Présidence de Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Secrétaires :

M. Bernard Buis,

M. Fabien Genet.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Conventions internationales

Adoption en procédure d'examen simplifié de trois projets de loi dans les textes de la commission

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle l'examen de trois projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l'approbation de conventions internationales.

Pour ces trois projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d'examen simplifié.

Je vais donc les mettre successivement aux voix.

projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république du suriname

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Suriname, signée à Paris le 15 mars 2021 (ensemble un avenant signé à Paramaribo le 2 juin 2023), et dont le texte est annexé à la présente loi.

Mme la présidente. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi (projet n° 553, texte de la commission n° 751, rapport n° 750).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l'adoption de ce texte.

(Le projet de loi est adopté.)

projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république de chypre sur la coopération lors des opérations d'évacuation à partir de la région du moyen-orient via le territoire de la république de chypre dans le cadre d'une situation de crise

Article unique

Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d'évacuation à partir de la région du Moyen-Orient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d'une situation de crise, signé à Paris le 9 septembre 2022 et dont le texte est annexé à la présente loi.

Mme la présidente. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi (projet n° 345, texte de la commission n° 728, rapport n° 727).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l'adoption de ce texte.

(Le projet de loi est adopté.)

projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale du 28 mai 1996 entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république fédérative du brésil

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l'approbation de l'avenant à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale du 28 mai 1996 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil, signé à Brasilia le 28 mars 2024, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Mme la présidente. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi (projet n° 629, texte de la commission n° 753, rapport n° 752).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l'adoption de ce texte.

(Le projet de loi est adopté.)

2

 
Dossier législatif : projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024
Article liminaire

Résultats de la gestion et approbation des comptes de l'année 2024

Rejet définitif en procédure accélérée d'un projet de loi

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024 (projet n° 718, rapport n° 743).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, comme j'ai eu l'occasion de le faire en commission des finances la semaine dernière, je vous présente aujourd'hui le projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024 (PLRGAC).

Nous vous présentons un texte qui constate le passé, un texte technique, à vocation comptable, mais essentiel, car il traduit la réalité des choses et nous permet de rendre compte des résultats de la gestion.

Il y va du devoir de l'exécutif auprès de la représentation nationale, et plus généralement du devoir de l'État auprès des citoyens, qui sont également des contribuables, de tenir les objectifs que vous, parlementaires, avez fixé dans la loi de finances et d'en rendre compte.

Ce constat permet en particulier d'apprécier l'impératif de redressement de nos finances publiques. Il est nécessaire de regarder le présent et le passé récent pour préparer l'avenir. Notre objectif, d'ici à 2029, est simple : une France souveraine et toujours libre de choisir sa voie, qui cesse donc d'augmenter sa dette.

Ce projet de loi n'est rien d'autre qu'un constat comptable, partagé, qui doit nous permettre de nous tourner ensemble vers l'avenir et vers les décisions que nous avons à prendre en tant que Nation. Il constitue donc un prérequis du débat budgétaire qui se tiendra à l'automne.

Son équivalent a été rejeté ces trois dernières années, alors même qu'il me semble représenter une étape incontournable pour retrouver une gestion politique apaisée. Je tiens à vous dire combien je regrette que ce projet de loi ait de nouveau été rejeté à l'Assemblée nationale il y a deux semaines sans débat, ainsi que par votre commission des finances la semaine dernière.

Concrètement, que nous apprend ce texte ? Il montre que la gestion 2024 s'est distinguée par de très nombreux aléas et par une très forte activité de régulation budgétaire tout au long de l'année, afin de corriger la trajectoire et d'abaisser la dépense de l'État par rapport au plafond défini en loi de finances initiale (LFI). En particulier, un décret d'annulation a été pris en février 2024 et des plafonds de dépenses ministérielles inférieurs aux crédits disponibles ont été instaurés, accompagnés d'un surgel à l'été.

