EXAMEN DES ARTICLES
ARTICLE 3
Demande de rapport sur la mise en oeuvre et une
éventuelle péréquation de la taxe
« Gemapi »
Le présent article demande au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur la mise en oeuvre de la taxe « Gemapi », et sur l'opportunité d'instituer un dispositif de péréquation de son produit.
La commission a constaté, durant ses auditions et à la lecture de travaux récents du Sénat, que les inégalités territoriales face aux inondations se traduisaient par d'importantes disparités en matière de taxe Gemapi, ce qui pourrait justifier la mise en place d'un dispositif de péréquation de cette ressource.
La commission des finances propose à la commission des lois d'adopter cet article sans modification.
I. LE DROIT EXISTANT : LA TAXE « GEMAPI », UN IMPÔT RÉCENT EN PLEIN EXPANSION, QUI PEINE À ASSURER LE FINANCEMENT DE LA COMPÉTENCE ÉPONYME
A. LA TAXE « GEMAPI » : UN IMPÔT RÉCENT ET EN PLEINE EXPANSION
1. La taxe Gemapi est un impôt de répartition facultatif, affecté et plafonné
Sur le modèle de la compétence d'enlèvement et de traitement des ordures ménagères, deux principaux choix s'offrent aux collectivités territoriales - en fait, leur groupements (EPCI) à fiscalité propre - pour les dépenses relatives à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations (Gemapi) :
- les inscrire parmi les charges générales du budget principal et ainsi les couvrir par les diverses ressources dont dispose la collectivité ;
- ou activer le levier fiscal en soumettant une partie des contribuables du territoire à une imposition désormais connue comme la « taxe Gemapi », créée par la loi Maptam2(*) et codifiée à l'article 1530 bis du code général des impôts (CGI).
a) Une taxe facultative, facteur d'autonomie fiscale
La taxe Gemapi est donc facultative : il revient à l'assemblée délibérante de l'instituer ou non sur son territoire3(*), à condition que la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) exerce conformément à la loi la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations - ce qui est vrai dans de la quasi-totalité des cas. Lorsque la taxe Gemapi est délibérée, l'instauration d'une redevance pour service rendu n'est plus autorisée4(*).
b) Une taxe affectée au seul financement de la compétence éponyme
Le produit de la taxe Gemapi ne peut couvrir que les frais exclusivement liés à la compétence correspondante, c'est-à-dire mentionnée aux I bis de l'article L. 211-7 du code de l'environnement, soit :
- l'aménagement d'un bassin ou d'une fraction de bassin hydrographique (1° de cet article) ;
- l'entretien et l'aménagement d'un cours d'eau, canal, lac ou plan d'eau, y compris les accès (2°) ;
- la défense contre les inondations et contre la mer (5°) ;
- la protection et la restauration des sites, des écosystèmes aquatiques et des zones humides ainsi que des formations boisées riveraines (8°).
Ainsi, malgré une proximité des compétences en apparence, la taxe Gemapi ne peut couvrir les dépenses liées à la gestion des eaux pluviales des aires urbaines5(*), ni les travaux d'aménagement liés à l'érosion côtière et à la gestion du trait de côte, dès lors que ceux-ci sont détachés du risque d'inondations ou de submersion marine.
Depuis l'exercice 2017, la loi n'impose plus le suivi de la compétence au travers d'un budget annexe6(*).
c) Un impôt de répartition plafonné pour protéger les contribuables
En créant la taxe Gemapi en 2014, le législateur ressuscitait une technique fiscale très ancienne - on la rencontre en effet régulièrement depuis l'Antiquité romaine7(*) - mais désormais peu usitée, en faisant de cette taxe un impôt de répartition.
Par opposition aux impôts de quotité, dans lesquels le produit est obtenu par l'application d'un taux à une assiette, les impôts de répartition fonctionne en répartissant un produit prédéterminé entre les contribuables : c'est ainsi le produit qui permet de déterminer le taux, et non l'inverse.
Ce produit est fixé par l'organe délibérant de l'EPCI à fiscalité propre, dans les conditions prévues à l'article 1639 A du CGI8(*). Pour déterminer ce produit, deux exigences légales doivent être respectées et constituent un double plafond (II de l'article 1530 bis du CGI) :
- d'abord, le montant attendu ne peut excéder 40 euros par habitant, au sens de la « population DGF »9(*), résidant sur le territoire de la collectivité bénéficiaire de l'impôt - ce plafond vise à protéger les contribuables de la pression fiscale ;
- ensuite, le montant arrêté pour l'année ne peut excéder le montant annuel prévisionnel des charges de fonctionnement et d'investissement résultant de l'exercice de la compétence Gemapi d'après le budget prévisionnel de la collectivité - ce plafond est la conséquence de l'affectation de l'impôt.
