EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 18 février 2025, sous la présidence de Mme Catherine Dumas, Vice-Présidente, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi, déposée par le président de la commission des affaires européennes M. Jean-François Rapin, relative à la consultation du Parlement sur la nomination de membres français dans certaines institutions européennes.

Mme Catherine Dumas, présidente. - Nous entendons le rapport pour avis de notre collègue Pascal Allizard sur la proposition de loi relative à la consultation du Parlement sur la nomination de membres français dans certaines institutions européennes, déposée par le président de la commission des affaires européennes, Jean-François Rapin.

M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis. - Cette proposition de loi soulève des questions d'un vif intérêt sur le plan juridique, d'une grande importance politique, et qui sont en outre quasiment inédites, le Sénat n'étant jamais en peine d'innovation.

Elle contient trois articles, qui traitent des procédures de désignations des candidats français aux fonctions, respectivement, de membre de la Commission européenne, de la Cour des comptes européenne, et des juges et avocats généraux au Tribunal et à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).

Mon commentaire portera essentiellement sur la procédure concernant le candidat à la Commission européenne qui, vous le verrez, intéresse plus particulièrement notre commission.

Le président Rapin fait fort bien de rappeler, dans son exposé des motifs, que la proposition de l'actuel commissaire français a été faite dans la précipitation, provoquée par la démission de Thierry Breton, et sans concertation.

À vrai dire, la concertation en la matière n'est jamais très étendue, mais l'occasion est bonne de se demander pourquoi.

Le Sénat avait déjà nourri cette réflexion à propos des membres de la Cour de justice de l'Union européenne et de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) : le rapport de notre ancien collègue Philippe Bonnecarrère en 2022, puis celui du groupe de travail sur la réforme des institutions présidé par le président Larcher en 2024, ont en effet proposé de faire précéder les nominations d'une audition parlementaire.

Chez nos voisins, nombreux sont ceux qui associent les différents organes des pouvoirs publics pour produire le nom d'un candidat. Les commissions des affaires européennes des parlements de Croatie, Grèce, Hongrie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovénie auditionnent préalablement le futur commissaire. En Estonie et en Lituanie, cette audition a lieu en session plénière. En Autriche, la Commission principale du Nationalrat et le Gouvernement négocient à huis clos à cette fin. Des mécanismes analogues existent encore pour les candidats à la Cour des comptes européenne et à la CJUE.

À cette observation, il sera facile de répondre que chaque pays procède selon ses traditions politiques et ses règles constitutionnelles propres.

Le secrétariat général du Gouvernement (SGG), que nous avons auditionné, soutient que notre Constitution nous interdit d'en faire autant. Le Conseil constitutionnel a en effet décidé à deux reprises, en 2012 et en 2015, qu'en l'absence de disposition constitutionnelle expresse, le principe de séparation des pouvoirs faisait obstacle à ce que le pouvoir de nomination par une autorité administrative ou juridictionnelle soit subordonné à une audition par les assemblées parlementaires, même strictement consultative.

S'il existe pourtant des procédures de nomination à des fonctions diverses en matière sociale ou financière qui imposent une audition parlementaire, et que vous avez peut-être en tête, chers collègues, c'est simplement parce que leur base légale n'a pas été déférée au juge. Peut-être auraient-elles pu, ou dû, être coulées dans le régime de l'alinéa de l'article 13 qui organise, depuis la révision constitutionnelle de 2008, la consultation pour accord du Parlement avant nomination à une fonction importante. Ces procédures existantes sont, quoi qu'il en soit, contraires à la Constitution.

Bref, le SGG estime que les désignations des candidats aux institutions européennes sont assimilables à des nominations, dont la compétence de principe appartient exclusivement à l'exécutif. La jurisprudence du Conseil constitutionnel trouvant alors à s'appliquer, la conclusion inévitable de ce syllogisme condamnerait définitivement cette proposition de loi.

