II. DÉPENSES LIÉES AUX CRISES AGRICOLES : MIEUX VAUT PRÉVENIR QUE GUÉRIR

A. QUELS LEVIERS POUR AMÉLIORER LA RÉSILIENCE DE LA FERME FRANCE FACE AUX ALÉAS ÉCONOMIQUES ?

a) La tendance fortement haussière des dépenses de gestion et d'indemnisation des crises depuis 2018

Selon le think tank I4CE, en 2022, hors dépenses de prévention des risques, les indemnisations de crise, sous forme de transferts aux entreprises, ont dépassé 2 Md€, entre influenza aviaire, crise porcine, gel, conséquences du Covid et invasion de l'Ukraine.

Les notes d'exécution budgétaire de la Cour des comptes permettent de retracer les dépenses en cours de gestion et l'ampleur de l'écart avec l'autorisation de la loi de finances initiale, année après année. Récurrent pour la mission Agriculture, la sous-budgétisation des dépenses de crise a cette année atteint ses limites, faute de loi de finances rectificative, ce qui a notamment mis en péril les autres politiques publiques portées sur le programme 206 et éprouvé les équipes de la direction générale de l'alimentation et des services déconcentrés.

Encore en 2024, les aides de crise en cours de gestion ont été nombreuses et sans commune mesure avec ce qui avait été voté en loi de finances initiale. 80 M€ ont ainsi été ouverts pour aider le secteur viticole, 50 M€ pour indemniser les éleveurs face à la maladie hémorragique épizootique (MHE), 75 M€ pour compenser la surmortalité liée à la FCO3 - puis 8 (cf. infra).

Or, comme le résume I4CE, en plus du préjudice moral subi par les agriculteurs en cas de crise, « ces dépenses de crise ne sont satisfaisantes pour personne : désespérément nécessaires à court terme pour soulager les trésoreries (en pompier), elles ne permettent pas de préparer et d'anticiper les évolutions futures en investissant davantage dans la résilience des exploitations agricoles et dans l'adaptation au changement climatique (en architecte) ».

Le déblocage en urgence de ces fonds soulève par ailleurs la question du bon emploi des deniers publics et des effectifs du ministère, les auditions ayant permis aux rapporteurs de relever plusieurs erreurs dans le calibrage de ces aides conçues dans la précipitation :

Ø les indemnisations liées à l'influenza aviaire auraient reposé sur des estimations de population avicole comportant des marges d'erreur allant jusqu'à 30 % ;

Ø des épisodes de gel, de grêle, ou d'inondations ont pu donner lieu à des annonces d'indemnisation avant même qu'une évaluation précise ait pu être effectuée ;

Ø le besoin des éleveurs ovins face à la FCO3 et 8 a pu être estimé à 100 à 150 M€, alors que les 75 M€ initialement annoncés pour la FCO3 suffiraient finalement ;

Ø l'absence de plafonnement du fonds d'urgence pour l'agriculture biologique a été jugée source d'inefficience et d'iniquité, par les acteurs du secteur, a posteriori.

Lors de son audition devant la commission des affaires économiques, la ministre de l'agriculture a déclaré vouloir « dégager en loi de finances initiale des marges de manoeuvre pour aider les agriculteurs face aux crises ». Aux yeux des rapporteurs, certaines dépenses préventives stratégiques pourraient au contraire éviter l'envolée de dépenses de crise accordées dans des contextes d'urgence qui rendent plus difficile leur évaluation.

b) Faciliter le recours à la déduction pour épargne de précaution (DEP) et à l'assurance-récolte

La montée en charge progressive de l'assurance-récolte

Comme le Gouvernement s'y était engagé dans la loi portant réforme de la gestion des risques en agriculture, la contribution de l'État à l'assurance-récolte passe à 600 M€ cette année. Les conditions de succès de cette réforme ne sont toutefois pas toutes encore réunies : le système de la moyenne olympique ne couvre pas les agriculteurs contre un éventuel déclin tendanciel des rendements, le taux de pénétration est pénalisé par la sous-estimation des dégâts en prairie par les images satellitaires, et, surtout, les assureurs n'ont toujours pas mis en place le « pool » de réassurance qu'ils sont pourtant tenus de mettre en place. Le Haut Conseil pour le climat juge enfin que pour contrer le risque de maladaptation et mieux partager les risques entre acteurs, « les aides (primes à l'assurance) pourraient être conditionnées à l'adoption de pratiques agricoles favorables à la résilience des exploitations (diversification culturale, allongement des rotations) ».