Une fois le montant déterminé, l'administration fiscale procède à la répartition de l'impôt auprès des contribuables (III de l'article 1530 bis du CGI). Sont redevables toutes personnes physiques ou morales assujetties à la cotisation foncière des entreprises (CFE), la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB), ainsi qu'à la taxe d'habitation sur les résidences secondaires (THRS) et, éventuellement, de la taxe d'habitation sur les logements vacants10(*).
Les propriétaires sont donc les principaux contribuables en matière de taxe Gemapi, y compris lorsqu'il s'agit de personnes morales et d'entreprises. Ils ne peuvent récupérer cette taxe auprès de leurs locataires : en effet, l'article 23 de la loi du 6 juillet 198911(*) tendant à améliorer les rapports locatifs ne permet au bailleur d'exiger que le remboursement des dépenses exposées en contrepartie des services rendus liés à l'usage du logement. Or, la Gemapi n'entre pas dans cette catégorie12(*).
2. Une ressource en croissance pour les collectivités
Le taux de couverture de la taxe Gemapi progresse de manière continue depuis son instauration. En 2018, première véritable année de mise en oeuvre, 428 EPCI percevaient la taxe, ce qui représentait 34 %, tandis qu'en 2021 ce sont 665 EPCI qui la percevaient, soit un taux de couverture de 53 %13(*). Selon la direction générale des collectivités locales (DGCL), ce sont environ trois quarts des EPCI de France qui lèvent la taxe Gemapi en 2024.
L'évolution concerne également le taux moyen de la taxe Gemapi. Il était de 6 euros en 2019, et de 7,5 euros en 2021, ce qui représente une progression même à couverture constante.
Ainsi, sous le double effet de la progression de son « taux » et de l'augmentation du nombre d'EPCI l'ayant institué, le produit de la taxe Gemapi connaît une dynamique très importante : depuis son ouverture à l'ensemble des EPCI en 2018, son produit a triplé, passant de 154 millions d'euros à 458 millions d'euros en 2023, soit un taux de croissance annuel moyen de 24,4 %.
Évolution du produit de la taxe Gemapi entre 2017 et 2023
(en millions d'euros)
Source : rapport de MM. Rapin et Roux au nom de la mission d'information sur les inondations
B. SI LES INONDATIONS CONSTITUENT LE PRINCIPAL RISQUE AUQUEL SONT EXPOSÉS LES FRANÇAIS, LA TAXE « GEMAPI » PEINE À FINANCER UNE POLITIQUE PÉRENNE ET JUSTE DE PRÉVENTION
1. Le produit de la taxe Gemapi ne suffit pas à financer convenablement la compétence du même nom
Dans leur récent rapport de la mission d'information conjointe les inondations survenues en 2023 et au début de l'année 2024, les rapporteurs Jean-François Rapin et Jean-Yves Roux14(*) ont fait le constat de l'insuffisance des ressources financières permises par la taxe Gemapi pour exercer les compétences relatives à la prévention des inondations.
Ce constat a été corroboré par les auditions menées par le rapporteur : les représentants des élus locaux ont en effet tous mis en avant le fait que la compétence Gemapi avait été créée sans transfert de ressource de l'État aux EPCI, qui s'était contenté de donner aux EPCI la possibilité de lever une nouvelle taxe facultative.
Le fait que le produit potentiel de cette taxe ne soit pas nécessairement situé dans les territoires qui en auraient le plus besoin aggrave ce constat.
2. Les inégalités face au risque inondations se traduisent par des disparités fiscales en matière de taxe Gemapi
Les territoires les plus exposés sont contraints de lever la taxe Gemapi à un niveau supérieur. Ainsi, la majorité des EPCI qui lèvent la taxe Gemapi à un niveau supérieur à 10 euros se situent dans le bassin Rhône-Méditerranée-Corse, au sud-ouest, en Vendée et dans les départements Nord et Pas-de-Calais. La région PACA est le territoire où le produit moyen de la taxe par habitant est le plus élevé, avec un taux de 14,8 euros par habitant, avec l'Occitanie où ce taux atteint 11,0 euros par habitant.
