III. TRANSPORT FLUVIAL ET MARITIME : LES DÉFIS DE LA CONTRAINTE BUDGÉTAIRE POUR DES SECTEURS CONFRONTÉS À DES BESOINS SIGNIFICATIFS
A. LE TRANSPORT FLUVIAL FACE AUX EXIGENCES DU VERDISSEMENT ET DE LA MODERNISATION DU RÉSEAU
1. Une année marquée par la mise en lumière, lors des Jeux olympiques et paralympiques, du fort potentiel environnemental du transport fluvial
La participation de bateaux hybrides ou convertis à l'électrique à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris en juillet 2024 a souligné le fort potentiel environnemental du transport fluvial, également mis en valeur par la contribution décisive de ce secteur à la construction du village des athlètes. Le recours au transport fluvial a permis d'éviter la circulation de près de 50 000 camions sur les routes durant les chantiers olympiques.
De manière générale, le tonnage disponible des 1 042 unités fluviales composant les cales françaises équivaut à 25 000 camions, et 500 000 tonnes de CO2 sont évitées chaque année grâce au transport fluvial, soit l'équivalent de 3 millions de camions en moins sur les routes.
Si la transition écologique de la flotte fluviale s'appuie sur une démarche volontaire de la profession, s'agissant notamment du recours aux nouveaux carburants et du déploiement de bornes électriques à quai, cette dynamique nécessite d'importants moyens, comme l'a déjà fait observer le rapporteur :
- selon Voies navigables de France (VNF), le coût d'un bateau « zéro émission » représente un facteur 2 à 7 par rapport à une motorisation thermique ;
- le coût du déploiement de bornes électriques est estimé par VNF à 15-25 M€ pour les 150 à 200 bornes du réseau européen RTE-T, et à 10 M€ pour les 260 bornes devant équiper les itinéraires touristiques.
Les moyens déployés par le Plan d'aide à la modernisation et à l'innovation (PAMI) fluviale 2023-2029 (60 M€), guichet unique de subvention pour le transport fluvial, sont fléchés pour moitié vers le verdissement de la flotte, mais les besoins excèdent cette enveloppe.
En effet, pour atteindre les objectifs de 2035 (réduction de 35 % des émissions polluantes par rapport à 2015), VNF estime le montant des investissements nécessaires à 300 M€ : compte tenu de l'effet de levier des aides publiques (un million d'euros d'aide publique au verdissement générant deux à trois millions d'euros d'investissements privés), l'effort public devrait s'élever en principe à 100-150 M€, destinés au seul verdissement.
De plus, les investissements destinés au verdissement de la flotte fluviale se heurtent à une contrainte liée à la durée d'utilisation des unités fluviales, particulièrement longue (30 à 40 ans ; 5 à 10 ans dans le secteur routier) : ces projets ne peuvent donc pas bénéficier d'effets de série.
La commission sera donc particulièrement attentive à la stratégie nationale fluviale, lancée par le précédent gouvernement en février 2024 et attendue pour le début de 2025, et veillera à réalisation des ambitions qu'elle porte : « Nous avons cinq ans pour construire le transport fluvial du XXIème siècle, consolider la filière fluviale et notre pavillon national, opérer la bascule de la décarbonation des transports et appuyer la réindustrialisation verte du pays », comme l'a indiqué François Durovray, ministre délégué en charge des transports en octobre dernier, lors de l'assemblée générale de E2F (Entreprises fluviales de France).
2. Les enjeux de la modernisation du réseau de Voies navigables de France
L'entretien du réseau navigable souffre aujourd'hui, selon VNF, d'un « sous-investissement historique », à l'origine d'« incidents à répétition sur certains ouvrages ». En dépit des efforts réalisés sous l'effet du Plan de relance, qui a permis une augmentation significative des crédits d'investissement en 2021 et 2022 (plus de 200 M€ par an au lieu de 90 M€ en 2020) et le lancement de projets sur des ouvrages sensibles (écluses de Méricourt, de Gambsheim, barrage de Meaux...), la dégradation du réseau a été soulignée par le rapport du Conseil d'orientation des infrastructures publié en 2023.
