B. AVEC LA FIN DES CRÉDITS EXCEPTIONNELS, QUELLE NORMALISATION POUR LES OPÉRATEURS DU SPECTACLE VIVANT ?
1. Un secteur ayant fortement bénéficié des crédits exceptionnels
Les établissements relevant du périmètre de la mission « Culture » ont largement bénéficié d'aides destinées à compenser les conséquences de la crise sanitaire.
L'action 05 « Culture » du programme 363 « Compétitivité » de la mission « Plan de relance » prévoyait, en 2021 et 2022, deux enveloppes appelées à compléter le programme 131, à hauteur de 259 millions d'euros (AE=CP). À la fin août 2023, 243 millions d'euros en AE et 232 millions d'euros en CP devraient avoir été exécutés, ce qui signifie que l'intégralité des montants devra être consommée en 2024.
Fonds prévus pour la création par le plan de relance
(en millions d'euros)
LFI 2021 |
LFI 2022 |
|||
AE |
CP |
AE |
CP |
|
Renouveau et reconquête de notre modèle de création et de diffusion artistique |
216 |
144,9 |
71,1 |
|
Soutien aux opérateurs nationaux |
126 |
81,9 |
44,1 |
|
Relance de la programmation des institutions de spectacle vivant en région (musique) |
30 |
23 |
7 |
|
Relance de la programmation des institutions de spectacle vivant en région (théâtre, arts de la rue, danse, cirque) |
30 |
20 |
10 |
|
Fonds de transition écologique pour les institutions de la création en région sur deux ans |
20 |
10 |
10 |
|
Soutien au théâtre privé |
10 |
10 |
||
Effort spécifique pour soutenir l'emploi artistique, redynamiser la jeune création et la modernisation des réseaux d'enseignement supérieur de la culture |
43 |
33 |
10 |
|
Programme de commande publique dans les domaines de la littérature, des arts visuels et du spectacle vivant |
30 |
20 |
10 |
|
Soutien aux artistes fragilisés par la crise et non pris en charge par les dispositifs transversaux |
13 |
13 |
||
Total |
259 |
177,9 |
81,1 |
Source : commission des finances du Sénat
Ces enveloppes ont permis à la plupart des établissements de faire face à la période de crise sanitaire en limitant les pertes, malgré une baisse drastique de leurs ressources propres. À titre d'exemple, s'agissant de l'Opéra de Paris, les financements des plans d'urgence et de relance ont permis de compenser la quasi-totalité des pertes subies par l'établissement au cours des trois dernières années (86 millions d'euros d'aides sur 95 millions d'euros de pertes).
Pertes de l'Opéra de Paris et soutien de l'État sur la période 2020-2022
(en millions d'euros)
Source : commission des finances d'après l'Opéra de Paris
Au-delà des dispositifs liés à la crise sanitaire, le secteur de la création bénéficie d'importants montants d'investissements pour le secteur des industries culturelles et créatives, dont 350 millions d'euros pour la Grande fabrique de l'image », qui finance la création de studios de cinéma, ou le plan « culture immersive et métavers », doté de 150 millions d'euros.
Les opérateurs du programme 131 devraient essentiellement bénéficier de l'appel à projets « expérience augmentée du spectacle vivant », dont les crédits s'élèvent à 10 millions d'euros. Les crédits accordés au titre de France 2030 ont cependant vocation à rester des crédits d'amorçage, dont il est espéré un effet levier, les opérateurs devant prendre le relais au bout de deux ans. Les rapporteurs spéciaux partagent l'inquiétude, exprimée par le ministère de la Culture lors des auditions, d'une forme de dépendance à ces crédits : les crédits « relance » n'ont pas pour objectif d'être ensuite pérennisés par des crédits budgétaires classiques. L'enjeu pour les opérateurs est donc de viabiliser leur modèle économique.
Afin de clarifier la répartition et l'exécution des crédits accordés aux opérateurs au cours des plans d'investissements d'avenir, puis du plan de relance et de France 2030, les rapporteurs spéciaux ont demandé à la Cour des comptes la réalisation d'une enquête sur le fondement de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances, qui devrait être rendue début 2024 et dont les conclusions devraient être éclairantes.
2. Un enjeu face à l'inflation : limiter la réduction de la marge artistique des opérateurs
La fin du plan de relance ne signifie pas pour autant celle des inquiétudes pour l'ensemble du secteur, confronté à un effet de ciseaux entre reprise progressive mais lente de l'activité et progression du coût des dépenses contraintes, notamment énergétiques.
a) Une évolution positive : la normalisation de la fréquentation tourne la page de la période de crise sanitaire
L'exercice 2022 avait déjà amorcé une réelle reprise, avec un taux moyen de fréquentation des établissements concernés de 83 %. 2023 confirme cette dynamique globale de hausse du public, la situation achevant de se normaliser. En moyenne, la fréquentation des spectacles vivants a cru de 2,5 % entre les premiers semestres 2022 et 2023. Cette relance reste toutefois inégale selon les opérateurs et selon la programmation.
