N° 128

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2023

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2024,

Par M. Jean-François HUSSON, 

Rapporteur général,

Sénateur

TOME III

LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

(seconde partie de la loi de finances)

ANNEXE N° 11a

ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES

(Programmes 113 « Paysages, eau et biodiversité », 181 « Prévention des risques »,
174 « Énergie, climat et après-mines », 345 « Service public de l'énergie »,
217 « Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables » et 380 « Fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires »)
COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE : FINANCEMENT DES AIDES
AUX COLLECTIVITÉS POUR L'ÉLECTRIFICATION RURALE

Rapporteur spécial : Mme Christine LAVARDE

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 1680, 1715, 1719, 1723, 1745, 1778, 1781, 1805, 1808, 1820 et T.A. 178

Sénat : 127 et 128 à 134 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

I. UN PROGRAMME QUI CONSERVE SA DYNAMIQUE, MALGRÉ LA DIMINUTION DES AIDES ÉNERGIE

A. HORS AIDES ÉNERGIES, LES PROGRAMMES DE LA MISSION CONNAISSENT UNE ÉVOLUTION DYNAMIQUE EN 2024

Dans le champ des programmes étudiés dans le cadre du présent rapport, les crédits diminuent en autorisations d'engagement (AE) pour atteindre 16,45 milliards d'euros (- 41,9 %), et en crédits de paiement pour arriver à 33,19 milliards (- 47,7 %). Cette baisse drastique s'explique par la réduction des dispositifs de soutien à la consommation d'énergie. Sur le programme 345 « service public de l'énergie », 21 milliards d'euros en AE et CP étaient inscrits en 2023, contre respectivement 6,15 milliards d'euros et 5,5 milliards d'euros pour 2024.

Lorsque l'on retranche les effets de l'évolution du programme 345, on constate que les financements des autres programmes de la mission Écologie (hors transport) sont globalement en hausse : les AE augmentent de 7,8 % pour atteindre 13,14 milliards d'euros, et les CP progressent en parallèle de 4,5 % pour atteindre 11 milliards d'euros. Tous les programmes étudiés par ce rapport voient leurs crédits progresser, à l'exception du programme 174, « Énergie, climat et après-mines », là aussi en raison de la diminution des aides énergie.

Évolution des crédits entre la LFI 2023 et le PLF 2024
(avec et sans le programme 345 « Service public de l'énergie »

Source : commission des finances du Sénat

B. UNE HAUSSE DES EFFECTIFS DE LA MISSION

Le schéma d'emplois ministériels du présent projet de loi de finances prévoit une hausse des effectifs (+ 307 ETP), tandis que celui de l'année dernière était nul (0 ETP). Il s'agit de la première fois depuis plus de vingt ans que les effectifs du ministère de la transition écologique sont en hausse.

Évolution du nombre d'ETPT sous plafond du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, du Ministère de la transition énergétique et du secrétariat d'État chargé de la mer

Source : commission des finances du Sénat

Comme en 2023, les opérateurs de la mission voient une augmentation de leurs effectifs, principalement portée par l'Office français de la biodiversité et l'Agence de la transition énergétique (ADEME).

II. UNE HAUSSE DES CRÉDITS DU PROGRAMME 113 « PAYSAGES, EAU ET BIODIVERSITÉ », DANS LE CADRE DE LA STRATÉGIE NATIONALE BIODIVERSITÉ ET DU PLAN EAU

A. LA STRATÉGIE NATIONALE BIODIVERSITÉ EST DÉSORMAIS INSCRITE SUR LE PROGRAMME 113 

Le projet de loi de finances pour 2024 prévoit pour le programme une dotation de 578 millions d'euros en AE et de 512 millions d'euros en CP, soit une augmentation de respectivement 303,5 millions d'euros (+ 110,6 %) et de 237,5 millions d'euros (+ 86,5 %). Cette hausse résulte de l'inscription des crédits de la Stratégie nationale biodiversité (SNB) 2030 sur le programme, qui étaient auparavant dévolues au programme 380, « fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires » (fonds vert). L'année dernière, le rapporteur spécial avait vivement dénoncé l'inscription de ces crédits sur le fonds vert, alors que leur gestion est pilotée au niveau national, et le PLF pour 2024 vient heureusement corriger cette erreur.

