de pérennité de l’entretien et de la culture de la vigne. C’est le cas malgré l’intervention des organismes de défense et de gestion (ODG), dont il convient de saluer la qualité du travail.

Le coût social et humain de ces abandons dépasse largement le périmètre de ce texte, puisqu’il est aussi question du devenir des territoires concernés et de ceux qui les cultivent, comme de ceux qui quittent définitivement ce magnifique métier.

La filière viticole française dans son ensemble doit faire face à l’une des plus importantes crises de son histoire, dans la mesure où cette dernière est multifactorielle.

Tout d’abord, on observe une réduction de la consommation, laquelle a baissé, en soixante ans, de 70 % et devrait continuer à décroître de 20 % au cours des dix prochaines années.

Ensuite, le changement climatique a des effets sur les récoltes.

Enfin, le contexte économique et géopolitique inflationniste se manifeste brutalement et soudainement, notamment au travers de la guerre commerciale que nous livrent Américains et Chinois en ciblant le vin, dont je rappelle qu’il est le troisième secteur contribuant le plus à la balance commerciale de notre pays.

Il convient d’accompagner cette filière d’excellence dans ces épreuves. En effet, au-delà de son poids économique, le vin est l’un des piliers de notre patrimoine culturel. Il n’est pas un produit comme les autres : il est une composante de l’art de vivre à la française qu’il convient de préserver.

Je saisis l’occasion qui m’est offerte pour vous informer que nous menons, à la demande de Mme la présidente de la commission des affaires économiques, que je remercie vivement, une mission d’information sur l’avenir de la filière viticole. Mes collègues Daniel Laurent, Henri Cabanel et moi-même en serons les corapporteurs.

Toutefois, avant cela, nous devons aborder la question des friches. Elles sont, tout d’abord, un accélérateur du risque incendie, notamment en milieu méditerranéen, où la vigne joue un rôle essentiel de coupe-feu. Leur effet visuel sur les paysages est préjudiciable au développement du tourisme, car la vigne est aussi un puissant vecteur d’image et contribue à sculpter les paysages de nos régions.

Par ailleurs, les friches peuvent entraîner un important surcoût économique pour les vignerons exploitants des parcelles contiguës aux friches. Ces derniers sont en effet obligés de multiplier les cadences des traitements préventifs, car les vignes abandonnées amplifient les risques sanitaires. Ces parcelles deviennent de puissants réservoirs pour les maladies classiques de la vigne, telles que le mildiou, l’oïdium ou le black-rot et, singulièrement, la flavescence dorée.

Cette maladie incurable, qui provoque le dépérissement de la vigne et l’effondrement de son rendement, est classée comme organisme de quarantaine au niveau européen. Elle a progressivement envahi la plupart des vignobles français depuis son apparition dans les années 1950.

Certains vignobles sont touchés de longue date, comme ceux du sud de la France, quand d’autres l’ont été plus récemment, à l’instar de la Bourgogne et de la Champagne. L’expansion de cette maladie a suivi le front de colonisation de son insecte vecteur, la cicadelle, introduit à l’époque de l’importation d’Amérique des plants résistants au phylloxéra. Elle est aujourd’hui largement présente en France et en Europe.

Les études scientifiques ont démontré de manière irréfutable que les vignes en friche constituent un foyer de contamination à la flavescence dorée pour les parcelles environnantes et, plus encore, un foyer de recontamination, susceptible de produire ses effets quelques jours seulement après le passage de traitements insecticides lourds dans les terrains voisins.

Il s’agit là d’une problématique majeure au regard des efforts considérables mis en œuvre par les organisations viticoles, en partenariat avec l’État, pour contenir l’avancée de la maladie. En effet, la transmission de vigne à vigne est rapide. Ainsi, l’on estime le coefficient multiplicateur d’une année sur l’autre à dix-huit. Dans ces conditions, de trois à quatre années suffisent à contaminer, puis à détruire totalement une parcelle, en particulier si l’on est en présence d’un variant agressif.

À la différence du mildiou ou du black-rot, la flavescence dorée fait l’objet de prescriptions de lutte obligatoire au titre de son statut d’organisme de quarantaine. Les préfets de région délimitent donc des périmètres à l’intérieur desquels des mesures de prospection, d’arrachage et d’application d’insecticide sont obligatoires. Ces mesures sont lourdes et coûteuses en temps et en argent pour les viticulteurs. Elles induisent des externalités négatives pour l’environnement, à rebours de la dynamique de sobriété engagée par toute la filière depuis des années.

