B. LA FORMATION INTERMINISTÉRIELLE : LA RÉORIENTATION STRATÉGIQUE DE L'ÉCOLE NATIONALE D'ADMINISTRATION
Près de 90 % des crédits de la formation interministérielle (action 02) sont destinés aux Instituts régionaux d'administration (IRA) et à l'École nationale d'administration (ENA).
Dans le PLF pour 2019, l'action 01 est dotée de 82,48 millions d'euros (AE = CP) . Des projets de réforme permettent de dégager une économie de 1,92 million d'euros par rapport à l'exercice 2018 (- 2,26 %) .
1. Les IRA : une réforme de la scolarité d'ici septembre 2019
La subvention pour charges de service public des Instituts régionaux d'administration (IRA) diminue de 2,70 % pour s'établir à 44,01 millions d'euros dans le PLF pour 2019.
Cette économie est rendue possible par une réforme de la scolarité , dont la mise en oeuvre débutera en septembre 2019.
Chaque année, les IRA accueilleront deux promotions d'élèves, pour un total de 820 étudiants (contre une promotion de 730 étudiants aujourd'hui) . Concrètement, la durée de scolarité passera de douze à six mois ; elle sera suivie d'un stage de six mois, dont le coût sera pris en charge par l'administration d'accueil, non par le programme 148.
D'après le Gouvernement, cette réforme « répond aux besoins des employeurs de disposer d'arrivées d'attachés à échéances plus rapprochées et permet de mettre l'élève plus rapidement au contact de son administration » 16 ( * ) .
2. L'ENA : un plan de transformation pour concilier économies budgétaires et ambitions stratégiques
Lors de ses travaux, votre rapporteur a souhaité se rendre dans les locaux strasbourgeois de l'École nationale d'administration (ENA) pour mieux apprécier la situation financière de l'école et ses projets de développement.
Les missions de l'ENA Créée en 1945 et placée sous la tutelle du Premier ministre, l'École nationale d'administration (ENA) remplit cinq missions principales : - la formation initiale des hauts fonctionnaires (membres du Conseil d'État et des corps d'inspection de l'État, administrateurs civils, etc .). D'après les informations recueillies par votre rapporteur, les anciens élèves de l'ENA ne représentent que 35,3 % des hauts fonctionnaires de l'État , les administrations multipliant les concours directs et les nominations au tour extérieur ; - la formation continue des fonctionnaires (8 473 participants en 2017) ; - la préparation aux concours organisés par l'école avec, notamment, le cycle préparatoire au concours interne et au troisième concours (voir infra ) et la classe préparatoire intégrée (CPI) pour les étudiants et demandeurs d'emploi de condition modeste (24 étudiants en 2017) ; - la coopération européenne et internationale avec des institutions étrangères. En 2018, l'ENA a par exemple formé près de 900 fonctionnaires roumains, dont le pays doit assumer la présidence du Conseil de l'Union européenne au premier semestre 2019 ; - la recherche, l'expertise et la publication . L'ENA participe notamment à la chaire « Innovation publique », en partenariat avec l'École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI). |
a) Des difficultés financières : les déficits constatés depuis 2013
Depuis 2013, l'École nationale d'administration présente un déficit annuel compris entre 3,57 millions et 1,14 million d'euros, sur un budget total d'environ 40 millions d'euros .
Pour la seule année 2017, son déficit s'est élevé à 2,84 millions d'euros, dont 1,8 million d'euros de déficit structurel et 1,04 million d'euros lié à des décalages de trésorerie.
Deux facteurs permettent d'expliquer ces difficultés financières : la réduction de la subvention de l'État, d'une part, et un développement insuffisant des ressources propres de l'ENA, d'autre part.
• La réduction de la subvention de l'État
La subvention pour charges de service public constitue la principale source de financement de l'ENA : elle représente 79 % de ses recettes, contre 18 % pour les ressources propres et 3 % pour les ressources diverses (location de salles notamment). Or, depuis 2010, cette subvention a été réduite de 19 %, pour s'établir à 30,17 millions d'euros en 2019 .
Sur le plan des dépenses, le budget de l'ENA est particulièrement rigide : la rémunération de ses personnels et étudiants représente 74 % de ses dépenses.