Enfin, la fin de la gestion 2024 a été marquée par la préparation inédite de l'année 2025, laquelle a commencé sous le régime des services votés, avec l'adoption de la loi spéciale.

Sur le plan politique, chacun est fondé à formuler des hypothèses sur ce qu'auraient pu ou dû être les décisions en 2024 – la commission des finances du Sénat a d'ailleurs conduit des travaux sur le sujet. Cependant, si la dégradation fut réelle, l'effort en gestion sur les dépenses de l'État le fut également. Après avoir tiré le bilan de 2024, nous devons désormais regarder vers l'avenir en tirant les leçons de ce qui s'est produit au cours de ces années très mouvementées, avec des hausses puis des baisses de l'inflation et la flambée des prix de l'énergie.

Surtout, je souhaite vous le dire très solennellement : nous devons travailler non seulement sur 2026, mais bien jusqu'à 2029, échéance que nous nous sommes fixée pour ramener le déficit sous les 3 %. Autrement dit, cette année est celle à partir de laquelle nous devons cesser d'augmenter notre dette. Sans redressement de nos comptes – je le dis ici avec force –, il n'y a pas de souveraineté durable pour notre pays. Telle est bien la menace qui pèse sur nous : la perte de notre indépendance.

Les chiffres présentés dans ce texte posent le constat de la gravité de la situation des finances publiques à l'issue de l'année 2024. Le déficit s'est établi à 5,8 % du PIB, soit un niveau légèrement inférieur à la prévision de fin de gestion de 6 %, mais bien supérieur aux 4,4 % prévus en loi de finances initiale, ce qui constitue une entorse à la loi de programmation des finances publiques 2023-2027.

Cet écart étant supérieur à 0,5 point de PIB, il a été qualifié d'important par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), au titre de l'article 62 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). Conformément aux dispositions du même article, le Gouvernement présente dans ce projet de loi les raisons de cet écart entre la prévision et l'exécution, et indique surtout les mesures de correction envisagées pour y remédier.

L'analyse de l'exécution, largement commentée, est par ailleurs développée dans l'exposé général des motifs ; je ne m'y étendrai pas.

À la suite des crises, notre économie a connu des évolutions structurelles inattendues et reste exposée à de très forts aléas, notamment exogènes, nous le constatons de nouveau cette année.

Des éléments techniques sont également intervenus, en particulier sur les recettes, avec une élasticité très faible par rapport au PIB. Autrement dit, en 2023, puis en 2024, quand le PIB augmentait de 1 %, les recettes, qui augmentent usuellement dans les mêmes proportions, n'ont crû que de 0,4 % puis de 0,6 %, ce qui a entraîné une forte dégradation du déficit.

En revanche s'agissant des dépenses de l'État, l'exécution, c'est-à-dire la dépense réelle, a été inférieure de 7 milliards d'euros par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale, avec 484 milliards d'euros dépensés contre 492 milliards budgétés.

Pour 2025, nous avons engagé, grâce à vous et à votre soutien, un effort courageux de redressement de nos finances publiques, en nous fondant sur le budget de compromis forgé par la commission mixte paritaire. Ce compromis vous rend d'autant plus exigeants que l'engagement du Parlement a été très important pour y parvenir, et nous nous tenons prêts, actifs et engagés, pour honorer en 2025 ce budget, ces mesures et ces dépenses que vous avez soutenus.

C'est tout le sens de la nouvelle méthode de transparence et de réactivité que nous avons partagée avec vous lors du premier comité d'alerte, en avril. Celui-ci se réunira de nouveau ce jeudi 26 juin ; à cette occasion, nous vous présenterons tous les éléments à notre disposition sur la réalité des dépenses et des recettes, afin de maintenir avec vous un dialogue nourri qui pourra se poursuivre dans les semaines à venir.

