EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 20 novembre 2024, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, a procédé à l'examen des crédits des programmes 375 « France Médias Monde », 377 « TV5 Monde » et 383 « Programme de transformation » de la mission « Audiovisuel public ».
M. Cédric Perrin, président. - Mes chers collègues, nous commençons cette matinée par l'examen de l'avis de nos collègues Roger Karoutchi et Mireille Jouve sur les crédits des programmes 375 (France Médias Monde), 377 (TV5 Monde) et 383 (programme de transformation) de la mission « Audiovisuel public ».
M. Roger Karoutchi, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, il y a un an je commençais mon intervention en expliquant que nous étions partagés. Les budgets de France Médias Monde et de TV5 Monde connaissaient une hausse significative et une enveloppe de 5 M€ était prévu pour permettre à France Médias Monde d'engager son plan de transformation numérique. On pouvait ainsi considérer que la tendance était favorable même si la hausse des moyens était aussi motivée par la nécessité de compenser des charges fiscales nouvelles consécutives à la suppression de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) et que la programmation budgétaire pour 2025 et 2026, inscrite dans le bleu budgétaire, était nettement plus modérée. Nous avions néanmoins donné un avis favorable à l'adoption de crédits en attendant de pouvoir prendre connaissance du contrat d'objectifs et de moyens (COM) 2024-2028 de France Médias Monde qui était en préparation.
Mais l'année 2024 ne s'est pas passée comme prévu. Le décret d'annulation de février dernier a eu pour conséquence de réduire de -1,4 M€ le montant du programme de transformation de France Médias Monde. Par ailleurs, Bercy a cessé de verser les mensualités restantes à partir de mai dernier ce qui a réduit l'enveloppe à nouveau de 2,2 M€ soit une baisse de -3,6 M€ sur les 5 M€ escomptés dédiés au plan de transformation numérique.
Le projet de COM de France Médias Monde qui a été envoyé cet été au Parlement prévoyait quant à lui une hausse limitée mais réelle de la ressource publique, la dotation socle devant s'établir à 276 M€ en 2025 avec, à nouveau, 5 M€ supplémentaires au titre du programme de transformation auxquels s'ajoutaient 4,1 M€ au titre de l'APD.
Cependant le PLF 2025 est venu contredire ce projet de COM en prévoyant une baisse des crédits de -6,9 M€ tandis que les crédits de TV5 Monde stagnaient à 83,4 M€ voire régressaient compte tenu de l'augmentation de la taxe sur les salaires alors même que la programmation budgétaire de l'année dernière prévoyait de porter la contribution française à TV5 Monde à 84,7 M€ en 2025 puis 86 M€ en 2026.
Par ailleurs, la DGMIC nous a confirmé la semaine dernière qu'un amendement viendrait amputer à nouveau les moyens de France Médias Monde de 3 M€ en 2025 pour porter la coupe budgétaire à -9,9 M€. L'enveloppe du plan de transformation numérique serait ainsi purement supprimée tandis que la dotation socle serait réduite de 1 M€.
Réduire les moyens consacrés à la « guerre des narratifs » au moment précis où nos adversaires déploient des stratégies qui s'appuient sur des moyens considérables revient à opérer un désarmement informationnel. Il aurait été tout à fait possible de faire reposer le poids de l'ajustement sur les plus gros opérateurs qui disposent de moyens bien plus importants. On ne peut pas réduire les moyens de chacun des opérateurs de manière proportionnelle car les budgets de France Télévisions et Radio France permettent davantage d'ajustements que celui de France Médias Monde.
Je terminerai en évoquant la nature de la ressource attribuée à l'audiovisuel public. Le PLF 2025 prévoit aujourd'hui de recourir à des dotations budgétaires qui présentent l'inconvénient de fragiliser l'indépendance de l'audiovisuel extérieur. Ce recours au dotations budgétaires était inévitable à défaut de modifier d'ici la fin de l'année la LOLF afin de pérenniser le financement par une fraction du produit de la TVA comme cela est le cas depuis 2022.
