2. Un titre III particulièrement contraint pendant la période de transition
a) Comment trouver des variables d'ajustement au sein des crédits de fonctionnement de l'Armée de terre ?
C'est l'Armée de terre qui absorbera la plus grande part des crédits de fonctionnement programmés pour 1997-2002. Sur une enveloppe de 594 milliards de francs 1995 en effet, la part des forces terrestres s'élèvera à 64,15 % (19,3 % pour la Gendarmerie ; 16,27 % pour l'Armée de l'Air ; 14,56 % pour la Marine ; 15,77 % pour les services communs, sur lesquels sera imputé le fonds d'accompagnement de la professionnalisation).
Cette situation s'explique essentiellement par l'importance croissante du poste rémunérations et charges sociales de l'Armée de terre : + 8 % (+ 7 % dans la Gendarmerie, + 5 % dans l'Armée de l'air, stabilité au niveau actuel dans la Marine).
Cette évolution est motivée par le fait que c'est dans les forces terrestres que devront être recrutés le plus de militaires du rang engagés :
+ 36 479 dans l'Armée de terre,
+ 10 876 dans l'Armée de l'air,
- 105 dans la Marine.
Rappelons, en effet, que l'une des conditions de la réussite de la professionnalisation réside dans l'augmentation des rémunérations servies aux engagés , et que la loi de programmation prend en compte ce défi, puisqu'elle permet d'augmenter, à compter du 1er juin 1997, la solde des engagés à un niveau comparable à celui du Smic.
C'est ainsi que la part des rémunérations et charges sociales au sein du titre III des forces terrestres passera de 78,5 % en 1996 à 84,8 % en 2002 . Cet élément de rigidité dans les crédits de fonctionnement de l'Armée de terre implique, d'une part, une gestion particulièrement économe des crédits de fonctionnement courant , qui feront l'objet d'une baisse plus sensible dans l'Armée de terre (- 29 % pendant la programmation) que dans les autres armées (- 21 % dans l'Armée de l'air, - 13 % dans la Marine) et, a fortiori, que dans la Gendarmerie (- 3 %), ce qui montre que c'est dans l'Armée de terre que devront être trouvés les gisements de productivité les plus importants. D'autre part, la rigidité qui caractérise les dépenses de rémunérations et charges sociales fait que les postes liés à l'entraînement peuvent faire figure de variable d'ajustement du titre III .
Or, la contraction des moyens de fonctionnement courant interviendra au moment où l'Armée de terre devra faire face au financement de la transition . Pendant cette période en effet, le maintien d'effectifs relativement importants ne permettra pas encore de réaliser les économies attendues, à terme, de la réduction du format des forces terrestres sur les postes suivants : alimentation, entretien des immeubles, activités, entretien programmé des matériels, carburants, indemnité compensatrice à la SNCF et transports. En revanche, dans le même temps, la montée en puissance de la professionnalisation aura des effets sur le niveau du poste rémunérations et charges sociales.
Les caractéristiques de la période de transition consistent donc en l'obligation de continuer à assumer les charges liées à une Armée de terre qui restera, pendant quelques années, très proche de l'armée mixte actuelle, tout en finançant les charges nouvelles liées à la professionnalisation.
b) Un fragile équilibre financier susceptible d'être compromis par les opérations extérieures et par un « rendez-vous citoyen » trop ambitieux
Les développements ci-dessus montrent que la programmation militaire pour 1997-2002 est bâtie, pour l'Armée de terre plus encore que pour les autres armées, sur un équilibre financier particulièrement fragile, ce qui tient au « pari » consistant à financer la montée en puissance de la professionnalisation à titre III constant.
Or, deux séries d'événements menacent de faire dériver dangereusement ce titre III contraint. Il s'agit, d'une part, des opérations extérieures et, d'autre part, d'un « rendez-vous citoyen » dont la durée, si elle était trop longue, pèserait à l'excès sur les crédits de fonctionnement des forces terrestres.
(1) Le surcoût financier imputable aux opérations extérieures
Le caractère par essence imprévisible des opérations extérieures constitue un aléa majeur pour l'équilibre des crédits de fonctionnement de l'Armée de terre.
