EXAMEN EN COMMISSION
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Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis de la mission « Administration générale et territoire de l'État ». - Les crédits du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 dédiés à la mission « Administration générale et territoriale de l'État » trahissent des évolutions budgétaires essentiellement techniques, sans avancée stratégique. La baisse de 16 % des autorisations d'engagement (AE) et l'augmentation des crédits de paiement (CP) de 7 % s'expliquent, en effet, principalement par les échéances liées à divers projets immobiliers.
Pour le programme 216, consacré à la conduite et au pilotage des politiques de l'intérieur, cette évolution résulte exclusivement de l'absence de reconduction des engagements financiers pris pour le nouveau site de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) à Saint-Ouen, qui entre désormais dans sa phase de construction. En conséquence, l'importante hausse des crédits de paiement est destinée à l'exécution des travaux sur ce site, ainsi que la livraison du projet Universeine à Saint-Denis.
Par ailleurs, le programme 354, dédié à l'administration territoriale de l'État, enregistre une sensible progression de ses crédits, à hauteur de 4 % en autorisations d'engagement, justifiée principalement par le renouvellement pluriannuel des marchés d'électricité et de gaz, ainsi que les travaux de rénovation et d'entretien du patrimoine immobilier.
Une fois ces dépenses immobilières isolées, le budget de la mission affiche une stabilité d'ensemble. Si cette situation peut sembler rassurante en apparence, elle ne saurait être satisfaisante au regard des ambitions portées par la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi). Ce texte prévoyait un dynamisme budgétaire accru pour renforcer l'administration territoriale de l'État d'ici à 2027, et c'est précisément cet élan qui semble manquer aujourd'hui. Alors que le schéma d'emploi est diminué d'un équivalent temps plein (ETP) dans le projet de loi transmis, j'attends avec intérêt l'amendement visant à renforcer les moyens humains de l'administration territoriale de l'État annoncé par le ministre de l'intérieur, lors de son audition devant notre commission.
À défaut, cette stabilisation ne peut être considérée que comme un pis-aller. Car la question demeure pendante, année après année : comment assurer, dans ce contexte, une présence de l'État à la hauteur des attentes dans nos territoires ?
Face à la résurgence de la crise agricole, la secrétaire générale de la préfecture du Rhône me signalait le besoin urgent, pour les agriculteurs, de services publics de proximité, auxquels la préfecture tentait de répondre par l'expérimentation d'un guichet d'accueil spécialisé. De même, la crise des délivrances de titres a lourdement éprouvé les mairies équipées de dispositifs de recueil, générant une surcharge telle que la préfecture a créé un groupe de travail pour les épauler. Enfin, les inondations récentes en Eure-et-Loir ont, une fois de plus, mis en lumière les fortes attentes exprimées à l'égard des préfectures dans la gestion des crises locales. Ces exemples sont issus de mes récents déplacements, mais ne sauraient être exhaustifs.
Certes, des avancées significatives sont à saluer. Le développement des maisons France Services, avec neuf nouvelles labellisations en un an dans le réseau préfectoral, témoigne de cette volonté de constituer un ancrage territorial, tout comme la réappropriation par le préfet de département de certaines décisions en matière d'ingénierie territoriale, appuyée depuis février 2024 par l'utilisation d'une enveloppe déconcentrée de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Toutefois, des fragilités persistent du fait d'un retard dans l'appropriation de ces nouvelles missions et de ressources humaines encore insuffisantes.
À moyens constants, il est, par ailleurs, impératif de repenser l'organisation même de l'État territorial. Son action est aujourd'hui trop souvent illisible, diluée dans une multiplicité d'agences échappant à l'autorité directe du préfet. Les réorganisations récentes, à l'image des secrétariats généraux communs départementaux (SGCD), ont nécessité des ajustements importants de la part des agents, sans toujours clarifier les responsabilités ni améliorer les conditions de travail. Si les rencontres de l'administration territoriale de l'État, engagées en février 2024, constituaient une belle opportunité en la matière, leur potentiel a été bridé par l'annulation de la plupart des ateliers nationaux à la suite de la dissolution. Il devient dès lors impératif de raviver une dynamique de concertation collective, indispensable pour adapter l'organisation de l'État territorial aux besoins actuels.
