II. UNE POLITIQUE IMMOBILIÈRE ET D'HÉBERGEMENT À HISSER AU NIVEAU DES BESOINS
A. LA POLITIQUE IMMOBILIÈRE ET D'HÉBERGEMENT
L'ensemble des crédits consacrés aux infrastructures pour 2025, tous programmes confondus, sont de 3 Md€ en AE, en hausse de 29% par rapport à 2024, et 2,4 Md€ en CP, en hausse de 11,9 % sur un an.
Plus spécifiquement, sur le périmètre des infrastructures dites « communes », les crédits budgétaires de la politique immobilière portés par le programme 212 représentant 656 M€ en AE et 816 M€ en CP, en hausse, respectivement, de 2,5 % et 35 % par rapport à la LFI 2024. Ces crédits se ventilent ainsi :
· 146 M€ d'AE et 326 M€ de CP sont programmés au bénéfice du logement familial ;
· 120 M€ d'AE et 144 M€ de CP pour le financement des infrastructures d'hébergement ;
· 9,5M€ d'AE et 11,4 M€ de CP pour les infrastructures d'action sociale (crèches et centres de loisirs).
· 247 M€ d'AE et 173 M€ de CP pour les infrastructures de soutien commun dont la restauration ;
· 102 M€ d'AE et 125 M€ de CP à destination de la transition écologique et la maîtrise des risques environnementaux.
1. Les infrastructures : une politique de soutien à l'organisation assez complexe
Au sein du secrétariat général pour l'administration du ministère des armées, c'est la direction des territoires, de l'immobilier et de l'environnement (DTIE) qui est responsable de la politique immobilière et oeuvre à la qualité de vie et de travail des ressortissants et de leurs familles à travers une offre de logements et d'hébergements. Elle élabore et met en oeuvre, en outre, la politique ministérielle dans les domaines du développement durable et de la transition écologique - sa directrice est également haut fonctionnaire au développement durable du ministère.
La politique immobilière définie par la DTIE est mise en oeuvre par le service d'infrastructure de la défense (SID). Le patrimoine immobilier de la défense représentant 27 % du domaine immobilier de l'État, le SID est l'un de ses principaux opérateurs en matière d'infrastructure. Présent sur l'ensemble de la chaine de la valeur de la construction et de l'exploitation - maîtrise d'ouvrage, maitrise d'oeuvre, maintenance, expertise technique, gestion et administration du patrimoine -, le SID est garant à la fois de la disponibilité et de la cohérence des infrastructures de Défense pour les besoins opérationnels, et de leur adaptation face à la transition écologique.
Créé en 2005 par regroupement de trois anciennes directions centrales du ministère - génie, infrastructures de l'air, travaux immobiliers et maritimes de la défense nationale -, il s'est enrichi en 2014 des effectifs de régies implantées dans les régiments. Depuis la création des bases de défense, ses 6500 agents environ sont répartis entre la direction centrale, 7 établissements constituant des entités de production, 51 unités de soutien de l'infrastructure de défense, 9 directions d'infrastructures de défense outre-mer et à l'étranger.
Le SID, engagé depuis sa création dans une trajectoire de contraction de ses effectifs, doit encore relever le défi de « la nouvelle ambition infrastructure » portée par la loi de programmation militaire 2024-2030, tenant aux adaptations capacitaires, aux infrastructures de la dissuasion, aux nouveaux équipements des forces et aux objectifs d'entraînement dans un contexte de durcissement de la préparation, qui devrait augmenter son activité d'environ 30 %. Le service a en conséquence lancé un ambitieux chantier de transformation - la nouvelle organisation de la direction centrale est effective depuis le 1er septembre2(*) -, se recentre sur la maitrise d'ouvrage et accroit progressivement la part de prestations externalisées.
