AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'exercice 2019 constitue une année charnière pour la politique d'aide publique au développement (APD) de la France : ce sont les décisions prises cette année qui détermineront si notre pays respectera l'objectif posé par le Président de la République que notre aide représente 0,55 % de notre revenu national brut (RNB) en 2022. En effet, étant donné le décalage entre l'engagement des crédits sur un projet et le moment de leur décaissement effectif, qui dépend de la mise en oeuvre concrète du projet, le niveau de l'APD de la France en 2022 dépend en grande partie du niveau des engagements qui auront été pris en 2019.

La mobilisation vers cet objectif a conduit l'année 2018 à être riche en matière d'aide publique au développement : le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) s'est réuni en février dernier et a précisé les orientations de l'APD française dans les années qui viennent. De même l'Agence française de développement (AFD) a signé il y a quelques semaines son contrat d'objectifs et de moyens (COM) avec l'État , qui fixe ses grandes orientations et lui attribue de nouveaux objectifs. Enfin, notre collègue député Hervé Berville, missionné par le Gouvernement, a proposé des pistes de modernisation de notre politique d'aide publique au développement 1 ( * ) , tandis que l'OCDE menait une revue de cette même politique 2 ( * ) .

C'est donc à l'aune de cet objectif que vos rapporteurs spéciaux ont analysé la présente mission, en se demandant si les moyens engagés permettraient de l'atteindre , en attendant une probable loi de programmation de l'aide publique au développement en 2019, qui détaillera les moyens consacrés à cette politique dans les années à venir.

I. LES MOYENS CONSACRÉS PAR LA FRANCE À L'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT EN 2019 : UNE AUGMENTATION SUBSTANTIELLE, EN AUTORISATIONS D'ENGAGEMENT

Aux termes de la loi de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale 3 ( * ) , « la politique de développement et de solidarité internationale de la France a pour ambition une mondialisation mieux maîtrisée et porteuse de valeurs humanistes ». Sa vocation première est de « lutter contre la pauvreté et les inégalités pour aider le sixième de l'humanité, dont une majorité de femmes, qui vit encore dans l'extrême pauvreté, à en sortir et éviter que ceux qui en sont sortis y tombent à nouveau ».

Elle s'inscrit dans le cadre défini par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui fixe la liste des pays bénéficiaires et comptabilise les dépenses pouvant être prises en compte au titre de cette politique, selon des règles qui permettent de comptabiliser au sein d'un même agrégat - l'aide publique au développement au sens de l'OCDE - l'aide provenant des dons et celle provenant des prêts.

La mission « Aide publique au développement » est la principale mission budgétaire concourant à la politique d'aide publique au développement . Dans le projet de loi de finances pour 2018, elle représentait ainsi 40 % de l'aide publique au développement résultant de crédits budgétaires. Les missions « Recherche et enseignement supérieur », « Action extérieure de l'État » et « Immigration, asile et intégration » contribuent également de façon importante à l'APD française.

Aux crédits de ces missions du budget général, il faut ajouter les crédits des prêts portés par le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers », ainsi que la part du produit de la taxe sur les billets d'avion et de la taxe sur les transactions financières affectée au développement .

A. DES ÉVOLUTIONS SIGNIFICATIVES DES CIRCUITS DE FINANCEMENT DE NOTRE POLITIQUE D'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

1. La budgétisation de la part de TTF affectée à l'AFD

La taxe sur les transactions financières (TTF), prévue à l'article 235 ter ZD du code général des impôts, a été créée par la première loi de finances rectificative pour 2012 4 ( * ) . Elle est assise sur les opérations d'achat d'actions de sociétés françaises dont la capitalisation boursière dépasse un milliard d'euros au 1 er janvier de l'année d'imposition. Son taux est de 0,3 % depuis 2017.

Dès sa mise en place, il était prévu qu'une part de son produit soit affectée au développement international , à travers une affectation au fonds de solidarité pour le développement (FSD) (cf. infra ). En tenant compte du plafonnement, la part de la TTF affectée au développement est passée de 8 % en 2013 à 50 % en 2018, avec une évolution majeure : à compter de 2016, une partie de cette part - 270 millions d'euros - a été affectée, non plus au FSD, mais à l'AFD . Cette affectation a été obtenue de haute lutte par le Parlement, le Gouvernement d'alors étant revenu dessus en exécution en 2016 et ayant tenté de la supprimer en 2017. En 2018 encore, l'actuel Gouvernement proposait dans le projet de loi de finances déposé au Parlement de revenir sur cette affectation.

