III. UNE RÉFORME DU FINANCEMENT DU CENTRE NATIONAL DU CINÉMA EN DEUX TEMPS

Le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) est chargé d'une triple mission :

- économique, au travers du soutien à une industrie soumise à une très forte concurrence. L'industrie cinématographique représente 0,9 % du PIB et 1 % de l'emploi total en France ;

- culturelle, via la valorisation de la diversité et de l'originalité de la création française ;

- stratégique et réglementaire, par l'intermédiaire d'une participation directe à la définition de la politique de l'État pour ce secteur et à l'élaboration des textes de nature législative ou réglementaire visant ce secteur.

Établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère chargé de la culture, le CNC ne bénéficie d'aucun crédit budgétaire. Son budget annuel, 675,5 millions d'euros prévus en 2020, est abondé par trois taxes affectées.

- la taxe sur les services de télévision due par les éditeurs (TST-E) et par les distributeurs de services de télévisions (TST-D) ;

- la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels (TSV) ;

- la taxe sur les entrées en salle de cinéma (TSA).

Décomposition des recettes du CNC en 2018

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

A. LE PROJET DE LOI DE FINANCES PRÉVOIT UNE HARMONISATION DES TAUX DE TST ET DE TSV

1. Les deux volets de la taxe sur les services de télévision

Prévues aux articles L. 115-6 et suivants du code du cinéma et de l'image animée (CCIA), la TST-E et la TST-D sont dues par les éditeurs et les distributeurs de service de télévision, établis en France. Ces taxes sont directement recouvrées par le CNC.

La TST-E est assise sur les recettes issues des messages publicitaires et de parrainage, celles issues des SMS et appels surtaxés ainsi que sur la contribution à l'audiovisuel public (CAP) et toute autre ressource publique. Son taux est fixé à 5,65 % après application d'un abattement de 11 millions d'euros sur les recettes publicitaires et la contribution à l'audiovisuel public. Les chaînes ne diffusant pas de messages publicitaires bénéficient, quant à elles, d'un abattement de 16 millions d'euros.

L'assiette de la TST-E a été consolidée par la loi de finances rectificative pour 2017 10 ( * ) , afin de tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 27 octobre 2017 qui l'avait jugée inconstitutionnelle 11 ( * ) . L'assiette de la taxe incluait en effet des sommes dont les éditeurs de service de télévision ne pouvaient pas disposer, en l'espèce les montants versés aux régisseurs de messages publicitaires ou de parrainage. Le produit de la TST-E recouvré par le CNC s'est élevé à 296,8 millions d'euros en 2018.

La TST-D est assise sur le produit des abonnements à un ou plusieurs services de télévision ou à une offre comprenant un accès à un réseau de communications électroniques permettant de recevoir des services de télévision. Dans le premier cas, est appliqué un abattement de 10 %, dans le second cas, un abattement de 66 %. Un barème composé de quatre tranches est ensuite appliqué pour le calcul de la taxe, après un nouvel abattement de 10 millions d'euros. Le produit de la TST-D s'est élevé à 203,2 millions d'euros en 2018.

2. Une taxe sur la diffusion de vidéo physique et en ligne modernisée

La TSV, prévue à l'article 1609 sexdecies B du code général des impôts, est due par tout opérateur, quel que soit son lieu d'établissement, en France ou à l'étranger, dès lors qu'il propose un service en France. Elle est recouvrée par la direction générale des finances publiques (DGFIP), avant reversement au CNC.

Elle est assise sur :

- le prix payé par les utilisateurs pour l'achat ou la location -physiques ou en ligne - d'oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles ;

- les sommes versées par les annonceurs et les parrains pour la diffusion de leurs messages publicitaires sur un service donnant ou permettant l'accès, à titre gratuit, à des contenus audiovisuels.

Si les services proposent des contenus audiovisuels créés par des utilisateurs prouvés à des fins de partage au sein de communauté d'intérêts, un abattement de 66 % est appliqué.

Le taux de la taxe est de 2 % et s'élève à 10 % si les contenus visés sont de nature pornographique ou incitent à la violence.