Le programme 212 n'est pas le seul à porter les crédits de soutien immobiliers gérés par le SID. Depuis la mise en place de la nouvelle architecture budgétaire en 2020, le programme 178 finance les opérations de maintien en condition, le 146 les infrastructures des grands programmes et de la dissuasion, et le programme 212 finance les opérations de « gros entretien, renouvellement » des infrastructures du quotidien.
Cette complexité se décline dans la gestion au quotidien. L'hébergement des militaires est le corollaire de l'obligation de disponibilité qui pèse sur eux, et qui peut exiger la limitation de leur liberté de résidence, dans l'intérêt du service3(*). Aux termes des textes réglementaires applicables, c'est même un droit pour les militaires du rang et, sous certaines conditions, une faculté pour les cadres célibataires4(*). L'hébergement recouvre le casernement, qui bénéficie aux militaires du rang et aux volontaires des droits armées, et qui peut être une obligation si le commandement le décide, et l'hébergement au sens strict, qui bénéficie aux cadres d'active célibataires ou célibataires géographiques. Il est ainsi à distinguer du logement familial et de l'hôtellerie proposée par les cercles militaires.
Un récent rapport de la Cour des comptes5(*) a toutefois mis l'accent sur l'hétérogénéité de l'application de cette notion. Il relève que, si les choses sont assez simples dans l'armée de l'air et de l'espace et la marine, qui traitent également les militaires du rang et les cadres, et distinguent peu hébergement et casernement, les règles sont très variables dans l'armée de Terre selon le chef de corps, l'environnement, ou la localisation du régiment, ce qui ne facilite pas même la quantification des besoins. Le rapport relève encore la grande complexité organisationnelle, dont il résulte une offre assez disparate et des standards hérités des usages propres à chaque armée, ainsi que les lacunes, faute d'outils de pilotage fins, dans la connaissance du public - par la mesure du célibat géographique notamment -, le suivi de l'occupation du parc, le traitement des points noirs immobiliers ou encore les besoins d'hôtellerie.
La complexité de gestion est aussi le fait de l'organisation du soutien à l'échelle des bases de défense. Celle-ci n'est pas pleinement stabilisée, comme en témoigne le transfert à la DTIE, en 2021, des bureaux logement rattachés aux groupements de soutien des bases de défense, ou bien le maintien à la main du commandement, plutôt que de le rattacher à ces groupements de soutien, de la fonction hébergement en caserne dans l'armée de Terre. La spécificité de l'armée de Terre, et le maintien en Ile-de-France d'une organisation spécifique, font peu par ailleurs pour homogénéiser les normes d'hébergement, d'équipement, ou les usages tarifaires. Deux rapports récents ont en outre mis l'accent sur les conséquences de cette organisation pour les établissements spécifiques que sont l'École navale et l'Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, dont la dépendance à leur groupement de soutien de base de défense ne facilite pas la priorisation des chantiers d'entretien de leurs infrastructures, pourtant dégradées6(*).
2. Des efforts d'amélioration de l'état du parc à réévaluer
L'état du patrimoine immobilier de la défense est une préoccupation croissante7(*), pour des raisons tenant à la qualité de vie au travail, au moral des militaires, et donc au niveau de fidélisation que l'on peut escompter des agents du ministère. L'hébergement et le logement sont en effet en bas du classement des principales variables de satisfaction des militaires, mesurée par le « baromètre du moral » de la DRH-MD.
Une cartographie du niveau de risques du patrimoine permettant d'identifier les évolutions des risques, de conforter les stratégies de maintien en condition et d'évaluer les budgets pluriannuels de maintien en condition, est élaborée chaque année. L'état d'entretien du patrimoine est ainsi classé en quatre niveaux.
Niveau |
Description |
|
E1 |
Etat "Bon" |
La fonction de l'ouvrage est normalement assurée. Pas ou très peu de dégradations apparentes |
E2 |
Etat "Moyen" |
La fonction de l'ouvrage est normalement assurée. Dégradations apparentes localisées |
E3 |
Etat "Mauvais" |
La fonction de l'ouvrage est assurée mais potentiellement de manière dégradée. Dégradations apparentes nombreuses |
E4 |
Etat "Très mauvais" |
La fonction de l'ouvrage est assurée de manière dégradée ou n'est plus assurée. Dégradation généralisée |
Source : DCSID.