Sur un autre point, cette année, les enjeux budgétaires liés à l'organisation des élections, bien que parfois relégués au second plan, méritent une attention toute particulière.
Le programme 232 « Vie politique » enregistre une baisse de crédits de 61 %, en raison d'un calendrier électoral allégé. Toutefois, ces prévisions reposent uniquement sur les scrutins certains au moment du dépôt du PLF, ne prenant ainsi pas en compte le report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie.
Par ailleurs, l'organisation des élections législatives anticipées a entraîné en 2024 un ajustement en cours d'exercice, abondé par le programme « Dépenses accidentelles et imprévisibles ». Un tiers de ces dépenses ne sera toutefois exécuté qu'au cours de l'année 2025, impliquant un report substantiel des crédits.
Dans un contexte où les coûts électoraux demeurent largement incompressibles - et parfois imprévisibles ! -, les récents projets de simplification des processus et des outils offrent des perspectives prometteuses. Ainsi, la dématérialisation complète des procurations de vote, expérimentée lors des élections européennes et législatives de 2024, retient, cette année, toute mon attention.
Rappelons-le, en 2012, le traitement des procurations représentait, selon l'inspection générale de l'administration, l'équivalent d'une année de travail pour 737 agents de police et de gendarmerie, engendrant un coût de 47 millions d'euros. Il s'agissait du deuxième poste de dépenses pour l'État. L'expérimentation de la dématérialisation, menée en 2024, a apporté une réponse concrète à cet état de fait.
La procuration dématérialisée repose sur deux conditions : détenir une carte nationale d'identité format carte bancaire et avoir activé son identité numérique, d'une part, et avoir fait certifier cette identité numérique auprès d'une mairie volontaire, d'autre part.
La dématérialisation des procurations poursuit ainsi l'ambition plus vaste qu'est celle du déploiement de l'identité numérique régalienne. Ce projet porté par le programme France Identité numérique, doté de 76 millions d'euros et financé principalement par la présente mission, vise à offrir aux citoyens une solution sécurisée pour attester de leur identité en ligne. Fondé sur la nouvelle carte nationale d'identité et l'application France Identité, opérationnelle depuis 2024, il permettra une économie estimée à 27,7 millions d'euros grâce à la mutualisation des systèmes d'authentification. Mais l'enjeu dépasse largement le cadre financier. Le Livre blanc de la sécurité intérieure de 2020 appelait, rappelons-le, à une alternative souveraine face aux solutions d'identification proposées par les grandes plateformes numériques privées, qui collectent massivement les données personnelles. Ce dispositif est donc non seulement un gage de simplification des démarches, mais également une réponse directe aux enjeux de lutte contre l'usurpation d'identité et de souveraineté numérique.
Toutefois, le succès de l'identité numérique repose sur une délivrance fluide de la carte nationale d'identité électronique, encore non détenue par 60 % des Français. Pour accélérer son adoption, la gratuité du renouvellement des cartes émises entre 2016 et 2022, prévue dès janvier 2025, est une avancée notable. Mais cette mesure exige une vigilance accrue pour éviter de saturer les services d'état civil déjà éprouvés par une crise récente, dont j'ai détaillé les tenants dans mon précédent avis budgétaire.
Enfin, le déploiement de la procuration dématérialisée requiert, au-delà de la simple détention d'une identité numérique, une action supplémentaire pour certifier celle-ci en mairie. Concrètement, cela consiste à comparer les empreintes de l'usager à celles qui ont été enregistrées sur son titre. Lors de mes visites dans les départements d'Eure-et-Loir et du Rhône, j'ai eu l'occasion d'échanger avec plus d'une trentaine d'élus et d'agents municipaux engagés dans cette expérimentation. Leur implication mérite d'être soulignée. Ce partenariat étroit entre préfectures et communes a permis de dépasser largement les objectifs initiaux : aujourd'hui, plus de 1 700 mairies proposent ce service.