La TSV a connu de nombreuses modifications ces dernières années, afin d'en étendre son assiette et juguler ainsi son érosion induite par la diminution importante des ventes de vidéos physiques. La loi de finances rectificatives pour 2013 a ainsi intégré les plateformes de vidéos payantes installées à l'étranger grâce à leurs abonnés (taxe dite Netflix ) 12 ( * ) . La loi de finances rectificative pour 2016 a, quant à elle, visé les plateformes composées majoritairement de vidéos gratuites (taxe dite Youtube ) 13 ( * ) . Le nouveau dispositif est entrée en vigueur le 1 er janvier 2018 14 ( * ) , le Gouvernement attendant la confirmation par la Commission européenne de la conformité de ces taxes au droit de l'Union européenne. Celle-ci est intervenue le 18 juillet 2017. La Cour de justice de l'Union européenne a par ailleurs estimé, le 20 septembre 2018, que les taxes affectées au CNC ne relevaient pas d'un régime d'aide d'État au sens de l'article 107 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Le produit de la TSV s'est élevé à 25,7 millions d'euros en 2018, soit 58,7 % de plus qu'en 2017. Le rendement des taxes Netflix et Youtube est estimé à environ 10 millions d'euros. Le CNC table sur un produit de 29,2 millions d'euros en 2019.

3. Un rééquilibrage des taux en faveur d'une certaine équité

L'article 62 du présent projet de loi de finances prévoit une harmonisation du taux des deux taxes affectées. Un taux commun de 5,15 % serait appliqué pour la taxe sur les services de télévision - éditeurs (TST-E) et pour la taxe sur la diffusion en vidéo physique (TSV). S'agissant des oeuvres à caractère pornographique ou incitant à la violence, le taux de la TSV serait porté à 15 %.

Cette unicité de taux met fin à l'écart de taxation observée entre les opérateurs historiques et les nouveaux acteurs, principalement les plateformes de vidéos à la demande. Il répond ainsi à un défaut d'équité entre les différents acteurs, constituant une réelle distorsion de concurrence.

Le taux le plus élevé s'appliquait, par ailleurs, aux marchés les moins dynamiques, en particulier la télévision hertzienne, et le taux le plus faible à un marché en plein développement.

Au-delà de ce rapprochement des taux, le dispositif tient compte de la situation particulière de certains redevables.

La TST-D serait, ainsi, diminuée pour les éditeurs de services de télévision qui s'auto-distribuent, à l'instar de Canal +. Le Gouvernement souhaite ainsi prendre en compte les contraintes liées à la gestion d'un parc de clients abonnés à un service disponible sur l'ensemble des réseaux de diffusion. Le taux majoré serait ainsi ramené de 7,25 % à 6,8 %.

Par ailleurs, l'assiette déclarée par France Télévisions au titre de la CAP fait l'objet d'un abattement de 8 %, afin de tenir compte des contraintes de service public auxquelles elle est soumise. L'abattement visant les chaînes ne diffusant pas de message publicitaire serait, quant à lui, porté de 16 à 30 millions d'euros.

Enfin l'augmentation de la TSV serait compensée pour les vendeurs et les loueurs de vidéos physiques par un abattement de 65 % sur la base d'imposition de ces opérateurs.

S'agissant de l'impact économique du dispositif, le niveau du taux unique a été déterminé afin de garantir un niveau de recettes pour le CNC, comparable à celui de l'exercice 2018-2019, soit 675 millions d'euros. Le montant de la TST-E attendu pour 2020 devait ainsi d'élever à 293 millions d'euros alors que celui de la TSV était estimé 30,5 millions d'euros. Le nouveau dispositif devrait permettre de ramener la TST-E à 260,8 millions d'euros en 2020, la TSV atteignant 66 millions d'euros.

Évolution de la TST-E et de la TSV avant et après le rééquilibrage des taux

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le document stratégique de performance du CNC 2018-2020

Votre rapporteur spécial avait estimé à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2019 que les taxes Netflix et Youtube constituaient une première étape en vue d'un rééquilibrage du financement du CNC au profit des opérateurs historiques. Il avait insisté pour que cet effort soit poursuivi tant l'écart entre les montants perçus par le CNC via la TST-E d'une part et la TSV, d'autre part, était important. L'unicité de taux proposée aujourd'hui va donc dans le bon sens, en prenant en compte les nouveaux modes de diffusion d'oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles, tout en garantissant un niveau de revenu relativement constant pour le CNC.