Le présent projet de loi de finances propose de budgétiser la part de TTF affectée à l'AFD, c'est-à-dire, d'une part, de supprimer l'affectation de 270 millions d'euros à l'agence (3° de l'article 29) et, d'autre part, de majorer à due concurrence les crédits de la présente mission .

Cette budgétisation a suscité une vive opposition de certaines organisations non gouvernementales (ONG). Ainsi, Oxfam France regrettait, à la suite du vote de l'article à l'Assemblée nationale, que « [les députés aient] laissé passer l'opportunité d'une mobilisation forte en faveur de la solidarité internationale », tandis que Coordination Sud dénonçait « un recul historique après des annonces en trompe-l'oeil à la pelle ».

Vos rapporteurs spéciaux ne partagent pas cette analyse et considèrent qu'elle se focalise excessivement sur l'outil financier plutôt que sur les moyens consacrés au développement, dans leur ensemble . Certes, l'affectation au développement d'une taxe assise sur les transactions financières n'est pas neutre ; mais le choix du Parlement d'utiliser cet outil était essentiellement guidé par des impératifs juridiques . L'intention était de permettre à l'agence d'augmenter le montant de ses dons-projets, ce qui aurait dû prendre la forme d'une augmentation des crédits du programme 209, sur la présente mission. C'est en fait l'article 40 de la Constitution, qui interdit aux membres du Parlement d'accroître une dépense publique, qui a conduit les députés à renoncer à abonder les crédits budgétaires, au profit d'une taxe affectée 5 ( * ) . La budgétisation de cette ressource reprend en fait l'intention initiale des parlementaires, d'autant plus que la part de TTF affectée étant, dès l'origine, plafonnée, l'AFD n'avait pas vocation à bénéficier du dynamisme éventuel de cette taxe.

Cette budgétisation de la ressource aura néanmoins des conséquences. Elle implique une perte de trésorerie pour l'AFD , qui ne percevra plus immédiatement les crédits de paiement mais en bénéficiera au fur-et-à-mesure des décaissements. Cet étalement des crédits de paiement est cependant plus conforme à la réalité de l'exécution des projets : ainsi, en 2017, l'AFD n'a décaissé que 55 millions d'euros sur les 270 millions d'euros de TTF affectée. Par ailleurs, la budgétisation permet d'améliorer la visibilité du Parlement sur l'utilisation de cette ressource . En effet, ces crédits figurent désormais dans le projet annuel de performance et son ventilés par sous-action. À l'inverse, dans le cas d'une taxe affectée, le Parlement décide du montant affecté mais ne peut orienter son affectation. Il n'est informé qu'a posteriori de l'utilisation de ces fonds. Ainsi, en 2016, la part affectée avait été réorientée vers le FSD, et ce n'est qu'à l'automne 2017 que le Parlement a été informé des modalités d'utilisation par l'AFD des crédits affectés en 2017.

En définitive, vos rapporteurs spéciaux préfèrent donc concentrer leur analyse sur l'évolution globale des ressources consacrées au développement plutôt que sur les outils utilisés et c'est en tenant compte de la suppression de cette affectation qu'ils analyseront les crédits de la mission (cf. infra ).

2. L'augmentation des bonifications de prêts dans les États étrangers en remplacement des crédits de la ressource à condition spéciale (RCS)
a) La disparition de la ressource à condition spéciale (RCS) à la suite de la requalification par l'Insee, contestée par l'État, de cette dépense en dépense maastrichtienne

La ressource à condition spéciale (RCS) désigne des prêts accordés chaque année par l'État à l'Agence française de développement , dont les crédits figurent sur le programme 853 du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers », à des conditions particulièrement favorables, puisque ces crédits courent sur trente ans, dont dix ans de différé du remboursement en capital, à un taux de 0,25 %. La RCS est comptabilisée en tant que fonds propres de troisième catégorie ( Tier 2 ). Le renforcement des fonds propres de l'agence entre 2015 et 2017 avait été mené en convertissant une partie de la RCS en obligations perpétuelles de l'AFD détenues par l'État, comptabilisés en fonds propres de deuxième catégorie ( Additionnal Tier 1 ). Cette ressource est utilisée par l'AFD pour accorder des prêts dans les États étrangers.

