EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 27 novembre 2024, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, a procédé à l'examen des crédits du programmes 146 « Équipement des forces » de la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2025.

M. Cédric Perrin, président. - Nous passons maintenant au programme 146 d'équipement des forces. La parole est à Hélène Conway-Mouret.

Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, le PLF 2025 qui met en oeuvre la deuxième année de la LPM avec sa marche de 3,3 Mds€ constitue un moment de clarification. Le ministère des Armées n'évoque plus, en effet, le passage à l'économie de guerre mais, de manière plus réaliste, la « préparation à l'économie de guerre ».

Vous vous souvenez peut-être que nous avions vivement regretté l'année dernière l'emploi de cette expression qui ne correspondait pas à la réalité. Le rythme de production des munitions et des matériels ne permettait pas, en effet, de répondre à un engagement de haute intensité ni à aider suffisamment l'Ukraine. Qu'en est-il aujourd'hui ? Les déplacements que nous avons effectués sur le terrain au mois de mai à Bourges et en octobre dernier à Roanne ont montré que les choses bougeaient. Les processus de fabrication ont été adaptés afin d'accroître les cadences de production. L'assemblage des blindés du programme Scorpion, par exemple, s'inspire maintenant des lignes de production des grands constructeurs automobiles. Ces mêmes industriels ont pris sur eux pour investir dans des machines-outils ultra-modernes et constituer des stocks de composants.

Cette remontée en puissance de notre BITD permettra de poursuivre en 2025 les livraisons d'équipements prévus par la LPM (une douzaine de CAESAR ; 20 Leclerc rénovés (XLR) ; 282 véhicules SCORPION ; 8 000 fusils HK416 ; 14 Rafale (standards F3 et F4), 5 Caracal et 5 Tigre rénovés ; un A400M Atlas ; une frégate de défense et d'intervention (FDI)). Mais les effets seront également visibles en matière de munitions, la hausse de 27% des crédits permettant de regarnir les stocks d'obus, de bombes et de missiles.

Si nous nous réjouissons de cette remontée en puissance, il convient néanmoins d'être réaliste sur son ampleur. Nous avons, en effet, demandé à l'état-major de nous indiquer ce qu'il entendait par « combat de haute intensité » et celui-ci nous a répondu qu'il avait pris pour référence un engagement de deux mois pour définir ses besoins en matériels, munitions et logistique. Ce délai de 2 mois ne peut que nous interroger après bientôt trois années de guerre en Ukraine. Il est en effet trop bref pour permettre aux industriels de passer en économie de guerre et prendre le relais. C'est la raison pour laquelle notre première recommandation est de porter de 2 à 6 mois la durée du référentiel retenu aujourd'hui par les Armées pour déterminer le niveau des stocks de munitions et de matériels de base nécessaires pour conduire un affrontement de haute intensité. Ce changement de référentiel nécessiterait bien évidemment des moyens supplémentaires que nous souhaitons évaluer précisément dans les mois qui viennent.

Le deuxième sujet important sur lequel je souhaiterais insister concerne le renouvellement des composantes de la dissuasion nucléaire qui sera engagé en 2025. Les autorisations d'engagement augmenteront de presque 700% à près de 26 Mds€ afin de permettre le renouvellement à la fois de la composante aéroportée (ASM4G) et de la composante océanique (M 51.3 et SNLE 3G). Ces équipements s'inscrivent dans le temps long mais ils sont fondamentaux pour garantir la sécurité des générations futures à un moment où le contexte stratégique est redevenu moins prévisible. Notre 2ème recommandation est donc de sanctuariser les moyens nécessaires à notre dissuasion nucléaire.