La situation est sérieuse, puisque 75 % du vignoble français est situé dans le périmètre de lutte obligatoire. Passé le seuil de 20 % de ceps contaminés, une parcelle doit être totalement arrachée. En Languedoc-Roussillon par exemple, pas moins de 1 000 hectares de vignes ont été arrachés au cours des vingt dernières années.

En tant que vigneron, je conçois très bien la difficulté que représente l’arrachage de ses vignes, particulièrement dans les situations où les contaminations sont favorisées par des vignes voisines laissées en friche à proximité d’une exploitation pourtant bien conduite et entretenue.

Cette situation n’est ni acceptable ni tenable, même si j’ai conscience que les surfaces laissées en friche cachent parfois des situations humaines très difficiles. Cela a été rappelé en commission par certains de mes collègues ; je souscris totalement à leurs propos. C’est d’ailleurs pour cela que la solidarité permise par les organismes de défense et de gestion est si importante.

Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour saluer la qualité du travail des ODG, mais aussi des fédérations régionales de lutte et de défense contre les organismes nuisibles (Fredon) et des groupements de défense contre les organismes nuisibles (GDON), qui prospectent et luttent contre la flavescence dorée au quotidien.

S’il existe bel et bien une procédure pour sanctionner un propriétaire de vignes laissées en friche ne respectant pas une obligation d’arrachage, cette démarche est lourde, en raison du caractère délictuel de l’infraction. En effet, le propriétaire contrevenant encourt, en l’état actuel de la loi, jusqu’à six mois d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende, une peine totalement disproportionnée à la faute.

Cette procédure complexe est finalement peu appliquée, donc peu dissuasive. En lieu et place de celle-ci, au travers de l’article unique du texte que nous examinons, il est donc proposé un dispositif à deux étages.

Le premier consiste en la création d’une infraction contraventionnelle, beaucoup plus simple à mettre en œuvre et plus proportionnée à la nature de la faute. Ladite infraction ferait l’objet de l’amende prévue pour les contraventions de cinquième classe, soit 1 500 euros, et 3 000 euros en cas de récidive.

Le second étage consiste en la création d’un pouvoir d’injonction tendant à obliger le propriétaire à se conformer à ses obligations dans un délai imparti. Le non-respect de cette injonction demeurerait en revanche un délit, permettant ainsi de maintenir une gradation des peines.

La création de l’amende de 1 500 euros est fortement soutenue par la profession viticole, et cela depuis très longtemps. D’ailleurs, cela nous a été régulièrement rappelé en audition. La raison essentielle en est son caractère dissuasif, notamment parce qu’elle sera plus aisément prononcée qu’une sanction délictuelle. Fait suffisamment rare pour être souligné, nous avons là une proposition concrète s’inscrivant dans la simplification des procédures tant attendue par le monde agricole… (Sourires.)

À l’issue de mes échanges avec les services de l’État et les représentants de la profession, j’ai proposé à la commission des affaires économiques d’adopter ce texte, équilibré et fortement attendu, sans modification.

Une telle adoption conforme permettrait de mettre en œuvre rapidement le dispositif sur le terrain, ce qui correspond aux attentes des professionnels confrontés à la propagation de la maladie. Ces derniers souhaitent communiquer auprès de leurs adhérents le contenu de cette modification législative, de manière à inciter les propriétaires de vignes en friche à les arracher.

Cette proposition de loi ne suffira bien évidemment pas à régler le problème posé par la flavescence dorée, mais elle donnera aux acteurs un outil utile dans la longue et difficile lutte contre la maladie, de même que contre de nombreuses autres, qui trouvent dans les vignes en friche un milieu particulièrement favorable.

Au-delà de l’assouplissement, certes important, du régime de sanction, il conviendra de s’interroger sur le devenir du foncier libéré par les campagnes d’arrachage. Il y va du devenir de nos paysages et des propriétaires exploitants.

Avec l’examen en procédure accélérée de cette proposition de loi et la perspective d’un vote conforme, le Gouvernement, le Sénat et l’Assemblée nationale font la démonstration collective qu’il est possible de simplifier les choses de manière rapide et pragmatique, en l’occurrence dans l’intérêt des agriculteurs et de la viticulture française. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Laurent.

