II. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL : LA NÉCESSAIRE POURSUITE DES CHANTIERS ET PRIORITÉS IDENTIFIÉS DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES, MALGRÉ LE CONTEXTE BUDGÉTAIRE CONTRAINT

Trois chantiers prioritaires ont été identifiés par le rapporteur spécial lors de ses auditions : la mise en place du nouveau réseau de proximité de la direction générale des finances publiques (DGFiP), la résorption de la dette technologique des administrations et la lutte contre les flux illicites. Certains chantiers sont identifiés de longue date et se poursuivent, en respectant plus ou moins leur calendrier initial.

A. LA TRANSFORMATION DU RÉSEAU TERRITORIAL DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DES FINANCES PUBLIQUE EST EN COURS D'ACHÈVEMENT

1. Les trois volets de la réorganisation territoriale de la DGFiP

La transformation du réseau de la DGFiP comprend la mise en place du « nouveau réseau de proximité « (NRP), l'installation des conseillers aux élus locaux et la délocalisation de certains services des métropoles vers les villes moyennes.

a) Le déploiement du nouveau réseau de proximité est quasiment finalisé

La rationalisation du réseau territorial de la DGFiP, par le biais de fusions ou de suppressions, est en oeuvre depuis plusieurs années : le réseau déconcentré de l'administration fiscale a connu une importante perte de ses emprises, qui s'est traduite, entre 2015 et 2019, par une diminution de 17,1 % du nombre de services locaux de la DGFiP.

La méthode retenue a toutefois fait l'objet d'une inflexion en 2019, après plusieurs années de critiques de la part des élus locaux, des agents de l'administration, de la Cour des comptes et des parlementaires, notamment de la commission des finances. Ils estimaient que les suppressions et les fusions étaient faites « à vue », sans vision de long terme, au gré des résistances rencontrées sur place et sans projection sur les besoins et les effectifs.

Un processus de concertation a donc été lancé au début du mois de juin 2019 afin de définir, dans chaque département et par le biais d'une contractualisation, la nouvelle carte des implantations territoriales de la DGFiP. Réunissant les élus locaux, les directeurs départementaux des finances publiques et les préfets, il a mené à la mise en place du « nouveau réseau de proximité « (NRP), qui doit répondre à un double-objectif : poursuivre la rationalisation du réseau de la DGFiP, dont les métiers évoluent fortement, et renforcer la proximité de ces services publics. Le NRP ne se traduit pas pour autant par une interruption des fermetures de trésoreries ou de services d'impôt aux particuliers : le but n'est pas de préserver le réseau des sites permanents en l'état, mais de multiplier les points de contact à l'échelle d'un département.

Dans le cas du NRP, une charte est signée avec chaque département : elle décrit les services présents, y compris les conseillers aux décideurs locaux, les modalités de présence, l'offre de service, la contribution de la DGFiP au fonctionnement des accueils de proximité. Elle entérine également l'instauration d'un comité de suivi présidé par le directeur départemental des finances publiques et chargé de suivre la bonne application de ces dispositions.

Alors que la mise en place du NRP est supposée s'achever en 2026, la Cour des comptes a souligné, dans son rapport relatif à l'action de la DGFiP auprès du bloc communal remis en décembre 2023 à la commission des finances du Sénat8(*), qu'en dépit de l'ampleur de la restructuration, la DGFiP est en avance sur ses objectifs : 97,2 % du réseau cible devait ainsi être atteint à la fin de l'année 2023. Le nombre de services locaux devrait passer de 3 500 à 2 000 d'ici 2026, tandis que le nombre de communes disposant d'un point de contact « DGFiP » augmenterait de 1 977 à plus de 3 000. Cette évolution est principalement due à la présence de la DGFiP dans les espaces France services et en mairie.

Évolution du réseau déconcentré
de la DGFiP entre 2019 et 2026 (projection)

* Services des impôts des entreprises, services des impôts des particuliers, services de publicité foncière et d'enregistrement, pôles de recouvrement spécialisés et trésorerie « amendes ».

Source : commission des finances, d'après les données publiées par la Cour des comptes

b) Les conseillers aux décideurs locaux, des interlocuteurs essentiels pour les communes, mais des engagements non tenus quant à leur nombre

Le réseau des conseillers aux décideurs locaux (CDL), qui ont vocation à devenir les interlocuteurs privilégiés des ordonnateurs des collectivités territoriales, devait se déployer progressivement pour atteindre 1 200 CDL à la fin de l'année 2022. En 2022, 81 % des prestations des CDL ont ainsi été réalisées au profit de communes et 68 % au profit de communes de moins de 3 500 habitants. Or, alors que 1 200 conseillers étaient promis, la cible a été revue à la baisse, à 993 CDL, 917 conseillers étant déjà en poste au mois de décembre 2023.

