EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 27 novembre 2024, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, a procédé à l'examen des crédits de la mission « Défense » - programme 178 - Préparation et emploi des forces.

M. Olivier Cigolotti, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, Comme les rapporteurs précédents l'ont souligné, la Mission « Défense » connaît au sein du PLF 2025 une progression en ligne avec la loi de programmation militaire. En particulier, les crédits du programme 178 « Préparation et emploi des forces » augmentent de plus de 750 M€ par rapport à la LFI 2024, atteignant 14,3 Md€, soit+5,5 %. L'ambition portée par ce programme pour les années à venir s'énonce clairement : emmener nos armées à un niveau de préparation suffisant pour dissuader une agression de nos adversaires, et ainsi tenter de faire mentir le pessimisme de Jean Giraudoux qui disait que « la paix est l'intervalle entre deux guerres ».

Avant d'aborder les crédits pour 2025, il faut relever qu'on peut légitimement avoir quelque inquiétude pour la fin de gestion 2024. Nous avons là une équation à deux inconnues.

Première inconnue, les dégels budgétaires. Avec le « surgel » et le « sur-surgel » intervenus en février et juillet derniers, ce sont par exemple 9% des crédits du budget opérationnel de programme (BOP)-terre qui ont été gelés. Des crédits sont en cours de dégel mais nous n'avons pas été précisément informés à ce jour.

Deuxième inconnue, le financement des nombreuses opérations menées en 2024. Le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024 prévoit l'ouverture de 837 millions d'euros (677 millions au programme 178 et 160 millions au programme 212) pour couvrir les surcoûts des OPEX, des MISSINT, y compris les JOP et les interventions en Nouvelle-Calédonie, les déploiements sur le front oriental et le soutien à l'Ukraine. En tenant compte de la provision pour OPEX-MISSINT de 800 millions d'euros, 1 637 millions d'euros sont prévus pour couvrir l'ensemble des surcoûts. Or, nous n'avons pas été informés à ce jour du total des surcoûts effectifs en 2024. Les surcoûts OPEX-MISSINT devraient avoisiner les 1,3 milliards d'euros, mais ceux liés à l'aide à l'Ukraine n'ont pas été communiqués. Toutefois, ils seront nécessairement importants. Ainsi, les surcoûts ne seront probablement que très partiellement couverts par les crédits ouverts, ce qui semble assez inquiétant. Cette gestion de la fin 2024 conditionne en effet en partie la capacité des armées à exécuter la première année de la LPM et à atteindre leurs objectifs en matière d'activité et de préparation opérationnelles.

Au-delà de l'exercice 2025, le travail de clarification du statut des missions extérieures annoncé par le ministre est bienvenu. Il s'agit de distinguer : les OPEX relevant de l'article 35 de la Constitution ; celles qui n'impliquent que la légitime défense comme par exemple l'opération ASPIDES ; enfin les missions, telles Aigle et Lynx, qui visent à la réassurance de nos alliés sans impliquer dans l'immédiat l'usage de la force. En tout état de cause, une telle clarification devra respecter une triple exigence : se solder par une meilleure information et un contrôle accru du Parlement ; permettre une juste indemnisation des militaires engagés en fonction des sujétions et des risques encourus ; assurer une bonne répartition du financement entre la mission « Défense » et la solidarité interministérielle.

