II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

A. DANS UN CONTEXTE DE NIVEAU HISTORIQUE DES DEMANDES D'ASILE, UNE SURCONSOMMATION DES CRÉDITS CONCERNÉS

En loi de finances initiale pour 2023, comme les années précédentes, l'action n° 02 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303 « Immigration et asile » concentrait à elle seule près des deux tiers (63 %) des CP de l'ensemble de la mission, soit 1,267 milliard d'euros.

Cette action, qui finance en particulier les dépenses relatives à l'asile, fait ces dernières années l'objet d'une sur-exécution chronique.

Les crédits de l'action n° 02 se répartissent principalement entre l'ADA, d'une part, et l'hébergement des demandeurs d'asile, d'autre part.

Ces deux postes de dépenses sont exposés, en premier lieu, à la tendance haussière du nombre de demandeurs d'asile. Or, après des années 2020 et 2021 marquées par un niveau modéré de demandes d'asile dans le contexte de la crise sanitaire, le niveau des demandes est en augmentation en 2022 et en 2023. Le Gouvernement indique ainsi que le nombre de demandes d'asile introduites à l'OFPRA s'est élevé à 142 496 en 2023, en hausse de 8,6 % par rapport à 2022 et à un niveau nettement supérieur au record historique de 2019 (132 826 demandes).

Ces postes de dépenses sont également exposés depuis mars 2022 aux coûts de l'accueil des personnes déplacées du fait du conflit en Ukraine (bénéficiaires de la protection temporaire), qui ne sont malheureusement pas intégrés à la budgétisation initiale, faussant le bon suivi de l'exécution des crédits de l'action (cf. infra).

Dans ce double contexte, les crédits ont été sur-exécutés par rapport à la loi de finances initiale à hauteur de 250,9 millions d'euros en CP en 2023, soit 19,8 %. Cela représente la quasi-intégralité de la sur-exécution à l'échelle de la mission (259,1 millions d'euros), soulignant encore, s'il en était besoin, le poids prépondérant des dépenses d'asile dans cette dernière.

Il convient de noter que par rapport à l'exécution de 2022, les CP exécutés sont en légère baisse en 2023, d'environ 80 millions d'euros (soit environ 5 %). Néanmoins, une analyse plus détaillée de cette évolution révèle son caractère conjoncturel. En effet, la baisse observée doit en réalité être ventilée en une réduction de 160 millions d'euros en CP des dépenses d'accueil pour l'accueil et l'hébergement des bénéficiaires de la protection temporaire en provenance d'Ukraine (321,8 millions d'euros en 2023 contre 481,8 millions d'euros en 2022), d'une part, et en une hausse de 80 millions d'euros des dépenses liées aux demandeurs d'asile, d'autre part. Or, à moyen terme, ce sont les dépenses liées aux demandeurs d'asile qui présentent le caractère le plus structurant, dans un contexte de forte hausse tendancielle des demandes d'asile.

1. Un budget de l'allocation pour demandeur d'asile qui a été dépassé

Après des années de hausses annuelles successives en lois de finances initiales du budget de l'allocation pour demandeur d'asile, une réduction des dépenses était prévue en 2023. Le budget initial concerné est ainsi passé de 335 millions d'euros en 2019 à 447 millions d'euros en 2020, puis à 454 millions d'euros en 2021 et à 491 millions d'euros en 2022 (en incluant une provision de 20 millions d'euros), pour s'établir enfin en nette baisse, à 314,7 millions d'euros en 2023 (320,7 millions d'euros en intégrant les frais de gestion).

Une telle réduction apparaissait difficilement tenable.

