II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

A. LE PROGRAMME 174 : UN MONTANT DE CRÉDITS CONSOMMÉ QUI RESTE EXCEPTIONNELLEMENT ÉLEVÉ BIEN QU'AFFECTÉ PAR UN PHÉNOMÈNE DE SOUS-CONSOMMATION MASSIF

L'exécution des CP du programme 174 s'est élevée à 5 milliards d'euros en 2023, soit une baisse de 45 % par rapport à 2022, année marquée par l'adoption de mesures exceptionnelles en cours de gestion pour répondre aux conséquences de la crise des prix de l'énergie. Ce montant de 5 milliards d'euros de dépenses sur le programme 174 reste cependant très élevé si on le compare à la situation d'avant crise. Ainsi, est-il par exemple, supérieur de 56 % aux crédits prévus sur le programme par la loi de finances initiale pour 2022 (3,2 milliards d'euros) ou encore de 79 % aux dépenses exécutées en 2021 (2,8 milliards d'euros).

Cette tendance à la hausse des dépenses effectivement réalisées sur le programme 174 a pour origine le dynamisme des dispositifs d'aides à l'acquisition de véhicules propres et de MaPrimeRenov' ainsi que la création d'une indemnité carburant ciblée à destination des travailleurs modestes.

L'exécution 2023 du programme 174 a aussi été marquée par les annulations de 780 millions d'euros d'AE et de 1 092 millions d'euros de CP par la loi n° 2023-1114 du 30 novembre 2023 de finances de fin de gestion pour 2023. Ces annulations s'expliquent essentiellement par la sous-consommation des crédits ouverts au titre de MaPrimeRenov' et de l'indemnité carburant.

1. Une exécution des crédits alloués à la prime de rénovation énergétique très inférieure aux prévisions

L'article 15 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 a créé la prime de transition énergétique, mieux connue sous le nom de « MaPrimeRénov' » en remplacement du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) et des aides « Habiter mieux » de l'Agence nationale de l'Habitat (ANAH). Depuis le 1er janvier 2021, les propriétaires occupants aux revenus intermédiaires et supérieurs ont été intégrés au dispositif MaPrimeRénov'.

Dans la loi de finances initiale pour 2023, 2,6 milliards d'euros étaient demandés en CP, dont 2,3 milliards inscrits sur le programme 174, et 300 millions d'euros sur la mission « Plan de relance ».

L'exécution de MaPrimeRénov' sur le programme 174 est très inférieure aux prévisions : il n'est que 52,9 %, c'est-à-dire que près de la moitié des crédits ouverts initialement n'ont pas été consommés. La loi de finances de finances de fin de gestion n° 2023-1114 pour 2023 a ainsi annulé la somme de 1,1 milliard d'euros en CP sur le dispositif d'aide à la rénovation énergétique.

Exécution des crédits de MaPrimeRénov' en CP entre 2021 et 2023

(en millions d'euros)

 

2021

Exécution

2022

Exécution

2023

Prévisions

2023

Exécution

Taux d'exécution en 2023

MaPrimeRénov' (programme 174)

709

1 284

2 300

1 217

52,9 %

MaPrimeRénov'

(programme 362)

589

870

300

287

95,7 %

Total

1 298

2 102

2 600

1 504

57,8 %

Source : commission des finances, d'après les données de la Cour des comptes

Le Gouvernement de l'époque a justifié cette faiblesse de l'exécution principalement par la mobilisation de la trésorerie de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) : 585,3 millions d'euros de trésorerie ont ainsi été fléchés en 2023 sur MaPrimeRénov'.

Cependant, cet argument ne suffit pas à lui seul à justifier de la faiblesse de la consommation des crédits de MaPrimeRénov'. La mobilisation de la trésorerie de l'ANAH demeure très inférieure à la sous-exécution constatée (1,1 milliard d'euros), et cette trésorerie provient elle-même de sous-consommations passées des crédits destinés à la prime de transition énergétique.

