CHAPITRE II
LES CRÉDITS CONSACRÉS
AUX
TRANSPORTS ROUTIERS
Réunie le 27 novembre 2024, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, suivant son rapporteur Olivier Jacquin, a émis un avis favorable aux crédits relatifs aux transports routiers inscrits au projet de loi de finances (PLF) pour 2025, sous le bénéfice de l'adoption de 8 amendements.
Face aux coupes budgétaires inédites proposées par le PLF pour 2025, il est urgent que le modèle de financement des transports soit repensé comme le réclame la commission depuis plusieurs années. La conférence nationale sur le financement des mobilités, annoncée par le Gouvernement pour le début d'année 2025, devra concrétiser cette ambition et prendre en compte les chantiers de taille auxquels est confronté le secteur, à commencer par la dégradation des infrastructures, la transition écologique et la fin prochaine des concessions autoroutières.
Afin de ne pas fragiliser gravement la trajectoire de financement de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France), la commission propose d'atténuer de moitié, par rapport aux prévisions figurant dans le PLF initial, la diminution des recettes fiscales affectées à l'agence via la TICPE. En parallèle, un renforcement des moyens est nécessaire afin d'aider les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) à franchir le mur d'investissements auquel elles font face pour réaliser l'indispensable choc d'offre de transports collectifs. La commission propose notamment :
- de relever le taux plafond de versement mobilité (VM) pour les AOM locales hors Île-de-France qui ont obtenu la labellisation d'un projet de Serm ;
- de créer un versement mobilité régional (VMR), afin que les régions, cheffes de file des mobilités, disposent enfin d'une ressource dédiée pour financer cette compétence ;
- d'assouplir les conditions pour lever le VM, afin de permettre aux AOM en zone peu dense d'y recourir plus facilement pour financer des projets de mobilité partagée et active.
S'agissant des aides au verdissement du parc automobile, la commission appelle à la vigilance pour maintenir la trajectoire d'électrification, dans la perspective de l'interdiction de la vente des véhicules thermiques neufs au sein de l'Union européenne en 2035.
I. LE SECTEUR DES TRANSPORTS FACE À LA CRISE BUDGÉTAIRE : DES FINANCEMENTS À REPENSER, UN RÉGULATEUR À CONFORTER
A. L'URGENCE D'UNE REMISE À PLAT DU MODÈLE DE FINANCEMENT DES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT, EN VUE DE LA CONFÉRENCE DE FINANCEMENT DE 2025
1. Infrastructures de transport : un contexte budgétaire qui pèse lourdement sur les capacités de financement de l'Afit France
· Le PLF pour 2025 marque un retournement s'agissant des recettes de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) : alors qu'elles avaient significativement augmenté en LFI pour 2024 pour atteindre près de 4,6 Mds€ (un montant qui sera toutefois revu à la baisse d'environ 300 M€ en budget rectificatif de fin d'année), le PLF pour 2025 prévoit 3,7 Mds€ de recettes, soit un affaissement significatif par rapport aux prévisions initiales pour 2024.
Cette baisse provient en grande partie d'une diminution de la part de TICPE allouée à l'agence, qui passera de 2 Mds€ (prévisions initiales 2024) à près d'1,3 Md€ en 2025 (- 700 M€).
Si ce niveau de recettes traduit malgré tout une tendance à la hausse par rapport à celui prévu en LFI pour 2023 (+ 500 M€), il s'agit bien d'une rupture brutale par rapport à la dynamique impulsée à la suite de la remise du rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI) et du lancement du plan d'avenir pour les transports en février 2023, prévoyant notamment un investissement de 100 Mds€ dans le ferroviaire à horizon 2040.
· À cette situation s'ajoute une incertitude structurelle pesant sur le financement de l'agence, contre laquelle la commission met en garde depuis plusieurs années et que l'instauration en 2024 de la taxe sur l'exploitation d'infrastructures de transport de longue distance (TEITLD), dont le produit (estimé à 600 M€ par an et reversé intégralement à l'Afit France) n'a pas résorbée.