Ces différences de taux se reflètent dans la répartition du produit de la taxe. Sur 274,9 millions d'euros collectés en 2021, 58,4 millions d'euros l'ont été au sein de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, 46,7 millions d'euros en Occitanie et 33 millions d'euros en Auvergne-Rhône-Alpes.15(*)
Le nombre d'EPCI ayant mis en oeuvre la taxe diffère également largement selon les régions et les bassins versants : en 2021, plus d'un tiers des EPCI la lève dans le bassin de Loire-Bretagne ; c'est deux-tiers en Adour-Garonne et en Rhône-Méditerranée-Corse. La taxe Gemapi est largement prélevée dans les départements et régions d'outre-mer, sauf en Guyane, où, à la date de 2021, aucun EPCI n'avait décidé de la mettre en place.
Disparités de pression fiscale au titre de
la taxe Gemapi
en France métropolitaine en 2021
Source : rapport de MM. Rapin et Roux au nom de la mission d'information sur les inondations
Par ses caractéristiques, la taxe Gemapi met en oeuvre une solidarité intercommunale, par opposition à une solidarité qui couvrirait tout un bassin versant, c'est-à-dire une zone géographique dont tous les écoulements des eaux convergent vers un même point désigné comme « l'exutoire commun. »
Selon une partie de la doctrine, « ce choix du législateur entraîne le risque d'un déséquilibre financier et fiscal au sein d'un même bassin versant, dans la mesure où les risques d'inondation sont plus prononcés à proximité d'un exutoire que dans la partie haute de la zone géographique. »16(*) Par conséquent, l'EPCI disposant de cet exutoire dans son périmètre sera confronté à des dépenses plus importantes en matière de prévention des inondations, le contraignant plus fortement à instaurer la taxe Gemapi pour parvenir à les financer.
De même, les inégalités entre les territoires peuvent résulter du nombre d'habitant des EPCI. Du fait du plafond de 40 euros par habitant, l'article 1530 bis du CGI relie en effet le montant attendu dans le cadre de la taxe Gemapi au nombre d'habitants recensés sur le territoire. Or, la mise en oeuvre de la compétence Gemapi et le risque d'inondations s'imposent à la collectivité compétente en raison d'éléments géographiques et naturels, et non de la densité de sa population et du nombre d'habitants qu'elle représente.
Dans un EPCI très peuplé, la taxe Gemapi peut générer des recettes conséquentes - dans ce cas, le produit de la taxe est limité par le plafond budgétaire de la taxe, qui ne permet pas de prélever une recette supérieure aux besoins exprimés. Un tel EPCI peut ainsi, avec une faible pression fiscale, assurer un bon niveau de service. À l'inverse, un EPCI peu peuplé peut connaître une situation plus délicate, notamment s'il fait face par exemple à des risques importants d'inondations : la recette attendue de la taxe Gemapi risque alors d'être limitée du fait du plafond de 40 euros par habitant17(*).
3. La possibilité pour les EPTB de lever des contributions fiscalisées n'est pas mise en oeuvre
Afin de permettre de mutualiser le produit de la fiscalité Gemapi à une échelle plus grande que le bassin versant, l'article 34 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022, dite « 3DS », a permis aux établissements publics territoriaux de bassin (ETPB), auxquels les EPCI peuvent déléguer la compétence Gemapi, de lever sur leur territoire une contribution fiscalisée spécifique, sur le modèle de la taxe Gemapi, afin de financer les missions de défense contre les inondations.
Si cette faculté pourrait effectivement permettre de répondre aux difficultés liées à l'inégale répartition du produit potentiel de la taxe Gemapi, les personnes auditionnées ont unanimement indiqué qu'elle n'avait jamais été mis en oeuvre.
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : UNE DEMANDE DE RAPPORT SUR LA MISE EN oeUVRE DE LA TAXE GEMAPI ET UNE ÉVENTUELLE PÉRÉQUATION DE SON PRODUIT
Le présent article demande au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur la mise en oeuvre de la taxe « Gemapi ». Ce rapport devra en outre « [identifier] les pistes d'évolution réglementaire permettant une répartition plus équitable de son produit et une harmonisation entre territoires, ainsi que les conditions d'instauration d'un fonds de péréquation de cette taxe à l'échelle des bassins versants. »
Ce rapport devra être remis dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi.