Plus précisément, nous cherchons à tenir l'objectif de 5,4 % de déficit fixé par le Premier ministre, lequel est à la fois impératif, ambitieux et atteignable. Nous avons déjà mis en place une gestion renforcée ; nous avons réduit de moitié les reports de crédits ministériels ; nous avons instauré une réserve de précaution de plus de 8,7 milliards d'euros et une nouvelle réserve de 1,1 milliard d'euros a également été intégrée dans l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) ; nous avons réduit nos dotations en fonction des trésoreries disponibles. Nous cherchons avant tout à ce que l'euro public soit un déclencheur, plutôt qu'une dépense reconduite par habitude.

En somme, notre ligne tient en une phrase : la dépense publique ne peut plus être automatique.

Face aux nouveaux aléas géopolitiques, économiques et financiers, la prévision de croissance pour 2025 a été révisée à la baisse, à 0,7 % au lieu de 0,9 %, et même de 1,1 % lorsque le Gouvernement a pris ses fonctions.

En conséquence, nous avons pris, en avril dernier, de nouvelles marges de prudence pour 2025, avec 5 milliards d'euros de mesures, qu'il s'agisse d'annulations ou de mises en gel, c'est-à-dire des dépenses que nous ne nous autoriserons à engager que si les circonstances macroéconomiques s'améliorent. Vous le constatez, par rapport à 2024, nous sommes passés à une gestion et à des réactions plus rapides et plus transparentes, qui sont partagées dans le cadre de cette structure d'alerte, dont la vertu est d'abord de vous donner la pleine vision de ce que nous savons et de ce que nous décidons.

Je termine en affirmant que nous assumons ainsi nos responsabilités pour tenir les objectifs de finances publiques de la loi de finances initiale et, plus généralement, pour revenir sous la barre des 3 % à l'horizon 2029.

Nous nous attachons à mieux anticiper les aléas et les risques dès la gestion, dont la complexité nous impose une amélioration continue de notre pilotage. Nous y associons toutes les parties prenantes, les gestionnaires publics, mais aussi vous-mêmes, en premier lieu. En effet, cette prérogative démocratique est attachée à celle dont jouit le Parlement d'évaluer l'action du Gouvernement et, plus généralement, s'agissant de nos finances publiques, l'efficacité de nos dispositifs.

Il s'agit là d'un enjeu majeur de ce projet de loi d'approbation des comptes, lequel alimente le débat nourri qui nous permettra aussi de préparer, dès maintenant, les premières orientations pour le budget 2026.

Ce dernier devra être construit dans cet esprit : il ne s'agit pas de faire moins, mais de faire mieux, de mettre les bons moyens au bon endroit, de réorganiser la structure publique, les agences, les opérateurs et les ministères. En bref, il s'agit de mieux servir les Français et de nous souvenir que rien de ce que nous faisons ne repose sur autre chose que sur leur consentement à l'impôt et sur leur attente d'un service public qui réponde à leurs priorités. (Mme la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, ainsi que MM. Marc Laménie, Vincent Capo-Canellas et Stéphane Fouassin, applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l'exercice budgétaire 2024 de notre pays a déjà fait couler beaucoup d'encre, et pour cause : il pourrait rester dans les annales comme l'exemple parfait de la mauvaise gestion budgétaire.

Commençons par le plus évident. Après avoir enregistré en 2023 le niveau de déficit le plus élevé de la Vᵉ République hors période de crise, notre pays a battu un triste record en 2024 avec un déficit historique de 5,8 % du PIB. Loin d'avoir été prévu en loi de finances initiale, ce déficit doit être rapporté à la prévision de 4,4 points de PIB présentée lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF). Il s'agit donc d'un écart de 1,4 point de PIB par rapport à la prévision, soit environ 41 milliards d'euros, qu'aucune crise ne justifie.

Signe de la gravité de la situation, les deux chambres du Parlement se sont saisies du sujet et ont créé, au Sénat, une mission d'information et, à l'Assemblée nationale, une commission d'enquête pour comprendre les raisons de ce que l'on peut appeler non plus un dérapage, mais plutôt une plongée en eau profonde.