Grâce à ces actions, lors des deux dernières élections, 102 004 procurations ont été établies sans déplacement physique. Fort de ce succès, le Gouvernement ambitionne de généraliser ce dispositif pour les prochains scrutins, avec l'objectif audacieux de porter à 60 % le taux de procurations entièrement dématérialisées d'ici à 2028.
Cet objectif, aussi louable soit-il, nécessite toutefois d'anticiper les défis majeurs qu'il engendre, sur lesquels je tiens à attirer l'attention de la commission dans les limites imposées par l'exercice d'un simple avis budgétaire.
Un premier point de réflexion concerne l'absence actuelle d'un délai fixé par le code électoral pour l'établissement des procurations, sujet sur lequel les représentants des deux préfectures visitées et l'ensemble des trente communes entendues m'ont alertée. Ce vide juridique a déjà révélé ses limites, notamment lors des élections législatives de 2024, où 18 % des procurations ont été établies dans les deux jours précédant les scrutins, engendrant une pression logistique considérable sur les mairies et les préfectures. La possibilité d'établir une procuration en quelques clics ne peut qu'exacerber ce phénomène. Il est donc impératif d'instaurer un délai limite, par exemple fixé au vendredi minuit. Une telle mesure permettrait non seulement de garantir une organisation électorale fluide, mais aussi de renforcer la solennité du vote.
Historiquement conçue comme une mesure dérogatoire, rigoureusement encadrée pour prévenir toute banalisation, la procuration ne peut devenir une alternative de convenance, adoptée par facilité ou impulsion, au détriment du vote en personne.
Par ailleurs, l'usage généralisé de la dématérialisation des procurations pourra soulever des questions quant à la sincérité du vote. La validation en personne par une autorité habilitée offre des garanties essentielles quant à la libre volonté du mandant. En l'absence de ce contrôle direct, des abus risquent de survenir, notamment envers les électeurs les plus vulnérables, exposés à des pressions de tiers. Il est, dès lors, crucial de faire preuve d'une vigilance renforcée, sachant que la certification d'une identité numérique demeure valide durant cinq ans.
Enfin, la fracture numérique demeure un obstacle majeur à l'accessibilité de ce nouveau service. Les communes ayant expérimenté la certification numérique ont souligné les défis rencontrés pour intégrer ces publics éloignés, et ce malgré la mobilisation des agents municipaux. Dans ce contexte, la réduction de plus de 50 % du budget consacré aux conseillers numériques prévue dans le PLF pour 2025 compromet gravement la capacité des collectivités à offrir un soutien adapté. Une simple aide au clic ne saurait, par ailleurs, suffire. Il est impératif d'envisager une refonte des dispositifs d'accompagnement pour garantir une égalité d'accès au service public.
Pour conclure, si le PLF pour 2025 assure une certaine stabilisation des crédits de la mission, il doit être vu comme une étape transitoire et ne doit en aucun cas signifier un renoncement aux ambitions de la Lopmi. La présence de l'État dans les territoires, la clarification de ses missions et l'accompagnement des mutations numériques nécessitent des engagements plus ambitieux. À cet égard, je rappelle que la commission des lois émet depuis plusieurs années un avis défavorable sur cette mission. Pour autant, compte tenu du contexte budgétaire actuel et du nouveau socle commun, je vous propose d'émettre un avis favorable - chacun l'interprétera à sa guise - à l'adoption de ces crédits, tout en rappelant notre vigilance. En effet, le succès des missions de l'État passe inévitablement par un État territorial fort et renforcé, dans le respect de la libre administration des collectivités locales.
M. Jean-Michel Arnaud. - Je vous remercie pour ce travail pertinent, et nous sommes quelque peu surpris par cet avis favorable critique.