III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : ADOPTER L'ARTICLE SANS MODIFICATION
Cet article répond à plusieurs propositions concordantes, formulées notamment par le Sénat, visant à assurer une meilleure répartition du produit de la taxe Gemapi par l'instauration d'un mécanisme de péréquation. En effet, si l'administration met en avant le fait que cette taxe n'est pas encore levée à son plein potentiel (458 millions d'euros en 2023, sur 2,9 milliards d'euros de potentiel), force est de constater que, si ce potentiel n'est pas encore entièrement utilisé dans certains territoires peu exposés, il atteint sa limite dans de nombreux territoires où le besoin se fait particulièrement ressentir.
Ainsi, le rapport remis l'année dernière par nos collègues Jean-François Rapin et Jean-Yves Roux18(*) sur les inondations survenues en 2023 et au début de l'année 2024 ont proposé l'instauration d'un fonds de péréquation de la taxe Gemapi à l'échelle des bassins versants, qui leur paraissait être la mesure « la plus juste et la plus efficace pour aider les collectivités territoriales les moins dotées à faire face aux dépenses requises pour la prévention des inondations. » Dans le même esprit, l'une des recommandations de la mission d'information du Sénat sur la gestion durable de l'eau préconisait de « mettre en place une fraction de taxe Gemapi mutualisée sur l'ensemble du bassin versant, pour soutenir les actions au titre de la Gemapi des EPCI disposant de peu de ressources et de longs linéaires à protéger. »19(*)
Ces recommandations sont partagées par une partie de la doctrine, qui considère qu'un mécanisme de péréquation « semble indispensable en matière de Gemapi afin de ne pas laisser les territoires les plus concernés par les risques et ceux les moins peuplés être les plus en difficulté budgétaire pour financer cette compétence. »20(*)
La commission des finances a souhaité que cet article soit adopté. Elle a en cela tenu à respecter la volonté des auteurs de la proposition de loi, qui tenaient à affirmer la responsabilité de l'État en matière de solidarité nationale en lui demandant de présenter des propositions.
Décision de la commission : la commission des finances propose à la commission des lois d'adopter cet article sans modification.
ARTICLE
4
Reversement d'une partie de la taxe Gemapi aux communes
pour le
financement de la compétence « maîtrise des eaux
pluviales
et lutte contre l'érosion des sols »
Le présent article prévoit que la taxe Gemapi peut être utilisée pour financer, non plus seulement les missions qui relèvent de la compétence Gemapi, mais également les actions menées dans le cadre de la compétence « maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement ou la lutte contre l'érosion des sols ».
L'article prévoit également que l'EPCI, ou à défaut le syndicat ou le département à qui la compétence Gemapi a été transférée, peut reverser la taxe Gemapi, en totalité ou partiellement, à ou une ou plusieurs communes, afin de financer spécifiquement la compétence relative à la maîtrise des eaux pluviales et la lutte contre l'érosion des sols.
Or, il n'apparaît pas que la taxe Gemapi soit en mesure d'absorber une nouvelle compétence. En effet, un certain nombre d'EPCI ne parviennent déjà pas aujourd'hui à financer les dépenses nécessaires pour la prévention des inondations, bien que le plafond de la taxe soit au maximum autorisé (40 euros par habitant).
Par ailleurs, dès lors que le transfert de la compétence GEMAPI aux départements n'est pas permis par l'article 1er de la proposition de loi, le reversement de la taxe afférente aux communes n'est pas possible.
En conséquence, la commission propose à la commission des lois la suppression de cet article.
I. LE DROIT EXISTANT : LA COMPÉTENCE « MAÎTRISE DES EAUX PLUVIALES » EN MILIEU NON URBAIN NE PEUT PAS ÊTRE FINANCÉE PAR LA TAXE GEMAPI
A. LA COMPÉTENCE GEMAPI EST FINANCÉE PAR UN IMPÔT DÉDIÉ
1. La taxe Gemapi est un impôt local facultatif, fléché et plafonné
L'article 1530 bis du code général des impôts (CGI) prévoit la mise en place d'une taxe visant à financer la compétence « gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations » (Gemapi), qui est exercée par les EPCI à fiscalité propre.
La compétence Gemapi est, pour mémoire, définie par quatre missions mentionnées à l'article L. 211-7 du code de l'environnement :
- l'aménagement d'un bassin ou d'une fraction de bassin hydrographique ;
- l'entretien et l'aménagement d'un cours d'eau, canal, lac ou plan d'eau, y compris les accès à ce cours d'eau, à ce canal, à ce lac ou à ce plan d'eau ;
- la défense contre les inondations et contre la mer ;
- la protection et la restauration des sites, des écosystèmes aquatiques et des zones humides ainsi que des formations boisées riveraines.
