B. UNE POLITIQUE MINISTÉRIELLE PEU STRUCTURANTE
Ces dernières années, l'action du ministère en direction du secteur de la création a surtout consisté en un lancement successif de programmes, de plans, de fonds. Si la rapporteure ne remet pas en cause les constats ayant présidé à leur élaboration ni les réflexions nécessaires qu'ils suscitent sur l'évolution du modèle économique du secteur, elle s'interroge sur la pertinence d'une telle approche fragmentée qui s'apparente plus à du saupoudrage de crédits qu'à une politique publique cohérente et structurante.
Le programme « Mieux produire, mieux diffuser »
2024 a été marquée par le lancement du programme « Mieux produire, mieux diffuser », destiné, d'une part, à aider les établissements à reconstituer leurs marges artistiques, d'autre part, à refonder le système de production et de diffusion en développant les coopérations et les mutualisations. Le dispositif repose sur un effet de levier : les crédits prévus par l'État sont délégués aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC) qui les répartissent entre les structures labellisées ou conventionnées, lesquelles s'engagent dans la mise en oeuvre du plan à condition de bénéficier d'un soutien complémentaire des collectivités territoriales.
Malgré la communication du ministère sur le mode de financement « 1 euro État, 1 euro collectivités », cette première année s'est caractérisée par une mobilisation plus forte des collectivités que celle attendue. Aux 8,7 M€ accordés par l'État (sur les 9 millions budgétés), les collectivités ont répondu par un effort de 12,5 M€, pour 254 structures bénéficiaires.
En 2025, le ministère prévoit de reconduire sa participation à l'identique (9 M€) pour les structures déjà bénéficiaires. Il n'y aura, en revanche, pas de nouveaux entrants dans le dispositif. La contribution des collectivités territoriales sera, quant à elle, tributaire des arbitrages budgétaires à venir. Il est donc à craindre que le double pilier de financement du programme soit fortement ébranlé par la diminution des budgets culturels territoriaux.
Le plan « Culture et ruralité »
Faisant suite à la concertation nationale lancée par le ministère et intitulée « Printemps de la ruralité », le plan « Culture et ruralité », présenté en juillet dernier, vise à renforcer la place de la culture dans les territoires ruraux et à améliorer l'accès de leurs habitants à l'offre culturelle.
S'articulant autour de 4 axes principaux2(*), il est composé de 23 mesures, dont plusieurs concernent plus spécifiquement le secteur de la création comme le soutien aux pratiques culturelles festives des territoires, l'aide aux festivals en ruralité pour le déploiement d'actions tout au long de l'année, le développement d'un réseau de 100 artothèques, la facilitation de l'embauche temporaire d'artistes par les cafés, mairies et lieux polyvalents en zone rurale... 15 de ces mesures seront mises en oeuvre par l'administration centrale ou ses opérateurs, 8 par les DRAC, en lien avec l'ensemble des acteurs des territoires ruraux (collectivités, associations, structures culturelles...).
L'enveloppe budgétaire globale annoncée s'élève à 98 M€ sur trois ans. Le ministère indique que, d'ici la fin de l'année, 19 des 23 mesures seront lancées pour 20,5 M€ engagés. Leur déploiement se poursuivra en 2025 pour un montant prévu de 14 M€.
Pour la rapporteure, ce plan a le mérite de mettre un coup de projecteur sur les dynamiques artistiques et culturelles à l'oeuvre dans les territoires ruraux, trop souvent reléguées au second plan, voire ignorées. Elle regrette cependant une certaine forme de condescendance à considérer la culture en milieu rural sous le prisme principal des « villages en fête » (dénomination de l'une des mesures).
Lui ont également été remontées plusieurs carences dans le démarrage du dispositif : l'insuffisante information des maires ruraux sur son existence et ses modalités, alors qu'ils sont censés être des partenaires privilégiés, l'absence d'un véritable portage politique qui permettrait de le rendre concrètement perceptible dans les territoires, les incertitudes sur la capacité des collectivités - au premier chef les départements - à en être des relais, notamment sur le plan de l'ingénierie culturelle, compte tenu de leur situation budgétaire très dégradée.
Le fonds d'innovation territoriale (FIT)
Lancé en 2022, le FIT a été mis en place par le ministère pour soutenir des projets culturels innovants, ancrés dans les territoires et engagés dans une dynamique de participation des citoyens. Le fonds s'appuie sur les DRAC, qui sont invitées chaque année à identifier puis à transmettre des projets à l'administration centrale, en fonction de critères prédéfinis. Les principaux critères de sélection sont : la présence d'un caractère innovant, l'inscription dans un partenariat avec une ou plusieurs collectivités territoriales, l'intégration d'un objectif de participation ou de co-construction avec des habitants, ainsi que l'inscription dans un territoire rural ou un quartier prioritaire de la politique de la ville.
En 2022, le budget engagé pour soutenir des projets dans ce cadre s'élevait à 4,2 M€. En 2023 et 2024, l'enveloppe dédiée au FIT a été portée à 5 M€. 150 projets ont été soutenus en 2022, un peu plus de 200 en 2023 et 2024.
La rapporteure note de fortes disparités dans la répartition territoriale des crédits. Elle s'interroge également sur le caractère peu innovant d'un certain nombre de projets soutenus, contrairement à la cible initialement visée.
Comme l'année 2025 marquera la fin d'un premier cycle pour le FIT - le subventionnement de la majeure partie des projets prenant fin en 2024 (projets soutenus en 2022 pour trois ans ou en 2023 pour deux ans) -, la rapporteure souhaite qu'elle soit mise à profit pour dresser un bilan exhaustif de ce fonds, mission qui pourrait être confiée à l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC).
Acteurs incontournables du déploiement de ces dispositifs au niveau territorial, tant en termes d'observation des besoins, de gestion des crédits déconcentrés que d'animation du réseau culturel local, les DRAC sont dans une situation très préoccupante sur le plan de leurs moyens humains, qui ne leur permet pas d'assurer pleinement leurs missions. Leurs conseillers « création » sont peu nombreux et extrêmement mobilisés, la fusion des régions ayant considérablement développé leur périmètre d'intervention, sans que leur répartition globale ne soit toujours harmonisée. Comparaison particulièrement révélatrice, les effectifs de la plus grande DRAC de France, celle d'Ile de France, sont moins importants que ceux de la société anonyme simplifiée (SAS) qui gère le pass Culture.
* 2 Valoriser la culture et les initiatives locales, soutenir les acteurs et le maillage culturels de proximité, faciliter la mobilité des artistes, des oeuvres et des publics, accompagner les porteurs de projet par une ingénierie adaptée.