Si nous estimons nécessaire de rappeler la nécessité de garantir les moyens de la LPM c'est aussi parce que le ministre des Armées a volontairement entretenu le flou sur la gestion de ces crédits. Alors que le délégué général à l'Armement nous a rappelé que 532 M€ de crédits seraient annulés en 2024 sur le programme 146 (après l'annulation de 505 M€ en 2023) pour financer les OPEX, le ministre a ouvert la perspective qu'une part croissante des OPEX pourrait à l'avenir être financée par les crédits de la LPM, en contradiction avec le principe qui avait été réaffirmé lors des débats de 2023.

Compte tenu de l'importance que devraient prendre les missions de réassurance sur le front est-européen dans les années à venir, leur financement par le budget des Armées reviendrait en réalité à ne plus respecter la LPM. C'est la raison pour laquelle notre 3ème recommandation vise à préserver une contribution forfaitaire du ministère des Armées au financement des OPEX mais également à assurer la transparence du coût des OPEX « non combattantes » et des opérations menées sur le territoire national (Nouvelle-Calédonie, Sentinelle, JOP 2024...).

Avant de céder la parole à mon collègue co-rapporteur quelques mots sur le programme SCAF pour lequel l'année 2025 sera une année décisive. La coopération industrielle demeure complexe. Si le recours à la méthode des piliers a permis de répartir le travail en respectant les savoir-faire de Dassault et Safran, des inquiétudes existent. Nous rappelons donc la nécessité pour tous les industriels associés aux programmes allemand et espagnol, notamment sur la partie moteur, d'être au rendez-vous tant en termes d'excellence technologique que de niveaux d'investissement.

Mais le principal sujet d'achoppement concerne toujours la différence d'organisation entre la France et l'Allemagne en matière d'agrément des exportations d'armement. L'accord franco-allemand signé en octobre 2019 n'a en réalité pas permis de lever les incertitudes puisqu'il ne concerne que les exportations pour lesquelles les produits industriels allemands ne comptent que pour moins de 20% du total. L'expérience récente du contrat Eurofighter en Arabie saoudite a mis en évidence que le Bundestag n'entendait pas se dessaisir de cette compétence et qu'elle était un enjeu majeur des contrats de coalition. Le DGA nous a indiqué qu'un sommet organisé le mois prochain consacré au SCAF devrait permettre de clarifier le régime des exportations et les caractéristiques de l'avion qui doit être capable d'aponter et de porter le missile nucléaire. L'absence de restriction à l'export étant une condition sine qua non posée par la France pour engager ce programme, si elle devait ne pas être respectée c'est son avenir même qui serait remis en cause.

Il nous apparaît d'autant plus nécessaire de réaffirmer nos « lignes rouges » qu'on voit émerger outre-rhin l'idée de créer une instance multilatérale qui aurait le pouvoir de s'opposer à un contrat d'exportation négocié par les autorités françaises. Une telle contrainte aurait inévitablement pour conséquence de réduire considérablement les perspectives d'exportation et donc de fragiliser l'équation économique et financière du programme SCAF. C'est la raison pour laquelle notre 4ème recommandation vise à organiser un débat au Parlement en 2025, après les élections allemandes, sur l'avenir du SCAF. De même, notre 5ème recommandation consiste à refuser tout mécanisme de contrôle multilatéral des exportations d'armements ayant fait l'objet d'un programme commun européen. La France doit demeurer souveraine en matière d'exportation d'armements.

Avant de céder la parole à mon collègue co-rapporteur, je souhaitais vous faire part du dilemme auquel nous faisons face. D'un côté, le budget maintient la marche de 3,3 Mds€ et des progrès réels sont constatés sur le terrain. Mais nous devons aussi nous inquiéter des insuffisances persistantes pour nous préparer à la haute intensité et des impasses nombreuses qui effleurent dans ce budget (programmes non financés, reports de charges, référentiel insuffisant sur la haute intensité...). Le compte n'y est pas, il manque pas mal de crédits. C'est pourquoi je propose que la commission donne un avis de sagesse à l'adoption des crédits du programme 146 dans la mission « Défense ». Ce serait un signal lancé par notre commission afin que le ministre des Armées clarifie en séance ses priorités et nous indique quels programmes seront touchés par le manque de crédits. Pour ma part je m'abstiendrai en séance sur le vote des crédits de la mission défense.