Les facteurs de celle-ci sont multiples, et j'en pointerai trois que nous avons déjà soulignés : premièrement, un effet du dérapage de 2023 sur l'année 2024 qui, contre toute attente, n'a pas été anticipé par le gouvernement de l'époque, dont la communication était on ne peut plus rassurante ; deuxièmement, des prévisions de croissance pour 2024 optimistes, doublées d'erreurs sur la composition de cette croissance ; troisièmement, et surtout, un aveuglement et un manque de volonté politique pour redresser la situation, et ce, jusqu'à l'épisode de la dissolution de 2024.

Quatre gouvernements se sont succédé en 2024. Il a fallu attendre le mois de septembre et le gouvernement dirigé par Michel Barnier, puis l'actuel gouvernement dirigé par François Bayrou, pour avoir enfin le sentiment que la gravité de la situation budgétaire de notre pays était prise au sérieux.

Le déficit budgétaire de l'État pour 2024 s'élève à 155,9 milliards d'euros. Je rappelle que la moyenne de la décennie 2010-2019 se situait sous la barre des 100 milliards d'euros. Un seuil de 150 milliards d'euros est à cet égard absolument considérable. Imaginez, par exemple, que même en supprimant, comme par magie, l'intégralité des dépenses de l'enseignement et des armées, le budget resterait déficitaire.

Ce qui saute aux yeux lorsque l'on examine les séries historiques et les comparaisons européennes, ce n'est pas le dérapage des comptes publics au moment du covid, lequel est classique en période de crise et commun à l'ensemble de l'Europe, mais bien l'extrême lenteur de la décrue du déficit qui a suivi. Après la crise financière de 2009 et 2010, la pente avait été remontée beaucoup plus vite.

Ma conviction demeure donc que les précédents gouvernements ont été perfusés de façon continue au déficit public et ont dangereusement anesthésié les Français ; ils ont ainsi vécu dans l'illusion que tout allait bien et qu'il n'y avait pas de problème : ils fonçaient dans le mur en souriant, comme le ravi de la crèche.

Les auditions que nous avons menées auprès des principaux responsables politiques de l'exercice 2024 – j'insiste, madame la ministre, sur le mot « responsables » – ont été éloquentes à cet égard : « ce n'est pas moi », « tout va bien », « j'ai tout bien fait », a-t-on entendu. Tous fonçaient dans le mur en niant l'évidence de comptes publics à la dérive.

L'exercice 2024 est, à cet égard, le dernier avatar d'une gestion budgétaire menée depuis 2017, laquelle se trouve aux antipodes de ce qu'il faut faire. Elle se résume en deux chiffres : depuis 2017, les dépenses de l'État, retraitées de l'inflation, ont augmenté de 10,5 % tandis que, dans le même temps, les recettes de l'État diminuaient de plus de 8 %.

Souvenez-vous, en 2019, notre déficit public était de 3 %. Depuis lors, les recettes de l'État se sont effondrées et les dépenses ont explosé. Nul besoin d'avoir fait HEC pour comprendre que la poursuite d'une telle trajectoire nous mène dans le mur !

Il ne faut donc pas opposer ceux qui estiment que la dégradation provient de la baisse des recettes et des impôts, et ceux qui affirment qu'elle résulte de la hausse des dépenses. Elle est factuellement, et malheureusement, la résultante de ces deux mouvements parfaitement antagonistes.

Loin d'adapter les dépenses au niveau des recettes, l'État a fait l'inverse. Ainsi, aujourd'hui, pour 1 euro de recette, l'État dépense plus de 1,5 euro. Cherchez l'erreur !