. Notons, tout d'abord, que le surcoût global, pour le ministère de la Défense, lié aux opérations extérieures pèse en premier lieu sur l'Armée de terre. Celle-ci a assumé
- 45,9 % du surcoût de 1993 (soit 2,98 sur 6,5 milliards de francs) ;
- 55,4 % du surcoût de 1994 (soit 3,08 sur 5,56 milliards de francs) ;
- 41 % du surcoût de 1995 (soit 2,19 sur 5,3 milliards de francs) ;
- en 1996, sur la base de prévisions élaborées en août 1996, le surcoût total devrait s'élever à 5,3 milliards de francs, l'Armée de terre représentant 58 % de cette grandeur, soit 3,16 milliards de francs.
La part de l'Armée de terre dans le surcoût global a donc plutôt eu tendance à augmenter entre 1993 et 1996, ce qui est probablement imputable au poids croissant de la présence militaire française en ex-Yougoslavie :
- 1 232,46 millions de francs en 1993 pour la FORPRONU
- 1 546,3 millions de francs en 1994,
- 1 064,44 millions de francs en 1995,
- 2 458,96 millions de francs en 1996 pour l'IFOR (implementation force).
. Il est très éclairant de relever le poids du titre III dans le surcoût global, soit 4 milliards sur 5,3. Cette remarque vaut également pour le surcoût lié à la participation de la seule Armée de terre aux opérations extérieures. En effet, le surcoût en crédits de fonctionnement s'est élevé, pour l'Armée de terre, à
- 2,6 milliards de francs en 1993 (soit 87,2 % du surcoût observé sur le budget des forces terrestres) ;
- 2,45 milliards de francs en 1994 (soit 79,5 % du surcoût) ;
- 1,8 milliard de francs en 1995 (soit 82,2 % du surcoût).
. L'importance du titre III dans le surcoût lié aux opérations extérieures tient, pour une très large part, aux mécanismes de la rémunération des personnels militaires en opérations extérieures. Vu l'ampleur prise par celles-ci depuis le début des années 1990, et étant donné la priorité attachée à la projection dans le cadre de la présente programmation, on ne peut a priori s'attendre, dans les prochaines années, à une réduction très substantielle de la participation de l'Armée de terre aux opérations extérieures (à moins qu'intervienne une transformation inespérée de la situation internationale). De ce fait, les réflexions actuellement conduites afin de réviser les conditions de la rémunération des personnels militaires en opérations extérieures visent à desserrer l'hypothèque qui pèse sur le titre III des armées.
Rappelons tout d'abord sur quels principes repose le dispositif actuel.
En 1968, le régime du décret n° 67-290 du 28 mars 1967, qui prévoit les conditions de la rémunération des agents civils de l'Etat et des établissements publics de l'Etat à caractère administratif, affectés dans un poste à l'étranger, a été étendu aux militaires en service dans les postes d'attachés militaires, auprès d'organismes internationaux, ou affectés en qualité d'officier de liaison instructeur dans les cadres militaires étrangers.
Ce système de rémunération s'appuie sur le traitement indiciaire de base, une indemnité de résidence, dont le montant diffère selon le pays, le grade et l'emploi, et sur des avantages familiaux.
En 1978, l'envoi de troupes françaises au sein de la FINUL (Force intérimaire des Nations Unies au Liban) a mis en évidence le fait qu'aucun régime de rémunération n'existait alors pour les militaires appelés à effectuer un service ponctuel à l'étranger.
En 1983, le régime inspiré du décret précité de 1967 a donc été étendu à l'ensemble des militaires en service à l'étranger, quand bien même ce système avait été conçu pour des personnels affectés à l'étranger en famille et pour plusieurs années, et n'était pas adapté au cas de militaires effectuant des séjours de courte durée (4 à 6 mois), au sein d'une unité et sans famille.
L'extension du décret de 1968 aux militaires servant en opérations extérieures présente, à première vue, deux problèmes majeurs :
- lié au pays d'affectation par le biais de l'indemnité de résidence, élément fondamental de la rémunération des agents de l'Etat en poste à l'étranger, ce système permet d'importantes disparités entre des personnels en fonction du pays de stationnement ;
- les militaires en opérations extérieures perçoivent des majorations familiales au titre de leur service à l'étranger, quel que soit le lieu de résidence des enfants, alors même que les missions qui leur sont confiées supposent que ces personnels ne soient pas accompagnés de leur famille.