Le contrat d'objectifs et de performance (COP) conclu entre l'État et VNF pour la période 2020-2029 et révisé en décembre 2023 a prévu une trajectoire financière ambitieuse pour 2023-2029, qu'il s'agisse du développement du réseau (4,3 Mds € y seraient consacrés, notamment dans le cadre du projet Seine-Escaut dont les dépenses sont estimées à 1,5 Md€) ou de la régénération et de la modernisation de celui-ci (2,5 Md€). À cet égard, VNF est engagé dans un programme d'automatisation de ses ouvrages, de télé-conduite et de digitalisation des services : cette dynamique, porteuse de gains de productivité, amplifiera la modernisation en cours du réseau.
Parallèlement à cette démarche, la stabilisation du plafond d'emplois de VNF jusqu'en 2026 était inscrite dans le COP révisé en 2023, après plusieurs années de réduction d'effectifs particulièrement sévères (- 15 % en dix ans).
Cette pause bienvenue - et nécessaire pour le climat social de l'opérateur - serait compromise par une diminution du nombre d'ETP dans le cadre de la discussion du PLF42(*).
Le rapporteur souhaite vivement que l'accord conclu il y a un an entre l'opérateur et l'État ne soit pas remis en cause, à un moment où VNF a besoin que son engagement sur la voie de la modernisation soit soutenu et encouragé.
De plus, alors que VNF se trouve à un moment charnière qui implique des efforts importants, la question du financement de ses investissements est un autre point de vigilance du rapporteur, alors-même que :
- selon l'opérateur, les cofinancements obtenus dans le cadre des CP(i)ER, inférieurs dans plusieurs cas aux attentes définies par la trajectoire financière du COP, pourraient fragiliser sa capacité à réaliser les opérations de régénération, de modernisation et de développement du réseau fluvial prévus par le COP ;
- si la subvention pour charges de service public de VNF43(*) (253,7 M€), en légère hausse par rapport au précédent exercice (253,2 M€), est conforme au COP de l'établissement, et si le montant de la redevance hydraulique qu'il est prévu de lui affecter en 2025 augmente (+6,6 par rapport à 2024), on observe une baisse significative des fonds de concours versés par l'Afit France pour l'entretien et le développement des infrastructures fluviales : 2 M€ sont prévus par le PLF pour 2025 au lieu de 10 M€ en 2024.
Le ministre délégué aux transports est convenu de cette difficulté lors de son audition par la commission : « Les crédits inscrits aujourd'hui pour l'Afit France permettent d'assurer le programme de cet organisme. Néanmoins, les besoins sont supérieurs ».
La commission sera donc attentive au financement de VNF, que devra aborder la conférence nationale sur le financement des mobilités, annoncée pour 2025.
L'opérateur fait par ailleurs état, dans le contexte des importantes crues de l'hiver 2023-2024 qui ont particulièrement touché les Hauts-de-France, des sollicitations qui lui sont adressées pour prendre en charge des actions de prévention des inondations. Cette évolution supposerait de permettre à VNF de percevoir des moyens spécifiques, destinés à la maîtrise d'ouvrage de travaux relevant de la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi).
Le rapporteur souscrit aux recommandations qu'avait formulées sur ce point la mission conjointe de contrôle relative aux inondations dont étaient rapporteurs nos collègues Jean-François Rapin et Jean-Yves Roux44(*) : les moyens impartis à VNF pour assurer l'entretien et la régénération de ses ouvrages hydrauliques doivent tenir compte des risques d'inondation, et l'opérateur doit être doté de moyens humains et financiers dédiés et inscrits dans le COP pour appuyer les collectivités dans leurs missions de protection des populations face à ces risques.
Le rapporteur se félicite donc que le ministre chargé des transports se soit déclaré ouvert, lors de son audition par la commission, à une révision du contrat d'objectifs et de performance (COP) de VNF, que la commission suivra avec attention.
* 42 Lors de l'examen du PLF pour 2025 à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a déposé un amendement II-3714 visant à abaisser de 37 ETP le plafond d'emploi du programme 203. Si la ventilation de cette baisse parmi les opérateurs du programme n'est pas précisée, elle risquerait d'affecter particulièrement VNF.
* 43 La subvention pour charges de service public à VNF représente la quasi-totalité des crédits de l'action 42 (« Voies navigables ») du programme 203, stables par rapport à 2024 : 255,6 M€ (en AE et CP) hors fonds de concours.