B. LA GESTION SPATIALE DE LA PÊCHE DE FOND : UNE APPROCHE RÉCEMMENT GÉNÉRALISÉE EN EUROPE POUR PROTÉGER LES ÉCOSYSTÈMES SENSIBLES

1. La « boîte à outils » de la PCP : une grande diversité d'instruments destinés à garantir une gestion durable des ressources halieutiques

La politique commune de la pêche (PCP), dont les premiers jalons ont été posés dès le traité de Rome, poursuivait initialement quatre objectifs distincts :

- préserver les stocks halieutiques ;

- protéger l'environnement marin ;

- garantir la viabilité économique des flottes de l'Union ;

- fournir une alimentation de qualité aux consommateurs.

En 2002, afin de mettre un terme à la surpêche et d'assurer durablement l'avenir du secteur de la pêche, un objectif supplémentaire a été assigné à la politique commune de la pêche, à savoir permettre une exploitation durable des ressources aquatiques vivantes, de manière équilibrée et en tenant compte des aspects environnementaux, économiques et sociaux.

Si la réforme de 2002, bâtie autour de trois règlements distincts3(*), a ainsi introduit une approche à long terme pour la gestion de la pêche comprenant notamment des plans de reconstitution ou de gestion pluriannuels pour les stocks halieutiques, elle n'a pas permis d'enrayer la détérioration de certains stocks.

C'est dans ce contexte qu'a été élaborée la « nouvelle PCP » de 20134(*), afin de garantir que les activités de pêche soient durables à long terme sur le plan environnemental. Le règlement de 2013 stipule notamment que la PCP doit contribuer « à la protection du milieu marin, à la gestion durable de toutes les espèces exploitées commercialement » et qu'il est « nécessaire de mettre en oeuvre une approche écosystémique de la gestion des pêches, de limiter les incidences des activités de pêche sur l'environnement et de réduire autant que possible les captures indésirées ».

Dans cette perspective, l'Union européenne, qui bénéficie d'une compétence exclusive en matière de conservation des ressources biologiques de la mer, peut s'appuyer sur une grande variété d'instruments :

- le régime des totaux admissibles de capture (TAC) et des quotas annuels, par le biais duquel le Conseil détermine les quantités maximales de pêche pour chaque espèce, sur la base d'avis scientifiques, avant de les répartir entre les États membres ;

- les plans pluriannuels pour les stocks dont la conservation est menacée, définissant des taux maximum de mortalité ;

- la limitation de l'effort de pêche (avec la fixation d'un nombre de jours en mer à ne pas dépasser pour les navires de pêche) ;

- la définition de mesures techniques (taille des mailles des filets, fermeture temporaire de certaines zones de pêche, définition de tailles minimales de captures, etc.)

Cette « boîte à outils » a permis d'améliorer de manière significative les stocks de poissons depuis 2013, comme l'a souligné la Commission dans une récente communication au Parlement européen et au Conseil5(*) : « les plans pluriannuels régionaux pour la mer Baltique, la mer du Nord et les eaux occidentales se sont révélés efficaces [...] en 2020, plus de 99 % des débarquements en mer Baltique, en mer du Nord et dans l'Atlantique gérés exclusivement par l'Union devraient provenir de pêcheries gérées de manière durable ».

Ce constat est corroboré à l'échelle nationale par le rapport de la Mission sur la politique commune des pêches de 20216(*), qui relève que désormais « environ 50 % des captures de poisson de la pêche française proviennent de stocks exploités durablement contre 15 % il y a 20 ans [...] » et que « le nombre de stocks se trouvant dans les limites biologiques de sécurité a doublé depuis 2013 ».

Dans son diagnostic 2022 sur les ressources halieutiques débarquées par la pêche française hexagonale7(*), l'Ifremer note ainsi que « depuis le début de la PCP actuelle (2013), le nombre de stocks non surpêchés est passé de 47 à 72, et en pourcentage du nombre de stocks évalués et classifiés, de 44 à 62 % » et que cette amélioration globale « est également observée à l'échelle de l'ensemble de l'Atlantique nord-est ».

2. L'instauration progressive de restrictions spatiales pour limiter l'impact de la pêche de fond

Si les outils mis en oeuvre dans le cadre de la PCP ont donc fait la preuve de leur efficacité, l'Union européenne a également posé les prémices, ces dernières années, d'une gestion spatiale des activités de pêche de fond, afin d'en réduire les incidences sur les écosystèmes marins les plus vulnérables.

Par le passé, des mesures ponctuelles ont été prises pour restreindre la pêche de fond mobile dans certaines zones particulièrement sensibles - avec par exemple en France l'interdiction, depuis 1862, du chalutage dans la bande des 3 milles marins (soit 6 kilomètres) ou encore l'interdiction périodique de la pêche au chalut entre 3 et 6 milles nautiques des côtes dans le golfe du Lion, afin de protéger les populations juvéniles de merlus.