Pour autant, notre commission n'est sans doute pas compétente en matière constitutionnelle, mais elle l'est sur les questions européennes. Or la compétence de nomination des commissaires européens relève, non pas de la Constitution, mais du traité sur l'Union européenne, dont l'article 17 dispose que le Conseil propose un collège de commissaires à l'approbation du Parlement européen sur la base de « suggestions faites par les États membres » avant nomination effective de la Commission par le Conseil européen.

Si « suggestion » valait nomination, la candidature de Mme Sylvie Goulard, par exemple, n'aurait pas été rejetée par le Parlement européen en 2019. Le terme de suggestion est d'ailleurs si peu précis que la présidente élue Mme von der Leyen s'est crue autorisée, cet été, à exiger de l'Irlande et de la Bulgarie qu'elles proposent chacune une liste d'au moins deux candidats, dont un homme et une femme, parmi lesquels elle se réserverait le droit de choisir, afin de garantir la parité du futur collège. Après avoir regimbé, ces deux États se sont exécutés.

Vous le voyez : la décision des États emporte ainsi trop peu d'effet prévisible pour qu'on puisse la qualifier sans hésiter d'acte de nomination au sens du droit administratif français.

Il est même douteux qu'on puisse facilement faire entrer l'emploi que le candidat est appelé à occuper dans les cases prévues par notre Constitution. Son article 13 réserve au Président de la République un pouvoir général de nomination « aux emplois civils et militaires de l'État » ; son article 21 confie au Premier ministre un pouvoir subsidiaire de nomination « aux emplois civils et militaires », au titre de sa responsabilité de diriger l'action du Gouvernement pour déterminer et conduire la politique de la Nation en disposant de l'administration.

Or le traité précise que la Commission européenne « promeut l'intérêt général de l'Union », qu'elle exerce « ses responsabilités en pleine indépendance » et que ses membres ne sollicitent ni n'acceptent « d'instructions d'aucun gouvernement, institution, organe ou organisme ». On peut donc difficilement rattacher la désignation de ses membres au pouvoir qui revient naturellement à l'exécutif pour assurer le bon fonctionnement de l'État.

Et ce n'est pas le moment d'oublier que non seulement la Commission européenne produit du droit qui s'impose ensuite aux États membres parce qu'ils lui ont délégué ou qu'ils partagent avec elle telle compétence, mais qu'elle ne s'empêche jamais de mettre son nez dans les compétences exclusives des États membres, qu'il s'agisse du droit de la santé, de la définition pénale du viol ou de l'organisation de la défense.

La science politique n'a en conséquence pas cessé, depuis trente ans au moins, de documenter la transformation progressive de la fonction de commissaire européen : naguère technocrate discret, il est devenu désormais un véritable responsable politique auquel la présidence confie l'exécution d'une espèce de programme de gouvernement. Une telle transformation était d'ailleurs logiquement appelée par le transfert croissant de compétences nationales à l'Union européenne, et son bien-fondé n'est pas ici en cause.

La question est la suivante : qu'est-ce au juste que le pouvoir de nomination de l'exécutif, et est-ce bien ce dont nous parlons ? Les juristes y voient l'une des plus importantes marques de souveraineté. L'exécutif en dispose, car, juridiquement, il dirige l'administration et, politiquement, il exerce une magistrature d'influence ou un pouvoir de contrôle de secteurs clés au sein de l'État.

Toutefois, le commissaire européen occupe la fonction où s'incarne par hypothèse la perte de souveraineté : juridiquement et politiquement, il surplombe les États membres, contraint leur production normative, et concurrence leur influence à l'extérieur. Les conséquences sur l'exercice par le Parlement de sa compétence législative sont incontestables. Ranger à toute force sa désignation dans les cases de l'article 13 pour conforter la prérogative présidentielle a donc quelque chose de paradoxal, et le refus opposé au Parlement d'y jeter ne serait-ce qu'un regard ressemble à une mesquinerie.

Même si l'on s'en tenait au périmètre des emplois de l'État, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a été fortement critiquée par la doctrine. En interdisant une audition préalable à une nomination, le juge s'est sans doute moins fondé sur le principe de séparation des pouvoirs, qui n'a jamais voulu dire spécialisation stricte des organes constitutionnels, que sur la doctrine du parlementarisme rationalisé en vogue en 1958. Or l'esprit des institutions a un peu changé depuis, comme en témoigne la révision de 2008.

