EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à se prononcer sur la proposition de loi tendant à mettre à la disposition du public les locaux dits du Congrès, au château de Versailles, adoptée par l'Assemblée nationale le 7 avril dernier.

Présentée par M. Jean-Louis Debré, Président de l'Assemblée nationale, cette proposition de loi vise à redéfinir les relations entre le Parlement et le château de Versailles.

Haut lieu de la monarchie, Versailles devient le théâtre des premières heures de l'histoire parlementaire de la France sous la Révolution, lorsque les délégués du Tiers état aux Etats généraux prennent le nom d'Assemblée nationale, le 17 juin 1789, puis prêtent serment dans la salle du Jeu de Paume, le 20 juin.

A la naissance de la IIIème République, Paris devant faire face à l'insurrection de la Commune, c'est à Versailles que s'établit l'Assemblée nationale, en mars 1871. Le château reste le siège de la Chambre des députés et, après sa création en 1875, du Sénat, jusqu'au 2 août 1879.

Les assemblées ont ensuite retrouvé Versailles régulièrement, pour l'élection du Président de la République et les révisions de la Constitution sous les IIIème et IVème Républiques. Depuis 1958, l'Assemblée nationale et le Sénat se réunissent à Versailles en Congrès, pour adopter les projets de révision constitutionnelle qui ne sont pas soumis à référendum.

La Vème République a donc perpétué l'usage établi par les républiques précédentes, trouvant à Versailles une salle assez grande pour accueillir les députés et les sénateurs, et s'appropriant le lieu dont la monarchie voulait faire le symbole de la Nation.

Aussi l'article 2 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, modifiée en 2003, prévoit-il que les locaux dits du Congrès, et les autres locaux utilisés par les assemblées à Versailles, sont affectés à l'Assemblée nationale ou au Sénat.

La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale vise à supprimer cette affectation permanente pour confier les locaux à l'établissement public du château de Versailles. Le public devrait ainsi y avoir largement accès, tandis que pour la tenue des Congrès du Parlement, les locaux nécessaires seraient gratuitement mis à la disposition des assemblées.

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I. LES ASSEMBLÉES PARLEMENTAIRES À VERSAILLES

A. DE LA RÉVOLUTION À LA IIIÈME REPUBLIQUE

À Versailles, là où Louis XIV construisit son château, eurent lieu les premiers mouvements de la Révolution, transformant le « manifeste politique » 1 ( * ) de la monarchie absolue en temple de l'histoire.

1. Le lieu de naissance de l'Assemblée nationale

D'après Armand Brette, des impératifs économiques expliquent que Versailles ait accueilli les Etats généraux en 1789 : « Les villes sur lesquelles portaient les hésitations étaient : Paris, Versailles, Saint-Germain, Compiègne, Soissons, Fontainebleau, Sens, Reims et Tours. Il paraît bien que c'est en considération des moindres dépenses nécessitées pour la réunion à Versailles, que cette ville fut définitivement choisie . 2 ( * ) »

Toujours est-il que la procession triomphale des Etats généraux le 4 mai 1789 est le dernier grand spectacle offert par la monarchie à Versailles. Leur séance solennelle d'ouverture a lieu le lendemain, dans la grande salle de l'Hôtel des Menus-Plaisirs.

Le Conseil du Roi tenu le 27 décembre 1788 avait octroyé au Tiers état un doublement de sa représentation, qui n'avait de sens que s'il était accompagné du vote par tête, et non par ordre comme il était de tradition. Dès le 6 mai, les porte-parole du Tiers refusent une vérification séparée des mandats des députés, et demandent un droit de vote individuel et la délibération en commun des trois ordres.

Après plusieurs semaines d'atermoiements, le 17 juin, s'étant acquis le soutien de quelques membres du clergé, et suivant la proposition de Sieyès, le Tiers prend le nom d'Assemblée nationale, par 491 voix contre 89. Dès lors, « le pouvoir cesse d'être tout entier concentré dans les mains du monarque ; la souveraineté est désormais partagée entre lui et les représentants de la nation assemblée. La vie politique en est transformée : elle se situera dorénavant pour l'essentiel dans les débats parlementaires » 3 ( * ) .

Voulant affirmer sa souveraineté et se donner « la certitude de vivre » (Michelet), l'Assemblée déclara que l'impôt, illégal jusqu'alors, serait perçu provisoirement, jusqu'au jour de sa séparation.

Comme le résume Michelet, « c'était, d'un coup, condamner tout le passé, s'emparer de l'avenir » 4 ( * ) .

Face aux menaces d'intervention du pouvoir royal, les députés du Tiers imaginent de se lier par un serment. Le 20 juin, les portes de la salle des Menus-Plaisirs leur étant fermées par la troupe, ils se rassemblent dans la salle du Jeu de Paume, « triste lieu, laid, démeublé, pauvre... Et il n'en valait que mieux. L'Assemblée y fut pauvre, et représenta ce jour-là d'autant plus le peuple. Elle resta debout tout le jour, ayant à peine un banc de bois... Ce fut comme la crèche pour la nouvelle religion, son étable de Bethlehem » 5 ( * ) .

Les députés y font le serment, selon le texte rédigé par Mounier, de Grenoble, de « ne se séparer jamais et de se rassembler partout où les circonstances l'exigeraient jusqu'à ce que la constitution fût établie et affermie sur des fondements solides ».

Avant que le roi ne demande aux ordres privilégiés de se joindre à l'Assemblée, le 27 juin, celle-ci est à nouveau conduite à errer sur le pavé de Versailles 6 ( * ) .

Le 26 août 1789, à Versailles encore, les députés adoptent la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, confirmant qu'ils ont tout pouvoir pour réorganiser la France.

Le 5 octobre, des milliers de femmes marchent sur Versailles pour ramener Louis XVI à Paris, en proie à la disette et à l'inquiétude. Le roi accepte de quitter Versailles, et l'Assemblée décide de le rejoindre à Paris peu après.

Paris redevient, à l'exception des débuts de la IIIème République et de la Seconde Guerre mondiale, le siège des pouvoirs publics. L'Assemblée s'installe à l'archevêché pour quelques jours, puis dans la salle du Manège, près des Tuileries.

* 1 Claire Constans, Versailles, château de la France et orgueil des rois , Gallimard, 1989, p. 115.

* 2 Armand Brette, Histoire des édifices où ont siégé les assemblées parlementaires de la Révolution et de la Première République , 1902, Imprimerie nationale, p. 2.

* 3 René Rémond, La vie politique en France depuis 1789 , tome I, 1789-1848 ; Armand Colin, 1965.

* 4 Jules Michelet, Histoire de la Révolution , tome I, 1888 A. Lemerre, petite bibliothèque littéraire, p. 202.

* 5 Jules Michelet, Histoire de la Révolution , p. 207.

* 6 Michelet décrit avec lyrisme l'aboutissement de cette errance : « Et pourquoi ne pas délibérer sous le ciel ? Quel plus noble lieu d'assemblée ?... Mais ce jour même la majorité du clergé veut venir siéger avec les Communes. Où les recevoir ? Heureusement, déjà les cent trente-quatre curés, et quelques prélats à leur tête, s'étaient établis le matin dans l'église Saint-Louis. L'Assemblée y fut introduite dans la nef, et les ecclésiastiques, d'abord réunis dans le choeur, en sortirent pour venir prendre place dans son sein. Beau moment, et de joie sincère ! Le temple de la religion, dit un orateur ému, devint celui de la patrie . » Histoire de la Révolution, p. 212 .

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