N° 633

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 mai 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies du Règlement, relative à la protection de la filière pêche française et aux mesures préconisées dans le cadre du « Plan d'action pour le milieu marin » présenté le 21 février 2023 par la Commission européenne,

Par M. Alain CADEC,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin, président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Didier Marie, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, André Gattolin, Pierre Laurent, Mme Colette Mélot, M. Jacques Fernique, Mme Véronique Guillotin, vice-présidents ; M. François Calvet, Mme Marta de Cidrac, M. Jean-Yves Leconte, Mme Amel Gacquerre, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Mme Florence Blatrix Contat, M. Philippe Bonnecarrère, Mme Valérie Boyer, MM. Jean-Pierre Corbisez, Pierre Cuypers, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Ludovic Haye, Jean-Michel Houllegatte, Patrice Joly, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Franck Menonville, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Pierre Ouzoulias, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger.

Voir les numéros :

Sénat :

557 et 634 (2022-2023)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Conformément à l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, la commission des affaires européennes est saisie d'une proposition de résolution européenne n° 557 (2022-2023), de M. Michel Canévet et plusieurs de ses collègues, relative à la protection de la filière pêche française et aux mesures préconisées dans le cadre du plan d'action "protéger et restaurer les écosystèmes marins pour une pêche durable et résiliente" présenté le 21 février 2023 par la Commission européenne.

Ce plan d'action invite notamment les États membres à interdire la pêche de fond mobile dans les zones Nartura 2000 dès 2024, et dans l'ensemble des zones marines protégées existantes et nouvelles à compter de 2030.

Constatant que la publication de ce plan d'action a suscité de nombreuses réactions parmi les pêcheurs, et relevant que sa mise en oeuvre aurait des conséquences dramatiques pour la filière pêche, les auteurs de la proposition de résolution appellent le Gouvernement à s'opposer à toute interdiction générale de la pêche de fond mobile dans les zones marines protégées.

Le présent rapport présente succinctement les efforts réalisés ces dernières années pour limiter l'impact des arts traînants sur les fonds marins et la biodiversité. Il procède ensuite à une analyse du plan d'action présenté par la Commission, dont il relève le caractère inopérant et inefficace. Il détaille, enfin, les conséquences socioéconomiques d'une telle interdiction.

I. DES EFFORTS RÉCENTS POUR RÉDUIRE L'IMPACT DE LA PÊCHE DE FOND MOBILE SUR LES FONDS MARINS

A. LES ARTS TRAÎNANTS : UNE TECHNIQUE DE PÊCHE TRÈS RÉPANDUE EN FRANCE ET DÉCRIÉE DE LONGUE DATE PAR LES ASSOCIATIONS DE PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT

Les engins de pêche se divisent en deux grandes familles : les arts dormants et les arts traînants. Tandis que les arts dormants se composent d'engins immobiles ou en dérive dans lesquels les poissons viennent se piéger, les arts traînants sont des engins actifs, généralement tractés par des navires sur le fond marin ou en pleine eau, via des câbles d'acier.

La pêche de fond mobile désigne ainsi une grande variété d'engins de pêche, munis d'un système de lest et d'écartement et d'une partie raclant le sol pour soulever ou déterrer les espèces ciblées.

Les différents engins de pêche

Source : IFREMER.

Les arts traînants, pratiqués de façon exclusive ou occasionnelle par plus de 40 % des navires français sur la façade atlantique, fournissent les principales ressources capturées pour les pêcheries françaises : merlans baudroies, soles, langoustines ou encore coquilles Saint-Jacques.

À l'échelle de la France, les différents engins de pêche de fond mobile (drague, chalut et senne de fond) représentent ainsi 36 % des quantités pêchées, pour 28 % des jours en mer.

Part des différents engins dans la pêche française

Source : IFREMER

Selon les données du Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM)1(*), sur la période 2013-2018, près de 66 % de la surface du Golfe de Gascogne et des côtes ibériques, mais également 53 % des mers celtiques et 62 % de la Manche et mer du Nord ont fait l'objet d'une pression de chalutage entre 0 et 200 mètres de profondeur.

Pression de chalutage moyenne sur la période 2013-2018

Source : CIEM.

Les associations de défense de l'environnement dénoncent depuis de nombreuses années les répercussions de la pêche de fond mobile sur la faune et la flore. Elles relèvent notamment que cette pratique :

- détruit les écosystèmes en raclant les fonds marins. Le passage d'un engin est susceptible, d'une part, d'arracher, de briser ou d'enfouir les espèces benthiques, et d'autre part, de modifier plus ou moins durablement la morphologie des fonds marins en déplaçant les sédiments océaniques, qui constituent de grands puits naturels de carbone ;

- fragilise les populations de poissons qui s'y abritent et s'y reproduisent. Les fonds marins fournissent en effet des zones d'alevinage et de frai pour de nombreuses espèces, contribuant au maintien de la structure et du fonctionnement des réseaux alimentaires marins ;

- favorise les prises accidentelles disproportionnées faute de sélectivité, contribuant ainsi au déclin de plusieurs espèces (tortures de mer, mammifères marins) ;

- est associée à une empreinte carbone très élevée, le chalut de fond, tracté par la puissance motrice d'un navire, étant l'engin de pêche le plus consommateur de gasoil.

Ainsi, selon l'association Bloom, « les chaluts de fond détruisent pratiquement toutes les grandes espèces non ciblées, perturbent les couches supérieures des sédiments et plus généralement, produisent des habitats pauvres en biomasse et en espèces »2(*).


* 1 ICES Special Request Advice, Eu ecoregions, EU request on how management scenarios to reduce mobile bottom fishing disturbance on seafloor habitats affect fisheries landing and value, 24 juin 2021.

* 2 https://bloomassociation.org/quel-est-le-probleme-2/un-impact-destructeur/