En 2024, la part des 30 millions de mètres carrés gérés par le SID de surface utile brute classée comme étant en « bon état », de même que celle en « très mauvais état », diminue faiblement, tandis que progressent les parts des mètres carrés en état « moyen » ou « mauvais ».
Performance du patrimoine immobilier du ministère des armées
Source : DCSID.
Encore faut-il ventiler cette représentation par type d'infrastructures, la mesure de l'état du parc ne concernant pas uniquement les bâtiments de logement. Certaines, tels les ouvrages portuaires, sont plus amplement dégradées que les autres.
Source : DCSID.
L'ampleur des efforts à fournir pour remédier à la dégradation du bâti est fréquemment appréhendée par la notion de « dette grise », qui désigne la somme des crédits nécessaires pour remettre à niveau le patrimoine immobilier sur la base d'une performance ciblée par l'état-major des armées. Il ne semble pas que l'évaluation obtenue la Cour des comptes en 2023 ait été actualisée par le SID, selon laquelle l'effort budgétaire nécessaire est passé de 3,8 Md€ en 2017 à 4,4 Md€ en 2021, et pourrait atteindre 4,5 Md€ en 2025.
Dette grise du parc immobilier de la défense (en Md€)
Source : Cour des comptes, 2023, d'après le SID.
Le SID conteste toutefois la pertinence d'un tel indicateur, qui prétend objectiver les moyens financiers à mobiliser pour restaurer au meilleur niveau une quantité donnée de mètres carrés. Selon le SID, ce concept est peu utile pour piloter la maintenance selon l'utilité respectivement accordée à chaque bâtiment. Le ministère a lancé une réflexion relative à la notion de maintenance afin de mieux appréhender, au titre de la maintenance lourde, ce qui relève du gros entretien renouvellement, concourant à la sauvegarde du parc, d'une part, et ce qui relève d'opérations d'investissement, faisant évoluer le patrimoine du ministère, d'autre part.
Le SID estime en conséquence préférable de raisonner en flux pour entretenir et remettre en état le patrimoine, et évalue à 450 millions d'euros les crédits de gros entretien renouvellement nécessaires sur dix ans, en complément de ceux de mise en condition, pour maintenir le patrimoine utile en état moyen ou bon.
Le SID cherche simultanément à optimiser les coûts de maintenance. Les différents accords-cadres signés par les USID et parfois reconduits sans concertation d'un établissement à l'autre sans appels d'offres locaux pour traiter de gros volumes de travaux, sont en voie de rationalisation et un modèle conduisant à une optimisation des coûts est en conception. Un observatoire des coûts permettra en outre de mieux objectiver les propositions financières des entreprises. Le SID travaille encore à la définition du juste besoin en termes de prestations et d'impératif de livraison.
Au cas particulier des bâtiments d'hébergement, qui ne peuvent être isolés précisément dans l'indicateur de « dette grise », le rapport précité de la Cour des comptes avait pointé la progression, entre 2014 et 2020, de la part dégradée du parc selon la cartographie des risques de l'état-major de l'armée de terre, qui croise la qualité des bâtiments à leur importance stratégique. Selon cette grille d'analyse, la part du parc classé en risque élevé et très élevé était de 39 % en 2020 contre 34 % en 2018 et 27 % en 2014. L'hébergement des militaires du rang présentait alors le taux de risque le plus élevé avec 62 % en 2020. S'il ne représente que 28 % du parc global d'hébergement, leur classement en importance « vitale » pour le casernement de l'armée de Terre et leur taux de vétusté important accentuent le niveau de risque. Ce taux atteignait en outre 67 % pour l'outre-mer8(*).
