EXAMEN EN COMMISSION
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Mme Laurence Harribey, rapporteure pour avis du programme « Protection judiciaire de la jeunesse ». - Comme l'année passée, il me revient de vous présenter les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Celle-ci assure des missions importantes, particulièrement dans un contexte de débats autour de la délinquance des mineurs : c'est en effet à la PJJ qu'il incombe d'assurer l'exécution des mesures éducatives, des peines et des mesures de sûreté prononcées à l'encontre des mineurs placés sous main de justice, ce qu'elle fait grâce à environ 1 200 établissements - publics ou associatifs - installés sur l'ensemble du territoire.
Contrairement aux autres acteurs de la justice, la PJJ n'a pas connu une augmentation substantielle de ses moyens à la suite de la loi de programmation que nous avons adoptée en novembre 2023. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 a d'ailleurs été établi dans des conditions difficiles, avec une importante crise sociale au cours de l'été et à la rentrée, crise liée au non-renouvellement de plusieurs centaines de postes de contractuels qui ont finalement été reconduits à l'automne, d'où un certain nombre de malentendus dans les propos d'une série de professionnels.
Le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » représente 9,7 % des crédits de la mission « Justice ». Sans tenir compte de l'amendement annoncé par le Gouvernement et qui devrait abonder les crédits de la mission de 250 millions d'euros supplémentaires, le programme serait doté d'environ 1,1 milliard d'euros en 2025, soit un montant stable par rapport à 2024.
Au-delà de ces grandes masses, l'avis favorable que je vous propose d'adopter aujourd'hui sera à mettre en perspective avec trois enjeux de nature davantage structurelle que financière, à savoir le déploiement du logiciel Parcours, les centres éducatifs fermés (CEF) et enfin la question des ressources humaines. Cette dernière englobe les effets de la réforme du code de la justice pénale des mineurs et le versement des primes dites « Ségur pour tous ».
Le déploiement du logiciel Parcours est évoqué depuis un certain nombre d'années. Il y a là un facteur d'inquiétude réelle, davantage pour des raisons liées au pilotage du projet que pour des raisons strictement budgétaires. Comme l'indique mon rapport, il semble s'agir de l'histoire d'un naufrage annoncé.
Je vous rappelle que la PJJ ne dispose à ce jour d'aucun moyen statistique pour suivre l'ensemble de la prise en charge des mineurs. L'applicatif opportunément nommé Parcours doit permettre à terme d'apporter de la visibilité sur tous les actes pris à l'égard des mineurs confiés à la PJJ, ce parcours devant être accessible à l'ensemble des professionnels.
Malgré la mise en service d'une première version en 2021, nous en sommes toujours à la première phase du projet, alors que celui-ci en compte trois. Le logiciel devait être ouvert aux professionnels du secteur associatif habilité en 2022 : ce n'est toujours pas le cas, ce qui est difficilement compréhensible au vu du poids considérable de ces associations dans l'activité de la PJJ : elles gèrent en effet 1 000 établissements sur un total de 1 200 structures.
De surcroît, le fonctionnement de l'outil est peu concluant puisque le ministère lui-même reconnaît la nécessité d'une « fiabilisation » du logiciel. Il semble s'agir d'une course sans fin, la situation étant d'autant plus préoccupante que le coût de Parcours est déjà pharaonique : je l'avais estimé l'année dernière à 10 millions d'euros, mais il a en réalité déjà atteint 19 millions d'euros et pourrait aller bien au-delà.
C'est pourquoi je vous proposerai d'appeler le Gouvernement à revoir le pilotage du projet pour éviter que ce logiciel ne devienne un désastre ou l'Arlésienne du ministère, dont on ne peut pas dire qu'il dispose de moyens optimaux dans le domaine informatique.
Le deuxième point que je souhaite évoquer concerne les CEF, sujet sur lequel nous nous avons pu avoir des désaccords avec l'ancien garde des sceaux : je rejoins ici une partie des conclusions de notre collègue Louis Vogel sur l'administration pénitentiaire.
S'il existe un programme visant à créer vingt nouveaux CEF, nous sommes très loin du compte et nous ne disposons d'aucune évaluation de l'efficacité de ces centres, alors même que la Cour des comptes avait insisté, dans un rapport rendu public fin 2023, sur la nécessité d'y procéder, d'autant qu'ils engendrent des coûts importants.
Comme nous l'avions noté dans notre rapport de l'an dernier, il existe un risque d'« effet d'éviction » par rapport aux autres solutions de placement : j'insiste sur ce point, car il est question de fléchage des crédits.
Le dernier point que je souhaite aborder concerne les questions de ressources humaines et le déficit d'attractivité de la PJJ qui peut rendre les créations de postes inopérantes, le sujet touchant autant le secteur public que le secteur associatif habilité.
Du côté du secteur public, les effets de l'entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs n'ont pas été anticipés. Pour les magistrats, le bilan est plutôt positif avec une baisse des délais moyens de jugement, une diminution de la proportion des mineurs en détention provisoire dans l'ensemble des mineurs détenus ou encore un recours fréquent à la « mesure éducative judiciaire » créée par le code. En revanche, du côté des éducateurs, on s'aperçoit que les métiers et les pratiques ont été transformés sans que ces changements donnent lieu à une évaluation et à un accompagnement adapté par le biais, par exemple, de la formation continue.