Trajectoire prévisionnelle du produit des taxes affectées au CNC 2018-2023
(après réforme)

(en millions d'euros)

Exécution 2018

Prévision 2019

Prévision 2020

Prévision 2021

Prévision 2022

Prévision 2023

TSA

146

151,2

146,7

148,2

149,7

150,4

TST

-TST-E

- TST D

500

296,8

203,2

494,4

298,7

195,7

462,7

260,8

201,9

448

254,1

193,9

442

252

190

441.5

253,5

188,1

TSV

25,7

29,2

66

72,6

74,9

76,3

Recettes diverses

3

0,1

0,1

0,1

0,1

0,1

Total

674,8

674,8

675,5

668,9

666,8

668,2

Source : commission des finances du Sénat, d'après le document stratégique de performance du CNC 2018-2020

4. Une réforme à compléter à l'occasion du projet de loi de finances pour 2021

L'harmonisation des taux ne saurait cependant garantir, à court terme, le niveau de recettes de 675 millions d'euros. Le CNC table en effet, au regard des perspectives économiques du secteur, sur une diminution du produit des taxes dès 2021. Une perte de recettes de 6 millions d'euros est envisagée à cette date, suivie d'une nouvelle chute de 2 millions d'euros en 2022.

Cette diminution du montant des ressources du CNC serait principalement imputable à une évolution à la baisse du produit de la TST. Celui-ci serait, en effet, affecté par le recul de la contribution à l'audiovisuel public versée aux chaines du groupe France Télévisions mais aussi par un éventuel impact pour Canal + de la perte des droits de diffusion du championnat de France de football.

L'harmonisation des taux ne doit donc être envisagée que comme un préalable à une réforme structurelle de la fiscalité affectée au CNC. Celle-ci devra distinguer l'activité d'édition de contenus (linéaire ou non, gratuite ou payante, française ou produite depuis l'étranger) de la fourniture d'accès aux contenus audiovisuels.

Dans le cadre d'une vaste refonte, le Gouvernement et le CNC travaillent sur l'élaboration de deux taxes :

- une taxe dite « édition », qui rassemblerait les éditeurs de service de télévision, les plateformes et les distributeurs de vidéos physiques ;

- une taxe dite « accès », à laquelle seraient soumis les fournisseurs d'accès aux contenus audiovisuels.

Le CNC table sur une présentation de ce nouveau dispositif dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021.

Observation n° 7 : l'harmonisation des taux de la taxe sur les services de télévision - éditeurs (TST-E) et de la taxe sur la diffusion en vidéo physique (TSV) fait oeuvre utile en prenant en compte les nouveaux modes de diffusion d'oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles, tout en garantissant des revenus constants pour le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). Elle doit cependant être suivie d'une réforme structurelle de la fiscalité affectée au CNC, qui distinguera mieux l'activité d'édition de contenus de la fourniture d'accès aux contenus audiovisuels.

5. Une diminution des dépenses du fonds de soutien en 2020

Les dépenses de soutien du CNC devraient diminuer de 7,2 % en 2020 et être ainsi ramenées à 673 millions d'euros. Une baisse de 1 % devrait également être enregistrée en 2019.

Évolution des dépenses du fonds de soutien du
Centre national du cinéma et de l'image animée de 2018 à 2020

(en millions d'euros)

Exécution 2018

Pr évision2019

Prévision2020

Évolution 2020 / 2019

Action 1 - Production et création cinématographiques

135,4

137,8

126,2

-11,6

-8,4%

Action 2 - Production et création audiovisuelles

290,8

277,9

260,6

-17.3

-6,2%

Action 3 - Industries techniques et innovation (soutiens sélectifs)

24,2

23,9

23,9

-

-

Action 4 - Distribution, diffusion et promotion

228

230,1

211,8

-18,3

-7,9%

Action 4 bis - Plan numérique

11,6

10,3

7,9

-2,4

-23,3 %

Action 5 - Autres soutiens aux industries cinématographiques et audiovisuelles

42

42,4

42.4

-

-

Total des dépenses du fonds de soutien

731,9

725,2

673

-52,2

-7,2 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après le document stratégique de performance du CNC 2018-2020

Il convient de rappeler, à ce stade, que les réserves dont pouvait disposer le CNC au début des années 2010 ont été entièrement mobilisées pour accompagner la numérisation des salles de cinéma et des oeuvres cinématographiques, un transfert d'une partie des réserves pour un montant total de 372 millions d'euros étant parallèlement opéré.


* 10 Articles 37 et 38 de la loi n° 2017-1175 du 28 décembre 2017 de finances rectificatives pour 2017.

* 11 Décision n° 2017-669 QPC du 27 octobre 2017 - Société EDI-TV.

* 12 II de l'article 30 de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013.

* 13 I à III de l'article 56 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016.

* 14 Décret n° 2017-1364 du 20 septembre 2017.

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