Les juristes disputent souvent du point de savoir si le flou d'un texte commande d'en chercher le sens dans l'intention d'origine ou dans l'esprit de l'époque où vit l'interprète. La seconde option conduirait à voir la proposition de loi avec davantage de bienveillance. On pourrait alors contester l'efficacité du dispositif proposé, peut-être, le choix d'une loi ordinaire, sans doute, mais probablement pas sa conformité à la Constitution.

Le président de la République pourrait d'ailleurs très bien conserver la faculté formelle de choisir le candidat, non pas au titre de son pouvoir de nomination de l'article 13, mais au titre de son attribut de garant du respect des traités prévu par l'article 5. Sa lecture combinée avec l'article 88-1, qui dispose que « la République participe à l'Union européenne », offre assez de latitude pour inventer, en application de l'article 17 du traité sur l'Union européenne, une procédure ad hoc qui permette une coopération minimale des organes.

Ainsi pourrait même se maintenir l'usage qui veut que le président de la République informe le président élu de la Commission européenne du nom de son candidat par la formule « La France désigne... » - formule qui, en l'état actuel des choses, manque un peu de consistance juridique et, accessoirement, de modestie, compte tenu des conditions réelles dans lesquelles ce choix est fait.

Ces développements ne visent pas à couper les cheveux en quatre, ni ne prétendent prédisposer les sages de la rue de Montpensier, qui ne donneront sans doute pas complètement tort au SGG. Il s'agit plutôt à ce stade de pointer la faiblesse de l'argumentaire du Gouvernement, qui vise à clore la discussion sur le texte comme on se débarrasse d'une patate chaude.

Il me semble au contraire que l'idée, excellente, mérite le débat et qu'il faut en féliciter le président Rapin. Il n'est pas normal que des nominations aussi importantes échappent aussi totalement au Parlement. Le choix du véhicule peut sans doute se discuter, de même que la mécanique parlementaire retenue, et j'ai à cet égard plaidé auprès de mes collègues rapporteur au fond et auteur du texte pour que le futur commissaire soit auditionné par notre commission, compétente sur les questions européennes.

Le président Rapin, qui a été associé aux travaux préparatoires que nous avons conduits avec le rapporteur au fond, M. Philippe Bas, a en conséquence pris l'engagement auprès de nous et du président Perrin d'amender son propre texte d'ici à la séance publique. Les amendements qu'il défendra, qu'il nous a communiqués, consistent à apporter trois clarifications. Clarification des compétences respectives des deux têtes de l'exécutif : il sera précisé que les candidats pressentis aux différentes fonctions sont désignés par le Président de la République sur proposition du Premier ministre. Clarification du format des auditions : le candidat pressenti pour la Commission européenne serait auditionné conjointement par la commission des affaires européennes et la nôtre. Clarification de la procédure de vote : notre commission se prononcerait par un vote sur la candidature proposée après avis de la commission des affaires européennes. Cette procédure est en effet plus claire que la rédaction initiale.

La commission compétente au fond resterait la commission des finances pour le futur membre de la Cour des comptes européenne, et la commission des lois pour les juges et avocats généraux du Tribunal et de la Cour de justice de l'Union européenne.

Je ne vous proposerai donc, pour ma part, aucun amendement, car ceux du président Rapin sont de nature à nous satisfaire : la procédure est clarifiée, de même que les compétences respectives des différentes commissions.

Sous réserve de l'adoption de ces amendements, je vous propose que notre commission émette un avis favorable à cette proposition de loi.

Mme Catherine Dumas, présidente. - Cette discussion est intéressante et démontre que l'on fait aussi du droit dans notre commission. La prétention du Gouvernement à clore le débat n'est pas satisfaisante, nous verrons ce qu'il adviendra du cheminement de ce texte. Les amendements du président Rapin le rendent plus clair et illustrent le rôle que notre commission pourrait jouer dans ce processus.