À la suite d'observations d'Eurostat 6 ( * ) , l'Insee a requalifié ces prêts de transfert en capital . Les deux instituts de statistiques se fondent sur les règles de comptabilité européennes qui stipulent que « les crédits consentis par les administrations publiques susceptibles de ne pas être remboursés sont enregistrés dans le SEC en tant que transferts en capital » 7 ( * ) . L'Insee considère que l'utilisation de la RCS pour augmenter les fonds propres de l'AFD suggère que l'État ne comptait pas in fine sur le remboursement de ces prêts. Elle pointe également l'augmentation constante de l'encours total de RCS, ce qui impliquerait, selon son analyse, qu'il s'agit d'un transfert en capital. Ainsi, les dépenses du programme 853 sont considérées comme des dépenses maastrichtiennes et la variation des encours de RCS comme un transfert en capital ayant un impact sur le solde public .

La direction générale du Trésor a indiqué à vos rapporteurs spéciaux que cette analyse était contestée par l'État, mais que « parallèlement aux discussions en cours, le choix a été fait, par prudence de ne plus inscrire de nouvelles autorisations d'engagement sur le programme 853 en 2019 ». Dès lors, les crédits de paiement sur ce programme concernent exclusivement des autorisations d'engagement passées (cf. infra ).

b) Les modalités de la « transformation » de ce prêt en crédits pour bonification de prêts dans les États étrangers

La suppression « sèche » de la RCS aurait diminué la capacité de l'AFD à accorder des prêts dans les États étrangers, c'est pourquoi le présent projet de loi de finances propose de majorer les crédits de l'agence au titre des bonifications de prêts dans les États étrangers (programme 110).

Si ces deux enveloppes permettent à l'AFD d'accorder des prêts, elle les utilise de façon différente :

- lorsqu'elle utilise les crédits de bonification, elle lève elle-même des ressources sur les marchés, à un taux d'intérêt qui dépend de ses conditions de financement ; elle utilise ensuite des crédits de bonification pour abaisser ce taux pour le bénéficiaire final ;

- lorsqu'elle utilise la RCS, elle ne lève pas de ressources sur les marchés mais utilise directement la ressource prêtée par l'État pour réaliser son prêt.

L'équivalence entre un montant de RCS sur le programme 853 et un montant de bonification du programme 110 permettant d'accorder le même prêt pour le bénéficiaire final dépend donc des conditions de financement de l'AFD, à un moment donné .

Exemples d'utilisation de la RCS et des crédits de bonification

Si l'AFD souhaite accorder un prêt de 100 millions d'euros à un pays en développement, au taux de 0,25 % sur 40 ans dont 10 ans de différé, elle peut :

- consommer 100 millions d'euros d'autorisations d'engagement de ressource à condition spéciale (programme 853) ;

- ou consommer 25 millions d'euros environ d'autorisations d'engagement de crédits de bonification (programme 110), dans l'hypothèse d'un coût de financement sur les marchés de 1,25%.

D'après la direction générale du Trésor, dans les conditions de marché actuelles, 1 euro de bonification équivaut à 4 euros de RCS. Cette analyse est confirmée par l'AFD. C'est donc sur la base de cette équivalence que vos rapporteurs spéciaux ont analysé l'évolution respective des crédits des programmes 110 et 853 .


* 1 Hervé Berville, Un monde commun, un avenir pour chacun , août 2018.

* 2 OCDE, Examen de l'OCDE sur la coopération pour le développement : France 2018 , septembre 2018.

* 3 Loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale.

* 4 Article 5 de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012.

* 5 Il est à noter que les jurisprudences des commissions des finances du Sénat et de l'Assemblée nationale diffèrent sur ce point : au Sénat, un amendement augmentant les ressources affectées à un opérateur dont les dépenses sont discrétionnaires aurait été considéré comme un contournement de l'article 40, dans la mesure où il aurait en fait visé à accroître ses dépenses, et aurait donc été déclaré irrecevable. Voir le rapport d'information n° 263 (2013-2014) La recevabilité financière des amendements et des propositions de loi au Sénat (pages 88 et suivantes).

* 6 Voir Eurostat, Excessive Deficit Procedure dialogue visit to France , mai 2017 (Ref. Ares(2018)4503234 - 03/09/2018).

* 7 Paragraphe 20.121 du système européen des comptes 2010 (SEC 2010).

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