B. LA NÉCESSITÉ DE RÉPONDRE AUX NOUVELLES MENACES TOUT EN FINANÇANT LES GRANDS PROGRAMMES STRUCTURANTS DE LA PROCHAINE DÉCENNIE
Si la mise en oeuvre de la LPM devrait respecter en 2025 la trajectoire fixée en 2023, c'est bien cette dernière qui pose aujourd'hui question au regard des objectifs affichés tout comme des nécessités nouvelles apparues postérieurement à son adoption. Comme le rappelle l'état-major des Armées, le P.146 est essentiellement un programme du temps long et la plupart de opérations sont pluriannuelles. Les crédits de paiement d'une année résultent de commandes passées plusieurs années auparavant. Mais le P.146 est aussi un programme du temps court qui doit être capable de manoeuvrer afin de permettre les adaptations et conserver une capacité d'évolution.
Par ailleurs, les rapporteurs ont observé que certaines commandes avaient été retardées du fait de la dissolution de l'Assemblée nationale et qu'il était indispensable qu'elles interviennent d'ici la fin de l'année pour ne pas pénaliser les entreprises qui ont constitué des stocks en prévision de leur réalisation notamment en matière de munitions.
1. Une capacité d'adaptation du P.146 contrainte pour tenir compte des nouveaux besoins
Les crises récentes obligent à réinterroger les choix qui ont pu être réalisés ces dernières années compte tenu des nouvelles menaces. Sur le caractère suffisant des équipements par exemple : est-il raisonnable que les frégates de défense et d'intervention (FDI) françaises soient moins pourvues en missiles que les mêmes frégates vendues à la Grèce ? N'est-il pas devenu urgent de remettre à niveau leur armement pour faire face aux menaces d'engagements de haute intensité ? Concernant toujours l'équipement de nos navires, comment expliquer la faiblesse de leur protection contre les drones près de trois ans après le déclenchement de la guerre en Ukraine ? Si des initiatives ont été prises pour permettre notamment le recomplétement en missiles Aster hors de France, force est de constater que la protection de nos navires doit encore être durcie, ce qui nécessite des moyens qui n'ont pas nécessairement été prévus par le LPM. Cette question de la protection contre les drones se pose de la même façon concernant les unités blindées terrestres.
Dans ces conditions, les rapporteurs regrettent le retard pris dans le développement de certaines munitions (30 mm et 40 mm Airbust) qui pourraient réduire le potentiel des matériels comme la tourelle RapidFire et le Serval LAD. Ils considèrent également dommageable l'absence de crédits pour des budget d'études concernant les nouvelles munitions téléopérées comme le Katana de KNDS qui doit permettre d'améliorer la portée et la précision des canons CAESAR. Les rapporteurs saluent a contrario l'acquisition en juillet dernier de 3 armes laser HELMA-P auprès de Cilas et examineront avec intérêt les résultats de leur mise en oeuvre dans le cadre de la lutte anti-drones.
Dans un autre registre, MBDA vient de présenter une nouvelle version de son missile antinavire pour sous-marins dénommée SM40 dont les performances sont nettement supérieures à son prédécesseur en dotation dans la Marine nationale (portée de 120km contre 50km pour le SM39 B2 Mod 2) mais aucun crédit n'est prévu dans la LPM pour procéder à son acquisition. La situation est un peu différente concernant les bombes AASM de Safran dont les nouvelles versions dotées de portée accrue ont été prises en compte dans la LPM.
Enfin, il convient d'évoquer la « Force d'acquisition rapide » qui a déjà permis l'acquisition de la MTO OSKAR conçue par le duo KNDS/Delair. Ce « drone de contact » devrait commencer à être livré aux forces en 2025.
Quel choix pour l'artillerie à longue portée ?
Alors que la LPM a prévu des crédits pour donner un successeur aux LRU dont la fin de vie est prévue en 2027 et que la guerre en Ukraine a confirmé le caractère essentiel des systèmes d'artillerie longue portée, le Ministère des Armées a tardé à arrêter son choix entre les deux offres conçues respectivement par Safran/MBDA et Thales/ArianeGroup. Lors de son audition le DGA a néanmoins indiqué que les deux groupements avaient reçu commande pour la réalisation d'un démonstrateur et qu'une compétition serait organisée avant la fin de l'année 2025 afin de lancer une commande dans la foulée permettant de pouvoir disposer d'un successeur « souverain » au LRU.
Recommandation n°7 : commander effectivement le successeur du LRU à la fin de l'année 2025 afin de doter dans les meilleurs délais nos forces d'une solution souveraine développée par notre BITD.
2. La nécessité d'appliquer « avec constance »la trajectoire de la LPM
Les auditions des rapporteurs ont mis en évidence que la LPM a été calibrée au plus juste, voire en deçà des besoins réels, pour ce qui concerne plusieurs programmes d'intérêt majeur. C'est le cas notamment du standard F5 du Rafale qui doit permettre de délivrer le futur missile nucléaire ASN4G. Cet avion sera doté d'un nouveau radar, d'un nouveau système de guerre électronique, de nouveaux capteurs optroniques et sera accompagné d'un drone de combat. Pourtant, malgré une prise de poids significative et des besoins accrus en génération électrique, la LPM n'a pas prévu l'enveloppe correspondant à la montée en puissance du moteur M 88 pourtant indispensable.
La motorisation à poussée augmentée T-REX et le Rafale F5
Safran et la DGA ont élaboré conjointement ces dernières années une feuille de route moteur militaire, basée sur une logique incrémentale d'évolution et l'apport des programmes d'études amont (PEA) / projets de technologies de défense (PTD) engagés par la France. Afin d'accompagner l'augmentation de la masse de la charge utile du Rafale ainsi que son développement dans le cadre du standard F5, Safran a proposé un moteur M88 à poussée augmentée (M88 T-REX). Le surcroît de puissance apporté par le M88 T-REX permet une amélioration des performances opérationnelles du Rafale et de sa compétitivité à l'international.
De plus, le développement et la qualification du moteur M88 T-REX permettraient également d'assurer l'indispensable transmission des compétences souveraines de motoriste complet en France, entre la génération d'ingénieurs chargée du développement du M88 et celle en charge du NGF (SCAF). Cette solution aurait également l'avantage de proposer des coûts de développement réduits par rapport à un moteur entièrement nouveau et des coûts de production et de soutien maîtrisés. Le développement du M88 T-REX constituerait, enfin, un jalon essentiel pour le maintien du savoir-faire français dans le cadre du programme SCAF.
Les rapporteurs estiment que le lancement du T-REX doit constituer une priorité de 2025 afin de donner tout son sens au lancement du standard F5 du Rafale.
Recommandation n°8 : engager dès 2025 le développement T-REX du moteur M.88 indispensable au standard F5 du Rafale et au maintien de la composante aérienne stratégique.
L'année 2025 doit également marquer un tournant pour le projet de porte-avions nucléaire de nouvelle génération (PA-NG) avec l'aboutissement de la phase d'avant-projet détaillé et le début de la phase de lancement et de réalisation. Si les travaux ont déjà commencé pour réaliser les chaufferies nucléaires, le bâtiment ne devrait commencer à prendre forme à Saint-Nazaire dans les Chantiers de l'Atlantique qu'en 2031, avec l'installation des deux chaufferies dans la section nucléaire de la coque. Les essais à la mer sont prévus en 2035/2036 tandis que l'entrée en service du bâtiment entier est attendue autour de 2038 pour succéder au Charles-de-Gaulle. Le respect des échéances apparaît d'autant plus crucial que les Chantiers de l'Atlantique ont « réservé » leurs capacités industrielles pour la construction du PA-NG pour une durée donnée en renonçant à construire des bâtiments civils sur ce créneau (« slot »). Le nouveau porte-avions est également conçu pour pouvoir emporter le SCAF, son drone de combat et d'autres drones ce qui implique une étroite coordination des deux projets.
Alors que ce projet constitue la colonne vertébrale de notre industrie navale militaire, les rapporteurs se sont vus rappeler par les industriels concernés qu'il manquait toujours 1 Md€ de crédits de paiement pour financer le début de la réalisation du bâtiment d'ici 2027. Tout comme pour le T-REX, la LPM a sous-estimé le besoin budgétaire de ce programme phare, ce qui interroge quant à la sincérité de certains éléments de la programmation budgétaire.
Lors de son audition par la commission, le DGA a d'ailleurs reconnu que le « T Rex » n'était pas prévu initialement et que le devis n'était pas finalisé sur le porte-avions de nouvelle génération.
Des interrogations similaires concernent d'autres programmes comme les frégates de défense et d'intervention (FDI) dont les numéros 4 et 5 n'ont toujours pas été commandées alors que leur livraison est maintenant prévue à l'horizon 2031/2032. Une réorientation de ces navires à l'export est maintenant envisagée ce qui ne permettra pas de faire remonter le tonnage de la Marine nationale malgré ses besoins importants.
Concernant le programme SCORPION, l'étalement des livraisons de 500 blindés ne devrait pas faire l'objet de nouvelles modifications selon le chef d'état-major de l'Armée de Terre qui envisage plutôt de faire évoluer les spécificités de certains exemplaires commandés pour les adapter aux nouvelles menaces, comme la lutte anti-drones.
Recommandation n°9 : clarifier rapidement les modalités de financement des projets d'intérêt majeurs inscrits dans la LPM dont les crédits n'ont pas été programmés.
Le recours de plus en plus prononcé à des artifices budgétaires comme les reports de charges (dont le montant croit chaque année et dont une partie devra être payée après 2027), les étalements de programmes et in fine la réduction des ambitions technologiques de certains programmes doit nous alerter sur les faiblesses intrinsèques de la LPM. Alors que la guerre en Europe s'étend et s'internationalise avec l'implication de la Corée du Nord en Ukraine, la question du format même de la LPM ne pourra pas être très longtemps ignorée en dépit d'un contexte budgétaire contraint. Dans l'immédiat, il apparaît d'autant plus indispensable de préserver la hausse des moyens prévue par la LPM car comme l'a souligné Emmanuel Chiva lors de son audition devant la commission « sans cette marche de la LPM, on ne pourrait tout simplement pas engager d'opérations nouvelles l'an prochain ».
Dans ces conditions, les rapporteurs rappellent la nécessité que le PLF 2025 soit bien adopté par le Parlement d'ici la fin de l'année afin de préserver la marche de 3,3 Mds€ qui est indispensable à notre effort de défense.
Recommandation n°10 : préserver absolument la marche de 3,3 Mds€ prévue par la LPM en 2025 et inscrite dans le PLF 2025 que le Parlement doit adopter d'ici la fin de l'année.
Le mercredi 27 novembre 2024, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 146 de la mission défense dans le projet de loi de finances pour 2025, Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteure, s'étant abstenue.