Évolution de la fréquentation
(en millions d'euros et en %)
1er semestre 2022 |
1er semestre 2023 |
Évolution (%) |
|
Opérateurs |
1 125 525 |
1 078 522 |
- 4,2 |
Centres dramatiques nationaux (CDN) |
507 352 |
522 198 |
+ 2,9 |
Scènes de musiques actuelles (SMAC) |
605 861 |
619 274 |
+ 2,2 |
Scènes nationales |
1 164 316 |
1 268 715 |
+ 9,0 |
Total |
3 403 054 |
3 488 709 |
+ 2,5 |
Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire
Concernant les opérateurs, la fréquentation est relativement stable par rapport à celle de l'an passé. La diminution de la fréquentation observable dans le tableau ci-dessous découle de la fermeture de la grande salle du Théâtre national de Chaillot pour travaux (salle Vilar).
Les représentants de différents opéras auditionnés par les rapporteurs spéciaux confirment tous le retour à un niveau de fréquentation similaire à celui antérieur à la crise sanitaire. Ainsi, l'Opéra de Paris fait état d'un taux de fréquentation physique de 91 % (soit 72 500 spectateurs de plus que l'année précédente), contre 82 % lors de la saison 2021-2022 et 92 % pour la saison 2018-2019. Fait notable et encourageant, la proportion du public étranger à l'Opéra de Paris était supérieur lors de la saison 2022-2023 à celle de 2021-2022. La reprise semble concerner tous les genres : selon l'Opéra de Lyon, la fréquentation s'est élevée en 2022-2023 à 91 % pour le lyrique, 86 % pour le ballet et 95 % pour les concerts.
Le retour du public entraîne en miroir une hausse des ressources propres pour les établissements. À titre d'exemple, pour l'Opéra de Paris, qui est l'opérateur dont la part des ressources propres dans le budget total est la plus élevée, celles-ci ont augmenté de 8 % entre 2022 et 2023, notamment grâce à une croissance très rapide des visites du Palais Garnier.
Évolution des ressources propres de l'Opéra de Paris depuis 2018
(en millions d'euros)
Source : commission des finances d'après l'Opéra de Paris
S'agissant plus spécifiquement des festivals, la hausse s'élève à 13 % par rapport à 2022. La hausse profite aux festivals dont la jauge est supérieure à 30 000 festivaliers (+ 19 %), contre 13 % pour les festivals de jauge inférieure (entre 6 000 et 30 000 entrées). Les plus petits festivals, quant à eux, enregistrent plutôt des évolutions négatives.
La musique est la première bénéficiaire de cette progression (+ 23 %), devant le spectacle vivant (+ 10 %). Pour le secteur du spectacle musical, l'année 2022 peut être qualifiée d'exceptionnelle. Les dernières études présentées par le CNM3(*) indiquent que les recettes de billetterie ont pour la première fois dépassé le seuil du milliard d'euros, pour 62 000 représentations. Par rapport à 2019, dernière année « normale » avant la crise sanitaire, le nombre de représentations payantes déclarées au CNM est en hausse de 6 %, et les recettes de billetterie de 17 % (le prix moyen du billet ayant quant à lui augmenté de 17 %). Concernant l'année 2023, elle devrait poursuivre cette dynamique, dans la mesure où le CNM indique que son premier trimestre est « hors norme », les recettes de billetterie étant en hausse de plus d'un tiers par rapport à 2019.
Concernant le secteur des arts visuels (FRAC, Centres d'art et opérateurs du secteur), on dénombre environ 70 000 visiteurs supplémentaires par rapport à l'avant-crise sanitaire.
La reprise avait pu s'accompagner de craintes concernant des changements de comportements du public, enclin désormais à privilégier l'achat de billets pour des spectacles et à effectuer ces achats au dernier moment au détriment de la formule de l'abonnement. Cette inquiétude doit être relativisée à double titre : d'une part, la diminution du nombre d'abonnements n'est pas généralisée. Ainsi, l'Opéra de Paris note un rebond de 19 % de ses abonnés pour la saison 2022-2023, bien que celui-ci n'ait pas encore atteint le niveau d'avant-crise. D'autre part, si les abonnements constituent une ressource plus prévisible pour les salles, leur baisse peut aussi être envisagée comme le signe d'un fort renouvellement ainsi que d'un rajeunissement des publics pouvant être perçu comme positif.