Deux évolutions majeures ont néanmoins eu lieu ces dernières années à l'échelle européenne. Dans un règlement du 14 décembre 20168(*), l'Union européenne a ainsi interdit le chalutage de fond à une profondeur supérieure à 800 mètres, en s'appuyant notamment sur les travaux scientifiques menés par des chercheurs de l'université de Glasgow9(*).

Ces derniers ont en effet relevé, d'une part, que le chalutage en eau profonde provoquait des dommages croissants entre 600 et 1300 mètres, avec une augmentation des prises accidentelles, notamment d'espèces en voie de disparition comme les requins ou les raies et d'autre part, que les outils classique de gestion de la ressource halieutique ne permettaient pas d'enrayer ce phénomène.

Par ailleurs, le 15 septembre 2022, la Commission a adopté un acte d'exécution10(*) interdisant l'accès de 87 zones, où la présence d'écosystèmes marins vulnérables est avérée ou probable, à tous les engins ayant un contact avec le fond (chaluts de fond, dragues, filets maillants de fond, palangres de fond, casiers et pièges) opérant dans les eaux communautaires à une profondeur inférieure à 400 mètres.

Ces zones, qui se situent dans l'Atlantique du Nord-Est sur une superficie totale de 16 400 kilomètres carrés, représentent 1,16 % des eaux communautaires. L'interdiction durable de la pêche de fond a vocation à y préserver des communautés d'espèces sensibles, comme les coraux d'eau froide, qui seraient affectées de manière irréversible par le passage d'un seul chalut.

Dans sa communication du 21 février 2023 intitulée « Plan d'action de l'UE : protéger et restaurer les écosystèmes marins pour une pêche durable et résiliente »11(*), la Commission propose d'étendre considérablement les restrictions spatiales apportées à la pêche de fond mobile, en prohibant l'utilisation des engins de fond12(*) dans les zones Natura 2000 dès 2024, et dans toutes les aires marines protégées existantes ou nouvelles à compter de 2030.


* 3 Règlement (CE) n° 2371/2002 du Conseil du 20 décembre 2002 relatif à la conservation et à l'exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche, abrogeant les règlements (CEE) n° 3760/92 et (CEE) n° 101/76;

Règlement (CE) n° 2369/2002 du Conseil du 20 décembre 2002 modifiant le règlement (CE) n° 2792/1999 définissant les modalités et conditions des actions structurelles de la Communauté dans le secteur de la pêche;

Règlement (CE) n° 2370/2002 du Conseil du 20 décembre 2002 relatif à l'établissement d'une mesure communautaire d'urgence pour la démolition des navires de pêche.

* 4 Règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013, relatif à la politique commune de la pêche, modifiant les règlements (CE) n°1954/2003 et (CE) n°1224/2009 du Conseil et abrogeant les règlements (CE) n°2371/2002 et (CE) n°639/2004 du Conseil et la décision 2004/585/CE du Conseil.

* 5 Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, « Vers une pêche plus durable dans l'UE : état des lieux et orientations pour 2021 », 16 juin 2020, COM(2020) 248 final.

* 6 Rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux n°21019, Inspection générale des affaires maritimes n°2021-034, « Mission sur la politique commune des pêches ».

* 7 Ifremer, Diagnostic 2022 sur les ressources halieutiques débarquées par la pêche française hexagonale, janvier 2023.

* 8 Règlement (UE) 2016/2336 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2016 établissant des conditions spécifiques pour la pêche des stocks d'eau profonde dans l'Atlantique du Nord-Est ainsi que des dispositions relatives à la pêche dans les eaux internationales de l'Atlantique du Nord-Est et abrogeant le règlement (CE) no 2347/2002 du Conseil.

* 9 Jo Clarke, Rosanna J. Milligan, David M. Bailey, Francis C. Neat, Current Biology, A scientific basis for regulating deep sea fishing by depth, September 21, 2015.

* 10 Règlement d'exécution (UE) 2022/1614 de la Commission du 15 septembre 2022 déterminant les zones existantes de pêche en eau profonde et établissant une liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d'abriter des écosystèmes marins vulnérables.

* 11 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 21 février 2023, intitulée « Plan d'action de l'UE : protéger et restaurer les écosystèmes marins pour une pêche durable et résiliente », COM(2023) 102 final.

* 12 Il est précisé dans le plan d'action de la Commission que cette interdiction viserait les engins de pêche de fond mobile suivants : les dragues remorquées par bateau, les dragues mécanisées, y compris les dragues à aspiration, les chaluts de fond à panneaux, les chaluts jumeaux à panneaux, les chaluts-boeufs de fond, les sennes de plage, les sennes danoises (sennes ancrées), les sennes-boeufs, les sennes écossaises (dragage à la volée), les sennes de bateau et les chaluts à perche.