N° 102
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2009 |
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi de finances pour 2010 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
TOME II
ACTION EXTÉRIEURE DE L'ÉTAT
(rayonnement culturel et scientifique)
Par Mme Monique CERISIER-ben GUIGA,
Sénatrice.
(1) Cette commission est composée de : M. Josselin de Rohan , président ; MM. Jacques Blanc, Didier Boulaud, Jean-Louis Carrère, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Jean François-Poncet, Robert Hue, Joseph Kergueris , vice-présidents ; Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet , secrétaires ; MM. Jean-Etienne Antoinette, Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Jean-Pierre Bel, René Beaumont, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Didier Borotra, Michel Boutant, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Mme Michelle Demessine, M. André Dulait, Mmes Bernadette Dupont, Josette Durrieu, MM. Jean Faure, Jean-Paul Fournier, Mme Gisèle Gautier, M. Jacques Gautier, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Hubert Haenel, Robert Laufoaulu, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Rachel Mazuir, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean Milhau, Charles Pasqua, Xavier Pintat, Bernard Piras, Christian Poncelet, Yves Pozzo di Borgo, Jean-Pierre Raffarin, Daniel Reiner, Roger Romani, Mme Catherine Tasca. |
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 13 ème législ.) : 1946, 1967 à 1974 et T.A. 360
Sénat : 100 et 101 (annexe n° 1 ) (2009-2010)
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le ministre des Affaires étrangères et européennes, M. Bernard Kouchner, a annoncé, le 25 mars dernier, une réforme de l'action culturelle française à l'étranger. Un projet de loi relatif à l'action extérieure de l'Etat a été présenté au Parlement, le 22 juillet dernier, et déposé en premier lieu au Sénat.
On peut se réjouir de cette prise de conscience de l'importance de notre réseau culturel à l'étranger, qui constitue un outil essentiel de notre rayonnement culturel et de notre diplomatie d'influence. Mais n'est-il pas déjà trop tard pour vouloir sauver les meubles lorsque c'est tout l'édifice qui menace de s'effondrer ?
Depuis quelques temps déjà, la presse se fait l'écho de la crise profonde que traverse notre coopération culturelle. Face à la diminution drastique des subventions publiques, à l'absence de véritable stratégie et au manque de réelle volonté politique, il était temps que le ministre réagisse et si la lecture de plusieurs articles critiques dans la presse a pu l'y inciter, on ne peut que s'en féliciter. Mais, les réponses sont-elles à la hauteur des enjeux ? On peut en douter.
La principale innovation de cette réforme consisterait en la création d'une agence chargée de la promotion de notre culture hors de nos frontières, qui regrouperait à la fois les différents organismes existants, tel que CulturesFrance, et les centres et instituts culturels français à l'étranger. Un nom a même été trouvé pour ce nouvel organisme, qui s'intitulerait « Institut français ». Il semblerait cependant que le rattachement à cette agence du réseau des établissements culturels à l'étranger fasse l'objet de fortes réticences conjuguées des ambassadeurs et des syndicats de personnels, qui ont conduit le ministre, après plusieurs atermoiements, à reporter à trois ans la décision sur ce rattachement. Ainsi, dès le départ, la principale nouveauté de cette réforme serait vidée de substance. Il faut espérer que l'examen du projet de loi par le Sénat permette d'établir, dès l'origine, un lien fort entre la future agence et le réseau des établissements culturels à l'étranger, notamment en matière de formation, de recrutement et de gestion des parcours professionnels des personnels. Sinon, cela ne pourra que renforcer le fossé entre une agence culturelle « parisienne » et les préoccupations de terrain des centres et instituts culturels à l'étranger.
La création de cette agence pourrait contribuer à rationaliser notre action culturelle à l'étranger, à lui donner davantage de cohérence et de visibilité. Toutefois, elle ne suffira pas à elle seule à lui donner un sens si elle ne s'accompagne pas de mesures dans trois directions : une stratégie claire, des moyens adaptés et une remobilisation des personnels.