L'encadré suivant donne une synthèse des principales caractéristiques de la taxe Gemapi. Une présentation plus détaillée de la taxe figure au commentaire de l'article 3 de la proposition de loi.
Présentation synthétique de la taxe GEMAPI - La taxe Gemapi a été mise en place par la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam). Elle est véritablement mise en oeuvre depuis 2018. - La taxe ne peut financer que la compétence du même nom, ce qui signifie notamment qu'elle ne peut pas couvrir les dépenses liées à la gestion des eaux pluviales des zones urbaines. - La taxe est facultative : il revient à l'assemblée délibérante de la collectivité territoriale de l'instaurer sur son territoire. - La taxe est plafonnée : son montant ne peut excéder 40 euros par habitant. La somme arrêtée pour l'année ne peut en outre excéder le montant annuel prévisionnel des charges de fonctionnement et d'investissement résultant de l'exercice de la compétence Gemapi. - La taxe reprend l'assiette de plusieurs impôts locaux : sont redevables toutes les personnes physiques ou morales assujetties à la cotisation foncière des entreprises (CFE), la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB), ainsi qu'à la taxe d'habitation sur les résidences secondaires (THRS) et la taxe d'habitation sur les logements vacants. - Le produit de la taxe Gemapi est dynamique. Alors que ses recettes étaient de 154 millions d'euros en 2018, elles étaient de 458 millions d'euros en 2023, avec un taux de croissance annuel de 24,4 %. Source : commission des finances |
2. La compétence Gemapi peut être déléguée ou transférée, en totalité ou en partie, vers des syndicats mixtes et des établissements publics territoriaux dédiés
L'article L. 5211-61 du code général des collectivités territoriales prévoit que les EPCI peuvent transférer, en totalité ou partiellement, la compétence Gemapi à un syndicat de communes ou à un syndicat mixte.
S'il est possible de la confier à un syndicat de droit commun, cette compétence est souvent transférée dans la pratique à un établissement public de gestion et d'aménagement de l'eau (Epage) - lequel constitue un statut particulier pour les syndicats mixtes qui exercent la compétence Gemapi - ou à un établissement public territorial de bassin (EPTB).
En revanche, la délégation par un EPCI de la compétence Gemapi ne peut être octroyée qu'à un Epage ou un EPTB, à l'exclusion de tous autres types de syndicats21(*). Dans un objectif de souplesse, la loi dite « 3DS » du 21 février 202222(*) a néanmoins introduit des dispositions permettant aux grands syndicats d'eau d'accéder aux statuts d'Epage et d'EPTB tout en conservant leur personnalité juridique initiale.
Les établissements publics de gestion et
d'aménagement de l'eau (Epage) Les établissements publics de gestion et d'aménagement de l'eau (Epage) sont des regroupements d'EPCI, dont la mission est définie à l'article L. 213-12 du code de l'environnement comme la « prévention des inondations et des submersions marines ainsi que la gestion des cours d'eau non domaniaux ». Ils ont à la fois un rôle d'expertise et de maîtrise opérationnelle de la Gemapi. Ils ont été créés par la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 dite loi Maptam. Les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) ne groupent pas uniquement des EPCI : ils peuvent également intégrer d'autres collectivités territoriales ainsi que des acteurs publics ou privés concernés par l'objet du syndicat. Ils ont aussi un champ d'action plus large : ils peuvent contribuer à l'élaboration du schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage), coordonner les Epages, et enfin exercer la compétence Gemapi en cas de transfert ou de délégation. Les EPTB ont été créés par la loi n°2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la prévention des dommages. Par la suite, leur statut a été revu par la loi Maptam. Source : commission des finances |
La compétence Gemapi est donc sécable à plusieurs niveaux. Un EPCI peut confier à plusieurs structures des missions similaires si elles les exercent sur différentes parties d'un territoire. La superposition des structures sur un même territoire est également possible, dès lors que les missions sont différentes. En outre, les intercommunalités peuvent conventionner pour mutualiser certaines fonctions, comme l'ingénierie, sans créer de structures dédiées. Enfin, les composantes de la compétence peuvent être transférées ou déléguées selon les cas.
Il est estimé que plus de 450 syndicats mixtes exercent au moins un des quatre volets composant cette compétence.