Jeux Olympiques de Paris : quels effets sur la fréquentation culturelle ?
La perspective des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 constitue aujourd'hui une source supplémentaire d'anxiété avec la probabilité renforcée d'annulations de festivals et de concerts en raison d'un manque de forces de l'ordre et de sociétés privées pour en assurer la sécurité.
Pour mémoire, les crédits d'urgence dédiés aux festivals en 2020 (10 millions d'euros) et 2021 (30 millions d'euros dont 20 millions d'euros gérés par le Centre national de la musique) ont été pérennisés en loi de finances pour 2022 à hauteur de 10 millions d'euros versés aux DRAC. Ce fonds festivals sera conservé à hauteur de 30 millions d'euros en 2024.
La majorité des festivals devrait être maintenue : Rock en Seine à Saint-Cloud (ayant lieu pendant la période des Jeux Paralympiques), les Vieilles Charrues en Bretagne, les Francofolies à la Rochelle, le Helfest à Clisson, les Eurockéennes de Belfort, le Festival Interceltique de Lorient... Néanmoins, certains parmi eux connaîtront un changement de calendrier. C'est notamment le cas de la 78e édition du Festival d'Avignon qui se tiendra exceptionnellement une semaine plus tôt que son calendrier habituel, du 29 juin 2024 au 21 juillet 2024. Les rapporteurs spéciaux seront très vigilants sur les effets de ce report sur la fréquentation.
D'après le ministère, une indemnisation des acteurs culturels ayant subi une perte de recette liée aux Jeux est également envisagée. Il est prévu qu'un travail de recensement des éventuelles pertes de recettes liées à l'organisation des Jeux soit engagé le cas échéant, au cours de l'année 2024. Une demande d'ouverture de crédits à due concurrence pourra être portée par le ministère en loi de finances de fin de gestion pour 2024.
S'agissant des impacts positifs des Jeux sur la fréquentation des institutions culturelles, celui-ci devrait fortement varier selon les établissements, d'autant que certains seront fermés ou transformés en espaces dédiés à l'organisation : Palais de Tokyo, Grand Palais, Grande Halle de la Villette...
Source : commission des finances
b) Une nécessaire vigilance sur l'impact de l'inflation sur les établissements
Les rapporteurs spéciaux l'ont déjà souligné l'année précédente, la hausse des coûts de l'énergie devrait affecter directement l'équilibre de certains opérateurs. En 2022, l'augmentation des factures d'énergie enregistrée par les opérateurs avait été chiffrée à 47 % par rapport à 2021. Les surcouts pour 2023 étaient estimés lors de la préparation du projet de loi de finances pour 2023 à 13 millions d'euros. (+ 131 % par rapport à 2022).
Le collectif budgétaire de fin de gestion 2022 prévoyait une dotation supplémentaire de 5 millions d'euros (AE=CP). En LFI pour 2023, les montants accordés au titre des surcoûts s'élevaient à 6,9 millions d'euros (dont 0,3 million au titre de l'augmentation des coûts de construction), ce qui n'a pas couvert intégralement les conséquences de l'inflation. D'après le ministère, un sondage mené auprès des labels avait permis d'estimer l'érosion de la marge artistique en 2023 à environ 20 millions d'euros pour l'ensemble du secteur labellisé, entraînant un risque sur les capacités de production.
Ainsi, la majoration de la dotation accordée l'année précédente à la Philharmonie de Paris de 1 million d'euros ne devait couvrir que la moitié du surcoût énergétique estimé (+ 2 millions d'euros en 2023) et qu'un sixième de l'impact de l'inflation (énergie, papier, prestataires de service, masse salariale).
En PLF pour 2024, 3,6 millions d'euros supplémentaires ont été accordés aux opérateurs au titre de la compensation des coûts de l'énergie et 1,1 million d'euros pour celle des coûts de construction. Près de la moitié du montant total accordé bénéficiera à l'Opéra de Paris. À noter que la hausse accordée à la Philharmonie de Paris en 2023 n'aura pas été reconduite en 2024, à la différence de l'ensemble des autres opérateurs.