Deuxième sujet d'attention, les crédits de maintien en condition opérationnel. Les crédits d'entretien programmé des matériels (EPM), après avoir connu une hausse très significative en 2024, stagneront en 2025 pour les milieux terrestre et aérien, mais augmenteront pour les forces navales. Le défi est désormais double : permettre de faire remonter la disponibilité technique souvent insuffisante pour maintenir le niveau d'entraînement, tout en développant des stocks de pièces dans l'optique de la haute intensité, le tout à budget quasi constant pour les armées de terre et de l'air. Ceci suppose des réformes. Dans l'armée de terre, les marchés de soutien en service (MSS) seront progressivement transformés en marchés de soutien hybride (MSH). Ainsi, la fourniture des pièces spécifiques aux matériels maintenus restera du ressort de contrats verticalisés avec les industriels, mais avec une plus grande marge de manoeuvre financière pour l'approvisionnement en rechanges et le choix de réparations dans l'industrie étatique ou privée. Parallèlement, il sera recouru à des marchés d'approvisionnement dits « transverses » pour l'acquisition des rechanges non spécifiques et des consommables. Dès 2025, les véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) seront concernés par cette évolution, puis les chars LECLERC (en 2027) et les véhicules blindés multi-rôles (VBMR, en 2027-2028). En revanche, le MCO aéronautique restera essentiellement verticalisé, mais devra gagner en productivité, notamment pour le Service industriel de l'aéronautique (SiAé) qui a reçu pour mission de s'adapter à la haute intensité. Tout ceci dessine une nouvelle doctrine du MCO pour la haute intensité, qu'il faudra impérativement préciser en 2025, pour que la remontée des crédits, qui arrivera ensuite, s'insère dans un système globalement plus performant.

S'agissant des chiffres de la disponibilité technique des matériels, vous savez qu'ils sont maintenant protégés. Toutefois, on peut indiquer que l'aéroterrestre reste un point de difficulté, tout comme les NH90 Caïman de la Marine, dont la disponibilité reste bien inférieure aux besoins malgré tous les efforts engagés depuis 2023, alors même qu'il doit servir au moins encore 20 ans. La pression ne doit donc pas se relâcher sur les industriels du programme pour qu'ils assurent correctement le MCO de ce matériel aux capacités par ailleurs exceptionnelles. Quant à l'armée de l'air et de l'espace, la progression de la disponibilité des avions de chasse est entravée par l'attrition des deux Rafale et les cessions de Mirage 2000 à l'Ukraine.

En conclusion, nous ne pouvons pas nous permettre de manquer les marches 2024 et 2025 car en matière de préparation des forces, l'adaptation à la haute intensité n'en est encore qu'à ses prémisses. Tout en gardant un oeil sur la fin d'exécution 2024, nous donnerons un avis favorable à ces crédits du programme 178 qui s'annoncent conformes à ceux prévus dans la trajectoire de la dernière LPM.

Je vous remercie.

Mme Michelle Gréaume, rapporteure. - Monsieur le président, mes chers collègues, cette année encore, la progression vers les normes d'entraînement fixées par la loi de programmation militaire sera plus « qualitative » que « quantitative ».

S'agissant de l'armée de terre, les crédits sont en hausse mais permettront seulement de maintenir le niveau d'entraînement, comme en 2024, autour de 70% de la norme LPM, car beaucoup d'activité sera absorbée par des exercices de grande ampleur. L'objectif est de se préparer au déploiement d'une brigade aux meilleurs standards, dite « bonne de guerre », au premier semestre 2025, puis d'une division de combat au cours des années 2026 à 2028. La progression qualitative passe donc en 2025 par davantage de participation aux exercices de l'OTAN tels que DACIAN SPRING, WARFIGHTER et DIODORE. La France contribuera ainsi à la transformation de l'OTAN vers un modèle apte à la haute intensité, tout en effectuant de nombreux « signalements stratégiques » à destination de nos alliés et de nos adversaires.

Le défi sera selon nous de concilier ces exercices OTAN avec la préservation de l'entraînement classique, de l'entraînement interarmées jusqu'à celui au sein des garnisons. Les grands exercices sont en effet très utiles pour les états-majors, moins directement pour les militaires du rang. Enfin, l'amélioration qualitative devra également passer par un durcissement de l'entraînement et par une préparation opérationnelle plus réaliste par rapport à la haute intensité.

Les crédits d'activité opérationnelle de la Marine nationale augmentent également. En 2025, la logique de coopération internationale des forces se poursuivra avec un nouvel exercice POLARIS 25. L'accent devra être mis sur la navigation en groupe, avec l'ensemble du spectre des capacités. L'activité des navires sera très satisfaisante, l'amiral Vaujour parlant même de « suractivité » ; en revanche, la situation sera compliquée pour l'aéronavale, en particulier les hélicoptères, du fait des problèmes de disponibilité évoqués par mon co-rapporteur.