Les crédits allouées à la SNB 2030 sont de 264 millions d'euros en 2024, contre 150 millions d'euros l'année précédente. En particulier, 209,1 millions d'euros sont consacrées aux écosystèmes terrestres, dont une partie s'inscrit dans le cadre de la Stratégie nationale des aires protégées.

Hors SNB 2030, le programme 113 progresse de 43,5 millions d'euros. Les mesures « tendancielles » comptent pour 35,5 millions d'euros, et ces mesures incluent notamment 13 millions d'euros de subvention pour charges de service public pour l'Office français de la biodiversité (OFB), et 20 millions d'euros dans le cadre du plan de réduction des dégâts de gibier aux cultures. Les 8 millions d'euros restants correspondent à une mesure d'accompagnement des cirques dans le bien-être animal.

B. EN 2024, LES EFFECTIFS DES OPÉRATEURS DE L'EAU ET DE LA BIODIVERSITÉ SONT EN HAUSSE

Le plafond d'emplois des agences de l'eau est fixé pour 2024 à 1 563 ETPT, en augmentation de 66 ETPT par rapport à 2023. Ce relèvement du plafond doit permettre aux agences de mettre en oeuvre le « plan eau », annoncé le 30 mars 2023, et qui doit se traduire par un relèvement de leur budget de 475 millions d'euros d'ici à 2025. Il est prévu que ces recettes soient générées par une hausse des tarifs des redevances de l'eau.

La subvention à l'Office français de la biodiversité est en hausse de 23,9 millions d'euros. Sur cette somme, 11,2 millions d'euros visent à financer des mesures de revalorisations salariales et les 47 nouveaux ETPT accordés à l'opérateur. Les missions de l'OFB ont en effet été étendues dans le cadre du plan eau et de la SNB 2030. Le reste des crédits a vocation à réduire le déficit de l'opérateur, qui pour la première fois depuis sa création, votera un budget en équilibre en 2024.

III. LA MONTÉE EN CHARGE DU PROGRAMME 181 « PRÉVENTION DES RISQUES » EST PORTÉE PAR L'ADEME

A. LE RÉGIME DES CATASTROPHES NATURELLES : UN ÉQUILIBRE PRÉCAIRE

Les crédits inscrits sur le programme 181 pour la prévention des risques naturels et technologiques sont quasiment stables entre 2023 et 2024. Le déploiement des plans de prévention des risques naturels (PPRN) se poursuit : selon les dernières données disponibles, 12 558 communes sont désormais couvertes par un PPRN opposable.

Le « fonds Barnier » dont les crédits inscrits dans la version initiale du projet de loi de finances étaient similaires à 2023 (200 millions d'euros en CP) a fait l'objet d'un relèvement de 20 millions d'euros à l'Assemblée nationale. Cette somme est insuffisante pour couvrir les besoins du fonds en 2024, qui sera très fortement sollicité à la suite des dégâts provoqués par les tempêtes Ciarán et Domingos, à ce stade estimés à 1,3 milliard d'euros. Le rapporteur spécial propose donc un nouvel abondement de 30 millions d'euros pour le fonds, à partir d'un transfert de crédits de MaPrimeRénov' (programme 174).

Il est dans le même temps indispensable de poser la question de la pérennité du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles (CatNat). Le changement climatique conduit à l'augmentation de la fréquence et de l'intensité de catastrophes naturelles, qui conduiront à terme à remettre en cause l'équilibre du régime.

C'est particulièrement le cas du risque retrait-gonflement des argiles (RGA), auquel le rapporteur spécial a consacré un rapport d'information publié en février 2023. Le risque RGA se caractérise à la fois par son amplitude (48 % du territoire national est touché) et par sa forte progression. Une étude de France Assureurs, publiée en octobre 2021, chiffre à 43 milliards d'euros le coût cumulé de la sinistralité sécheresse entre 2020 et 2050, ce qui représente un triplement du coût par rapport aux trois décennies précédentes. Dans son contrôle, le rapporteur spécial a ainsi formulé six recommandations, dont le maintien de l'éligibilité au dispositif d'indemnisation des particuliers qui décident d'abandonner leur habitation sinistrée.