Il est regrettable que le Gouvernement et la DGFiP n'aient pas tenu leurs engagements, alors même que ces conseillers jouent un rôle primordial auprès des plus petites collectivités, et en particulier auprès des communes rurales. Cela est d'autant plus curieux que le rapport de la Cour des comptes remis à la commission en décembre 2023 met en exergue un déséquilibre dans la répartition de la charge de travail entre les CDL. Alors que la DGFiP estimait qu'un conseiller aurait environ 73 comptes à sa charge, ce nombre est d'environ 46 en moyenne dans les départements de plus d'un million d'habitants et de 80 dans les départements de moins d'un million d'habitants.

Il ressort des auditions du rapporteur spécial sur ce PLF que, si la mise à contribution de la DGFiP au redressement des finances publiques ne devrait pas se traduire par une réduction du nombre de conseillers, le contexte budgétaire particulièrement contraint rend assez peu probable une réévaluation à la hausse de la cible de déploiement des CDL à moyen terme.

c) La délocalisation de certains services, une finalisation en vue pour 2026

Auparavant dénommée « démétropolisation », la relocalisation de certains services publics des métropoles vers les territoires périurbains et ruraux a été inscrite comme un objectif prioritaire à l'issue du quatrième comité interministériel de la transformation publique, le 15 novembre 20199(*). Si l'ensemble des administrations de l'État sont concernées, la DGFiP devrait être le contributeur le plus important à ce processus : 2 600 agents seront concernés, sur un objectif total de 6 000 emplois d'État transférés. Au total, 66 communes ont été sélectionnées à la suite d'un appel à candidature national. Elles ont vocation à accueillir, entre 2021 et 2026, 74 nouveaux services dans 57 départements.

La mise en place des services est progressive : démarrée en 2021, elle s'organise jusqu'en 2026, en prenant en compte les départs « naturels » des agents (départs à la retraite, mutation ou promotion) de leur service d'origine, dans le respect du principe du volontariat pour les agents.

Après quelques délais dans la mise en oeuvre de la relocalisation des services publics, le déploiement s'avère finalement plus dynamique qu'anticipé - les efforts de la DGFiP en ce sens doivent être salués. Ainsi, au 30 septembre 2024, près de 2 300 emplois sont déjà implantés, ce qui représente 85 % des emplois cible prévus à l'horizon 2026. En 2025, 106 emplois seraient concernés, ainsi que 231 en 2026, soit au total 2 633 personnes. La DGFiP aurait donc tenu ses engagements.

Nombre de services et d'emplois délocalisés

Aucune relocalisation de service ou commune n'est prévue en 2025 et 2026 : les emplois créés ont vocation à soutenir la consolidation des services existants.

Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur spécial par la direction générale des finances publiques dans les réponses au questionnaire budgétaire

Les principaux services concernés par la relocalisation sont des services d'impôt pour les entreprises et des centres d'appels, ainsi qu'une vingtaine de services d'appui à la publicité foncière, qui traiteront à distance une partie de l'activité des services de publicité foncière des grandes villes afin de les désengorger. La création de centres d'accueil téléphonique est tout à fait bienvenue pour pallier les effets de la dématérialisation croissante des démarches sur certains publics vulnérables ou dont la situation ne correspond pas aux situations les plus communes.

2. La nécessité de garantir un accueil physique de qualité, en particulier pour les populations éloignées du numérique

Certains de nos concitoyens, éloignés du numérique, sont aujourd'hui dans l'incapacité d'effectuer leurs démarches par internet, tandis que les services sont parfois difficilement joignables par téléphone : dans ce contexte, il est impératif de conserver un accueil physique des contribuables, avec une haute qualité de service. Sept millions de personnes ont été accueillies aux guichets des services déconcentrés de la DGFiP en 2023, alors que le prélèvement à la source et la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales avaient conduit à anticiper une baisse de la fréquentation.