Avec les président Cédric Perrin et plusieurs collègues de la commission de la culture nous avons porté une proposition de loi organique modifiant la LOLF qui a été adoptée par le Sénat le 23 octobre dernier. Les députés devraient se prononcer sur ce texte aujourd'hui à 15 heures. S'ils adoptent le texte conforme, à l'issue de sa promulgation, le Gouvernement pourra rétablir un financement par le produit d'une taxe affectée pour conforter l'indépendance de l'audiovisuel extérieur.
Afin de redonner quelques moyens à France Médias Monde, nous vous proposerons avec ma collègue co-rapporteure Mireille Jouve un amendement prévoyant de redonner 5 M€ à France Médias Monde qui seraient prélevés sur les crédits de France Télévisions. Nous vous proposerons également de conditionner un avis favorable à l'adoption des crédits à l'adoption de cet amendement.
Mme Mireille Jouve, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, Je souhaite tout d'abord saluer notre ancien collègue Jean-Noël Guérini à qui j'ai l'honneur de succéder comme co-rapporteure. Je veillerai à défendre aussi bien qu'il le faisait notre attachement à un audiovisuel extérieur puissant et indépendant.
Compte tenu du contexte budgétaire particulier qui vient d'être dressé par mon collègue rapporteur Roger Karoutchi, permettez-moi de vous apporter quelques détails sur la situation de chacun des opérateurs.
Concernant France Médias Monde tout d'abord, la baisse de près de 10 M€ des crédits prévue par le Gouvernement aura un impact en 2025 mais également les années suivantes selon qu'il y aura ou non un rattrapage.
La direction de FMM estime, en effet, que si la trajectoire financière est respectée pour les années suivantes il pourrait être possible pour l'entreprise d'absorber les déficits cumulés de 2024 et 2025 sur ses capitaux propres. A contrario, si la trajectoire financière est durablement dégradée, elle sera dans l'obligation de remettre en cause le périmètre de ses actions et de ses missions tout en ayant besoin de solliciter l'actionnaire pour une recapitalisation.
Une dégradation persistante des moyens de FMM réduira d'autant sa capacité à mener sa transformation numérique mais elle constituera également un risque industriel majeur pour ses activités historiques compte tenu du besoin impératif d'investissement dans les infrastructures techniques de l'entreprise comme les régies de France 24, du fait de leur ancienneté.
Dans ce contexte maussade, nous ne pouvons que nous réjouir a contrario du maintien du soutien direct du Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères via l'aide publique au développement (programme 209) qui devrait permettre de financer de nouveaux projets de proximité. La subvention du MEAE qui était de 2,5 M€ en 2024 sera portée à 4,1 M€ en 2025 puis 4,9 M€ à partir de 2026.
FMM devrait donc pouvoir développer son « hub » à Beyrouth - avec une vigilance renforcée sur le plan sécuritaire - pour enrichir la production numérique de France 24 en arabe et MCD à travers la production de contenus dans tous les formats. En Afrique, FMM prévoit de lancer une offre numérique panafricaine pour les jeunes destinée aux réseaux sociaux pour offrir des contenus constructifs et lutter contre les infox. Le pôle de Dakar poursuivra par ailleurs le développement de la production africaine de contenus. En Europe centrale et orientale, le « hub » de Bucarest poursuivra le développement de la rédaction de RFI en ukrainien tandis que le projet de rédaction en turc pourrait être reporté compte tenu du contexte budgétaire.
Le problème de la prévisibilité des ressources concerne également TV5 Monde qui a engagé le processus de rédaction de son nouveau plan stratégique quadriennal. Les grandes orientations ont été présentées au conseil d'administration du 17 octobre mais l'adoption du document devrait être reportée au mois de février 2025. Le plan stratégique de TV5 Monde ne comportant pas de programmation budgétaire, l'entreprise demeure dans l'incertitude quant aux moyens dont elle pourra disposer. Selon la DGMIC la tendance actuelle serait à la stabilité des moyens chez les différents bailleurs, ce qui revient à considérer que les marges de manoeuvre devraient dans les années à venir résulter de l'arrivée de nouveaux pays au tour de table.