M. Daniel Laurent. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite, à cette tribune, exprimer à mon tour mon plein soutien à la proposition de loi de notre collègue député Hubert Ott.

Derrière sa technicité apparente, ce texte répond à une problématique très concrète, très présente dans nos territoires viticoles et souvent signalée par les élus locaux, les syndicats viticoles et les professionnels eux-mêmes : les vignes abandonnées et des risques qu’elles font peser sur la santé des vignobles environnants.

Le constat est partagé : dans de nombreuses régions viticoles, des parcelles entières sont laissées à l’abandon. Les causes sont multiples : départ à la retraite sans repreneur, difficulté économique, morcellement foncier, éloignement des héritiers, perte d’intérêt pour la vigne en tant que patrimoine vivant.

Néanmoins, ces vignes délaissées ne sont pas seulement le symptôme d’une désaffection ou d’une mutation en cours. Elles deviennent une menace sanitaire active, un véritable foyer de contamination pour les parcelles voisines, entretenues, elles, avec soin.

Je pense notamment à la flavescence dorée, maladie de quarantaine, classée en tant que telle au niveau européen et transmise par la cicadelle, qui peut dévaster des vignobles entiers si elle n’est pas détectée et traitée rapidement. Face à cette menace, les viticulteurs doivent intervenir au moyen de traitements lourds, coûteux et, souvent, phytosanitaires, dont l’efficacité est directement compromise par la simple présence de parcelles non entretenues à proximité.

Pourtant, les viticulteurs sont aujourd’hui seuls en première ligne. Ils surveillent, ils traitent, ils investissent, ils respectent les arrêtés préfectoraux et font preuve d’un grand sens des responsabilités. Mais ils doivent aussi composer avec l’inaction de certains propriétaires, parfois négligents, parfois absents, parfois simplement mal informés, sans qu’aucun outil leur permette de réagir efficacement.

C’est tout l’intérêt de cette proposition de loi, qui vise à instaurer un outil simple, proportionné et, enfin, applicable, pour sanctionner l’abandon manifeste des vignes lorsque celui-ci constitue un danger sanitaire avéré.

Aujourd’hui, le code rural et de la pêche maritime prévoit une peine de six mois d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. Avouons-le, elle est inapplicable et jamais mobilisée, car elle est trop lourde, trop longue à mettre en œuvre et, dans les faits, décourageante pour l’administration elle-même.

Le texte crée donc une contravention de cinquième classe, punie de 1 500 euros d’amende, qui peut être prononcée rapidement et assortie d’une injonction de mise en conformité. En cas de récidive ou d’inaction persistante, la sanction pénale redevient possible. Ce système gradué est plus adapté, plus lisible et, surtout, plus dissuasif au regard de la réalité du terrain.

Je salue, à cet égard, le travail de notre collègue rapporteur, Sebastien Pla, qui a rappelé la teneur des auditions qu’il a menées, et me réjouis du consensus trouvé en commission des affaires économiques. Celle-ci a adopté ce texte sans modification, signe de son caractère équilibré.

En tant que président du groupe d’études Vigne et vin du Sénat, j’avais moi-même proposé des amendements en ce sens, comme l’a rappelé Mme la ministre. En effet, le problème ne date pas d’hier : nous avons tous été alertés par des maires, des présidents de syndicats d’appellation ou des membres de chambres d’agriculture. Tous décrivent la même impuissance administrative face à l’abandon des vignes.

Ce texte constitue donc une avancée concrète, qui dote l’État et les acteurs locaux d’un outil opérationnel supplémentaire. Mais il faut le dire clairement : il ne règle pas tout.

L’abandon des vignes est le symptôme d’un mal plus profond. La viticulture française traverse une phase d’instabilité inédite. Elle subit une baisse de la consommation intérieure, en particulier chez les jeunes générations. Elle doit répondre à des exigences environnementales croissantes, parfois sans accompagnement suffisant. Elle est confrontée à une forte concurrence à l’export et à une complexification des normes. Surtout, le modèle de la petite exploitation familiale, qui a façonné nos paysages viticoles, est aujourd’hui fragilisé.