Ce chiffre, très élevé, s'explique aussi par les inquiétudes suscitées par la nouvelle obligation déclarative sur le service en ligne « Gérer mes biens immobiliers GMBI », ce qui a de nouveau illustré la crainte que peut susciter, chez une partie de nos concitoyens, des démarches entièrement dématérialisées, à réaliser sans l'appui d'un accompagnement personnalisé10(*).

Le service en ligne « Gérer mes biens immobiliers »

GMBI est un service en ligne pour les usagers particuliers comme professionnels et offrant une vision d'ensemble des propriétés bâties sur lesquelles l'usager détient un droit. Les contribuables ont eu l'obligation, au premier semestre 2023, de déclarer l'occupation de tous leurs locaux d'habitation, soit près de 33 millions de biens.

Face aux difficultés et interrogations suscitées par cette obligation déclarative, la date limite a été décalée à deux reprises, du 31 juillet au 1er août puis au 10 août. L'administration fiscale avait également annoncé qu'elle ferait preuve de « bienveillance » envers les retardataires de bonne foi, s'agissant d'une nouvelle obligation.

La DGFiP a reconnu que le retour d'expériences était « mitigé », du fait des incompréhensions autour de cette nouvelle obligation déclarative. Beaucoup de contribuables se sont ainsi inquiétés des conséquences de cette obligation et, pour la première fois en six ans, le nombre de personnes se déplaçant dans un centre des impôts a augmenté. La DGFiP a convenu d'un passage « difficile », tant pour les agents que pour les contribuables

Source : commission des finances, d'après les informations transmises en audition et en réponse au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial

Il est important de rappeler que, selon la Défenseure des droits, 13 millions de personnes connaissent des difficultés d'accès aux services numériques, un nombre qui stagne depuis 2019, « les laissés pour compte de la dématérialisation étant toujours aussi nombreux »11(*). Il est par exemple paradoxal que le Gouvernement, pour vanter l'accessibilité des services publics, enjoigne aux usagers de consulter des cartes dématérialisées des points d'accueil de proximité ou des espaces France services. A cet égard, le rapporteur spécial ne peut que partager la recommandation de la Cour des comptes12(*) appelant à compléter les outils de recensement de la satisfaction des usagers avec des enquêtes permettant de mesurer les difficultés d'accès de certaines populations éloignées des outils dématérialisés.

À cet égard, la participation de la DGFiP aux espaces France services apparaît cruciale pour continuer d'accompagner les populations les plus fragiles, celles qui sont éloignées du numérique ou encore les contribuables dont la situation fiscale ne rentre pas dans les dispositifs de déclaration « standards ». Le rapporteur spécial soutient donc pleinement la recommandation de la Cour des comptes13(*) appelant la DGFiP à conforter sa participation à ces espaces, dans une démarche de mutualisation des moyens, et en étant attentif aux besoins exprimés.

Contribution de la DGFiP aux espaces France services

Le financement des dispositifs France services repose sur plusieurs opérateurs. La DGFiP y contribue à hauteur de 13,8 % de l'enveloppe totale, pour 11 % environ des sollicitations d'usagers. En absolu, sa contribution progresse, puisqu'elle est passée de 4,6 millions d'euros en 2022 à 5,1 millions d'euros en 2023, avec une projection à 7,4 millions d'euros en 2026.

Source : enquête de la Cour des comptes

Un tiers des communes considère que la participation de la DGFiP aux espaces France services est encore insuffisante. Ces espaces permettent pourtant de ramener les services publics au plus près de la population et de la vie quotidienne de nos concitoyens, un enjeu primordial pour remédier aux fractures territoriales.


* 8 Cour des comptes, L'action de la direction générale des finances publiques auprès du bloc communal,

décembre 2023, rapport remis au Sénat en application de l'article 58°2 de la loi organique relative aux

lois de finances.

* 9 Il reprenait un engagement du président de la République au mois d'avril 2019, à l'issue des conclusions du grand débat national.

* 10 Outre l'augmentation du nombre de personnes s'étant rendues dans un guichet de la DGFiP, les sollicitations adressées à la DGFiP au sein des espaces France services ont également augmenté sur les neuf premiers mois de l'année 2023 (768 000 contacts, contre 225 000 demandes pour toute l'année 2022).

* 11 Défenseur des droits, «  Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ? », février 2022.

* 12 Cour des comptes, L'action de la direction générale des finances publiques auprès du bloc communal, décembre 2023, rapport remis au Sénat en application de l'article 58°2 de la loi organique relative aux lois de finances.

* 13 Ibid.

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