EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le jeudi 30 novembre 2023, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission procède à l'examen, en nouvelle lecture, du rapport sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.

M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, sans surprise, la commission mixte paritaire réunie le 21 novembre n'est pas parvenue à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 à l'issue de la première lecture par les deux assemblées.

Après un nouveau recours, à deux reprises, à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution par le Gouvernement, ce texte est désormais considéré comme adopté en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale et a été transmis au Sénat hier soir.

Notre rapporteure générale, Élisabeth Doineau, va nous présenter son rapport et ses propositions, en soulignant notamment ce qu'il est advenu des principaux amendements du Sénat.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Nous avons le sentiment de revivre le même scénario que l'année dernière. Toutefois, contrairement à l'année dernière, les apports du Sénat qui figurent dans ce texte, bien qu'insuffisants, ne sont pas négligeables.

D'un point de vue quantitatif, sur près de 300 amendements adoptés par le Sénat, un peu plus de la moitié ont « survécu » dans le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale. À titre de comparaison, seul un tiers des amendements du Sénat avait été retenu l'an passé.

Du fait du recours à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution à l'Assemblée nationale, le Sénat a donc été non seulement le lieu du débat parlementaire, mais aussi celui de l'élaboration parlementaire de la loi. Lors de l'examen en première lecture, l'Assemblée nationale a supprimé des articles obligatoires et n'a pas discuté en séance les deuxième et troisième parties, sur lesquelles le Gouvernement avait engagé sa responsabilité. Le Sénat, à l'inverse, a rétabli ces articles obligatoires, et a discuté la totalité du texte.

Au-delà des statistiques, il faut évidemment adopter une approche plus qualitative et voir lesquelles des principales propositions du Sénat ont survécu.

Tout d'abord, le Gouvernement a conservé trois apports du Sénat que l'on peut qualifier de « politiques ».

Premièrement, de manière a priori surprenante, il a accepté - avec une rédaction différente - la suppression des dispositions prévoyant une contribution des régimes complémentaires de retraite au titre de la « solidarité financière » du système de retraite. Plus précisément, le Gouvernement a repris, outre l'amendement de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale tendant à rétablir le texte initial, un sous-amendement du groupe Les Républicains ne mentionnant plus que la participation à l'équilibre des régimes spéciaux mis en extinction, en supprimant, donc, la référence à la « solidarité financière ».

Deuxièmement, le Gouvernement a accepté, dans le cas de l'assurance maladie, le maintien de la consultation des deux commissions des affaires sociales sur toute modification des montants de la participation forfaitaire ou de la franchise annuelle.

Troisièmement, le Gouvernement a accepté de transformer en expérimentation la fusion optionnelle des sections « soins » et « dépendance » des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et des unités de soins de longue durée (USLD).

Le Gouvernement a également accepté des améliorations « techniques » significatives ; j'en mentionnerai deux.

D'abord, grâce aux améliorations techniques de notre collègue Frédérique Puissat, il a été possible de maintenir le droit d'option - que le texte initial prévoyait de supprimer - accordé aux branches professionnelles pour le recouvrement par les Urssaf de leurs contributions conventionnelles de formation professionnelle et de dialogue social.

Le Gouvernement a en outre accepté, dans le cas de la disposition définissant les salaires maximaux permettant de bénéficier des « bandeau famille » et « bandeau maladie » en multiples du Smic de 2023 - et non plus du Smic de l'année en cours -, l'inscription dans la loi d'un plancher égal à deux Smic de l'année en cours.

Certains des principaux apports du Sénat n'ont toutefois été conservés que partiellement.

Par exemple, dans le cas du soutien de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) aux départements, le Gouvernement n'a pas conservé la suppression de la neutralisation de l'augmentation des plafonds de compensation aux départements de la prestation de compensation du handicap (PCH) et de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) découlant du transfert de contribution sociale généralisée (CSG) de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) à la CNSA.