C’est tout l’objet de la mission d’information sur l’avenir de la filière viticole, dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur, aux côtés de mes collègues Henri Cabanel et Sebastien Pla. Cette mission, qui vient d’entamer ses travaux, témoigne d’une grande ambition : établir un diagnostic approfondi et proposer des recommandations concrètes. À n’en pas douter, les auditions menées nourriront utilement notre réflexion législative, ainsi que sur les mesures d’accompagnement nécessaires.

Alors que la viticulture est en pleine mutation, il faut apporter des réponses concrètes. Avec mes deux collègues, nous devrons avoir le courage d’écouter, mais aussi de formuler des propositions, quitte à ce que celles-ci décoiffent par leur radicalité. C’est indispensable pour atteindre notre objectif.

Sanctionner l’abandon est nécessaire, mais ne suffit pas. Il faut également encourager la transmission, la reprise et la remise en culture. Il faut outiller les collectivités pour qu’elles accompagnent les projets de reprise, facilitent le portage foncier, favorisent les baux ruraux environnementaux à clauses environnementales (BRE) et promeuvent, ce qui est le plus important, l’installation de jeunes viticulteurs.

La société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), les chambres d’agriculture, les interprofessions ont des solutions : les bourses foncières, le remembrement, le portage temporaire, les aides à l’installation ou encore les incitations fiscales à la cession. Ces outils doivent être renforcés, rendus plus accessibles, plus visibles pour les propriétaires et plus simples dans leur mise en œuvre.

Puisque nous parlons ici de la flavescence dorée, n’oublions pas que lutter contre cette maladie implique une politique nationale coordonnée. La recherche doit être mobilisée sur les solutions de rechange aux traitements phytosanitaires, sur la surveillance biologique, sur la sélection de cépages plus résistants et sur la formation des viticulteurs.

Il est temps de mieux organiser la réponse sanitaire et de mobiliser les moyens de l’État et des interprofessions. Il est temps de donner aux viticulteurs des outils pour s’adapter, dans un esprit de transition écologique maîtrisée, et non subie.

Mes chers collègues, ce texte est modeste en apparence, mais il permet d’émettre un véritable message de responsabilité.

Il nous rappelle que le patrimoine viticole, comme vous l’avez dit, madame la ministre, est un bien collectif qui mérite protection. Il nous rappelle que la santé des vignes ne peut reposer sur l’abnégation de quelques-uns, quand d’autres la compromettent par négligence. Il nous rappelle aussi que le droit peut être plus agile, plus lisible et plus efficace sans renoncer à nos principes.

Je voterai donc sans réserve cette proposition de loi, parce qu’elle répond à une urgence du terrain, parce qu’elle protège ceux qui travaillent et parce qu’elle s’inscrit dans une vision plus large, que nous portons au sein de la mission d’information sur l’avenir de la viticulture : celle d’une viticulture durable, vivante, enracinée et solidaire, alors qu’elle est très malmenée dans le contexte géopolitique actuel. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, véritables trésors de notre patrie et de ses paysages, les vignes sont pour les Français comme l’étoile au maillot : une fierté nationale ! (Sourires.)

Pourtant, de nombreuses parcelles de vignes sont aujourd’hui laissées à l’abandon, et ce pour diverses raisons. La prévention du développement des vignes non cultivées est donc un sujet important.

Vu l’urgence de la situation, nous n’avons pas de temps à perdre, car, dans nos territoires, les vignes abandonnées se multiplient. Elles ne sont pas seulement le symptôme d’une filière en difficulté : elles constituent une menace directe pour les vignes voisines. En effet, les vignes abandonnées favorisent la propagation de la flavescence dorée, une maladie extrêmement virulente.

Détectée en France dans les années 1950, elle se propage par la cicadelle scaphoideus titanus, un insecte ravageur qui trouve refuge dans les vignes abandonnées. Feuilles décolorées, grappes desséchées, rameaux mal aoûtés : les ravages causés par la flavescence dorée sont multiples, et la mort de la souche devient inéluctable si rien n’est fait, causant ainsi la perte des récoltes et une diminution non négligeable des rendements.

Pis encore, ces vignes non entretenues représentent des foyers de contamination et de véritables menaces pour les exploitations voisines.

En effet, elles deviennent des réservoirs d’agents pathogènes, ce qui impose de traiter régulièrement les parcelles proches situées dans les zones concernées par la lutte obligatoire, afin de prévenir leur contamination. Cette situation suscite un recours accru aux insecticides, ce qui va à l’encontre des objectifs fixés en matière de réduction des produits phytosanitaires et de protection de la biodiversité.

Autant de raisons qui justifient la lutte contre la prolifération de la flavescence dorée, néfaste et coûteuse pour nos viticulteurs.

Cette maladie incurable, que l’on pourrait qualifier de phylloxéra du XXIe siècle, fait déjà l’objet de mesures destinées à lutter contre sa propagation, à l’échelle de l’Union européenne comme au niveau national, au travers des dispositions du code rural et de la pêche maritime. Néanmoins, force est de constater que le nombre de parcelles de vignes abandonnées continue d’augmenter.

Face à cette réalité, la proposition de loi que nous examinons apporte une réponse pragmatique, proportionnée et opérationnelle.

Il s’agit de mettre en place une contravention de cinquième classe, d’un montant de 1 500 euros, pour les propriétaires de vignes laissées en friche qui n’auraient pas procédé à l’arrachage malgré une mise en demeure préalable.

Cette contravention s’appliquerait à chaque parcelle concernée, selon une logique de proportionnalité et de gradation, en amont des sanctions pénales prévues par le droit en vigueur. Contrairement à l’actuelle peine délictuelle de six mois d’emprisonnement complétée d’une amende pouvant atteindre 150 000 euros, l’article unique tend à créer une mesure réellement dissuasive, bien plus claire et, surtout, applicable immédiatement.

Les dispositions de l’article L. 251-20 du code rural et de la pêche maritime sont inappliquées dans les faits et complexes à mettre en œuvre. Voilà pourquoi ce nouveau dispositif d’amende contraventionnelle pour non-respect de l’obligation de l’arrachage de vigne sera bien plus utile et efficace pour lutter contre la prolifération de la flavescence dorée.

Voilà qui renforce les moyens de contrôle tout en apportant une réponse ciblée et graduelle, permettant de traiter au cas par cas les atteintes à la loi. Autrement dit, il s’agit de sanctionner simplement, de façon juste et adaptée, pour viser ceux qui ne respectent ni les règles ni leurs voisins de parcelles.

Mes chers collègues, ce texte est le fruit d’un large consensus politique, ce que je tiens à saluer. Je remercie le rapporteur de la qualité de son travail.

Toutefois, si la cible des auteurs de ce texte est bel et bien atteinte, l’examen de cette proposition de loi constitue pour moi l’occasion d’aborder l’avenir de notre filière viticole.

Depuis plusieurs années, le secteur est confronté à plusieurs crises mêlant la baisse tendancielle de la consommation, les aléas et les conséquences du dérèglement du climat, les maladies multiples, la concurrence féroce et, désormais, les tensions commerciales internationales, notamment du fait de l’administration de Donald Trump. Voilà autant de facteurs qui pèsent lourdement sur les épaules de nos viticulteurs.

Dans la Drôme, le phénomène est criant. Les dégâts progressent et les conséquences en sont déjà visibles, notamment dans mon canton du Diois, où la clairette de Die, produit emblématique de notre territoire, traverse une crise grave. Elle souffre en effet de la baisse de la consommation et de la concurrence des autres vins mousseux, à l’instar du prosecco.

Dans ce contexte, certains exploitants explorent des pistes nouvelles, comme la production de clairette rosée, tandis que d’autres restructurent leur vignoble. Or cela coûte cher, et les aides à l’arrachage, qui peuvent atteindre jusqu’à 4 000 euros par hectare, sont indispensables.

Les difficultés rencontrées par les viticulteurs sont nombreuses et exigent un accompagnement de tous les instants. Alors que les crises s’accumulent, il nous revient de limiter les dégâts.

Tel est l’objectif de ce texte qui, au-delà de son utilité pour combattre une maladie, représente un véritable appel à la responsabilité collective et un levier pour préserver la qualité, la réputation et la santé de nos vignobles.

C’est pourquoi, en toute cohérence, notre groupe le votera, car il donne aux pouvoirs publics des outils simples et efficaces afin de préserver le patrimoine viticole, l’environnement et l’économie rurale de nos territoires.

Un vote conforme de notre assemblée devrait permettre l’entrée en vigueur rapide de ce texte très attendu. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour en assurer vite la publication. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC, ainsi quau banc des commissions. – M. Vincent Louault applaudit également.)