Les raisons de la sous-consommation des crédits de MaPrimeRénov' ont été détaillés au cours de plusieurs rapports récents1(*). Le reste à charge des ménages modestes est encore trop important, la filière de la rénovation énergétique des bâtiments connaît des difficultés de structuration, et la fraude demeure un véritable problème.

Le rapporteur spécial avait particulièrement alerté sur ce dernier point lors de son rapport à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2024 : « Une augmentation des crédits consacrés à MaPrimeRénov', sans que les moyens dédiés à la lutte contre la fraude ne soient adaptés, peut conduire à une hausse des escroqueries, dont les conséquences sont dramatiques pour la confiance des ménages et qui peut considérablement réduire l'efficacité du dispositif. »2(*)

À cet égard, on peut rappeler que dans une étude réalisée en 2021 et 2022, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DFCCRF) a constaté à partir de 36 000 inspections réalisées un taux de non-conformité de 25 %. Le taux de conformité global était de 50 %, et un quart des dossiers ne pouvait pas être vérifié.

Au regard de l'ensemble de ces facteurs, le pilotage de la prime de transition énergétique par le Gouvernement précédent soulève de nombreuses interrogations. Alors que les gestes d'isolation simple sans changement de chauffage n'étaient plus finançables par MaPrimeRénov' depuis le début de cette année, il est à nouveau possible depuis le 15 mai 2024 de changer une fenêtre ou isoler une toiture sans réaliser de travaux complémentaires.

En effet, le 22 mai 2024, le ministre délégué au logement, Guillaume Kasbarian, indiquait lors de la séance des questions au Gouvernement au Sénat que les dossiers déposés sur le site de l'ANAH ont chuté de 85 % par rapport à l'année précédente en janvier et février 2024.

Là aussi, le rapporteur avait alerté sur cette situation dès son rapport sur la mission Écologie dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024 : « L'obligation de changer un système de chauffage pour bénéficier d'une aide du pilier « Efficacité » soulève en revanche de nombreuses questions. On peut en effet imaginer que des ménages souhaitent refaire l'isolation de parties ciblées (toiture, murs) de leur logement sans changer de système de chauffage ou s'engager dans une rénovation globale. Il serait absurde d'obliger ces ménages à passer par un accompagnateur Rénov, ou de choisir de changer en plus un système de chauffage. »3(*)

Au-delà des problèmes de fond qu'illustrent ces décisions, le changement régulier des règles et des financements de MaPrimeRénov' est à l'origine d'une forte incertitude dans le secteur de la rénovation énergétique, et ne crée pas un environnement favorable pour qu'un écosystème économique puisse vraiment se développer.

Ainsi, après avoir annoncé une hausse historique, à 4 milliards d'euros, des crédits accordés à MaPrimeRénov' pour 2024 lors de l'examen du projet de loi de finances, la prime est désormais l'une des principales politiques ciblées par les annulations de crédits et les mises en réserve décidées au début de cette année. Avant cela, comme cela a été dit précédemment, MaPrimeRénov' avait déjà fait l'objet d'une annulation de crédits très importante en fin de gestion. Ce mouvement de zigzag permanent rend impossible toutes prévisions sur le dispositif, et donc la mise en place d'une véritable politique de rénovation énergétique des bâtiments.

2. Portés par le bonus, les crédits consacrés aux dispositifs d'aide à l'acquisition de véhicules propres ont été très dynamiques

Les crédits consacrés au financement des aides à l'achat ou à la location de véhicules neufs ou d'occasion émettant peu de CO2 (bonus) ainsi qu'à la mise au rebut de véhicules fortement émetteurs de CO2 (prime à la conversion) sont retracés à l'action 03 « Aides à l'acquisition de véhicules propres » du programme 174.

En 2023, la consommation des crédits dédiés aux aides à l'acquisition de véhicules propres s'est élevée à 1,7 milliard d'euros4(*), en hausse de 17 % par rapport à 2022 et alors que seulement 1,3 milliard d'euros avaient été ouverts en loi de finance initiale pour 2023. Le dynamisme inattendu du bonus explique la hausse des dépenses observées au cours de l'exercice.

L'évolution des dépenses consacrées au bonus
et à la prime à la conversion entre 2017 et 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

En 2023, 1,4 milliard d'euros ont été consacrés au dispositif du bonus, soit une hausse de près de 25 % en un an. S'agissant de la prime à la conversion, les crédits consommés ont représenté 250 millions d'euros, en retrait de 11 % par rapport à 2022.

Nombre de véhicules ayant fait l'objet d'un bonus
ou d'une prime à la conversion entre 2017 et 2023

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Jusqu'en 2023, les aides à l'acquisition de véhicules propres financées par les contribuables français revenaient largement à subventionner l'industrie automobile chinoise. Le rapporteur spécial avait dénoncé cette situation inacceptable lors de l'examen du PLF pour 2023. Elle avait notamment appelé le Gouvernement de l'époque à concevoir d'urgence un mécanisme tenant compte de l'empreinte carbone des véhicules sur l'ensemble de leur cycle de vie. Plus respectueuse des enjeux climatiques, une telle méthodologie doit aussi conduire à donner un avantage aux véhicules produits en France et en Europe, du fait d'un mix énergétique moins carboné qu'en Chine. Il aura encore fallu plusieurs mois pour que le Gouvernement de l'époque se saisisse réellement du sujet soulevé par le rapporteur.

En publiant un décret5(*) et un arrêté6(*) le 19 septembre 2023, le Gouvernement de l'époque a ainsi enfin mis en place, à compter du mois de janvier 2024, un dispositif permettant de conditionner l'éligibilité au bonus à l'obtention d'un score environnemental calculé, en plus des émissions à l'usage, au regard de l'empreinte écologique de chacune des étapes qui précèdent la mise en circulation du véhicule. Ayant vocation à être régulièrement actualisée à l'appui des instructions réalisées par l'Ademe, une première liste de véhicules éligibles en vertu de cette méthodologie a été publiée le 14 décembre 2023.

Comme elle a déjà pu le souligner au cours de l'examen du PLF pour 2024 et regrettant néanmoins le temps qu'il aura fallu pour mettre en oeuvre cette mesure, le rapporteur salue cette initiative indispensable.

3. Les chèques énergie exceptionnels ont encore affecté les dépenses consacrées au dispositif en 2023

Sans que son régime soit modifié de façon structurelle à ce stade, le dispositif du chèque énergie a été sensiblement affecté par la crise des prix de l'énergie qui a débuté à l'automne 2021. Les pouvoirs publics ont recouru à ce mécanisme pour mettre en oeuvre des aides complémentaires destinées aux ménages modestes, sous forme de chèques exceptionnels, ou visant spécifiquement certaines catégories de combustibles de chauffage en raison de l'augmentation des prix des énergies concernées.

Un premier chèque énergie exceptionnel de 100 euros avait été distribué à tous les bénéficiaires du chèque énergie (5,8 millions de ménages) à la fin de l'année 2021 pour 600 millions d'euros. Un deuxième chèque énergie exceptionnel, cette fois étendu jusqu'au quatrième décile de revenus (12 millions de ménages) a été prévu par la seconde LFR pour 2022 pour 1,8 milliard d'euros7(*).

Par ailleurs, la première et la seconde LFR pour 2022 ont également ouvert des crédits budgétaires, à hauteur de 230 millions d'euros pour chaque dispositif, afin d'instaurer des aides destinées à accompagner les ménages qui se chauffent au fioul domestique8(*) d'une part et au bois9(*) d'autre part.

Ces différents chèques énergies exceptionnels ont fortement majoré les crédits habituellement consacrés au dispositif de droit commun du chèque énergie. Les effets liés à la consommation des chèques énergies exceptionnels attribués en 2022 expliquent les niveaux de crédits consacrés au chèque énergie en 2023 : 0,8 milliard d'euros en AE et 1,2 milliard d'euros en CP, des montants certes inférieurs à 2022 mais encore sensiblement supérieurs aux dépenses qui étaient consacrées au dispositif avant la crise.