Dans le cadre du plan France ruralités, certains personnels de préfecture, dont des secrétaires généraux adjoints, sont chargés des questions de ruralité jusqu'en 2027. Dans mon département, nous avons apprécié l'accompagnement d'un cadre de la préfecture pour traiter les dossiers qui concernent les territoires ruraux. Quelles sont les perspectives après cette date ? J'ai cru comprendre qu'ils n'avaient pas forcément vocation à poursuivre cette mission dans les départements les plus ruraux, faute de moyens. Avez-vous eu des échanges avec l'administration centrale sur ce sujet ?
M. Éric Kerrouche. - Je remercie la rapporteure de sa présentation. Je ne m'attendais pas non plus à un avis favorable...
Sur le fond, cette mission est portée avant tout par une hausse des crédits de paiement consacrés à l'immobilier. Toutefois, comme vous l'avez rappelé, ceux-ci sont en recul par rapport à la trajectoire pluriannuelle définie par la Lopmi.
Concernant le programme 354, à l'instar des PLF pour 2023 et 2024, les grandes promesses de réarmement de l'administration territoriale ne sont pas tenues. La hausse des crédits repose, pour l'essentiel, sur des dépenses d'investissement, mais l'évolution des effectifs est pratiquement nulle. Notre commission et la délégation aux collectivités territoriales soulignent depuis plusieurs années le retrait territorial de l'État, un constat corroboré par la Cour des comptes dans son rapport publié en mai 2022.
Je rappelle que le PLF pour 2024 annonçait pour cette mission 232 ETP supplémentaires, une hausse inédite, même si, en conservant ce rythme, il fallait vingt-deux ans pour revenir aux effectifs de 2012. Or, ce PLF prévoit un schéma d'emploi nul, marquant une nette pause dans le réarmement humain des préfectures et des sous-préfectures, qui constituent le coeur de l'organisation territoriale de l'État.
Or, la politique territoriale doit garantir le service de proximité et une action publique efficace, comme le relève votre rapport. Cela nécessite donc des moyens humains, notamment en matière de contrôle de légalité ou de délivrance et de renouvellement des titres d'identité, à plus forte raison avec les nouvelles contraintes créées par la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. Ces services qui subissent déjà une forte pression risquent donc d'être embolisés à un moment où leur productivité serait souhaitable. C'est pourquoi nous déposerons un amendement visant à augmenter les moyens humains des services dédiés à l'instruction des titres sécurisés, à la lutte contre la fraude documentaire et à la gestion des étrangers en France.
À cet égard, l'audition de France Titres à laquelle j'ai procédé a montré les limites de son organisation : le plafond d'emplois fixé induit le recours à des contractuels, ce qui est source d'inefficacité, alors même que cette agence a une mission essentielle pour notre Nation.
Concernant le programme 232, la baisse des crédits est légitimée par le fait qu'aucune élection ne sera normalement organisée en 2025 - en tout cas à ce stade. Le report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie pose néanmoins question.
Toutefois, nous déplorons que le Gouvernement n'engage pas une réflexion sur le financement démocratique de la vie politique. La dotation destinée à prendre en charge le coût des élections pour les communes est gelée depuis 2006 : selon les chiffres de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), elle ne couvrirait au total que 15 % du coût réel d'un scrutin. Dans son rapport publié en septembre 2024, la Cour des comptes souligne le manque d'informations fiables à ce sujet et recommande que l'État se livre à une réelle réévaluation de ces coûts, car il serait normal que les dépenses engagées par les communes soient compensées à due proportion, cette mission relevant éminemment du fonctionnement de l'État.
S'agissant du programme 216, deux projets à Saint-Ouen et Saint-Denis expliquent la hausse des crédits dédiés aux investissements immobiliers ainsi qu'à des équipements de vidéosurveillance. Ces investissements n'appellent pas de commentaire particulier. Rappelons cependant, comme je l'ai fait la semaine dernière dans le cadre de la mission « Pouvoirs publics », que certains loyers sont exorbitants dès lors qu'il s'agit de l'État.
Enfin, la baisse des crédits de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) nous semble malvenue, d'autant que le Parlement a adopté une loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes. Aussi, nous déposerons un amendement ayant pour objet d'octroyer plus de crédits au fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD).