Le Gouvernement a juste maintenu la disposition, qu'il avait lui-même insérée au Sénat, prévoyant en 2024 un soutien supplémentaire de 150 millions d'euros de la CNSA aux départements pour le financement de l'APA. Il s'agit d'un choix bien distinct de notre proposition, alors que les départements ont fait état d'augmentations de dépenses substantielles au niveau des établissements médico-sociaux, qu'il s'agisse du handicap ou des personnes âgées. Le problème de l'inflation sera peut-être partiellement réglé par les 100 millions d'euros attribués en 2023 par le fonds d'urgence pour les établissements en difficulté financière, mais cette enveloppe, comme nous l'avons tous souligné, sera très insuffisante.

Je précise que les auteurs d'amendements trouveront dans le rapport écrit un tableau qui retrace le sort de chacun d'entre eux.

Toutefois, des points de désaccord subsistent sur des aspects essentiels. Ces points de désaccord étant, pour la plupart, proches de ceux de l'année dernière, et vraisemblablement appelés à se renouveler d'année en année, je les énoncerai rapidement.

Ils portent tout d'abord sur le caractère à la fois peu réaliste et, paradoxalement, optimiste, de la trajectoire financière quadriennale. Par ailleurs, nous n'avons pas été entendus sur le montant de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) pour 2023, au sujet duquel nous avions indiqué qu'il sous-estimait le niveau de l'inflation pour les établissements sanitaires ; ni sur le montant de l'Ondam pour 2024, que nous avions refusé de voter.

Parmi les autres désaccords, je mentionnerai le refus par le Gouvernement des mesures de régulation ou de renforcement du contrôle du Parlement en cas de dépassement de l'Ondam, ainsi que son refus que le Parlement se prononce sur le montant des dotations que les régimes obligatoires de base de sécurité sociale versent aux fonds, organismes et agences qu'ils subventionnent.

En outre, la suppression du transfert, institué par le Sénat, de 2 milliards d'euros de recettes de la branche maladie vers la branche famille, en conséquence du transfert de charge équivalent inscrit dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2023, traduit un manque d'ambition en matière de politique familiale.

Par ailleurs, le texte rétablit la possibilité, pour le Gouvernement, de réduire par arrêté, dès 2023 et sans plafonnement, la compensation à l'Unédic du dispositif de réduction dégressive des contributions patronales d'assurance chômage.

Enfin, la proposition du Sénat d'instaurer une phase d'expérimentation permettant d'affiner en 2025-2027 la réforme du financement médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) des hôpitaux n'a pas été retenue.

Dès lors, poursuivre la navette parlementaire ne servirait à rien, d'autant que le Gouvernement va très probablement utiliser de nouveau la procédure de l'article 49 alinéa 3 en lecture définitive, et qu'il a déjà clairement indiqué quelles propositions du Sénat il souhaitait retenir.

De ce fait, je vous proposerai d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable sur ce PLFSS pour 2024 afin de marquer nos désaccords de fond et de méthode sur ce texte.

EXAMEN DE LA MOTION DE LA RAPPORTEURE GÉNÉRALE

Question préalable

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Plusieurs arguments justifient la présentation de cette motion. S'il en suffisait d'un, je choisirais celui de la trajectoire financière, malgré une légère amélioration entre le texte que nous avions voté et celui adopté en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale. Il s'agit de transmettre à nos enfants non une dette liée à des investissements - ce qui pourrait être acceptable, car ils en profiteraient -, mais une dette liée à des dépenses de fonctionnement, ce qui n'est pas acceptable.

De plus, le refus du transfert de 2 milliards d'euros de la branche maladie vers la branche famille dénote un manque d'ambition en termes de politique familiale. De la même manière, nous n'avons pas été entendus sur l'Unédic. Pour toutes ces raisons, je vous soumets cette motion.

Mme Véronique Guillotin. - Notre groupe vote toujours contre les motions tendant à opposer la question préalable. Pour autant, j'entends votre démarche compte tenu des désaccords existants.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - J'en viens à la lecture de la motion :

« Considérant que si un accord est intervenu entre les deux assemblées sur certains articles du projet de loi de financement de la sécurité sociale, des points de désaccord subsistent sur des aspects essentiels ;

Considérant que la trajectoire financière quadriennale du texte considéré comme adopté en nouvelle lecture prévoit le passage du déficit des régimes obligatoires de base de sécurité sociale de 8,7 milliards d'euros en 2023 à 17,2 milliards d'euros en 2027 ;