Exemple de répartition territoriale des
autorités
compétentes en matière de Gemapi : le
bassin Rhin-Meuse
Note : SI = syndicat intercommunal ; SM = syndicat mixte. On peut remarquer la superposition territoriale de certains établissements : par exemple, les syndicats mixtes de Bruch Mossing et de l'Ehn-Andlau-Scheer exercent sur des zones communes avec le syndicat des eaux et de l'assainissement Alsace-Moselle.
Source : rapport d'information n° 775 (2023-2024) fait par MM. Jean-François Rapin et Jean-Yves Roux au nom de la mission d'information conjointe de contrôle de la commission de l'aménagement du territoire et du développement et de la commission des finances relative aux inondations. Ce document avait été transmis par l'Agence de l'eau Rhin-Meuse
Enfin, pour faciliter l'exercice de la compétence, une loi du 30 décembre 201723(*) a introduit des aménagements visant à accroître la souplesse de l'implication des régions et des départements dans l'exercice de la Gemapi :
- s'ils les départements et les régions exerçaient déjà certaines missions relevant de la Gemapi, ils peuvent continuer à les assumer, en accord avec les EPCI concernés ;
- les régions et les départements peuvent financer les actions relevant de la Gemapi portées par les communes, les EPCI ainsi que les syndicats fermés ;
- enfin, les régions et les départements peuvent apporter une assistance technique aux EPCI et aux établissements exerçant la compétence.
B. LA COMPÉTENCE « MAÎTRISE DES EAUX PLUVIALES ET LUTTE CONTRE L'ÉROSION DES SOLS »
La gestion des eaux pluviales est considérée comme relevant de deux compétences distinctes, selon qu'elle est exercée en milieu urbain ou en milieu rural :
- l'article L. 2226-1 du CGCT définit la gestion des eaux pluviales urbaines comme englobant la collecte, le transport, le stockage et le traitement des eaux pluviales des aires en zone urbaine. Dans la mesure où cette mission nécessite la création d'un réseau de collecte, elle est considérée comme incluse dans la compétence « assainissement »24(*) qui, jusqu'à une loi récente25(*), devait être obligatoirement transférée aux EPCI. Désormais, la compétence peut être exercée par les EPCI ou les communes.
- le 4° du I de l'article L. 211-7 du code de l'environnement prévoit l'existence d'une compétence relative à la maîtrise des eaux pluviales, du ruissellement et de la lutte contre l'érosion des sols, qui est ainsi dénommée « gestion des eaux pluviales non urbaines », ou « gestion des eaux pluviales en zones rurales ». Contrairement à la gestion des eaux pluviales urbaines, elle ne nécessite pas la création d'un réseau de collecte, et ne relève donc pas de la compétence assainissement.
De manière plus concrète, la gestion des eaux pluviales non urbaines consiste notamment à :
- la protection des terres agricoles face à l'érosion des sols, à la suite par exemple d'épisodes de pluie particulièrement intenses ;
- la désimperméabilisation des sols, pour favoriser une meilleure infiltration des eaux de pluie ;
- l a mise en place de réseaux de drainage pour éviter les phénomènes de saturation hydrique des sols.
La gestion des eaux pluviales non urbaines peut être exercée par tous les niveaux de collectivité, et elle ne dispose pas d'un vecteur de financement propre comme c'est le cas de la compétence Gemapi.
Les deux versants de la gestion des eaux pluviales : tableau récapitulatif
Gestion des eaux pluviales en aires urbaines |
Gestion des eaux pluviales |
|
Référence juridique |
Article L. 2226-1 du CGCT |
Article L. 211-7 du code de l'environnement |
Aire d'application (classification dans le plan local d'urbanisme) |
Zones urbaines ou à urbaniser |
Zones agricoles et zones naturelles |
Exercice de la compétence |
EPCI ou communes |
Tout niveau de collectivité territoriale |
Nécessité de création d'un réseau de collecte |
Oui |
Non |
Enjeux |
Assainissement, limitation de la pollution, maîtrise du ruissellement |
Protection des zones agricoles, protection de la biodiversité, maîtrise du ruissellement |
Source : commission des finances
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : PERMETTRE LE REVERSEMENT DE LA TAXE GEMAPI AUX COMMUNES POUR LE FINANCEMENT DE LA COMPÉTENCE « MAÎTRISE DES EAUX PLUVIALES EN MILIEU NON URBAIN »
Le 1° et le 2° du présent article prévoient que la taxe Gemapi peut être utilisée pour financer, non plus seulement les missions qui relèvent de la compétence Gemapi telle qu'elle est actuellement définie à l'article L. 211-7 du code de l'environnement, mais également les actions menées dans le cadre de la compétence « maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement ou la lutte contre l'érosion des sols ».