Évolution de la subvention pour charges de service public de l'ENA
(en millions d'euros)
Source : commission des lois du Sénat, à partir des documents budgétaires
Le budget de l'ENA a donc subi un « effet ciseau », d'autant plus que l'État lui a confié de nouvelles missions et a augmenté le nombre d'élèves devant être accueillis .
À titre d'exemple, le passage de 80 à 90 élèves pour les promotions 2014, 2015 et 2016 a représenté un coût annuel de 1,4 million d'euros pour l'ENA, sans aucune compensation financière.
Principales mesures ayant accru les charges de l'ENA
Mesures |
Calendrier |
Estimation du coût annuel pour l'ENA |
Organisation du master européen de gestion administrative (MEGA) |
Suppression d'une subvention de l'État depuis 2010 |
272 000 € |
Organisation du cycle des hautes études européennes (CHEE) |
Suppression d'une subvention de l'État depuis 2012 |
665 000 € |
Augmentation de la contribution de l'ENA au compte d'affectation spéciale « pensions » |
NC |
3 M € |
Augmentation des effectifs des promotions (de 80 à 90 élèves) |
Entre 2014 et 2016 |
1,4 M € |
Augmentation du nombre d'élèves accueillis dans la classe préparatoire intégrée (CPI) |
Depuis 2015 |
95 000 € |
Prolongation de la scolarité des stagiaires des cycles préparatoires au concours interne |
Depuis 2015 |
270 000 € |
Source : commission des lois du Sénat, à partir des informations transmises par l'ENA
• L'augmentation des ressources propres : un défi difficile à relever
Pour compenser la baisse de sa subvention, l'ENA a multiplié ses actions de formation continue et de coopération européenne et internationale.
Cette stratégie a permis à l'école d' augmenter ses ressources propres , qui atteignent 7,18 millions d'euros en 2018 (+ 18,6 % par rapport à 2013).
Elle a toutefois conduit à un éclatement de l'offre de formation et à la multiplication d'actions non rentables ou à faible valeur ajoutée . À titre d'exemple, une semaine de formation au sein du cycle international spécialisé d'administration publique (CISAP) 17 ( * ) est facturée 1 000 euros, ce qui est insuffisant pour amortir son coût d'organisation et de gestion.
b) Les réponses apportées : le plan de transformation de l'ENA
Jusqu'à présent l'ENA a financé ses déficits en puisant dans ses réserves 18 ( * ) . Sa structure financière reste saine, notamment parce que l'école n'a pas recouru à l'emprunt ; ses fournisseurs sont payés en dix jours .
De même, l'école a réalisé des efforts de gestion en supprimant 42 emplois entre 2009 et 2018 et en réduisant ses dépenses de fonctionnement de 20 % depuis 2012. Dans le PLF pour 2019, quatre emplois supplémentaires sont supprimés, pour atteindre un total de 185 personnels administratifs (hors étudiants).
Nommé en 2017, le nouveau directeur de l'ENA, M. Patrick Gérard, porte un plan de transformation pour concilier la maîtrise des dépenses et une stratégie ambitieuse de développement de l'école.
• La maîtrise des dépenses : le retour à l'équilibre budgétaire d'ici 2020
Financièrement, l'ENA prévoit de revenir à l'équilibre budgétaire en 2020 , sans qu'il soit besoin d'augmenter sa subvention pour charges de service public.
Évolution du solde budgétaire de l'ENA
(selon le plan de transformation de son directeur, en millions d'euros)
NB : les montants des années 2018 à 2021 sont des montants prévisionnels.
Source : commission des lois du Sénat, à partir des informations transmises par l'ENA
Pour redresser sa situation financière, l'ENA prévoit de recentrer ses actions de formation continue sur les programmes les plus rentables (pour une économie nette de 783 047 euros d'ici 2021), de réduire la durée de la scolarité initiale de deux mois et demi (- 858 000 euros) 19 ( * ) et de réformer le cycle préparatoire au concours interne et au troisième concours (- 3,9 millions d'euros).