· Dans ce contexte, les dépenses de l'Afit France en 2025 seront immanquablement revues à la baisse. Le rapporteur pour avis n'a toutefois pu disposer d'aucunes prévisions quant à la ventilation de cette baisse, l'Afit France indiquant simplement que « le financement des restes à payer correspondant aux dépenses nées, en 2025, d'engagements antérieurs à 2025 » sera assuré et que l'agence contribuera à la régénération et à la modernisation des réseaux1(*).
Certains programmes seront vraisemblablement « sacrifiés », comme le plan vélo et marche 2023-2027 qui devait permettre un doublement du nombre de kilomètres d'aménagements cyclables sécurisés en France à horizon 2030 (pour atteindre 100 000 km), qui ne bénéficiera d'aucune autorisation d'engagement en 2025.
Interrogés sur une possible remise en cause des projets de mobilités actives portés par les collectivités territoriales, la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB) et Vélo & territoires indiquent que ce risque est présent, « à l'évidence », et précise : « Le département de la Haute-Savoie va également geler l'attribution de ses financements vélo aux territoires infra-départementaux pour prioriser sur ses dépenses incompressibles. La région Pays-de-Loire ne pourra pas développer de services vélo dans ses 40 gares comme annoncé, ce sont deux exemples parmi d'autres. Les annonces tombent au fur et à mesure, mais la baisse des dotations aux collectivités pour éponger la dette, combinée à l'arrêt du Plan vélo, est un mandat de retard en bout de chaîne sur les réalisations. Une forme de “ruissellement inversé”. Les collectivités vont devoir arbitrer entre la rénovation du toit de l'école, chauffer la piscine municipale et réaliser la piste cyclable. Les départements, étranglés par les dépenses obligatoires, ne savent pas comment ils vont pouvoir maintenir en état leur réseau routier, et ne parlons pas d'adapter leur voirie à la circulation à vélo. »2(*)
Pour rappel, le septième appel à projets « Aménagements cyclables » (105 M€, à travers le fonds « mobilités actives »), lancé en fin 2023 avec une annonce des résultats prévue avant l'été 2024, a en outre été gelé ; le Gouvernement a confirmé que les lauréats ne seraient pas désignés. Or, comme l'ont souligné la FUB et Vélo & territoires, en évoquant la mission sur la prévention des violences routières annoncée par le Gouvernement : « comment imaginer sécuriser la pratique sans s'attaquer à la sécurisation de la voirie via les aménagements ? »3(*).
Pour ces raisons, le rapporteur pour avis préconise que soient prévus en 2025 les crédits nécessaires pour mener à bien le dernier AAP « Aménagements cyclables », afin de ne pas laisser au milieu du gué les 400 collectivités territoriales ayant candidaté - en mobilisant le plus souvent d'importants moyens humains et techniques.
Enfin, la diminution des moyens de l'Afit France fait craindre une contraction des engagements financiers de l'État à travers les contrats de plan État-Régions (CPER), dont les volets « mobilités » sont en cours de signature.
Le rapporteur pour avis appelle à la vigilance : s'il est légitime que les collectivités territoriales participent à l'effort collectif de redressement des finances publiques, un retournement financier trop brutal pourrait gravement fragiliser leurs trajectoires d'investissement en matière d'infrastructures de transport, lesquelles nécessitent une visibilité sur le long terme.
Face à ce constat, la commission a adopté un amendement, sur la proposition du rapporteur pour avis et de Philippe Tabarot, rapporteur pour avis des crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes, visant à réduire de moitié la baisse des recettes affectées à l'Afit France prévue par le PLF en 2025 au titre de la TICPE.
2. Conférence nationale sur le financement des mobilités : une réflexion à anticiper, à la croisée de multiples défis
La commission, qui tire la sonnette d'alarme sur les fragilités du modèle de financement des transports depuis de nombreuses années, considère que le PLF pour 2025 achève de démontrer les limites d'un pilotage budgétaire annuel (voire infra-annuel) pour financer des dépenses qui s'inscrivent, par nature, dans le temps long.