B. L'ADEME VOIT SES MOYENS FINANCIERS ET HUMAINS RENFORCÉS DANS LE CADRE DE L'EXTENSION DE SES MISSIONS

Une subvention de 879 millions d'euros en AE et en CP est inscrite sur l'action 12 pour l'année 2024, soit une augmentation de 179 millions d'euros par rapport à la dotation proposée en 2024. Le plan de relance, la désignation de l'ADEME comme opérateur de France 2030, et enfin le fonds vert ont en effet conduit à un élargissement important de ses missions. En conséquence, le plafond d'emplois de l'ADEME sera relevé de 99 ETP en 2024, pour atteindre 1065 ETPT.

Le Fonds chaleur enregistre une hausse importante de ses crédits, passant de 520 millions d'euros à 820 millions d'euros. Si cette progression est significative, elle n'est pas encore suffisante pour atteindre les objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie, qui nécessiterait au minimum 2 TWh supplémentaires par an générés par le Fonds chaleur.

Il est néanmoins prévu que le Fonds chaleur connaisse une forte augmentation de ses crédits dans les années à venir. Dans la dernière trajectoire présentée par la direction générale de l'énergie et du climat, le fonds chaleur est censé atteindre 1,2 milliard d'euros en 2025, puis augmenter de 200 millions d'euros par an jusqu'en 2029.

IV. LE PROGRAMME 380, LE « FONDS VERT » : UNE PREMIÈRE ANNÉE D'EXÉCUTION EN DEMI-TEINTE

Le programme 380 « Fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires » fait partie de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », depuis la loi de finances initiale pour 2023. Pour 2024, il est doté de 2 milliards d'euros en AE et 1,125 milliard d'euros en CP, contre 2 milliards d'euros en AE et 500 millions d'euros en CP l'année précédente.

Comme l'année dernière, la répartition des crédits au sein des trois actions du programme n'est pas détaillée dans les documents budgétaires. La justification qui a été donnée au rapporteur spécial est que préciser la répartition des financements aurait pour conséquence de limiter le choix des collectivités territoriales dans les politiques menées. Toutefois, le fonds vert n'est pas la première politique qui est susceptible de connaître des évolutions importantes lors de l'exécution, ce qui n'a jamais empêché de réaliser des prévisions indicatives. Celles-ci sont indispensables pour que le Parlement puisse se prononcer en toute connaissance de cause sur les crédits du programme 380.

L'ensemble des AE du programme devraient être consommés en 2023, et les CP ont fait l'objet d'une annulation en raison du retard de la mise en oeuvre du fonds dans certaines régions. Au 31 octobre 2023, 8 000 dossiers ont été acceptés dans le cadre du fonds vert, dont près de 60 % concerne la rénovation énergétique des bâtiments des collectivités territoriales et de l'éclairage public.

Ces chiffres montrent un intérêt certain des collectivités pour les mesures du programme 380, mais également leurs difficultés pour présenter des dossiers pour les politiques les plus complexes, comme le soutien au tri à la source et à la valorisation des biodéchets, ainsi que le recyclage foncier (fonds friche). Il est indispensable que le soutien à l'ingénierie des collectivités territoriales soit encore davantage intégré au fonds vert. La procédure de dépôt des dossiers peut également être mieux articulée avec la DSIL et la DETR. À l'heure actuelle, les demandes du fonds vert ne passent pas par la plate-forme « démarches simplifiées » pour l'ensemble des régions, mais il est prévu que ce soit le cas dès l'année prochaine.

Les critères retenus ne sont pas toujours suffisamment clairs pour les élus locaux, et des confusions perdurent entre ce qui relève du facultatif et de l'obligatoire. La circulaire du 14 décembre 2022 relative au fonds vert prévoit que les politiques de rénovation de l'éclairage public sont destinées aux communes de moins de 10 000 habitants. Toutefois, il a été indiqué au rapporteur spécial qu'un quart des dossiers acceptés pour cette mesure concerne en réalité des communes de plus de 10 000 habitants. Il apparaît ainsi que la règle a été appliquée de manière plus ou moins stricte selon les territoires, ce qui peut générer des incompréhensions de la part des élus locaux.

La communication avec les collectivités peut également être améliorée. Il a d'ores et déjà été acté qu'une partie significative des crédits du fonds vert pour 2024 seront fléchés sur la rénovation du bâti scolaire. Les communes ont été invitées par les préfets à transmettre leurs dossiers dans des délais parfois extrêmement brefs. Interrogée par votre rapporteur sur cette situation, qui pénalise les communes les moins dotées en ingénierie ou n'ayant pas inscrits ces travaux dans leur programmation pluriannuelle des investissements, la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) a indiqué que les guichets seraient ouverts à plusieurs reprises.

V. UN SYSTÈME DE COMPENSATION DES CHARGES DE SERVICE PUBLIC DE L'ÉNERGIE TOUJOURS MARQUÉ PAR LA CRISE DES PRIX

A. DES RECETTES EXCEPTIONNELLES NETTEMENT MOINS ÉLEVÉES QUE PRÉVU

La crise des prix de l'énergie a bouleversé l'équilibre des compensations des charges de service public de l'énergie (CSPE). En raison de l'augmentation des prix de l'électricité sur les marchés, les dispositifs de soutien à la production d'énergie renouvelable (EnR) se sont transformés en systèmes de prélèvement automatique des revenus excédentaires des producteurs. Les compensations que versait l'État aux installations se sont muées en recettes exceptionnelles. Toutefois, la baisse plus rapide qu'anticipée des prix de l'énergie en 2023 a conduit à nettement réviser à la baisse les recettes exceptionnelles attendues en 2023. La Commission de régulation de l'énergie (CRE) les évalue à 10,7 milliards d'euros, soit une diminution de 25 milliards d'euros par rapport à l'estimation de 35,7 milliards d'euros réalisée en fin d'année 2022.

D'après la délibération de la CRE en juillet 2023, et hors dispositifs de soutien exceptionnels aux consommateurs d'énergie, le montant global des CSPE à compenser en 2024 redeviendrait légèrement positif, à hauteur de 624 millions d'euros.

Habituellement, avant la hausse des prix de l'énergie, les compensations versées par l'État au titre des charges de service public de l'énergie pour soutenir la production d'EnR en métropole évoluaient entre 5 et 6 milliards d'euros. Du fait de la hausse des prix de marché de l'électricité, la CRE estime qu'entre 2022 et 2024, la production d'EnR électriques en métropole continentale devrait se traduire par des recettes exceptionnelles cumulées d'environ 9,2 milliards d'euros pour l'État. Ces recettes proviennent majoritairement de la filière éolienne terrestre et dans une moindre mesure de la filière hydraulique ainsi que des bioénergies. Il convient cependant de mettre en perspective ces recettes exceptionnelles aux 43 milliards d'euros de subventions versées par l'État aux producteurs, dans le cadre de ces mêmes mécanismes de soutien, entre 2003 et 2021.

Évolution des charges de service public de l'énergie relatives au soutien à la production d'énergies renouvelables en métropole entre 2020 et 2024

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les délibérations de la CRE

Aussi, aucun crédit n'est inscrit à l'action 09 du programme 345 et les recettes attendues par l'État au titre des mécanismes de soutien public à la production d'énergies renouvelables en métropole continentale sont estimées à 2,7 milliards d'euros en 2024.

En 2023, deux décisions juridictionnelles sont venues coup sur coup remettre en cause des dispositions rétroactive qui visaient à capter une part des revenus de certains producteurs considérés comme excédentaires. Premièrement, la révision des tarifs d'achat de contrats de soutien à la production d'électricité photovoltaïque pré-moratoire a fini par tourner au fiasco. Alors que la disposition législative avait été rejetée par le Sénat, le rapporteur spécial avait réitéré ses sérieux doutes quant à cette mesure dans son rapport de septembre 2021 intitulé « Lumière sur la révision des contrats photovoltaïques ». Elle avait en particulier alerté sur les risques contentieux liés à ce dispositif. Après l'annulation d'un arrêté pris en application de la disposition législative par le Conseil d'État, le Gouvernement a décidé « d'arrêter les frais » et de renoncer purement et simplement à appliquer le dispositif. Cette issue constitue un cruel aveu d'échec et un immense gâchis pour une mesure qui au lieu de rapporter 4 milliards d'euros comme l'avait laissé miroiter le Gouvernement, ne se sera traduite que par des dépenses en pure perte.

Deuxièmement, au motif d'une incompétence négative du législateur, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnel l'article 38 de la première loi de finances rectificative (LFR) pour 2022 qui prévoyait un déplafonnement partiel des contrats de complément de rémunération de certains producteurs. Ce nouveau revers juridique porte sur des enjeux financiers de 3 à 4,5 milliards d'euros. L'article 52 sexies du présent PLF a été introduit en catastrophe par le Gouvernement pour faire suite à cette déclaration d'inconstitutionnalité et, après la lourde déconvenue des contrats photovoltaïques, pour ne pas voir s'envoler ces perspectives de recettes.

B. EN 2024, LE GOUVERNEMENT PROPOSE DES MESURES DE SOUTIEN AUX CONSOMMATEURS D'ÉNERGIE POUR PLUS DE 12 MILLIARDS D'EUROS

Pour accompagner les consommateurs finals de gaz et d'électricité face à la crise des prix de l'énergie qui s'est déclenchée il y a de cela un peu plus de deux ans, différentes mesures de soutien ont été mises en oeuvre depuis la fin de l'année 2021. Les pertes de recettes subies par les fournisseurs en raison de ces mesures font l'objet de compensations au titre du mécanisme des charges de service public de l'énergie (CSPE) financées par des crédits inscrits à l'action 17 « Mesures exceptionnelles de protection des consommateurs » du programme 345.

Entre 2021 et 2023, l'ensemble de ces mesures de soutien, en incluant également l'incidence de la minoration des tarifs de l'accise sur l'électricité (18 milliards d'euros), auront coûté plus de 50 milliards d'euros dont 23 milliards d'euros au titre du bouclier tarifaire sur les prix de l'électricité.

D'après ses estimations, et en tenant compte de la minoration de tarif d'accise sur l'électricité (9,5 milliards d'euros) qu'il propose de proroger, les mesures de soutien annoncées par le Gouvernement en 2024 pourraient coûter 12,2 milliards d'euros. Les reconductions d'un bouclier tarifaire sur les prix de l'électricité et d'un mécanisme d'amortisseur pourraient respectivement coûter 1,9 milliard d'euros et 770 millions d'euros. Le Gouvernement prévoit aussi une mesure d'aide à certaines structures d'habitat collectif chauffées au gaz pour 300 millions d'euros.

VI. LE PROGRAMME 174 FINANCE DES AIDES FACE À LA HAUSSE DES PRIX DE L'ÉNERGIE ET POUR LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE

A. ADOPTER UNE AIDE CIBLÉE PLUS ÉCONOME DES DENIERS PUBLICS PLUTÔT QUE LA BAISSE DE FISCALITÉ SUR L'ÉLECTRICITÉ INDISCRIMINÉE PROPOSÉE PAR LE GOUVERNEMENT

1. Un chèque énergie à réformer

Dans le cadre de la crise des prix de l'énergie, les pouvoirs publics ont recouru au chèque énergie pour mettre en oeuvre des aides destinées aux ménages modestes, sous forme de chèques exceptionnels, ou visant spécifiquement certaines catégories de combustibles de chauffage. Un premier chèque énergie exceptionnel de 100 euros avait été distribué à la fin de l'année 2021 pour 600 millions d'euros. Un deuxième chèque énergie exceptionnel étendu jusqu'au quatrième décile de revenus (12 millions de ménages) a été prévu par la seconde LFR pour 2022 pour 1,8 milliard d'euros. Par ailleurs, la première et la seconde LFR pour 2022 ont également ouvert des crédits budgétaires, à hauteur de 230 millions d'euros pour chaque dispositif, afin d'instaurer des aides destinées à accompagner les ménages qui se chauffent au fioul domestique d'une part et au bois d'autre part. Au titre de la campagne 2023, environ 5,6 millions de ménages bénéficient du dispositif de chèque énergie. Le montant des chèques émis pour les campagnes 2022 (hors chèque exceptionnel) et 2023 s'est élevé respectivement à 863 millions d'euros et 834 millions d'euros. Pour 2024, 827 millions d'euros d'AE et 679 millions d'euros de CP sont prévus au titre du dispositif.

Comme le rapporteur a pu le souligner dans son rapport d'information de juin 2023 intitulé « L'usine à gaz des aides énergie », si l'on avait disposé d'un chèque énergie de droit commun au périmètre plus étendu, les autres mesures exceptionnelles de soutien aux consommateurs d'énergie de type « boucliers tarifaires » auraient pu être calibrées à des niveaux inférieurs et le bilan en termes de dépenses publiques aurait peut-être été plus avantageux. Aussi, pour mieux protéger les travailleurs modestes et les classes moyennes de la volatilité des prix de l'énergie, il apparaît nécessaire de conduire une réforme structurelle du chèque énergie. Cette réforme devra également rendre effective l'emploi du chèque énergie pour les particuliers qui utilisent un mode de chauffage collectif. Deux éléments de contexte imposent par ailleurs cette réforme : la révision du système d'échange de quotas d'émission européen qui va renchérir le prix du gaz, du fioul et du GPL ainsi que la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales qui conduit à revoir les modalités d'identification des bénéficiaires du dispositif.

2. Une aide exceptionnelle ciblée pour remplacer la baisse de fiscalité de l'électricité indiscriminée et dispendieuse du Gouvernement

En substitution de la minoration d'accise sur l'électricité non ciblée proposée par le Gouvernement à l'article 11, le rapporteur propose une aide renforcée et concentrée sur les ménages modestes et les classes moyennes. Le montant du dispositif sera progressif en fonction du revenu et du nombre de personnes que compte le foyer. Il concernera 60 % des ménages et apportera aux foyers éligibles une aide au moins équivalente à celle qui aurait résulté de la mesure fiscale non ciblée du Gouvernement. Le montant de l'aide sera même renforcé pour les ménages les plus modestes et pour les familles nombreuses. Un ménage dont le revenu fiscal par unité de consommation est inférieur à 5 700 euros et qui se compose de quatre personnes disposera par exemple d'une aide exceptionnelle de 400 euros. Le coût de cette mesure sera d'environ 3,5 milliards d'euros à comparer aux 4,6 milliards d'euros de la mesure gouvernementale, soit un gain de plus d'un milliard d'euros pour les finances publiques.

3. La reconduction et l'élargissement d'une indemnité carburant pour les travailleurs

En 2023, le Gouvernement avait remplacé la remise carburant généralisée de 2022 (8 milliards d'euros) par une aide de 100 euros ciblée sous conditions de ressources pour les personnes utilisant régulièrement leur véhicule pour se rendre sur leur lieu de travail. Une enveloppe de 700 millions d'euros avait été ouverte sur le programme 174 en LFI pour 2023. Le coût total de la mesure était alors estimé à un milliard d'euros et le solde de 300 millions d'euros devait être couvert par des reports de crédits. Le coût effectif de cette indemnité n'aura finalement été que de 433 millions d'euros en 2023 (pour 4,3 millions de bénéficiaires).

Alors qu'une forte hausse des prix des carburants a été observée l'été dernier et que les prix se maintiennent à un niveau élevé, le Gouvernement avait annoncé vouloir reconduire cette aide en 2024. Il a ainsi déposé en première lecture à l'Assemblée nationale un amendement qui vise à augmenter de 435 millions d'euros les crédits du programme. Il a par ailleurs retenu deux autres amendements identiques qui visent à étendre le dispositif jusqu'au sixième décile de revenus pour un montant supplémentaire de 160 millions d'euros. Ainsi, au total, une ouverture de crédits de 595 millions d'euros est prévue en 2024 pour financer cette indemnité.

B. MAPRIMERENOV' : LE RISQUE DE L'ESSOUFFLEMENT

Le dispositif MaPrimeRénov' fera l'objet d'une refonte en 2024. Le dispositif comprendra désormais deux parcours : l'un, nommé « Performance », financé sur le programme 135 de la mission « Cohésion des territoires », sera constitué d'aides proportionnelles au coût des travaux, qui visent à soutenir la réalisation de travaux de rénovation globale, et l'autre, dénommé « Efficacité », financé sur le programme 174, sera composée d'aides forfaitaires définies par type de travaux visant à soutenir la décarbonation du chauffage des logements.

La distinction des deux piliers de MaPrimeRénov' permet de clarifier les objectifs de la prime de transition énergétique, mais elle comprend encore plusieurs inconnues. La répartition des financements se fait encore au profit du changement des systèmes de chauffage, tandis que la part consacrée à la rénovation globale, même si elle est en augmentation, reste minoritaire. La pertinence de rendre obligatoire le changement d'un système de chauffage dans le cadre du parcours « Efficacité » peut également être mise en doute.

Par ailleurs, la sous-exécution des crédits de MaPrimeRénov' en 2023 est révélatrice des difficultés que rencontre le dispositif dans sa montée en puissance. L'administration prévoit d'aboutir fin décembre à 550 000 rénovations environ, soit 76 % de l'objectif seulement (721 957), et entre le 1er janvier et le 31 mai 2023, on compte 243 000 dossiers ouverts, contre 260 000 sur une période identique en 2022. Enfin, une augmentation des crédits consacrés à MaPrimeRénov', sans que les moyens dédiés à la lutte contre la fraude ne soient adaptés, peut conduire à une hausse des escroqueries, dont les conséquences sont dramatiques pour la confiance des ménages.

C. AIDES À L'ACQUISITION DE VÉHICULES PROPRES ET SOUVERAINETÉ INDUSTRIELLE : UN AN APRÈS, LE GOUVERNEMENT DONNE RAISON AU SÉNAT

1. Contrairement aux déclarations du Gouvernement, les crédits sont en baisse

Les crédits proposés pour 2024 au titre des aides à l'acquisition de véhicules propres s'établissent à 1,5 milliard d'euros, en augmentation apparente d'un peu plus de 200 millions d'euros (+ 16 %) par rapport aux dépenses prévisionnelles inscrites en LFI pour 2023. Toutefois, ce n'est qu'une hausse en « trompe l'oeil » au regard de l'exécution budgétaire pour2023. Les dépenses effectivement décaissées en 2023 devraient s'établir à 1,7 milliard d'euros, soit 0,4 milliard d'euros en plus de la prévision initiale. Aussi, et en dépit des déclarations du Gouvernement, les crédits prévus en 2024 ne témoignent pas d'une augmentation de 200 millions d'euros mais bien au contraire d'une diminution du même montant des dépenses. Bien que confronté à de nombreuses difficultés de mise en oeuvre opérationnelle, le dispositif de leasing social qui avait été annoncé par le Président de la République en 2022 devrait pouvoir démarrer très timidement en 2024.

2. L'enjeu de souveraineté industrielle soulevé par le rapporteur spécial lors de l'examen du PLF pour 2023 commence enfin à être pris au sérieux par le Gouvernement

Alors que les trois quarts des voitures électriques vendues en France sont importés et que la même part de la valeur ajoutée des batteries est produite en Chine, les aides à l'acquisition de véhicules propres financées par les contribuables français reviennent à subventionner l'industrie chinoise. Le rapporteur spécial avait vivement dénoncé cette situation au cours de l'examen du PLF pour 2023 en déposant un amendement, adopté par le Sénat, visant à réduire temporairement les crédits alloués à ces dispositifs. Dans le même temps, elle invitait le Gouvernement à prendre des mesures permettant de prendre en compte l'empreinte carbone des véhicules sur l'ensemble de leur cycle de vie et non les seules émissions générées lors de leur usage. Il a néanmoins fallu plusieurs mois pour que le Gouvernement finisse par reconnaître l'urgence du problème et se ranger aux solutions préconisées par le rapporteur spécial. Il a en effet décidé de mettre en place à compter de janvier 2024 un dispositif permettant de conditionner le bonus à un score environnemental intégrant l'empreinte écologique de chacune des étapes qui précèdent la mise en circulation. Le temps que l'Ademe mène ses instructions, le Gouvernement ne publiera que dans le courant du mois de décembre la liste des véhicules qui seront éligibles au bonus en 2024.

Réunie le mercredi 22 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission tels que modifiés par ses amendements. Elle a aussi proposé de supprimer l'article 50 ter. Elle a en outre proposé d'adopter les articles 52 et 52 quater tel que modifiés par ses amendement et les articles 50, 50 bis, 51, 52 bis, 52 ter, 52 quinquies et 52 sexies sans modification, ainsi que les crédits du budget annexe et du compte d'affectation spéciale.

Réunie le jeudi 23 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé ses décisions.

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