L'arrivée de Monaco a permis d'apporter 4,2 M€ au fonctionnement de TV5 Monde. L'élargissement de la gouvernance à de nouveaux pays francophones demeure d'actualité avec le projet d'adhésion commune du Bénin, du Cameroun, du Congo Brazzaville, de la Côte d'Ivoire, du Gabon, de la République démocratique du Congo et du Sénégal qui contribueraient au même niveau que Monaco dans un strict respect de la charte éditoriale et déontologique de TV5 Monde.
TV5 Monde devra néanmoins continuer en 2025 les économies engagées en 2024 dans la diffusion en supprimant des sous-titrages dans certains pays, en réduisant les productions propres avec l'arrêt de plusieurs magazines, en cessant la distribution en Allemagne et en renonçant à la distribution par satellite de la chaîne Style en Afrique.
Enfin, grâce aux financements apportés par la partie canadienne, la plateforme TV5 Monde + poursuivra son développement dans les deux cents pays où elle est présente avec son modèle proposant 6000 heures de programmes financés par la publicité. L'offre Tivi5 Monde qui propose des programmes de qualité à la jeunesse africaine - ciblée par les médias russes, chinois et turcs - sera également préservée.
Sous réserve de ces remarques, je constate également que les crédits prévus pour 2025 ne sont pas à la hauteur de l'ambition nécessaire pour notre audiovisuel extérieur et je rejoins la recommandation de mon collègue rapporteur de conditionner l'adoption des crédits de l'audiovisuel extérieur à l'adoption de notre amendement visant à redonner 5 M€ de crédits à France Médias Monde.
M. Cédric Perrin, président. - Je rappelle que le chef d'état-major des armées intègre la guerre informationnelle, le numérique et le cyber dans la haute intensité pour « gagner la guerre avant la guerre ». C'est donc un contre-sens majeur de réduire les crédits de l'audiovisuel extérieur comme c'est une erreur de réduire les crédits d'autres organismes dépendant de l'ANSII, du SGDSN et de l'IHEDN.
Mme Hélène Conway-Mouret. - J'adhère complètement aux arguments des deux co-rappporteurs. Le maintien des sous-titres est essentiel en particulier en Afrique où le français recule et où il est essentiel de s'adresser aux publics dans leurs langues locales. C'est indispensable pour pouvoir s'adresser à la jeunesse. Notre modèle est obsolète et les crédits ne sont pas à la hauteur. Mon groupe votera en faveur de l'amendement et conditionnera l'avis sur les crédits à son adoption comme le proposent les rapporteurs.
Mme Michelle Gréaume. - J'aurais aimé qu'on parle davantage de la disparition de la contribution à l'audiovisuel public et de la réforme se son financement. Nous sommes favorables à la sanctuarisation de l'audiovisuel extérieur.
M. Olivier Cadic. - Je suis heureux que France Médias Monde puisse poursuivre le développement de son activité à Beyrouth. Le rapport présenté était très éloquent et je soutiendrai l'amendement de 5 M€ qui constitue un signal.
M. Roger Karoutchi, rapporteur. - Lorsque j'étais rapporteur spécial de la commission des finances pour l'ensemble de l'audiovisuel public j'ai déposé chaque année un amendement de transfert de crédits en faveur de France Médias Monde. Nous sommes partout sur la retraite. Est-ce que la France existe encore à l'extérieur ? Aujourd'hui ce n'est pas le cas.
Il n'y a pas de véritable stratégie pour l'audiovisuel extérieur. Je pense qu'il faut faire passer la part de l'audiovisuel extérieur dans la totalité des crédits de l'audiovisuel public de 8% environ aujourd'hui à 10% et arrêter de privilégier les deux plus gros opérateurs. L'amendement de 5 M€ permettrait à France Médias Monde de préserver certaines de ses actions ainsi que sa transformation numérique.
La commission a adopté à l'unanimité l'amendement visant à transférer 5 M€ du programme 372 de France Télévisions au programme 375 de France Médias Monde.
La commission a ensuite donné à l'unanimité un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 375, 377 et 383 sous réserve de l'adoption de l'amendement de transfert de crédits adopté par la commission.