Enfin, pour l'armée de l'air et de l'espace, il faudra atteindre les prochaines annuités de la LPM pour constater des augmentations plus significatives de l'activité, compte tenu des cessions récentes à l'Ukraine, notamment les Mirage 2000-5 et des résultats très progressifs des contrats verticalisés. Surtout, le faible volume de la flotte a pour conséquence une sur-utilisation des matériels pour permettre une activité suffisante. Les cessions de Mirage 2000-5 se traduiront sans doute aussi par un report d'activité sur les Rafale et les Mirage 2000D, ce qui ne peut qu'aboutir à une augmentation des dépenses de maintien en condition opérationnelle à long terme.

Je voudrais ensuite faire un bref RETEX des Jeux olympiques de Paris et évoquer leurs conséquences pour nos armées. Trois points doivent être selon moi soulignés.

D'abord, il s'agit d'un indéniable succès pour nos armées, dont nos militaires peuvent être fiers. Ils ont en effet sécurisé efficacement les JO, mais aussi rehaussé le lien armées-Nation et démontré leur professionnalisme, aux yeux tant de nos concitoyens que des spectateurs venus du monde entier.

Deuxièmement, il y a nécessairement eu un impact sur la préparation opérationnelle. Durant la période de juin à octobre, les camps d'entraînement ont vu une baisse de leur taux de fréquentation d'environ 10 points. Cette conséquence a toutefois été anticipée et l'entraînement devrait être rattrapé progressivement sur trois ans.

Enfin et surtout, deux aspects mis en valeur lors de cette mission sont susceptibles de faire évoluer indirectement la mission Sentinelle. En effet, les armées ont démontré leur capacité à assumer des missions plus complexes et à mobiliser efficacement des capacités spécialisées : capacités cyno-techniques, de déminage, anti NRBC et anti drones, plongeurs, etc. Ces capacités spécialisées pourraient désormais être déployées de manière permanente pour répondre aux nouvelles menaces, y compris par exemple celles issues du changement climatique. En outre, la coopération civilo-militaire s'est avérée efficace, avec un dialogue plus fluide que par le passé. Après cette expérience réussie, les demandes émanant des préfets pourraient évoluer - du moins c'est ce que les militaires espèrent - vers des expressions de besoins en termes de missions et d'effets recherchés, et non plus en nombre de militaires. Ceci pourrait permettre de faire évoluer à la baisse le socle de Sentinelle, tout en ayant une partie de « réserve » plus souple et plus décentralisée, permettant une meilleure réactivité face aux demandes des autorités. Ces deux évolutions auraient un effet positif sur l'intérêt des missions et donc sur la fidélisation des militaires, ce qui constituerait un investissement pour l'avenir.

Avant de conclure mon propos, je voudrais évoquer les services de soutien, dont les crédits sont en hausse de +3,85 % entre la LFI 2024 et le PLF 2025. S'agissant en particulier du service de santé des armées (SSA), qui suit sa feuille de route de janvier 2024 pour remonter en puissance, les difficultés de recrutement et de fidélisation sont toujours un point d'attention. Toutefois, deux événements positifs peuvent être soulignés dans la vie du service. D'abord, s'agissant de la composante formation et recherche, il faut saluer l'inauguration de l'Académie du service de santé en avril 2024, permettant d'accroître la cohérence des capacités de formation. Ensuite, La phase d'analyse du futur hôpital national d'instruction des armées à Marseille est bien lancée et se poursuivra jusqu'en 2025. Le début de la construction devrait intervenir en 2028 pour une mise en service autour de 2031. Le financement de ce nouvel hôpital doit encore recevoir un soutien de l'OTAN et un soutien civil en raison de sa contribution à la santé publique des populations du nord de l'agglomération de Marseille.

Voici, monsieur le Président, mes chers collègues, les quelques points que je souhaitais soulever à propos de ce PLF 2025 qui préserve la hausse des crédits que nous avions inscrits dans la LPM, mais qui ne produira pas encore d'effets majeurs en 2025 en termes de préparation opérationnelle.

Je vous remercie.

La commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 178.

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