Le fait que quelque 13 000 hommes servent actuellement en opérations extérieures (dont 6 822, au 16 septembre 1996, pour la seule Armée de terre) souligne l'intérêt que présentent, sur le plan budgétaire , les réflexions actuellement conduites en vue de réformer le mode de calcul des rémunérations en opérations extérieures, tout en prenant en compte l'élément essentiel que constitue le moral de nos troupes.
. Par ailleurs, la distinction entre opérations extérieures « courantes », financées par le seul budget de la Défense, et opérations extérieures « exceptionnelles », présenterait un intérêt dans la mesure où une interprétation suffisamment large de la notion d'opération « exceptionnelle » éviterait de prélever à l'excès sur les crédits militaires et, au premier chef, sur le budget des forces terrestres qui, à elles seules, représentent environ la moitié du surcoût dû aux opérations extérieures .
Il est clair que la précision de telles notions n'est pas sans poser de problème : notre présence en ex-Yougoslavie relève-t-elle, après tant d'années, d'une intervention « courante » ou d'une opération « exceptionnelle » ?
Quelle que soit l'issue de la réflexion actuellement conduite sur ce sujet, votre rapporteur est persuadé que faire assumer sa part de surcoût à l'Armée de terre sans le recours de lois de finances rectificatives reviendrait à compromettre gravement le financement de la professionnalisation .
(2) La nécessité d'éviter un « rendez-vous citoyen » à la durée trop ambitieuse
Votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées avait conclu ses travaux, en mai 1996, en souhaitant, d'une part, que la professionnalisation des armées ne suppose pas la suppression ni du recensement, ni de la conscription, mais la suspension de l'appel des contingents et, d'autre part, qu'un dispositif inspiré des « trois jours » préserve les compétences acquises par la Défense dans le domaine de la sélection. Ces précautions devraient, en effet, permettre une remontée en puissance progressive du service national, si la résurgence d'une menace majeure l'exigeait.
Dans l'esprit de votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ces nouveaux « trois jours », désormais appelés « rendez-vous citoyen », ne devaient constituer qu'une « assurance contre une modification alarmante de la situation internationale susceptible d'affecter nos intérêts » 8 ( * ) , tout en assurant le maintien du savoir-faire statistique détenu par la Direction centrale du service national dans des domaines aussi divers que la détection de l'illettrisme ou que l'évaluation de l'état sanitaire des jeunes générations.
En aucun cas votre commission n'envisageait d'organiser ces « journées citoyennes » dans un autre but que l'éducation civique de base de la jeunesse, l'information des jeunes sur les carrières de l'armée et de la police, sur les perspectives offertes par le service volontaire et par les forces de réserve, ou que l'évaluation de l'état sanitaire et intellectuel de la jeunesse.
En effet, votre commission était trop consciente des enjeux, notamment financiers, de la professionnalisation, pour risquer de compromettre celle-ci en affectant au « rendez-vous citoyen » des crédits que ne justifient pas les missions et les priorités ci-dessus évoquées. Votre rapporteur ne saurait souscrire à une extension injustifiée du « rendez-vous citoyen » qui assimilerait celui-ci à un service national court. Rappelons, en effet, qu'un service obligatoire de quatre semaines induirait un surcoût de 2,3 milliards de francs, et accaparerait 16 500 professionnels, compromettant ainsi tant l'équilibre financier sur lequel repose la programmation que le renforcement des capacités de projection qui sous-tend la professionnalisation.
Un « rendez-vous citoyen » qui excèderait quelques jours (au plus, une semaine) serait probablement fatal, non seulement au budget de la défense, mais aussi à la professionnalisation.
Il importe, par ailleurs, que l'ensemble des administrations civiles susceptibles de bénéficier du futur service volontaire participent, elles aussi, aux charges qui résulteront du « rendez-vous citoyen » : contributions budgétaires et ressources humaines affectées à l'encadrement de la jeunesse.
* 8 Serge Vinçon, L'avenir du service national, Sénat, 1995-1996, n° 346.