Compensations de la hausse des coûts de l'énergie et de la construction versées aux opérateurs du programme 131 en 2023 et 2024
(en milliers d'euros)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
S'agissant plus particulièrement de la hausse du point d'indice, ses effets n'ont également été que partiellement pris en compte. La hausse de 3,5 % accordée en 2022 n'a pas été compensée sur la fin 2022 mais 5 millions d'euros ont été ouvert en LFR 2022 pour les opérateurs du programme 131 et reportés sur 2023. La hausse d'1,5 % accordée en 2023 n'a pas été prise en charge pour 2023, mais les 5 millions d'euros sont reconduits en PLF 2024. À noter que la plupart des établissements, bien que non directement impactés par la hausse du point d'indice, doivent faire face à des demandes de revalorisation salariales. Les conséquences du conflit social à l'occasion de la réforme des retraites ont également contraints certains opérateurs à renoncer à une part de leur programmation.
Le principal enjeu est d'éviter que les établissements ne soient confrontés à une double contrainte, du fait, d'une part, de la croissance de leurs dépenses de personnels liée aux revalorisations, et d'autre part des surcoûts toujours croissants. Il importe donc d'être attentif à limiter le plus possible la réduction des marges artistiques des établissements.
L'exemple des conséquences de l'inflation sur les opéras
S'agissant de l'Opéra de Paris, l'impact de l'inflation sur les charges de l'Opéra est estimé en 2024 entre 3 % et 4 %. Les surcoûts liés à l'augmentation des tarifs de l'électricité et du chauffage en 2023 sont estimés à eux seuls à 2,3 millions d'euros.
Ils ont été compensés par une l'aide de l'État (2 millions d'euros en 2023 et 2,1 millions d'euros en 2024) et par le développement des ressources propres, ainsi que par une dynamique de maîtrise des dépenses énergétiques et artistiques.
Les dépenses extérieures de production artistique auront ainsi diminué de 7 % entre 2019 et 2023. Le plan de sobriété énergétique devrait en parallèle se traduire par une économie énergétique totale de 22 %.
Pour l'Opéra de Lyon, deuxième opéra en termes de fréquentation après celui de Paris, les effets de l'inflation s'élèvent à + 4 % pour 2023 et + 5 % pour 2024 pour les dépenses liées à la hausse des marchés publics ; les salaires ayant été en parallèle augmenté de 300 000 euros, soit une progression de 2 %. En revanche, comme pour l'Opéra de Paris, les renégociations des contrats d'énergie et les travaux de rénovation énergétique ont donné lieu à des économies significatives.
Source : commission des finances d'après les auditions des rapporteurs spéciaux
S'agissant spécifiquement de la situation de l'Opéra national de Paris, sa situation financière reste fragile en dépit de l'importance de sa dotation (trois fois supérieure à celle accordée à l'ensemble des 18 Opéras nationaux en régions). et du dynamisme de ses ressources propres. Le rapport de MM. Christophe Tardieu et Georges-François Hirsch, remis à la ministre de la culture fin 2020 préconisait la mise en oeuvre d'une nouvelle trajectoire financière pour l'établissement, matérialisée par l'abandon des grands projets d'investissements (troisième salle), la diminution de la masse salariale, la baisse des coûts de production (baisse du nombre de nouvelles productions, recours aux coproductions) et une réduction des coûts de fonctionnement avec pour objectif un recours à l'équilibre en 2025. Le projet de contrat d'objectifs et de moyens de l'Opéra de Paris, négocié avec l'État jusqu'à l'été 2023, semble aller dans le sens de ses évolutions.
Les objectifs budgétaires du nouveau COM sur la période 2022-2025, dans la perspective d'un retour à l'équilibre des comptes toujours attendu en 2025, sont ainsi les suivants :
- stabilisation de la masse salariale ;
- maîtrise des coûts de fonctionnement ;
- diminution en termes réels des coûts de production artistiques ;
- hausse significative des ressources propres.
Pour ambitieuse que soit cette trajectoire, elle va dans le sens d'une sécurisation de la situation financière, dont les rapporteurs spéciaux espèrent qu'elle pourra limiter l'apport de crédits complémentaires au cours des prochaines années.
c) Une marge de 10 millions d'euros dès 2024 découlant de l'abandon du projet de Cité du théâtre
Annoncé en 2016, le projet de Cité du théâtre avait pour objectif de réunir, sur le site actuel des ateliers Berthier dans le XVIIe arrondissement, l'Odéon-Théâtre de l'Europe ainsi que de nouveaux locaux pour la Comédie Française et le Conservatoire national supérieur d'art dramatique (CNSAD). Un groupement d'intérêt public (GIP) a été constitué à cette fin entre l'État et les trois opérateurs concernés.
Le projet, ambitieux, s'articulait autour de quatre grands pôles d'activités sur 22 000 m² : un pôle commun à l'ensemble des utilisateurs comprenant l'accueil général du public et des espaces dédiés à chaque entité disposant chacune de leurs propres pôles d'accueil, d'administration, leurs locaux techniques, ainsi que des salles de répétition, d'enseignement, de spectacles et de diffusion.