Évolution des crédits consacrés au chèque énergie entre 2020 et 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Pour la campagne 2023, il avait été fait l'hypothèse d'un taux d'usage global de 88 % se répartissant en 78 % consommés en 2022 et 10 % en 2024. En 2023, le taux d'usage de la campagne 2023 a atteint 77,8 %, en ligne avec l'objectif initialement visé.

Le rapporteur spécial note par ailleurs que les taux d'usage des chèques exceptionnels sont nettement plus bas que les taux constatés habituellement sur le dispositif de droit commun.

Consommation des CP sur les différents « chèques énergie »
de la campagne 2022

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

4. Une aide pour les travailleurs « gros rouleur » qui a été nettement moins coûteuse que prévu

Une remise généralisée sur les carburants avait été appliquée du mois d'avril au mois de décembre 2022 pour un coût total de 7,6 milliards d'euros. Cette remise généralisée a été remplacée au 1er janvier 2023 par une indemnité de 100 euros par bénéficiaire ciblée sur les travailleurs modestes qui utilisent leur véhicule individuel pour se rendre sur leur lieu de travail.

Lors de l'examen du PLF pour 2023, une enveloppe de 700 millions d'euros avait été ouverte sur le programme 174 pour financer cette mesure. Le coût total du dispositif était alors estimé à un milliard d'euros, il avait été envisagé que le solde de 300 millions d'euros soit couvert par des reports de crédits. Cependant le coût effectif de la mesure a été plus de deux fois moins élevé que l'estimation initiale puisqu'il s'est limité à 434 millions d'euros.


* 1 Voir notamment le rapport fait au nom de la commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, Sénat, Rapporteur Guillaume Gontard, Président Mme Dominique Estrosi Sassone, juin 2023 ; Cour des comptes, Le soutien aux logements face aux évolutions climatiques et au vieillissement de la population, Communication au comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, octobre 2023.

* 2 Mme Christine Lavarde, Projet de loi de finances pour 2024 : Écologie, développement et mobilité durables, Rapport général, Tome III, novembre 2023

* 3 Mme Christine Lavarde, Projet de loi de finances pour 2024 : Écologie, développement et mobilité durables, Rapport général, Tome III, novembre 2023

* 4 Dont 1 654 millions d'euros au titre du bonus et de la prime à la conversion, 40 millions d'euros au titre de l'appel à projets « Écosystèmes des véhicules lourds électriques » et 3 millions d'euros destinés à subventionner l'installation d'infrastructures de recharge pour les véhicules électriques dans les stations-services rurales.

* 5 Décret n° 2023-886 du 19 septembre 2023 relatif au conditionnement de l'éligibilité au bonus écologique pour les voitures particulières neuves électriques à l'atteinte d'un score environnemental minimal.

* 6 Arrêté du 19 septembre 2023 relatif à la méthodologie de calcul du score environnemental et à la valeur de score minimale à atteindre pour l'éligibilité au bonus écologique pour les voitures particulières neuves électriques.

* 7 Le montant versé était de 200 euros pour les 5,8 millions de ménages bénéficiaires du chèque énergie de droit commun (deux premiers déciles de revenus) et 100 euros pour les autres ménages (troisième et quatrième déciles).

* 8 Le « chèque fioul » concerne les cinq premiers déciles de revenus, soit 1,6 million de ménages et correspond à une aide de 200 euros pour les bénéficiaires du chèque énergie et de 100 euros pour les autres.

* 9 Le « chèque bois » s'adresse quant à lui aux sept premiers déciles de revenus, soit 2,6 millions de ménages, pour un montant de 50 à 200 euros en fonction des revenus, de la composition du ménage et du type de combustible bois utilisé. Ces aides sont cumulables avec le chèque énergie classique ainsi qu'avec le chèque énergie exceptionnel pour 2022.

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