Considérant que l'importance des programmes immobiliers est contrebalancée par la faiblesse des investissements en ressources humaines, nous nous abstiendrons sur cette mission. Cette abstention n'est aucunement une validation de la trajectoire retenue, car le schéma d'emplois nous semble défaillant.
M. François Bonhomme. - Je souscris à la nécessité d'améliorer la présence territoriale de l'État ainsi que le lien entre le préfet et les maires pour la délivrance de certains titres. En la matière, le contrat d'objectifs et de performance signé entre France Titres et l'État devrait déjà permettre certaines améliorations.
La sécurisation des opérations de vote est un sujet qui me préoccupe particulièrement et pour lequel nous devons agir dès maintenant. Comme nous l'avons constaté lors du dernier scrutin, le risque de confusion concernant la réception et la validité des procurations de vote existe, ce qui peut placer les maires dans une position désagréable. Je ne suis pas opposé à la dématérialisation des procurations, à condition qu'elle soit sécurisée et qu'elle ne vienne pas modifier le déroulement des opérations de vote le jour J.
Il convient aussi, me semble-t-il, de veiller à en contenir le nombre dans des proportions raisonnables. Pour que le vote reste un moment solennel et essentiel de la vie publique, les procurations doivent rester l'exception. Il ne faudrait pas, par convenance ou facilité, qu'elles se multiplient à l'excès.
M. Olivier Bitz. - Notre commission avait émis l'an dernier un avis défavorable sur cette mission, pour des crédits d'engagement pourtant plus importants... À titre personnel, je me félicite de cette appréciation de plus en plus objective de la difficulté à mener des politiques publiques avec les moyens disponibles. Vous avez décidé, cette année, de voir le verre à moitié plein, ce dont je me réjouis.
Sur le fond, je veux vous faire part de deux sujets d'inquiétude majeurs.
Le premier porte sur les moyens humains des préfectures et des sous-préfectures, car il n'y aura pas de prolongement de la décentralisation sans une déconcentration efficace, au plus près des réalités territoriales. Or, cette année encore, nous sommes loin du compte.
Les moyens de l'État étant principalement concentrés au niveau des préfectures de région, les préfectures de département m'apparaissent en voie de « sous-préfectoralisation », les sous-préfectures ayant de leur côté vu l'essentiel de leurs moyens humains partir vers les préfectures, notamment pour l'exercice du contrôle de légalité, qui s'éloigne ainsi des réalités territoriales.
Nous devons donc faire preuve de vigilance pour éviter que les grandes administrations régionales ne dictent au préfet de département la ligne à conduire. Ce dernier doit conserver son rôle de régulation.
Le sujet des conseillers numériques m'inquiète également beaucoup. Le plan Préfectures nouvelle génération a fait basculer l'ensemble des procédures administratives du côté de la dématérialisation, mais, compte tenu de la baisse des crédits, nos concitoyens seront-ils tous en mesure d'accéder aux procédures et de faire valoir leurs droits ?
La Défenseure des droits s'en est inquiétée dans un rapport publié en février 2022. Nous ne pouvons pas continuer à ce niveau de dématérialisation si nous laissons nos concitoyens sans assistance. Certes, les conseillers France Services, ou encore les secrétaires de mairie en milieu rural, aident souvent nos concitoyens à accomplir leurs démarches, mais le recul des crédits m'inquiète sincèrement. L'illectronisme n'est pas forcément une question d'âge ; les nouvelles générations peuvent aussi rencontrer des difficultés pour accéder aux procédures administratives dématérialisées. De surcroît, en milieu rural, ces difficultés peuvent se cumuler avec des difficultés de mobilité.
Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis. - La question des personnels, quels qu'ils soient, est centrale. Les référents ruralité - nommés dans 78 départements - sont maintenus, mais l'enjeu principal reste la présence d'agents qualifiés dans les sous-préfectures et les préfectures pour mettre en oeuvre la politique voulue par l'exécutif et accompagner les acteurs locaux. Le transfert à des agences d'un nombre croissant de politiques de l'État explique aussi pour partie la baisse des effectifs, mais on voit aujourd'hui que les préfectures sont contraintes de créer des postes pour coordonner l'ensemble des politiques menées sur un territoire donné...