Le 3° de l'article prévoit quant à lui que l'EPCI, ou à défaut le syndicat ou le département à qui la compétence Gemapi a été transférée, peut reverser tout ou partie de la taxe Gemapi à une ou plusieurs communes, afin de financer spécifiquement la compétence relative à la maîtrise des eaux pluviales et la lutte contre l'érosion des sols.
Il faut préciser que l'article 1er de la présente proposition de loi prévoit la possibilité de déléguer aux départements l'exercice de tout ou une partie de la compétence Gemapi. En l'état actuel du droit, ni la délégation ni le transfert de la compétence Gemapi aux départements ne sont possibles.
III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : UN ÉLARGISSEMENT DES POLITIQUES FINANCÉES PAR LA TAXE GEMAPI QUI N'EST PAS SOUHAITABLE
A. EN L'ABSENCE DE TRANSFERT POSSIBLE DE LA COMPÉTENCE GEMAPI AUX DÉPARTEMENTS, CES DERNIERS NE PEUVENT REVERSER LA TAXE AFFÉRENTE AUX COMMUNES
Le présent article soulève une difficulté juridique : il prévoit la possibilité de reverser tout ou partie du produit de l'imposition aux communes membres en cas notamment de transfert aux départements de la compétence Gemapi. Or, l'article 1er de la présente proposition de loi n'autorise pas un transfert de la compétence Gemapi, mais seulement la possibilité de la déléguer, en totalité ou en partie, aux départements, ce qui relève d'un cadre juridique différent.
En effet, le transfert de compétences suppose un dessaisissement complet de la collectivité qui exerçait auparavant la compétence. En revanche, dans le cadre d'une délégation de compétences, la collectivité délégante maintient un contrôle sur la collectivité qui exerce la mission en tant que délégataire. Pour cette raison, la délégation est toujours exercée dans le cadre d'une convention, qui prévoit notamment les modalités du contrôle et du financement, ce qui n'est pas nécessaire pour un transfert.
En l'espèce, l'intention des auteurs de la proposition de la loi est de prévoir la possibilité d'une délégation de la compétence Gemapi aux départements, et non pas celle d'un transfert. En effet, les travaux à réaliser peuvent avoir des conséquences importantes sur le territoire des communes concernées, et il n'est donc pas souhaitable que l'EPCI perde tout droit de regard sur l'exercice de la compétence, ce qui est évité avec la délégation.
B. LES RECETTES ISSUES PAR LA TAXE GEMAPI SONT INSUFFISANTES POUR FINANCER UNE NOUVELLE COMPÉTENCE
Au-delà de la question de la compétence des départements, l'extension des compétences susceptibles d'être financées par la taxe Gemapi, à savoir la maîtrise des eaux pluviales et la lutte contre l'érosion des sols, n'apparaît pas opportune.
En effet, un certain nombre d'EPCI ne parviennent déjà pas aujourd'hui à financer les dépenses nécessaires pour la prévention des inondations, bien que le plafond de la taxe qu'ils perçoivent soit au maximum autorisé (40 euros par habitant).
Les rapporteurs de la mission conjointe de contrôle relative aux inondations pouvaient ainsi écrire : « le constat est quasiment unanime que les ressources financières permises par la taxe Gemapi ne sont pas suffisantes pour exercer les compétences relatives à la prévention des inondations. »26(*)
À cette occasion, la mission conjointe de contrôle avait mis en place une consultation auprès élus, qui a permis de mettre en évidence les difficultés de financement de la compétence. L'un de ces témoignages révèle par exemple que : « dans les petites intercommunalités, peu denses, et de surcroît en territoire de montagne où les risques sont importants, l'assiette du prélèvement n'est pas suffisante. Dans une intercommunalité de 10 000 habitants, la taxe Gemapi ne peut rapporter que 400 000 euros au maximum, ce qui est très insuffisant. »27(*)
Par conséquent, la perspective que la taxe Gemapi finance une nouvelle compétence suscite des craintes de la part des élus locaux qui ont été auditionnés par le rapporteur spécial. Ils ont souligné qu'il était préférable d'avoir soit un outil de financement dédié, soit de repenser la façon dont la taxe Gemapi est structurée.