Dans ce contexte, elle salue la tenue d'une conférence nationale sur le financement des mobilités début 2025, comme annoncé par le Gouvernement. En parallèle, la conférence sur le financement des Services express régionaux métropolitains (Serm), attendue depuis juin 2024 et dont le Sénat avait introduit le principe lors de l'examen de la loi relative au déploiement des Serm en 20234(*), doit également être organisée dans les meilleurs délais.
Néanmoins, elle sera vigilante à ce que l'annonce de ces deux conférences de financement ne constituent pas un simple élément de langage du Gouvernement pour reporter encore l'indispensable remise à plat du financement des infrastructures et services de transports, que la commission appelle de ses voeux depuis des années.
La commission souhaite que le Parlement soit étroitement associé à la réflexion de la future conférence nationale sur le financement des mobilités. Pour amorcer son travail, elle identifie plusieurs pistes de financement possibles :
- l'instauration d'un versement mobilité (VM) au bénéfice de la région et le rehaussement du VM dans les agglomérations de province, dans un souci d'équité territoriale par rapport à l'Île-de-France et afin, notamment, de favoriser le financement des Serm. Sur la proposition du rapporteur pour avis et de Philippe Tabarot, rapporteur pour avis des crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes, la commission a d'ailleurs adopté plusieurs amendements (cf. infra) en ce sens ;
- l'assouplissement des conditions pour lever le VM en zone peu dense. Sur la proposition du rapporteur pour avis et de Philippe Tabarot, rapporteur pour avis des crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes, la commission a d'ailleurs adopté un amendement (cf. infra) en ce sens ;
- l'identification d'une ressource pérenne pour les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) qui ne disposent pas de bases fiscales suffisantes pour lever le VM, comme le Sénat l'avait proposé lors de l'examen de la LOM5(*) ;
- le fléchage d'une part du produit issu des ventes aux enchères des quotas carbone (ETS) vers les transports. Le Sénat avait d'ailleurs proposé lors de l'examen du PLF pour 2024 d'allouer une part du produit de ces ventes au financement des AOM, une piste dont l'Union des transports publics et ferroviaires (UTPF) a rappelé la pertinence au rapporteur pour avis. La commission des finances du Sénat a à nouveau porté cette proposition lors de l'examen du PLF pour 2025 ;
- l'instauration d'un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à 5,5 % pour les transports collectifs, ainsi que la commission le porte depuis de nombreuses années ;
Le rapporteur pour avis, à titre personnel, plaide également pour que la piste d'une généralisation de la possibilité pour les régions de lever une écocontribution sur le transport de marchandises (dite « écotaxe poids lourds ») puisse être examinée. Ce dispositif revêt en effet un potentiel intéressant pour dégager de nouvelles ressources en faveur du financement des transports, à l'instar de la région Grand Est qui a prévu de la mettre en place à horizon 2027, avec une estimation de recettes de l'ordre de 1 Md€ sur dix ans.
En outre, il juge essentiel que cette conférence de financement intègre la question de la fin des concessions autoroutières, qui s'étalera de 2031 à 2036, à deux titres.
D'une part, pour évaluer l'ampleur des investissements dits de seconde génération (opérations d'investissement prévues par les contrats et déjà financées par les recettes tarifaires, mais non encore réalisées) des SCA, identifier ceux qui doivent encore être mis en oeuvre par les SCA et, pour ceux qui ne seraient plus pertinents, prévoir la réalisation d'investissements de remplacement en faveur de la transition écologique. La commission a adopté un amendement en ce sens (cf. infra).
D'autre part, à titre personnel, il juge essentiel d'y aborder l'avenir des autoroutes et les différentes options en débat (maintien du modèle concessif, le cas échéant en en faisant évoluer les paramètres, partenariat public privé, régie, etc.) et leurs implications pour le financement des infrastructures.
* 1 Source : réponse de l'Afit France au questionnaire écrit du rapporteur pour avis.
* 2 Source : réponse de la FUB et de Vélo & territoires au questionnaire écrit du rapporteur pour avis.
* 3 Source : réponse de la FUB et de Vélo & territoires au questionnaire écrit du rapporteur pour avis.
* 4 Loi n° 2023-1269 du 27 décembre 2023 relative aux services express régionaux métropolitains.
* 5 Loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités.