C. LA DOTATION DE L'ARMÉE DE TERRE EN 1997 : LA PROFESSIONNALISATION AU PRIX DE LA RIGUEUR
C'est donc dans le cadre des enjeux et des défis précédemment évoqués que se situe le projet de dotation de l'Armée de terre pour 1997, qui s'élèvera à 49,059 milliards de francs. Avec 19,450 milliards de francs, le titre V représentera 39,64 % des crédits de l'Armée de terre, dont le titre III constituera la plus grande part (60,36 %).
La dotation des forces terrestres prévue pour 1997 illustre les contraintes qui caractérisent la mise en oeuvre de la professionnalisation. En effet , avec des crédits comparables à ceux de 1996, l'Armée de terre devra relever le pari de la période de transition : faire face, à crédits quasiment stabilisés, aux dépenses liées à la professionnalisation, tout en continuant à gérer et à financer une Armée de terre encore très proche de la formule actuelle de l'armée mixte.
Votre rapporteur montrera ci-après que cette stabilisation des crédits implique en réalité un très puissant effort de rigueur, eu égard aux charges qui pèseront sur les forces terrestres pendant la montée en puissance de la professionnalisation, qu'il s'agisse des dépenses de fonctionnement ou des dépenses d'équipement.
1. L'indispensable effort de rigueur en matière de fonctionnement
En dépit des lourdes charges qui pèseront, en 1997, sur les crédits de fonctionnement de l'Armée de terre, la part de ceux-ci dans l'ensemble de la dotation des forces terrestres sera stable par rapport à 1996 :
- les 29 673,35 millions de francs qui constituaient le titre III de l'Armée de terre en 1996 représentaient 60,25 % de la dotation,
- les 29 609,64 millions de francs affectés au titre III en 1997 équivaudront à 60,35 % de la dotation.
Le tableau ci-après montre la répartition des crédits de fonctionnement de l'Armée de terre entre les différentes catégories de dépenses, ainsi que leur évolution entre 1996 et 1997.
Evolution des crédits de fonctionnement
(en millions de francs)
LFI 1996 |
PLF 1997 |
Evolution 1997/1996 |
Part dans l'ensemble du titre III en 1996 |
Part dans l'ensemble du titre III en 1997 |
|
Chapitre,31-03 (Rémunérations) |
20 245,4 |
20 391,5 |
+ 0,72 % |
66,55 % |
68,86 % |
Chapitres 33-90 et 33-91 (charges sociales payées par l'Etat) |
2 052,65 |
2 058 |
+ 0,26 % |
6,91 % |
6,95 % |
Total rémunérations + charges sociales |
22 298,46 |
22 449,5 |
+ 0,67 % |
75,1 % |
75,81 % |
Chapitre 34-10 (alimentation) |
1 712 |
1 550,9 |
- 9,4 % |
5,93 % |
5,23 % |
Chapitre 34-04 (fonctionnement) |
5 430,53 |
5 375,8 |
- 1 % |
19,32 % |
18,15 % |
Chapitre 34-20 -entretien programmé des matériels (résiduel)* |
228,6 |
228,6 |
- |
0,77 % |
0,77 % |
Total titre III |
29 673,5 |
29 609,6 |
- 0,22 % |
- |
- |
*l'essentiel des crédits d'EPM est maintenant imputé sur le titre V.
Ce tableau confirme la croissance des dépenses liées aux rémunérations , compensée par des économies sur les chapitres fonctionnement et alimentation .
Votre rapporteur montrera ci-après combien cet exercice de limitation des dépenses de fonctionnement risque d'être difficile pendant la période de transition.
a) L'augmentation des rémunérations et charges sociales
L'augmentation des chapitres liés aux rémunérations se déduit de la création de 5 879 postes de militaires du rang de première classe à solde spéciale progressive pendant la première année de la professionnalisation.