Il convient par ailleurs de relever qu'une partie de la gestion des eaux pluviales non urbaines peut déjà être prise en charge par la taxe Gemapi. En effet, dès lors que des phénomènes de ruissellement présentent une intensité telle qu'ils pourraient provoquer un risque inondation, ils entrent dans le champ de la Gemapi.
Pour toutes ces raisons, la commission des finances propose la suppression de cet article.
Décision de la commission : la commission des finances propose à la commission des lois de supprimer cet article.
* 2 Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles.
* 3 Cette délibération est prise dans les conditions de l'article 1639 A bis du CGI, au plus tard le 1er octobre pour être applicable l'année suivante.
* 4 Article L. 151-36 du code rural et de la pêche maritime.
* 5 Cf. commentaire de l'article 4 de la présente proposition de loi.
* 6 Article 65 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
* 7 Selon Claude Nicolet, Tributum. Recherches sur la fiscalité directe du citoyen romain à l'époque républicaine, Antiquitas, volume 24, 1976, le « tribut » acquitté par les citoyens mobilisables était un impôt de répartition.
* 8 C'est-à-dire avant le 15 avril de chaque année.
* 9 Définie à l'article L. 2334-2 du code général des impôts.
* 10 La taxe Gemapi était aussi adossée à la taxe d'habitation sur les résidences principales avant que cette dernière ne soit supprimée. À la suite de cette réforme, la question du report du poids de l'imposition sur les autres contribuables s'est posée. Afin d'éviter une augmentation de l'impôt dû au titre de cette taxe par les contribuables au sein des communes ou EPCI qui avaient institué la taxe Gemapi avant la suppression de la taxe d'habitation, une dotation de l'État, d'un montant égal au produit réparti en 2017 entre les personnes assujetties à la taxe d'habitation sur les résidences principales, est versée aux communes et aux EPCI concernés chaque année à compter de 2022. Cette disposition a été prévue par l'article 41 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative.
* 11 Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.
* 12 Rép. Min. à QO n° 0595S du sénateur L. Burgoa du 6 avril 2023, publiée le 7 juin 2023.
* 13 DGCL, « La taxe Gemapi : une ressource en croissance pour les collectivités », Bulletin d'information statistique (BIS) n° 174, avril 2023.
* 14 Rapport d'information n° 775 (2023-2024) fait par MM. Jean-François Rapin et Jean-Yves Roux au nom de la mission d'information conjointe de contrôle relative aux inondations.
* 15 DGCL, 2023.
* 16 David Ytier, « La taxe Gemapi, véhicule de financement de la compétence éponyme », Actualité juridique des collectivités territoriales (AJCT), avril 2024, p. 208.
* 17 Ytier, art. cit.
* 18 Rapport d'information n° 775 (2023-2024) précité. Recommandation n° 3, seconde branche.
* 19 « Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir par nos usages, nos territoires et notre environnement », Rapport d'information n° 871 (2022-2023), fait par M. Hervé Gillé (rapporteur) et Rémi Pointereau (président), déposé le 11 juillet 2023.
* 20 Ytier, art. cit.
* 21 La délégation de la compétence Gemapi aux syndicats mixtes de droit commun étaient autorisée jusqu'au 1er janvier 2020.
* 22 Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.
* 23 Loi n° 2017-1838 du 30 décembre 2017 relative à l'exercice des compétences des collectivités territoriales dans le domaine de la Gemapi.
* 24 Conseil d'État, 4 décembre 2013, n° 349614.
* 25 Loi n° 2025-327 du 11 avril 2025 visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement ». Le transfert de la compétence « assainissement » n'est plus obligatoire pour les communes qui ont conservé l'exercice. En revanche, lorsque le transfert a déjà été effectué, il n'est pas possible de revenir en arrière.
* 26 Rapport d'information n° 775 (2023-2024) fait par MM. Jean-François Rapin et Jean-Yves Roux au nom de la mission d'information conjointe de contrôle de la commission de l'aménagement du territoire et du développement et de la commission des finances relative aux inondations, page 98
* 27 Cité par le rapport d'information n° 775 (2023-2024) fait par MM. Jean-François Rapin et Jean-Yves Roux au nom de la mission d'information conjointe de contrôle de la commission de l'aménagement du territoire et du développement et de la commission des finances relative aux inondations, page 98