Avec l'article 18 du projet de loi de finances (PLF), le Gouvernement tient la promesse d'une exonération de 30 % des sommes réintégrées après recours à la déduction pour épargne de précaution (DEP), « lorsqu'elles sont utilisées pour faire face aux dépenses résultant directement » d'un aléa sanitaire ou climatique (14 M€). Craignant toutefois que ces critères soient trop restrictifs, MM. Duplomb et Menonville proposent d'élargir le bénéfice de l'exonération aux sommes réintégrées pour faire face à un aléa économique (cours et coût des intrants fluctuants - cf. ci-contre).

Ils entendent en effet encourager le recours à cet outil, qui leur semble correspondre à une saine logique de lissage des revenus entre bonnes et mauvaises années. Le Haut Conseil pour le climat juge dans sa contribution que « son renforcement semble pertinent pour la transition climatique du secteur ».

Recommandation n° 1 : renforcer la déduction de précaution en étendant le bénéfice de l'exonération aux sommes réintégrées pour faire face à un aléa économique.

c) Profiter de l'étape critique de l'installation pour renforcer la résilience des exploitations

En parallèle de l'examen du projet de loi pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture (PLOA), les rapporteurs appellent à concrétiser certaines mesures de ce texte à même de renforcer la résilience des exploitations. En effet, « la première protection contre les aléas relève de la bonne gestion des agriculteurs » ( CGAAER-IGF 2017).

1. Les rapporteurs déplorent d'abord la stagnation de l'aide à l'installation-transmission en agriculture (AITA) à 13 M€, alors que le précédent ministre de l'agriculture s'était engagé à la porter à 20 M€ pour accompagner notamment la mise en place du guichet unique « France installation transmission ». Les rapporteurs jugent en effet que l'installation est un moment clé pour reconcevoir les exploitations afin de les rendre plus résilientes face aux crises. Les candidats et nouveaux installés méritent un accompagnement initial qui soit à la hauteur. L'engagement de la ministre et le budget de l'État en seront plus tard récompensés.

Recommandation n° 2 : porter l'aide à l'installation-transmission à 20 M€ (soit + 7 M€).

2. Les rapporteurs entendent également financer la préfiguration de l'aide au passage de relais, que les rapporteurs Franck Menonville et Laurent Duplomb voulaient introduire de façon programmatique dans le PLOA. Cette aide transitoire (5 ans maximum) vise à favoriser un tuilage entre des exploitants agricoles en fin de carrière en proie à des difficultés et de jeunes agriculteurs désireux de s'installer. Elle prendrait la forme d'une allocation financière d'environ 1 100 €/mois (en référence au minimum de retraite à 85 % du Smic) et d'une prise en charge des cotisations sociales maladie et retraite de l'exploitant. En vitesse de croisière, elle représenterait une dizaine de dossiers par département et par an, pour une enveloppe totale d'environ 13 M€.

Pour les exploitations les plus en difficulté, dont les exploitants sont sujets au mal-être ou exposés à un risque de suicide, la transmission peut être la clé d'une résilience retrouvée.

Pour ne pas augmenter la dépense publique, les rapporteurs proposent de réallouer à la préfiguration de ce dispositif les crédits non utilisés de l'aide à la relance des exploitations agricoles (Area), également fléchés vers les agriculteurs en difficulté, mais dont la sous-consommation est chronique, comme l'a souligné le Sénat pendant plusieurs années.