D'une part, elle s'inscrivait dans un contexte de niveau historique des demandes d'asile et d'une amélioration certaine mais encore perfectible en matière de délais de traitement des demandes d'asile par l'OFPRA, étant entendu qu'une réduction des délais de traitement permettent de verser l'ADA sur une moins longue période, induisant ainsi une réduction du coût global de l'allocation. La prévision budgétaire s'appuyait notamment sur une réduction drastique des délais de traitement des demandes d'asile par l'OFPRA, de 159 jours en moyenne en 2022 à 60 à fin 2023. Concrètement, en 2023, l'OFPRA a rendu 136 751 décisions10(*) en légère hausse de 2 %, à un niveau notablement inférieur à l'objectif fixé (160 000 décisions). Le stock de dossiers a quant à lui augmenté, pour atteindre 53 370 dossiers, contre 47 296 en fin d'année 2022. Si le délai moyen de traitement a diminué - ce qui doit être salué - puisqu'il s'établit en moyenne à 127 jours en 2023, c'est dans une ampleur bien moindre que les objectifs exagérément optimistes qui avaient été fixés. Quant à la CNDA11(*), juge d'appel des décisions de l'OFPRA, le nombre de ses décisions a été stable avec 66 358 décisions en 2023, contre 67 142 en 2022.

D'autre part, la prévision n'intégrait pas le coût de l'accueil des personnes déplacées d'Ukraine.

En 2023, l'ADA a été versée, pour ce qui concerne les demandeurs d'asile, à 100 939 personnes par mois en moyenne, et à 74 714 personnes bénéficiaires de la protection temporaire par mois, en moyenne. Au total, en 2023, 175 653 personnes en moyenne ont bénéficié de l'ADA chaque mois.

Pour l'exercice 2023, l'ADA connait une sur-exécution d'environ 35 %, pour s'établir à un coût de 434,2 millions d'euros en CP, dont 173,4 millions d'euros pour les personnes bénéficiant de la protection temporaire (soit 46 millions d'euros de moins qu'en 2022), et 254,4 millions d'euros pour les demandeurs d'asile (contre 270,2 millions d'euros en 2022).

Montants prévus et exécutés des dépenses afférentes
à l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) en 2023

(en AE/CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des données budgétaires

2. Si les dépenses d'hébergement d'urgence sont en sur-exécution, les objectifs globaux de création de places d'hébergement pour demandeurs d'asile ne sont pas atteints

En exécution, l'année 2023 est également marquée par une augmentation des dépenses d'hébergement par rapport aux crédits prévus en loi de finances initiale au sein de l'action n° 2 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303 « Immigration et asile ». En particulier, les crédits de la ligne budgétaire relative à l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA) sont exécutés à hauteur de 533 millions d'euros en CP, contre 395 millions d'euros prévus en loi de finances initiale.

En effet, ce dispositif a porté budgétairement, outre l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile, une partie significative du coût de l'hébergement des déplacés d'Ukraine bénéficiant de la protection temporaire. Ils ont essentiellement bénéficié d'un hébergement ad hoc, dans l'attente de leur accès à un logement ou à un autre type d'hébergement pérenne.

Au total, la surconsommation des crédits de l'HUDA, à savoir 138 millions d'euros en CP, représente 53 % de l'ensemble des crédits de la mission exécutés au-delà du montant de crédits initialement adoptés en loi de finances initiale (259,1 millions d'euros).

Plus généralement, au-delà de l'hébergement en HUDA, la sur-exécution des crédits liés à l'hébergement des demandeurs d'asile n'a pas suffi à atteindre les objectifs fixés en termes de places d'hébergement ouvertes au profit des demandeurs d'asile, seules 4 922 nouvelles places ayant été ouvertes en 2023 sur les 5 900 annoncées. La part des demandeurs d'asile hébergés s'établit ainsi fin 2023 à 61 %, en très légère hausse par rapport à 2022 (58 %), alors que l'objectif était fixé à 70 %. 21 % des places étaient par ailleurs occupées fin 2023 par des personnes qui ne devraient pas y résider (présence indue). Dans ce contexte, environ 12 000 demandeurs ont dû être intégrés au système d'hébergement d'urgence de droit commun, dépendant du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires ».


* 10 Données provisoires.

* 11 Cour nationale du droit d'asile.

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