Le plan hébergement lancé en 2019 visait à améliorer les conditions d'hébergement des militaires et augmenter l'offre au profit des cadres célibataires, tout en la standardisant. Ce plan prévoyait initialement 1,2 Md€ d'engagements de travaux sur la période 2019-2025. Les objectifs d'engagements du plan hébergement ont jusqu'à présent été tenus, puisque plus d'1 Md€ de travaux seront engagés d'ici à la fin 2024, pour près de 23 500 places livrées sur la période 2019-2025. La période 2020-2024 a permis la livraison de 15 276 lits.
Évolution entre 2019 et 2024 de l'état des bâtiments visés par le plan
Note d'état en 2024 |
||||||
Note d'état en 2019 |
E1 |
E2 |
E3 |
E4 |
Total |
|
E1 |
5 |
1 |
- |
- |
6 |
|
E2 |
12 |
41 |
7 |
4 |
64 |
|
E3 |
7 |
13 |
26 |
2 |
48 |
|
E4 |
4 |
- |
- |
1 |
5 |
|
Total |
28 |
55 |
33 |
7 |
123 |
Source : DTIE.
Sur les 53 bâtiments d'hébergement du périmètre considérés comme dégradés en 2019, environ la moitié voient leurs notes d'état s'améliorer en 2024. Sur 64 ouvrages déjà jugés en bon état en 2019, 53 voient leur état s'améliorer ou rester stable. Sur cette période, la part des ouvrages qui voient leur état s'améliorer est de 30 %, la part des ouvrages qui restent stables est de 59 % et la part des ouvrages qui voient leur état se dégrader est de 11 %.
Cet effort est poursuivi dans le cadre de la LPM 2024-2030. En 2025, une enveloppe de 120 M€ est prévue pour couvrir la commande de plus de 2 000 places. La livraison de près de 4 100 places est prévue au regard des programmes déjà lancés.
3. L'action en matière de transition écologique
Le ministère poursuit ses actions d'intégration de la transition écologique dans ses projets, et notamment la réduction des consommations énergétiques et de décarbonation des infrastructures et des mobilités non opérationnelles.
Il a ainsi notifié douze contrats de performance énergétique entre 2011 et à 2024 et en prévoit de nouveaux d'ici fin 2030. Au total, plus de 20 contrats devraient être actifs fin 2030 pour des gains énergétiques estimés, selon les sites, entre 40 % et 60 %.
Pour 2024, 60 M€ sont engagés pour des CPE au camp de Canjuers et à Pau. En 2025, la notification du CPE de Suippes est prévue, pour 37 M€.
La stratégie ministérielle de performance énergétique prévoit par ailleurs de programmer sur la période 2020-2031 le remplacement de toutes les chaudières au charbon et au fioul, hors les chaudières de secours, par des systèmes de production de chaleur moins polluants et plus économes. À ce jour, 40% du parc de chaudières a déjà été retiré.
* 2 Arrêté du 5 juillet 2024 portant organisation du service d'infrastructure de la défense.
* 3 Voir les articles L. 4111-1 et L. 4121-5 du code de la défense.
* 4 Voir notamment l'instruction n° 201710/DEF/SGA/DFP/FM/1 d'application du décret relatif à la discipline générale des militaires du 4 novembre 2005.
* 5 Voir Cour des comptes, « Les conditions d'hébergement dans les bases de défense, Exercices 2011-2021 », juin 2023.
* 6 Voir Cour des comptes, « L'académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, exercices 2014-2022 », octobre 2023 ; et « L'école navale, exercices 2014 et suivants », avril 2024.
* 7 Voir par exemple le rapport annuel 2018 du Haut comité d'évaluation de la condition militaire ; plus récemment, le rapport de M. Dominique de Legge, pour la commission des finances du Sénat, sur la mission « Défense » du PLF pour 2024.
* 8 Voir Cour des comptes, « Les conditions d'hébergement dans les bases de défense, Exercices 2011-2021 », juin 2023, p. 52.