L'accroissement de ces dépenses reste toutefois contenu , puisque l'augmentation se limite à + 0,72 % pour les seules rémunérations, et à + 0,67 % si l'on tient également compte des charges sociales payées par l'Etat. De même, la part des rémunérations et des charges sociales dans le titre III ne croît que modérément , passant de 75,1 % des dépenses de fonctionnement en 1996 à 75,81 % en 1997. Cette évolution s'explique en partie par la suppression, en 1997, de 219 postes d'officiers et de 1 036 postes de sous-officiers, simultanément à la création de 5 879 postes d'engagés.
Les chapitres 31-03 et 33-90 tirent les conséquences des mesures d'amélioration de la condition militaire prévues par le budget 1997. Ainsi, la deuxième année de mise en oeuvre du protocole Durafour permet le repyramidage de 360 emplois de sous-officiers au profit des grades les plus élevés de cette catégorie, pour un coût de 11,17 millions de francs.
Par ailleurs, la revalorisation de la situation des engagés, dans la perspective de la professionnalisation, a conduit à décider le passage des EVAT (engagés volontaires de l'Armée de terre) au régime de la solde mensuelle à partir du 1er juin, leur garantissant une rémunération équivalente au SMIC.
D'autres mesures prévues par le projet de budget pour 1997 relèvent de l'amélioration de la condition militaire, dont le plan de revalorisation remonte à 1989. Il s'agit :
- de l'augmentation de 1,36 % de l'indemnité pour charges militaires (27,85 millions de francs) ;
- de l'extension, en année pleine, de mesures de repyramidage des sous-officiers (hors protocole Durafour) intervenues en cours de gestion 1996 (1,9 million de francs) ;
- de la création d'un cinquième échelon du grade de capitaine (3,55 millions de francs) ;
- du passage à 13 % de la prime de qualification des officiers diplômés (21,55 millions de francs) ;
- de l'augmentation du nombre d'allocataires du quota des primes de qualification des sous-officiers (0,35 million de francs) ;
- de l'augmentation du nombre de sous-officiers ayant vocation à bénéficier de l'échelle de solde n° IV (1,79 million de francs).
Il serait certes opportun, dans un contexte économique idéal, de « doper » substantiellement l'ensemble des soldes servies aux militaires afin de rendre la carrière des armes encore plus attractive, dans la perspective de la professionnalisation. Eu égard à l'ampleur des difficultés budgétaires actuelles, il est clair qu'un tel effort ne peut être concevable à court et moyen termes. De ce fait, la meilleure option est celle que traduit le présent projet de budget, qui consiste à miser sur la catégorie des engagés, en concentrant sur celle-ci les moyens susceptibles d'être mobilisés en vue d'améliorer les rémunérations des militaires. Il est clair, en effet, que c'est sur le succès du recrutement des engagés que repose celui de la professionnalisation.
b) La baisse des besoins en alimentation
Les crédits inscrits au chapitre 34-10, article 20, passeront de 1 711,93 millions de francs en 1996 à 1 550,94 millions de francs en 1997, soit une baisse de 9,4 % qui recouvre les mesures d'effectifs correspondant à la première annuité de la loi de programmation militaire (voir supra, I) : suppression de 21 280 postes d'appelés, 219 postes d'officiers et 1 036 postes de sous-officiers.
En revanche, le maintien, en 1997, du taux de la prime globale d'alimentation en métropole au même niveau que le taux atteint au 1er janvier 1996 (24,40 F) devrait se traduire par une baisse du pouvoir d'achat du poste alimentation qui peut être estimée à - 2 %. Cette évolution, due à l'absence d'actualisation du chapitre alimentation entre 1996 et 1997, ne susciterait pas de difficulté majeure dans le contexte budgétaire que nous connaissons si l'Armée de terre n'était pas caractérisée, depuis plusieurs années, par une situation moins favorable en matière d'alimentation que les autres armées, où le repas de service de midi est intégralement pris en charge. Cette différence de traitement, contre laquelle s'élève régulièrement votre rapporteur, devient encore plus choquante dès lors que la prime globale d'alimentation n'est plus réévaluée, et que les crédits destinés à l'alimentation de l'Armée de terre décroissent en pouvoir d'achat.