M. Didier Marie. - L'objectif de cette proposition de loi vient en écho d'un évènement politique particulier : la nomination d'un nouveau commissaire après l'éviction surprise de Thierry Breton. Nous ne voyons aucune difficulté à admettre qu'en l'espèce, il est utile d'instaurer un droit de regard du Parlement.

M. Rapin rappelle que quelques États membres, qui restent minoritaires, ont adopté des dispositions de cette nature, lesquelles sont cependant toutes différentes. Dans le 42e rapport de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac), la question de la participation du Parlement à ces nominations est évoquée, sans que ne soit avancée une proposition claire sur le sujet. La Cosac ne se prononce pas explicitement en faveur d'une telle évolution.

L'enjeu de ce texte tient à mon sens aux modalités, plus qu'au principe lui-même. Si la suggestion du candidat commissaire me paraît devoir être mieux encadrée, en effet, les autres postes concernés posent d'autres questions. Nous ne voyons donc pas de difficulté pour adopter l'article 1er, les deux commissions concernées doivent en effet pouvoir s'exprimer par un vote indicatif. L'amendement visant à limiter ce vote aux membres de commissions plutôt qu'à tous les sénateurs présents est à ce titre bienvenu.

Pour le membre de la Cour des comptes européenne, l'intérêt d'une telle procédure semble plus limité : nous nous accordons pour souhaiter une information du Parlement via une audition, mais s'agissant d'un poste technique au sein d'une instance dont le rôle est très spécifique, un vote ne nous semble pas opportun.

Enfin, la désignation des juges au Tribunal et à la Cour de justice de l'Union européenne pose quant à elle des difficultés plus importantes : une telle procédure risquerait de porter atteinte à l'indépendance des candidats. Si la désignation d'un commissaire est bien politique, celle d'un juge est juridictionnelle. Nous sommes donc défavorables à l'audition et au vote sur une telle nomination.

Ce texte d'appel nous semble intéressant, nous observerons le déroulement de son examen en séance. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est favorable à l'article 1er, réservé sur l'article 2 et défavorable à l'article 3. Nous nous abstiendrons donc sur le rapport pour avis.

M. Bruno Sido. - Ce débat nous offre l'occasion de préciser le rôle, la consistance et l'existence même de la commission des affaires européennes, qui semble jouer ici un grand rôle alors même qu'elle ne fait pas partie des commissions permanentes.

M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis. - La commission des affaires européennes n'est pas législative, mais son existence est constitutionnelle et avec son homologue à l'Assemblée nationale, elle traite des questions européennes. Je suis, comme certains d'entre nous, membre des deux commissions, ce qui est intéressant et parfois inconfortable, mais les affaires européennes ne sont pas totalement étrangères !

M. Didier Marie. - Nous sommes quelques-uns en effet à siéger dans les deux commissions, la commission des affaires européennes a un pouvoir de saisine de la commission compétente et du Gouvernement, sous la forme de résolutions comme d'avis politique.

M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis. - La proposition de résolution européenne est en effet un instrument redoutable, car il est extrêmement bien encadré, et le Gouvernement comme la commission concernée - certaines de ces propositions nous sont envoyées au fond - sont obligés d'y répondre.

Je reviens un instant sur l'intervention de M. Marie. Le texte initial prévoyait que pouvait voter tout sénateur présent, mais un amendement de M. Rapin vise maintenant à limiter le vote et à l'organiser : la commission des affaires européennes émet son avis, puis notre commission vote ensuite. Ainsi, le corps électoral est clarifié.

M. Akli Mellouli. - Je partage les inquiétudes exprimées par M. Marie. Nous sommes également favorables à l'article 1er, très réservés sur l'article 2 et très hostiles à l'article 3. Nous déciderons de nos votes en séance en fonction des amendements adoptés, mais le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires s'abstient sur le rapport pour avis.

La commission émet un avis favorable à l'adoption de la proposition de loi, sous réserve de l'adoption des amendements de l'auteur du texte.

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