Recommandation n° 3 : financer la préfiguration de l'« aide au passage de relais » à partir du reliquat sous-consommé de l'aide à la relance des exploitations agricoles (Area).

3. Une ligne de la planification écologique dédiée au financement de diagnostics carbone n'était programmée pour durer qu'un an mais a connu un succès au-delà des attentes : l'Ademe, chargée des appels à projets, a recueilli environ 73 M€ de demandes pour une enveloppe de 20 M€ en CP, témoignant des besoins critiques du secteur agricole en conseil et en accompagnement, déjà soulignés par les rapporteurs lors de l'examen du PLF 2024.

Cette ligne pourrait utilement être prolongée et élargie au financement de ce que les rapporteurs Franck Menonville et Laurent Duplomb entendent renommer « diagnostics de viabilité économique et de vivabilité des exploitations » (art. 9 du Plosarga). Le principe de la gratuité de cet outil d'aide à la décision et de reconception des exploitations, possible au regard du régime des États, paraît en effet indispensable aux trois rapporteurs.

Recommandation n° 4 : maintenir la sous-action « Diagnostic carbone » en l'étendant au financement des diagnostics de viabilité économique et de vivabilité des exploitations.

d) Mieux identifier les dépenses de prévention et de surveillance des aléas climatiques

Le think tank I4CE propose de compléter la maquette budgétaire de la Maafar par la création d'un programme sur la « prévention et la surveillance des aléas climatiques », qui serait le miroir du programme 206 pour les aléas sanitaires. Les rapporteurs observent que les crédits de la planification écologique sont aujourd'hui malaisément greffés au programme 206 et surtout au programme 149, architecture qui est loin de garantir que la destination votée en loi de finances initiale soit pleinement respectée en cours de gestion.

Selon eux, un tel programme accueillerait logiquement la ligne transversale « accompagnement des agriculteurs à la transition », telle que proposée par Chambres d'agriculture France. D'après la Cour des comptes, une telle ligne financerait utilement une veille sur l'interaction entre changement climatique et risques sanitaires, afin de prévenir les effets du réchauffement et des sécheresses sur les risques biotiques et les maladies vectorielles sur les animaux de rente et les végétaux.

Amendement n° 1 : créer un programme « Prévention et surveillance des aléas climatiques », intégrant une composante « Accompagnement à la transition » de 8 M€.

e) Des filières plus structurées pour accroître la résilience économique de la ferme France

Face aux vulnérabilités intrinsèques du secteur agricole, sa résilience - qui allie robustesse, adaptabilité à moyen terme et capacité d'innovation à long terme - doit être renforcée. S'agissant des lignes de la planification écologique dédiées à la structuration de filières dans lesquelles la France accuse un important déficit commercial (plan de souveraineté fruits et légumes, plan protéines), les rapporteurs appellent à définir une trajectoire réaliste et stable afin de ne pas déstructurer les filières par des à-coups liés à l'annualité budgétaire.

Face à la crise conjoncturelle traversée par l'agriculture biologique, ils proposent de réallouer les montants non consommés de l'aide à la conversion vers un crédit d'impôt bio réformé, qui ciblerait les agriculteurs au-dessus d'un montant de chiffre d'affaires. Par ailleurs, les rapporteurs soulignent la logique punitive et insuffisamment accompagnatrice dont témoigne la conjonction du passage de la ligne « stratégie de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires » de 250 à 161 M€ (en AE et CP) d'une part, et de la hausse mécanique du produit de la redevance pour pollutions (RPD), liée à l'inflation, d'autre part.

Amendement n° 2 : alors que la situation est particulièrement tendue en Martinique, pour améliorer à la fois le pouvoir d'achat et la compétitivité des filières outre-mer, augmenter de 8 M€ le financement du régime spécifique d'approvisionnement (RSA), aide qui permet la compensation des coûts liés au fret maritime dans les Outre-mer.

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