Les fautes de l'exercice budgétaire 2024 sont de tous ordres. Les recettes ont été fortement surestimées en loi de finances initiale, sans d'ailleurs que le Gouvernement puisse en justifier la prévision. L'impôt sur les sociétés, en particulier, a rapporté 57 milliards d'euros au lieu des 72 milliards d'euros attendus, un chiffre exagéré et dénué de fondement économique.

Les dépenses n'ont baissé que grâce à un fait unique : la disparition progressive des boucliers tarifaires mis en place à juste titre pendant la crise inflationniste.

Les dépenses de masse salariale, en particulier, sont totalement hors de contrôle et font un véritable bond de 6,6 milliards d'euros en 2024, sous l'effet conjugué de mesures catégorielles que je qualifierais presque d'inconscientes et d'une très forte hausse des effectifs : plus 6 700 équivalents temps plein (ETP) en 2024. Songez que la loi de finances initiale pour 2024 a été promulguée onze jours seulement après une loi de programmation des finances publiques qui, elle, fixait comme objectif la stabilité des emplois. Quelle incohérence ! Là encore, cherchez l'erreur.

Malgré cette dérive des recettes et des dépenses constatée tout au long de l'année 2024, aucune mesure de redressement n'a été prise. Le décret d'annulation, dont certains se vantent, d'un montant effectivement historique de 10 milliards d'euros, paraît dès le 21 février ; pour autant, de manière totalement absurde, 16 milliards d'euros de reports de crédits de 2023 sur 2024 viennent, le mois suivant, plus que compenser cette réduction.

Surtout, et nous ne le dirons jamais assez, le Gouvernement a failli en ne présentant pas de projet de loi de finances rectificative (PLFR) en cours d'année. Tout cela a abouti au résultat que l'on sait.

Alors, madame la ministre, tâchons au moins de tirer les bonnes leçons de cet exercice 2024, que je qualifierai de calamiteux.

Celles-ci me paraissent claires : premièrement, les prévisions de croissance doivent être raisonnables et mieux intégrer les prévisions des économistes ; deuxièmement, les prévisions de recettes fiscales ne doivent pas se fonder sur des élasticités déraisonnables, sans rapport avec la réalité économique du pays ; troisièmement, il doit être mis fin à la pratique des reports, et je reconnais sur ce point les avancées importantes du gouvernement dont vous faites partie ; quatrièmement, les mesures de régulation budgétaire ne doivent pas faire l'économie d'un PLFR si la dégradation de la situation budgétaire le justifie ; cinquièmement, enfin, le Gouvernement doit travailler en toute transparence avec le Parlement et les Français.

Sur ce dernier point, je constate, hélas, que le compte n'y est pas. Comme cela vous a été dit en commission des finances, les Français ont besoin d'entendre le Gouvernement et de comprendre les raisons de cette dégradation historique. Ils ont besoin qu'on leur explique à cause de qui et pourquoi nous en sommes arrivés là.

À cet égard, le titre de l'exposé des motifs du présent projet de loi résonne comme une provocation – nous pourrions presque en sourire si la situation n'était pas tragique – : « Un résultat s'inscrivant dans une trajectoire de redressement des comptes publics et s'appuyant sur un pilotage renforcé de la dépense ». Il s'agit bien de l'année 2024 ! C'est le retour du ravi de la crèche...

Vous ne serez donc pas étonnée, madame la ministre, que malgré ce « résultat s'inscrivant dans une trajectoire de redressement », au regard de l'ensemble des éléments que je viens d'exposer, la commission des finances du Sénat propose de rejeter le projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024.

Je forme le vœu sincère que l'exécution 2025 nous permettra enfin de retrouver une gestion à la fois rigoureuse, plus saine et plus sereine. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous traversons sans doute un moment critique au regard de l'état du monde, des conflits, des guerres et des difficultés. La question du redressement des finances publiques et de la capacité de la France et de l'Europe à agir et à faire face à toutes ces crises se pose avec une acuité particulière.

Nous examinons aujourd'hui les comptes de l'année 2024, qui fut atypique à plus d'un titre. Elle fut d'abord marquée par une succession baroque d'événements et de crises politiques : la dissolution, le gouvernement intérimaire, la censure.

D'un point de vue budgétaire, il est regrettable, comme M. le rapporteur général vient de le souligner, que n'ait pas été présentée de loi de finances rectificative dès le printemps, alors même que les recettes ne semblaient déjà pas être au rendez-vous.

Il convient de rappeler, parallèlement, les mesures prises en gestion dès le mois de février, qui se sont traduites par plus de 7 milliards d'euros d'économies au moyen de gels et d'annulations de crédits. Nous estimons cependant que le Parlement aurait dû être associé à cette démarche, qu'un débat aurait dû avoir lieu à ce sujet et que, plutôt que la dissolution, mieux valait tenter le compromis politique.

Pouvions-nous agir différemment à l'époque ? Sans doute. Fallait-il un PLFR ? Bien sûr ! Était-il envisageable d'obtenir un vote positif ? Nul ne le sait.

L'exercice 2024 fut largement catastrophique dans son résultat et l'ampleur du dérapage a été abondamment détaillée dans les travaux de la commission des finances. Le déficit, chacun s'en souvient, s'est établi à 5,8 % du PIB, bien loin des 4,4 % prévus par la loi de finances initiale. Les restes à payer ont doublé depuis 2018 ; vous avez pris des mesures correctives sur ce point. L'impact de la dissolution a, bien entendu, affaibli nos finances, tout comme celui de la censure, même si cette dernière a surtout pesé sur l'exercice 2025.

Le groupe Union Centriste ne votera pas ce projet de loi ; sa très grande majorité s'y opposera même. Le voter reviendrait à donner quitus d'une succession d'erreurs, jusqu'à la censure, qui ont coûté fort cher.

À l'heure où nous nous réunissons, d'autres inquiétudes pointent. Nous mesurons combien les résultats du conclave sur les retraites, par exemple, sont attendus. Nous avons conscience de l'ensemble des périls. La question du cours du pétrole, entre autres, pèsera sur la croissance de demain.

La leçon pour 2025 est d'abord qu'il nous faudra veiller, autant que nous le pourrons, à la stabilité et que chaque formation politique de gouvernement devra accepter des compromis. C'est la démarche que nous avons adoptée pour le PLF pour 2025 jusqu'à la commission mixte paritaire, qui a vu chacun faire des concessions. Cela doit nous inspirer pour le prochain budget. Mme la ministre a d'ailleurs rappelé la réunion de jeudi. Cette initiative va dans le bon sens.

Ma conviction est qu'il faut viser le rétablissement de nos comptes, mais également, au-delà de la seule logique comptable, préserver la croissance. Il nous faut marcher sur ces deux pieds, sans quoi nous n'aurons pas d'avenir. Le rétablissement de nos comptes passe aussi par le retour de la croissance ; nous devons veiller à ne pas l'entraver.

La recette n'est pas simple ; elle passe par des choix de sélectivité dans les politiques publiques, à l'image de ce que nous savons faire dans nos collectivités locales lorsque nous redressons une situation de grande difficulté, ce qui, hélas, arrive.

Au-delà, des questions de fond doivent être traitées : le décrochage de l'Europe en matière d'innovation et d'investissement, ou encore le poids des charges salariales, qui provoque aujourd'hui notre perte de compétitivité.

Je me trouvais au salon du Bourget la semaine dernière, où des industriels nous ont rappelé que, pour leurs prochains grands projets, la tentation est grande d'investir hors d'Europe, en raison de contraintes jugées trop fortes et de charges parfois trop lourdes.

Nous nous trouvons à un moment critique, mais nous aurons tous à cœur de faire œuvre utile. (Applaudissements sur les travées des groupes UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de règlement engage une conception de la démocratie budgétaire : il scelle, pour le Parlement, un jugement sur la sincérité du Gouvernement, sur sa méthode, et plus encore, sur la crédibilité du récit économique que celui-ci persiste à tenir.

Les faits, eux, sont têtus. Le déficit public s'établit à 5,8 % du PIB, soit 1,4 point au-delà de la prévision votée. Derrière cette défaillance se cache une double responsabilité : celle de s'être lourdement trompé… ou celle d'avoir volontairement trompé.

Si une collectivité territoriale avait présenté de tels écarts entre son budget primitif et son compte administratif, elle aurait été mise sous tutelle par le préfet ; la ministre elle-même en a convenu en commission.

Ce dérapage budgétaire marque aussi l'échec d'une politique économique qui s'est obstinée à croire en la théorie du ruissellement – nous n'en entendons plus parler ! –, selon laquelle les cadeaux fiscaux consentis au capital devaient créer mécaniquement l'emploi, la croissance et l'équilibre budgétaire. Nous en attendons toujours les résultats : 155,9 milliards d'euros de déficit, 12,6 milliards d'euros manquants par rapport à vos propres objectifs, une dette qui dépasse 2 600 milliards d'euros et un service de la dette de près de 50 milliards d'euros cette année, appelé à grimper à 69 milliards d'euros en 2027.

Face à ces résultats, le Gouvernement aurait pu choisir la vérité, la correction, le débat. Il a préféré l'évitement : pas de collectif budgétaire, pas de débat parlementaire et une gestion en solitaire assumée comme telle par le Président de la République. Dès le mois de février dernier, 13,7 milliards d'euros de crédit ont été annulés par décret. Le rabot, brutal, aveugle et transversal, a remplacé la boussole.

En 2024, les dépenses de l'État ont pourtant été réduites de 11,2 milliards d'euros par rapport à leur montant en 2023. Le déficit s'explique donc non pas par la dépense, mais par les renoncements fiscaux.

Le bilan du président Macron et de ses gouvernements successifs depuis 2017 comprend notamment la suppression de l'impôt sur la fortune (ISF), l'allégement de la fiscalité sur le capital via le prélèvement forfaitaire unique (PFU), la suppression de la taxe d'habitation, y compris pour les plus aisés, la réduction du taux de l'impôt sur les sociétés, la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Le coût cumulé de ces différentes mesures s'élève à 62 milliards d'euros par an, et à 310 milliards d'euros depuis 2018.

Et pour quel résultat ? L'emploi industriel recule, la France devient le pays le plus inégalitaire de l'Union européenne, le nombre de travailleurs précaires a doublé et les services publics continuent de reculer.

Vous avez plusieurs fois évoqué le coût de la censure, madame la ministre, mais parlons du coût de l'illusion : un budget construit sur des hypothèses gonflées, des prévisions irréalistes et un pari économique non tenu.

Parlons aussi du coût du renoncement, comme le rejet par le Sénat de la taxe Zucman, qui vise à instaurer une taxation d'au moins 2 % sur les revenus économiques des milliardaires et dont les recettes s'élèveraient tout de même à plusieurs dizaines de milliards d'euros.

Enfin, les chiffres de la mission « Remboursements et dégrèvements », que je rapporte, parlent d'eux-mêmes : depuis 2013, les crédits exécutés ont augmenté de 70 %, contre 27,5 % seulement pour les recettes fiscales brutes. Résultat, les restitutions atteignent 30,4 % des rentrées fiscales – un quasi record – et le taux réel de prélèvements obligatoires s'établit non pas à 45,6 % comme vous l'affirmez encore, madame la ministre, mais à 42,8 %.

Vous avez construit un budget hors sol et contourné le Parlement pour en masquer les failles. La même mécanique s'est rejouée dans le budget 2025 : pour justifier l'austérité imposée aux collectivités, vous avez surévalué la progression de leurs dépenses, invoquant un dérapage de 17 milliards d'euros, dont le montant s'est révélé deux fois moindre.