Votre rapporteur estime que la prise en charge du repas de service de midi des personnels de l'Armée de terre devra être réexaminée, dans un souci de stricte équité, quand l'Armée de terre sera professionnelle. Il ne sera en effet plus recevable, à cette échéance, d'alléguer l'argument traditionnellement opposé à cette réforme, qui tenait à l'importance des effectifs des forces terrestres et, partant, au coût d'une telle mesure, quand les effectifs des forces terrestres auront rejoint le format prescrit par la loi de programmation.
c) La diminution problématique des crédits consacrés à l'entretien des immeubles
Les crédits consacrés à l'entretien des immeubles de l'Armée de terre (Allemagne et outre-mer compris) sont inscrits au chapitre 34-04 (fonctionnement), et répartis entre les articles 92 (entretien des immeubles et du domaine militaire), et 10 (entretien et activité des forces - masse de casernements). Ces crédits comprennent les moyens déconcentrés aux formations depuis 1992, en vue de couvrir l'entretien réalisé par le « locataire ». Le tableau ci-après montre la diminution régulière (si l'on fait exception de l'exercice 1993) des moyens affectés à l'entretien des casernements de l'Armée de terre depuis le début des années 1990.
Ces moyens ne permettent de consacrer à l'entretien des casernements qu'un taux de 33 F par m 2 environ, à rapprocher de la norme de 35 F par m 2 évaluée par le Génie.
Evolution des crédits affectés à l'entretien des casernements de l'Armée de terre depuis 1991
(en millions de francs)
Chapitre 34-04-92 |
Chapitre 34-04-10 (paragraphe 30) |
Total |
Evolution n/n-1 |
|
1991 |
684,3 |
91,6 |
775,9 |
|
1992 |
679,4 |
93,5 |
772,9 |
- 0,4 % |
1993 |
664,3 |
138 |
802,3 |
+ 3,8 % |
1994 |
617,8 |
178,8 |
796,6 |
- 0,7 % |
1995 |
571,2 |
202,1 |
773,3 |
- 2,9 % |
1996 |
545,8 |
211,5 |
757,3 |
- 2,0% |
PLF 1997 |
493,3 |
221,1 |
714,4 |
- 5,6 % |
Les restructurations prévues en 1997 pourraient rendre relativement indolore la baisse de - 5,6 % inscrite dans le projet de loi de finances pour 1997. Il convient toutefois de souligner que les unités devant être dissoutes en cours d'année, elles continueront à peser sur les crédits d'entretien des casernements au mieux jusqu'en 1998 . En effet, il sera nécessaire d'assurer le gardiennage et l'entretien minimal des locaux libérés par les retructurations, afin d'éviter leur dégradation ainsi que d'éventuelles intrusions jusqu'à leur cession.
Par ailleurs, il est clair qu'une armée professionnelle se doit de proposer à ses personnels une certaine qualité d'hébergement, ce qui implique un effort financier soutenu en matière d'entretien des casernements . Cette constatation empêche de considérer les chapitres correspondants comme des variables d'ajustement, et illustre la difficulté de l'exercice consistant à comprimer le titre III.
d) L'entraînement des forces, variable d'ajustement d'un titre III particulièrement contraint
Les charges supplémentaires qui pèsent sur les crédits de fonctionnement notamment du fait des opérations extérieures ne permettront que difficilement d'atteindre en 1996 l'objectif traditionnel de 100 jours de sortie annuels, dont 50 avec matériels organiques.
En 1997, le maintien à ce niveau des activités d'entraînement de l'Armée de terre sera difficile à atteindre, si l'on se réfère à la baisse des crédits destinés aux carburants et aux munitions, qui déterminent directement l'activité des forces.
. En effet, la dotation en carburants passera, en 1997, de 588,8 à 511,8 millions de francs, soit une baisse de 13,08 % qui se fonde sur l'hypothèse d'un dollar à 5 F et du baril de pétrole à 16,5 dollars. Or, en 1996, le prix du baril de pétrole a été largement supérieur à l'hypothèse retenue initialement (23,47 dollars au lieu de 16,9), de même que le cours du dollar (5,21 F au lieu de 4,90 F).