Le budget travaux de la Cité du théâtre a été évalué initialement à 86 millions d'euros hors taxes toutes dépenses confondues. Une partie du terrain d'assiette de la Cité du théâtre devait être acquise auprès de la Ville de Paris qui avait évalué son coût d'acquisition à 12 millions d'euros, montant par ailleurs élevé au regard de sa localisation.
Le montant global envisagé a cependant rapidement dérapé : dès 2021, les estimations du coût du projet ont plus que doublé du fait d'un surcoût de 44,5 millions d'euros non anticipé dans l'enveloppe initiale.
Face à la crainte d'un scénario similaire à celui de la Philharmonie de Paris, le ministère a envisagé plusieurs options, conduisant soit à écarter du projet un des trois établissements, soit à diminuer les espaces et le nombre de salles, soit à simplifier structurellement et architecturalement le projet et diminuer la jauge d'une salle de spectacle, soit enfin à réduire l'ensemble des espaces, scéniques comme publics.
Un exemple de dérapage budgétaire : le chantier de la Philharmonie de Paris.
La sous-évaluation initiale des coûts et les retards de chantier concomitants ont généré d'importants dépassements d'honoraires, sans que les responsabilités ne soient aujourd'hui clairement établies.
Le coût a en effet été établi à 534,7 millions d'euros HT en mai 2016 (dont 210,98 millions d'euros pour l'État) par la chambre régionale des comptes d'Île-de-France4(*), le devis initial tablant sur une dépense de 173,1 millions d'euros HT, supportée à 45 % par l'État.
Une bataille juridique s'est engagée, la Philharmonie de Paris demandant 170,6 millions d'euros aux ateliers Jean Nouvel, maîtres d'oeuvre du projet, en raison des retards constatés, la société ayant, en retour porté plainte auprès du Parquet national financier contre l'établissement public pour favoritisme et concussion.
10 millions d'euros ont été versés à l'occasion du collectif de fin de gestion 2021. Ils ont été complétés par 5 millions d'euros en CP dans le collectif budgétaire de fin de gestion 2022 aux fins de financement des travaux complémentaires prévus dans le cadre de la transaction effectuée entre la Philharmonie de Paris et la société Ateliers Jean Nouvel (AJN).
Le surcoût total supporté par l'État par rapport au projet initial est donc de 133 millions d'euros. Cette expérience doit inspirer, en tout état de cause, la plus grande transparence en matière de choix de la maitrise d'oeuvre, de la maîtrise d'ouvrage mais aussi de la répartition des coûts entre acteurs publics.
Source : commission des finances
L'ensemble de ces propositions conduisait à remettre en cause l'ambition du projet de Cité du théâtre, sans apporter de réponse réellement satisfaisante sur le plan budgétaire.
L'abandon du projet a donc été annoncé par la ministre en septembre 2023, renonçant ainsi au 4,7 millions d'euros qui avaient déjà été investis pour les dépenses du GIP et la rémunération des architectes. En outre, 10 millions d'euros, prévus sur l'exercice 2024, se trouvent donc redéployés vers d'autres objectifs.
Les rapporteurs spéciaux avaient souhaité, dans le prolongement de leur mission de contrôlé sur l'enseignement supérieur du spectacle vivant5(*), que soit présenté à l'occasion du projet de loi de finances pour 2023 un projet actualisé pour la Cité du théâtre, intégrant les économies attendues face aux surcoûts mis en avant fin 2021, et présentant un calendrier précis de livraison des travaux.
Il est certain que la décision de mettre fin au projet est raisonnable. Il est cependant regrettable d'avoir attendu si longtemps pour la prendre, 6 années étant passées depuis l'annonce du chantier en 2016, alors que les études avaient souligné dès 2020 le sous-dimensionnement budgétaire du projet.
* 3 La diffusion des spectacles en France, Musiques actuelles & Variétés, chiffres 2022 & Tendances 2023.
* 4 Construction de la « Philharmonie de Paris », exercices 2006 et suivants. Rapport d'observation définitive et ses réponses, chambre régionale des comptes d'Île-de-France, mai 2016 et La Philharmonie de Paris : une dérive préoccupante, Rapport d'information de M. Yann GAILLARD, fait au nom de la commission des finances du Sénat, n° 55 (2012-2013) - 17 octobre 2012.
* 5 Rapport d'information n° 501 (2021-2022) de MM. Vincent ÉBLÉ et Didier RAMBAUD, fait au nom de la commission des finances, déposé le 16 février 2022.