La réforme du cycle préparatoire au concours interne et au troisième concours Chaque année, l'ENA organise un cycle préparatoire d'un an pour : - les agents publics disposant d'au moins quatre ans d'expérience et pouvant se présenter au concours interne ; - les agents du secteur privé disposant d'un BAC + 3 et pouvant se présenter au concours externe . En 2018, 97 personnes ont été sélectionnées pour participer au cycle préparatoire. Les agents publics sont directement rémunérés par l'ENA, non par leur employeur . D'un point de vue statutaire, les fonctionnaires sont placés en position de détachement auprès de l'école. Le cycle préparatoire représente un coût annuel de 6 millions d'euros pour l'ENA, soit près de 15 % de ses dépenses . Il crée également une « rupture de carrière » pour les préparationnaires (alors que seuls 25 % d'entre eux réussissent le concours) et représente une difficulté pour les employeurs (qui doivent s'adapter à l'absence de leur agent pendant la durée de sa formation). Dans ce contexte, l'ENA propose de réformer le cycle préparatoire au concours interne et au troisième concours pour le rendre plus attractif et desserrer les contraintes imposées aux préparationnaires et aux employeurs. Un cycle « hybride » serait créé à compter de la rentrée 2020, combinant des enseignements présentiels et à distance . La préparation ne mobiliserait plus les auditeurs à temps complet : ces derniers poursuivraient leur activité dans leur administration d'origine mais bénéficieraient d'un aménagement de leur temps de travail. Leur rémunération ne relèverait plus de l'ENA mais des employeurs, via le compte personnel de formation (CPF). Pour l'ENA, cette réforme représenterait une économie nette de 3,9 millions d'euros. |
• Le refus du repli : une stratégie ambitieuse de développement
Malgré la nécessité de redresser ses finances, l'ENA n'envisage pas de stratégie de repli. À l'inverse, son directeur porte une stratégie claire, que votre rapporteur tient à saluer : se concentrer sur les formations à haute valeur ajoutée pour (re)devenir l'établissement de référence dans le recrutement et la formation des cadres supérieurs de l'État .
De même, l'ENA ouvrirait une seconde classe préparatoire intégrée (CPI) à Strasbourg, recruterait six enseignants associés 20 ( * ) et développerait son activité de recherche en s'associant avec l'université Paris-Sciences-et-Lettres.
Entre 2019 et 2024, un concours ad hoc serait organisé à titre expérimental pour permettre aux scientifiques d'accéder à la formation initiale de l'école 21 ( * ) . Trois places seraient ouvertes chaque année, à destination des docteurs en sciences de la matière et de l'ingénieur, en sciences de la vie et en sciences humaines et sociales.
Comme le souligne le directeur de l'ENA, cette expérimentation a pour objet d'ouvrir la haute fonction publique à « l'analyse des aspects scientifiques des défis environnementaux et technologiques auxquels l'État est confronté et d'éclairer la décision publique en ces domaines » 22 ( * ) .
* 16 Source : réponses au questionnaire budgétaire.
* 17 Le CISAP comprend des sessions de perfectionnement sur des thématiques précises. Il est destiné aux hauts fonctionnaires des administrations étrangères, aux cadres d'entreprises publiques et aux représentants d'organisations non gouvernementales.
* 18 Ces réserves sont majoritairement issues de la vente de l'immeuble de la rue de l'université (Paris), que l'ENA occupait avant son déménagement à Strasbourg au début des années 1990. D'après les informations recueillies par votre rapporteur, l'école a perçu une quote-part de 12,7 millions d'euros sur le produit de cette vente.
* 19 Cette réduction de la durée de scolarité de l'ENA impliquerait notamment de contracter la durée des stages et d'accélérer les procédures de recrutement des employeurs à la sortie de l'ENA.
* 20 Aujourd'hui, les cours de l'ENA sont assurés par des intervenants issus du secteur professionnel. À l'inverse, les enseignants associés interviendraient tout au long de l'année, en parallèle de leurs travaux de recherche.
* 21 Décret n° 2018-793 du 14 septembre 2018 instituant à titre expérimental un concours externe spécial d'entrée à l'École nationale d'administration réservé aux titulaires d'un diplôme de doctorat.
* 22 Source : informations recueillies par votre rapporteur.