Le pouvoir d'achat de la dotation en carburants tient donc à un pari sur l'évolution du cours du dollar et du prix du pétrole.
Eu égard à la diminution des crédits prévue pour 1997, la non vérification des hypothèses précédemment évoquées pourrait impliquer, selon les informations transmises à votre rapporteur, la suppression de dix jours d'activité environ .
. Les crédits consacrés aux munitions d'instruction inscrits au chapitre 53-80, articles 34 et 35, évoluent comme suit :
Dotations de munitions d'instruction
(en millions de francs)
AP |
CP |
||||
1996 |
1997 |
Variation 97/96 |
1996 |
1997 |
Variation 97/96 |
645 |
468 |
- 27,45 % |
635 |
296 |
- 53,4 % |
On observe, depuis le début de la présente décennie, une tendance régulière à la diminution de la consommation de munitions d'instruction , qui se traduit par la consommation des stocks de guerre existants. La consommation de munitions d'instruction est ainsi passée de 1 905 millions de francs en 1989 (ce qui équivaut à 12 027 tonnes) à 1 725 millions de francs en 1995 (soit 7 806 tonnes). Il serait préférable que la tendance ne s'accélère pas, pendant la période de la programmation, proportionnellement aux effectifs déflatés.
En effet, la réussite de la professionnalisation implique un taux d'activité soutenu, sous peine de décourager les vocations tant des futurs volontaires du service militaire que des engagés volontaires.
De surcroît, la contrainte budgétaire oblige à réduire le dispositif outre-mer, alors même que les affectations outre-mer entrent dans les motivations des engagés volontaires, dont le recrutement conditionne, comme votre rapporteur l'a déjà mentionné, la réussite de la professionnalisation. Les perspectives d'affectation outre-mer étant désormais limitées (ce que peut néanmoins compenser le développement des opérations extérieures), ce n'est pas en limitant les activités d'entraînement que l'on pourra attirer des personnels motivés .
Enfin, votre rapporteur rappelle que les régiments dissous dans le cadre des restructurations prévues pour 1997 ne seront fermés qu'en cours d'année, ce qui implique le maintien de l'entraînement des personnels concernés, sous peine de nuire gravement au moral de ceux-ci . Il ne saurait donc résulter, en matière d'entraînement comme dans bien d'autres catégories de dépenses, d'économies immédiates du fait de la contraction du format de l'Armée de terre .
Votre rapporteur s'interroge ainsi sur la réduction des dotations consacrées aux activités des forces terrestres, tout en étant conscient que les contraintes qui obèrent le fonctionnement de l'Armée de terre pèsent de manière inéluctable sur le taux d'activité, eu égard à la rigidié des autres catégories de crédits de fonctionnement :
- les rémunérations et charges sociales sont induites par les effectifs, et ne permettent aucune économie, de même que les crédits d'alimentation,
- les crédits d'entretien immobilier ont atteint un niveau trop modeste pour être encore mis à contribution,
- les crédits d'entretien programmé des matériels se déduisent du parc de matériel à entretenir, sans que l'on puisse y voir une véritable variable d'ajustement (les crédits d'EPM inscrits sur le titre III sont d'ailleurs résiduels : 228,6 millions de francs en 1997),
- les moyens affectés au transport sont liés, d'une part, aux effectifs d'appelés et, d'autre part, aux opérations extérieures : il est difficile d'agir en amont sur ces deux variables,
- sur le fonctionnement des services ne peuvent être envisagés que des économies très limitées, car ces crédits se situent à un niveau très modeste.
Les crédits destinés aux activités opérationnelles des forces constituent donc la seule variable d'ajustement envisageable, car ces dotations ne sont pas induites par des données rigides. Il convient toutefois de souligner que tout effort d'économies sur ce type de crédits affecterait directement la capacité opérationnelle de l'Armée de terre, au moment où la participation à des opérations extérieures, qui implique précisément un niveau élevé de capacié opérationnelle, est une des motivations de la professionnalisation .