Tout d'abord, la création de cette agence ne dispense pas - bien au contraire - l'Etat, et, au premier chef, le ministère des Affaires étrangères et européennes, de définir les objectifs stratégiques de notre diplomatie culturelle. Or, à cet égard on peut avoir quelques inquiétudes. Déjà, en matière d'audiovisuel extérieur, le ministère des Affaires étrangères et européennes a renoncé à son rôle de pilotage au profit d'une société holding, malgré l'importance de ce secteur pour notre influence culturelle et linguistique. Avec cette nouvelle agence, ne risque-t-on pas d'aboutir également à un organisme autonome, sans véritable pilotage stratégique ? Ne serait-il pas opportun de mettre en place un organe politique, sur le modèle de l'ancien Conseil de l'audiovisuel extérieur, qui regrouperait l'ensemble des ministères concernés et qui fixerait les grands objectifs assignés à notre action culturelle, y compris l'audiovisuel extérieur, selon les zones géographiques et nos intérêts diplomatiques ? En fait, l'idéal serait la création d'un secrétariat d'Etat chargé de l'action culturelle et de l'audiovisuel extérieur, ainsi que de la Francophonie.
En outre, comment interpréter l'absence de toute référence à la culture dans la dénomination de la nouvelle direction générale chargée de la mondialisation, du développement et des partenariats ? Au moment où ce ministère multiplie les ambassadeurs thématiques sur les sujets les plus divers, est-ce que cela veut dire que la culture n'est plus une fin en soi mais seulement un aspect de la mondialisation, au même titre que le cercle polaire, la promotion de la cohésion sociale ou encore le changement climatique ?
Ensuite, se pose la question des moyens consacrés à l'action culturelle. L'ensemble des crédits consacrés à notre diplomatie culturelle représente actuellement pour l'Etat un montant évalué à 136 millions d'euros, soit un montant inférieur à celui de la Bibliothèque nationale de France ou de l'Opéra de Paris. Ces crédits ont connu une diminution drastique ces dernières années. Faut-il rappeler qu'environ un tiers de nos centres et instituts culturels situés en Europe ont été fermés depuis 2000, dont plus de la moitié en Allemagne, qui est pourtant notre premier partenaire au sein de l'Union européenne ? Et ce mouvement s'est accéléré en 2009, avec une baisse des subventions de 20 à 30 % en moyenne. Aujourd'hui, la plupart des conseillers culturels, des directeurs de centres ou d'instituts en sont au stade de faire des économies de bout de chandelle pour financer l'acquisition de quelques livres ou de DVD.
Le ministre des Affaires étrangères et européennes vient certes d'annoncer une enveloppe de 40 millions d'euros supplémentaires. Mais, cette enveloppe ne sera pas à elle seule suffisante pour compenser la baisse programmée des crédits consacrés à l'action culturelle extérieure, qui devraient être réduits d'un quart entre 2009 et 2011.
Disons les choses clairement : l'action culturelle extérieure sert depuis trop longtemps aux gestionnaires du Quai d'Orsay de variable d'ajustement à la cure d'amaigrissement qui leur est imposée. Or, comme le relève le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, « on ne peut réduire indéfiniment les effectifs et les moyens sans remettre en cause les ambitions européennes et internationales assignées à notre action extérieure ».
A ce sujet, certains continuent de plaider pour la fermeture de nos centres et instituts culturels à l'étranger, au motif que l'entretien de ces bâtiments représenterait un coût financier trop important au regard de leur influence réelle. Pour ces promoteurs d'une action culturelle « hors les murs », nos établissements culturels à l'étranger représenteraient un modèle dépassé, à l'heure des nouvelles technologies, comme Internet.
C'est oublier que, dans certains pays, notamment en Afrique, le centre ou l'institut culturel français reste souvent le véritable, voire le seul, centre de la vie culturelle, qu'il sert de pont entre la culture française et la culture locale. Et, que faut-il penser alors du développement rapide des centres chinois Confucius ou des centres espagnols Cervantes dans le monde ? Certes, lorsque le metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski se produit à Paris, c'est à l'Opéra Bastille ou à l'Opéra Garnier et non à l'institut polonais. Mais, ce que l'on oublie de préciser c'est que cet artiste se produit en France, précisément parce qu'il a longtemps fréquenté le centre culturel français de Varsovie...