Le ministère a indiqué qu'il allait lancer en 2025 une évaluation des effets du nouveau code sur les prérogatives de la PJJ en milieu ouvert : on peut s'étonner qu'une telle étude soit lancée quatre ans après l'entrée en vigueur de la réforme alors que l'évaluation devrait être réalisée en amont puis de manière continue, mais on sait que l'évaluation des politiques publiques n'est pas un point fort de la France.
Pour en revenir au sujet, nous disposons malgré tout de certains chiffres qui donnent un aperçu de la situation. Ce que montrent ces indicateurs, c'est une croissance très forte du nombre de mesures en cours : ce chiffre est en hausse depuis de nombreuses années, mais sa croissance était modérée jusqu'en 2021, avec environ 1 000 mesures supplémentaires par an. Or la situation a changé avec l'arrivée du nouveau code : 4 300 mesures supplémentaires ont été prises en charge entre 2023 et 2024, pour un total de 58 000 mesures environ - sans même compter les 3 000 mesures en attente pour la même période.
Cela atteste d'une augmentation objective de la charge de travail des agents de la PJJ, qui devrait entraîner une modification de l'organisation, mais ces éléments n'ont pas été pris en compte dans les choix budgétaires qui ont été effectués.
Outre les créations de postes, des leviers existent pour améliorer la situation. C'est pourquoi je vous propose d'appeler le Gouvernement à étudier les pistes suivantes : premièrement, il faut que les créations ou redéploiements de postes soient fléchés en priorité vers les fonctions de terrain et non pas vers les fonctions support.
Deuxièmement, il faut simplifier, dans toute la mesure du possible, le travail des éducateurs, notamment en évitant de créer des nouvelles mesures dont l'utilité n'est pas démontrée, à l'instar de la nouvelle « mesure d'intérêt éducatif » mise en place en avril dernier, qui augmente la charge de travail.
Troisièmement, il est essentiel que la direction de la PJJ renoue avec un dialogue social serein, après une crise sociale aiguë. Sans ces évolutions, je doute que la PJJ parvienne à résoudre les difficultés qu'elle rencontre en matière d'attractivité et de fidélisation des personnels.
Enfin, je relève que la situation est tout aussi inquiétante dans le secteur associatif habilité.
En contrepoint, nous avons noté les efforts importants fournis par l'École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) en vue de renforcer l'attractivité des professions de la PJJ. Une augmentation impressionnante du nombre d'inscrits et de candidats au concours en a résulté, mais la problématique de la fidélisation subsiste une fois le poste obtenu.
En conclusion, vous l'aurez compris, le bilan est loin d'être parfait. Malgré cela, je ne crois pas qu'il faille donner un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » : mes remarques portent davantage sur des orientations de gestion que sur des grandes masses budgétaires. Par ailleurs, je crois que nous devons soutenir la perspective d'une évolution à la hausse des crédits de la mission « Justice » et favoriser des mutations structurelles dans l'utilisation des fonds : l'enveloppe supplémentaire permet la création de plus de 40 postes au sein de la PJJ, en rappelant - une fois encore - qu'elle ne sera pas suffisante à elle seule.
C'est pourquoi je vous propose, en dépit de la vigilance dont nous devrons faire preuve à l'avenir, de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 182.
M. Christophe Chaillou. - Merci pour ce rapport très complet, qui permet d'avoir une vision objective d'un secteur de la prévention confronté à des défis qui ne se résument pas à la problématique budgétaire. Rappelons cependant qu'il n'a guère bénéficié de largesses budgétaires dans le cadre des lois de programmation, la progression de ses moyens ayant été inférieure à celle d'autres secteurs.
Nous connaissons tous les difficultés auxquelles la PJJ doit faire face, à commencer par des publics de plus en plus difficiles. Pour avoir récemment visité un CEF, je ne peux que confirmer ces difficultés, y compris dans les relations avec les partenaires et avec les familles.
Les problématiques d'attractivité et de fidélisation sont plus que jamais posées : la décision de résilier un certain nombre de contrats l'été dernier avant de recruter à nouveau, à la suite d'un complément de crédits, a envoyé un signal négatif à un secteur déjà fragilisé.
Le budget initialement proposé ne permettait pas de répondre à ces défis, et il nous faudra vérifier que la hausse de 250 millions d'euros pour l'ensemble de la mission « Justice » sera de nature à apporter des réponses à ce secteur, les annonces ayant pu être là aussi contradictoires. Il existe des attentes sur les créations de postes et sur le versement de la compensation pour la prime « Ségur », notamment pour un secteur associatif qui est lui aussi très fragile. Dans l'attente de ces clarifications et d'engagements fermes du Gouvernement, notre avis ne peut être à ce stade que réservé.
Mme Laurence Harribey, rapporteure pour avis. - Le secrétaire général adjoint du ministère a affirmé, au cours de son audition, qu'une part de l'enveloppe de 250 millions d'euros serait consacrée à la compensation du versement de la prime « Ségur » aux personnels du secteur associatif habilité. Je serai attentive à cet enjeu au cours de la discussion parlementaire.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse » de la mission « Justice ».