M. Hugues Saury, co-rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, il y a certes des interrogations sur les reports de charges, sur l'avenir du programme SCAF et j'ajouterai que le MGCS, l'autre grand programme mené en coopération avec les Allemands, n'est pas dans une meilleure situation depuis l'accord signé entre Rheinmetall et Leonardo en juillet 2024 pour développer le KF-51 Panther. Les armées française et allemande ont beau avoir défini une feuille de route commune pour disposer d'un même matériel, les industriels allemands poursuivent leur stratégie solitaire. Plus ennuyeux encore, KNDS Allemagne fait obstacle à ce que KNDS France propose sa propre solution du canon ASCALON monté sur un châssis allemand afin de ne pas nuire au LEOPARD.

Il faut avoir à l'esprit que notre affaiblissement dans le blindé lourd est directement la conséquence du non-choix fait dans la LPM concernant l'avenir de cette arme dont la guerre en Ukraine a pourtant démontré qu'elle demeurait incontournable. En excluant l'accroissement nos moyens lourds nationaux au-delà de la rénovation en cours des Leclerc existants, notre pays s'est créé une dépendance à l'égard d'un programme plurinational et a pour ainsi dire précipité notre affaiblissement dans le concert européen industriel. Alors que tous les pays de l'Union européenne ont relancé les commandes de chars lourds notre 6ème recommandation vise donc à ne pas exclure de rouvrir ce dossier à compter de 2027 en fonction de l'évolution de la menace et de la clarification des coopérations. La commande d'une évolution du char Leclerc permettrait, en effet, d'accroître le nombre de nos escadrons chenillés, de retrouver une place sur le marché international des blindés lourds et de peser véritablement dans le programme MGCS.

Si le SCAF et le MGCS occupent beaucoup notre attention, les moyens contraints de la LPM ont aussi pour conséquence de réduire notre capacité à adapter nos matériels aux nouvelles menaces. Les frégates FDI, par exemple, n'ont pas été armées pour des combats de haute intensité et nos navires comme nos blindés n'ont pas été prévus nativement pour lutter contre les drones. Il faut donc trouver des moyens pour répondre aux nouvelles menaces ce qui n'est pas simple comme l'illustre le retard pris pour développer de nouvelles munitions 30 mm et 40 mm Airbust pourtant utiles pour lutter contre les drones.

Dans ces conditions, on ne peut que saluer la relance du programme visant à donner un successeur au LRU. Les deux groupements constitués (Safran/MBDA et Thales/ArianeGroup) auront l'année 2025 pour réaliser un démonstrateur et mettre en valeur ses performances avant le lancement de commandes par l'État. Même s'il apparaît maintenant illusoire de pouvoir disposer de ces nouveaux matériels en 2027, date de retrait du service envisagée pour les LRU, le choix d'un matériel souverain constitue une satisfaction et notre 7ème recommandation vise à tenir le délai des commandes fin 2025.

J'en viens maintenant au sujet le plus important de l'année 2025 : le lancement du standard F5 du Rafale. Plus qu'une évolution il s'agira d'un tout nouvel avion doté d'un nouveau radar, de nouveaux capteurs optroniques, d'un nouveau système de guerre électronique et d'un drone de combat. Cet avion devra être capable de délivrer le missile nucléaire ASN4G qui sera plus lourd que le missile actuel. Or malgré les limites du moteur M. 88 et les besoins accrus, la LPM n'a pas prévu les crédits pour financer l'évolution T-REX qui doit porter de 7,5 à 9 tonnes la poussée du moteur M.88. Cette évolution est indispensable pour garantir la manoeuvrabilité de l'avion et donc la sécurité des pilotes. Elle doit aussi assurer la préservation du savoir-faire de Safran au niveau européen. Notre 8ème recommandation consiste donc à lancer le développement T-REX en même temps que le standard F5, dès 2025.