Je ne doute pas que ce sujet animera nos débats sur le projet de loi de finances, et au-delà. Il est possible de faire des choix politiques différents pour renforcer la présence dans les sous-préfectures et les préfectures, soit en redéployant des moyens existants, soit en créant de nouveaux postes. J'observe néanmoins que la tendance à percevoir certaines sous-préfectures comme des lieux délaissés se résorbe, preuve que l'on commence à s'interroger au sein du Gouvernement sur une présence plus équilibrée de l'État dans les territoires.
S'agissant des conseillers numériques, le défi est de les mettre en lien avec les actions menées à l'échelle des collectivités. L'accès au numérique, ce n'est pas seulement savoir se connecter, c'est aussi maîtriser les différents usages qui lui sont associés. Si France Titres, conformément à la volonté gouvernementale, multiplie les procédures dématérialisées, l'accompagnement de nos concitoyens sera indispensable.
La question de la sécurisation de ces opérations se pose aussi, notamment quand c'est la secrétaire de mairie qui aide un usager en faisant à sa place sa demande de carte grise. Cette aide informelle rend par ailleurs la fracture numérique plus difficilement mesurable.
Les frais d'assemblée électorale constituent un sujet important. Lorsqu'une commune prévoit un budget pour une élection à un tour, mais qu'il y en a finalement deux, puis une nouvelle élection législative partielle, les coûts peuvent devenir exorbitants. Il faudrait mener une réflexion approfondie avec l'AMF et le ministère de l'intérieur à ce sujet.
La question de la gestion des procurations est essentielle elle aussi. On a allégé les formalités, mais plus on les allège, plus nos concitoyens se saisissent de cette possibilité.
Après la dissolution, nous avons été surpris par l'explosion du nombre de demandes de procurations et par la participation très élevée. Je ne sais pas ce qu'il en sera à l'avenir, mais imaginons, en 2026, à l'occasion des élections municipales, des résultats très serrés au premier tour entre deux ou trois listes dans une commune. Le scrutin pourrait être perturbé par un afflux de procurations dématérialisées le samedi après-midi. Or aucun doute ne doit être permis sur la sincérité du scrutin. Le résultat d'une élection n'est acceptable par nos concitoyens que si l'ensemble des opérations sont parfaitement sécurisées.
Nous ne pouvons pas passer du bus loué le matin pour aller faire voter les gens au bus loué le soir pour s'assurer que toutes les procurations ont été faites à la maison de retraite... nous savons tous que ces pratiques ont existé. Pour obtenir l'adhésion de nos concitoyens à ces nouvelles démarches dématérialisées, je suis convaincue que la sécurisation doit être maximale. Depuis trois décennies, année après année, nous avons réduit le nombre de scrutins invalidés, notamment pour cause d'irrégularités grossières. Cette tendance ne doit pas s'inverser.
Par ailleurs, voilà maintenant quatre-vingts ans que notre pays a accordé le droit de vote aux femmes, et il serait dommage d'assister à une hausse massive de procurations dématérialisées des électrices au profit des électeurs... Nous devons aussi être vigilants face à des problèmes plus récents comme la radicalisation ou le communautarisme. Il sera difficile de légiférer sur ces questions, mais nous devons en avoir conscience et agir collectivement pour empêcher les dérives.
C'est pourquoi nous militons tous - y compris les services déconcentrés de l'État -pour poser, dès 2026, une limite temporelle à l'autorisation de procuration afin de sécuriser et fluidifier le processus.
Je conclurai en soulignant que la critique peut toujours s'exercer de façon positive, mes chers collègues. À l'avenir, si des gouvernements d'autres bords politiques devaient être nommés, j'ose croire que cette dynamique d'accompagnement constructif du projet de loi de finances demeurerait !
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».