Enfin, toute réforme de notre action culturelle ne peut faire l'impasse sur la question de la gestion des ressources humaines. A l'inverse de l'Institut Goethe allemand ou du British Council, les personnels employés dans les centres et les instituts culturels français, qu'ils soient fonctionnaires détachés ou contractuels, ne font pas de carrière dans le réseau culturel. Soumis à l'arbitraire de la procédure de nomination, qui dépend généralement du bon vouloir du ministre, n'étant pas formés ni aux tâches de gestion, ni à la culture locale et ne pouvant espérer rester plus de trois ans au même poste, ni faire carrière, ces personnels, qui accomplissent pourtant un travail remarquable avec de faibles moyens, ne sont pas suffisamment valorisés. Or, on ne devient pas du jour au lendemain conseiller culturel ou directeur de centre ou d'institut. C'est un vrai métier, qui demande une formation adaptée et qui devrait permettre à ces agents de valoriser leurs compétences au cours d'un véritable parcours professionnel. Sans une profonde modification du recrutement, de la formation et de la carrière des personnels, toute réforme de l'action culturelle ne pourra avoir que des effets limités.
Une réforme de notre action culturelle à l'étranger a été engagée. Espérons que nous pourrons saisir cette opportunité pour donner un nouvel élan à notre coopération culturelle. C'est la place de notre culture et de notre langue, de la diversité culturelle et du dialogue interculturel dans le monde qui en dépendent.
I. LE PROGRAMME 185 : LA POURSUITE EN 2010 DE LA DIMINUTION DES CRÉDITS CONSACRÉS AU RAYONNEMENT CULTUREL ET SCIENTIFIQUE
A. UNE DISPERSION DES CRÉDITS QUI NUIT À LA FOIS À LA COHÉRENCE ET À LA LISIBILITÉ BUDGÉTAIRES
A l'image des années précédentes, le programme 185 « rayonnement culturel et scientifique » de la mission « Action extérieure de l'Etat » ne rassemble pas l'ensemble des crédits consacrés à la diplomatie d'influence.
En effet, il ne concerne que les financements destinés à la coopération culturelle, universitaire, scientifique et technique avec les Etats membres de l'Union européenne et les autres grands pays industriels du monde développé au sens de l'OCDE, ainsi que le financement du service d'enseignement public français à l'étranger.
Pour avoir une vue globale des financements consacrés à la diplomatie d'influence, il faut également tenir compte des crédits consacrés à l'audiovisuel extérieur, qui figurent dans le programme « Action audiovisuelle extérieure » de la mission « Médias », qui relève désormais entièrement des services du Premier ministre, et des crédits consacrés à la coopération culturelle, technique, universitaire et scientifique dans les pays en voie de développement et les pays émergents, qui relève du programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » de la mission « Aide publique au développement ».
Or, comme votre rapporteur pour avis l'a souligné à plusieurs reprises dans ses précédents avis budgétaires, la scission de la politique de rayonnement culturel et scientifique du ministère des affaires étrangères entre le programme 185 et le programme 209 a peu de sens, puisque l'ambition d'une politique d'influence n'est pas vraiment différente selon qu'il s'agit d'un pays développé ou en développement.
De plus, cette différenciation ne permet pas aux rapporteurs du Parlement de rendre compte à leurs collègues de l'évolution et de la cohérence de l'ensemble de ces crédits.
En outre, il faut noter que la liste des pays développés sur laquelle se calquent les programmes 185 et 209 évolue d'une année sur l'autre, selon des critères qui échappent au Gouvernement et au Parlement français, puisqu'elle est définie par l'OCDE. Le passage de l'Arabie Saoudite du programme 209 au programme 185 en 2010 en offre l'illustration.
Votre rapporteur pour avis continue donc de plaider pour une modification de la maquette budgétaire et la création d'un programme unique qui regrouperait l'ensemble des crédits consacrés à la diplomatie d'influence, quel que soit le pays concerné.
PAYS DÉVELOPPÉS AU SENS DE L'OCDE
ALLEMAGNE ANDORRE ARABIE SAOUDITE AUSTRALIE AUTRICHE BAHREIN BELGIQUE BRUNEI BULGARIE CANADA CHYPRE COREE DU SUD DANEMARK EMIRATS ARABES UNIS ESPAGNE ESTONIE |
ETATS-UNIS FINLANDE GRANDE BRETAGNE GRECE HONG KONG HONGRIE IRLANDE ISLANDE ISRAEL ITALIE JAPON KOWEIT LETTONIE LITUANIE LUXEMBOURG MALTE |
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