L'année 2025 constituera également un rendez-vous important pour le nouveau porte-avions nucléaire. Et comme pour le moteur du standard F5, les crédits n'ont pas été prévus de manière suffisante par la LPM puisqu'il manque 1 milliard d'euros sur la période 2025-2027 pour lancer sa réalisation. La construction d'un tel bâtiment exige une programmation très précise compte tenu de la disponibilité des chantiers, ce qui exclut la possibilité d'un étalement dans le temps. Et il ne serait pas davantage judicieux de rogner sur les performances techniques. Notre 9ème recommandation vise donc à clarifier rapidement les modalités de financement des projets d'intérêt majeur inscrits dans la LPM dont les crédits n'ont pas été prévus de manière suffisante.

Je terminerai en partageant avec vous mes interrogations concernant l'avenir de cette LPM. Il faut être vigilant car le respect de cette programmation n'est pas acquis dans le contexte budgétaire actuel. On découvre par ailleurs que plusieurs très grands programmes ne sont pas financés. Le ministre des Armées nous fait part de son intention de financer de plus en plus d'OPEX sur les crédits du P.146. On constate, ensuite, un recours croissant aux reports de charges ce qui reviendra à différer le paiement d'une partie des dépenses après 2027. Enfin, les retards pris dans le lancement de certains programmes comme le LRU et le T-REX auront aussi pour effet de ne pas respecter la programmation annuelle.

De telles difficultés sont inhérentes à la mise en oeuvre des lois de programmation militaires. Il reste à s'assurer néanmoins que ces accommodements demeureront dans la limite du raisonnable et ne viendront pas remettre en question les fondements même de la LPM. Ce sera notre mission d'y veiller.

Dans l'immédiat, je rappelle que le respect de la marche des 3,3 Mds€ est indispensable et que celui-ci est subordonné à l'adoption du PLF par le Parlement. Autrement dit, il y aurait tout lieu de s'inquiéter pour la LPM si l'Assemblée nationale n'adoptait pas le budget fin décembre. Notre 10ème et dernière recommandation vise donc l'adoption du PLF dans les délais constitutionnels.

Sous réserve de ces remarques, et compte tenu de la hausse des crédits, je recommande à la commission de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 146 dans la mission « Défense ».

M. Bruno Sido. - Je m'interroge sur les conséquences de la réélection de Donald Trump sur la défense européenne car on connaît nos difficultés à produire des obus et celles que nous aurions à soutenir un engagement de haute intensité. J'aimerais que l'on débatte de l'avenir de l'Europe face aux Etats-Unis et à la Chine et de notre capacité à unir nos forces.

Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteur. - Nous allons travailler sur la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) ce qui nous permettra d'examiner notre capacité à nous défendre collectivement. Je reviens sur ma proposition d'envoyer un signal au gouvernement sur le PLF pour obtenir des réponses du ministre à plusieurs sujets laissés dans le flou lors du débat en commission.

M. Alain Cazabonne. - Il y a un problème avec la dissuasion nucléaire. Les Etats-Unis ont mis en oeuvre un système de double clé avec les pays européens auxquels ils fournissent des charges nucléaires. La France et la Grande-Bretagne y sont-elles prêtes ?

M. Hugues Saury, co-rapporteur. - Je rappelle que la France produit entre 60.000 et 100.000 obus par an alors que 15.000 sont consommés par jour en Ukraine. Les Ukrainiens ont utilisé près de 3 millions de drones depuis le début du conflit alors que nous n'en possédons que quelques milliers. Nous aurions beaucoup de difficultés à soutenir un engagement de haute intensité.

M. Pascal Allizard, président. - Nous allons donc examiner maintenant le programme 178.

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