Considérant que ce texte reprend les montants des Ondam pour 2023 et 2024 que le Sénat a respectivement modifié et rejeté en première lecture, en estimant qu'ils étaient sous-évalués ;

Considérant, de surcroît, qu'aucune des mesures de régulation ou de renforcement du contrôle du Parlement en cas de dépassement de l'Ondam n'a été intégrée dans ce texte ;

Considérant qu'il est indispensable que le Parlement se prononce sur le montant des dotations que les régimes obligatoires de base de sécurité sociale versent aux fonds, organismes et agences qu'ils subventionnent ;

Considérant que ce texte rétablit la possibilité, pour le Gouvernement, de réduire par arrêté, dès 2023 et sans plafonnement, la compensation à l'Unédic du dispositif de réduction dégressive des contributions patronales d'assurance chômage, ce qui est contraire au principe de gestion paritaire de l'Unédic et remet en cause son désendettement ;

Considérant que le texte ne retient pas la proposition du Sénat d'ajuster la réforme du financement de l'activité de médecine, chirurgie et obstétrique des établissements de santé à l'issue d'une expérimentation en 2025-2027 ;

Considérant que ce texte supprime le transfert, institué par le Sénat, de 2 milliards d'euros de recettes de la branche maladie vers la branche famille, l'article 20 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 ayant réalisé un transfert de charges de 2 milliards d'euros de la branche maladie vers la branche famille, correspondant à 60 % de la charge des indemnités journalières (IJ) pour congé de maternité et à l'intégralité des IJ relatives à l'adoption et à l'accueil de l'enfant, sans transférer les ressources correspondantes ;

Considérant enfin que l'emploi systématique par le Gouvernement de la procédure définie à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution ne permettra pas l'intégration, en lecture définitive, de nouvelles propositions du Sénat ;

Le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. »

La motion°  1 est adoptée.

La commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Permettez-moi de saluer la qualité de nos échanges avec Thomas Cazenave. Pour autant, j'estime que nous devrions rechercher une autre méthode dans la mesure où les mêmes sujets, à caractère souvent catégoriel, reviennent à l'occasion de l'examen du PLFSS. Peut-être faudrait-il, monsieur le président, constituer un groupe de travail consacré à certains de ces sujets, ou lancer une réflexion sur la fiscalité comportementale dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss).

Un travail sur la prise en charge assurée par les organismes complémentaires pourrait également être utile.

M. Bernard Jomier. - Je souhaite remercier Mme Doineau pour ses propos, le PLFSS devenant en effet une sorte de marronnier sur un certain nombre de sujets. En revanche, le débat autour de la place du secteur mutualiste n'est pas mené, après avoir été évoqué quand le projet de « grande sécurité sociale » a émergé. Nous pourrions nous interroger, par exemple, sur le rôle des organismes complémentaires d'assurance maladie (Ocam) dans notre pays, mais le PLFSS ne nous permet pas de mener ce débat à son terme, car il s'agit d'un texte financier.

Par ailleurs, nous convenons tous du fait que si nous consacrons désormais plus de 250 milliards d'euros à la santé, l'allocation de moyens est réalisée dans des conditions insatisfaisantes. Lorsque j'avais fait cette remarque à Gabriel Attal l'an passé, il en était convenu, mais rien n'a changé. Nous ne pouvons pas continuer de la sorte et devons déterminer une méthode pour construire le budget de santé du pays.

Divers thèmes, dont la territorialisation de la dépense et de l'Ondam, ont été portés sans lendemain, révélant un déficit de réflexion et de décision politique désespérant pour tous les acteurs du secteur. Année après année, ce même sillon, sans perspective, continue à être tracé.

M. Philippe Mouiller, président. - Je précise que la Mecss et le bureau de la commission détermineront dans les prochaines semaines le programme de travail pour 2024 ; Les Ocam pourraient être l'un des thèmes retenus.

M. Khalifé Khalifé. - Nous avons traité des dossiers graves et importants trop rapidement : il serait temps d'arrêter d'essayer de stabiliser le bateau ivre que sont les dépenses d'assurance maladie et d'entamer un travail de fond sur une maîtrise « médicalisée » de celles-ci.

Partager cette page