II. LA SANCTUARISATION DES MOYENS DÉDIÉS À L'AIDE ALIMENTAIRE DANS UN CONTEXTE DE PERSISTANCE DE LA PRÉCARITÉ
A. UNE HAUSSE DE L'INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE, QUANTITATIVE COMME QUALITATIVE, CES DERNIÈRES ANNÉES
Dans la période récente, on assiste à une forte aggravation de la précarité alimentaire en France. Avec la crise inflationniste en particulier, les associations entendues par les rapporteurs spéciaux avaient notamment indiqué, en plus de la hausse de la fréquentation de leurs dispositifs, avoir remarqué une évolution inquiétante des profils des personnes s'y présentant.
Insécurité alimentaire, lutte contre
la précarité alimentaire
et aide alimentaire
L'insécurité alimentaire est une notion utilisée dans les enquêtes statistiques. Elle renvoie au manque de moyens pour acheter de la nourriture, pour faire des repas équilibrés, pour manger à sa faim, ou encore à l'obligation de sauter des repas ou de manger moins par manque d'argent. Toutes les personnes en situation d'insécurité alimentaire ne font pas systématiquement appel à l'aide alimentaire.
La lutte contre la précarité alimentaire, au sens de l'article L. 266-1 du code de l'action sociale et des familles, vise à favoriser l'accès à une alimentation sûre, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante aux personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale. Elle mobilise l'État et ses établissements publics, les collectivités territoriales, les acteurs économiques, les associations, dans le cadre de leur objet ou projet associatif, ainsi que les centres communaux et intercommunaux d'action sociale, en y associant les personnes concernées. L'aide alimentaire constitue le principal dispositif de lutte contre la précarité alimentaire.
L'aide alimentaire, au sens de l'article L. 266-2 du même code a pour objet la fourniture de denrées alimentaires aux personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale, assortie de la proposition d'un accompagnement. Elle est principalement mise en oeuvre par des associations habilitées ainsi que par les épiceries sociales. Le fonctionnement de ces structures repose sur des moyens privés (dons en nature et numéraires des particuliers et entreprises), des financements publics (aides européennes, dépenses budgétaires de l'État et des collectivités territoriales, dépenses fiscales), et l'action bénévole de leurs membres.
Source : commission des finances du Sénat
Ainsi, l'association nationale des épiceries solidaires (ANDES) a indiqué que le nombre de clients bénéficiaires fréquentant les épiceries solidaires de son réseau était passé de 170 000 personnes en 2019 à 230 000 personnes en 2023 - avec probablement une nouvelle hausse moins marquée en 2024 jusqu'à 250 000 personnes - soit une hausse de 50 % en cinq ans.
Les Restos du Coeur ont également constaté, sur l'exercice 2023-2024, un nombre de 1,3 million de personnes accueillies et 163 millions de repas servis (contre 171 mililions l'année dernière et « seulement » 142 millions il y deux ans) dans leurs réseau. Le constat est le même chez les Banques alimentaires, leur fédération (FFBA) indiquant une hausse de 20 % du recours à l'aide alimentaire depuis 2023, pour près de 2,4 millions de personnes.
Concernant le profil des bénéficiaires, il a fortement évolué entre 2021 et 2023, avec de façon inquiétante une hausse de la part des actifs, y compris de salariés en contrat à durée indéterminée (CDI). Si le profil des bénéficiaires a peu évolué en 2024, la FFBA note tout de même que certaines catégories de bénéficiaires sont particulièrement impactées, notamment les jeunes de 15 à 25 ans (qui représentent 22 % des personnes accueillies, contre 19 % en 2018) et les très jeunes enfants (157 581 enfants de 0 à 3 ans, soit 15 % d'augmentation depuis 2022.
Les associations ont également indiqué constater une hausse de la précarité alimentaire « qualitative », c'est-à-dire des personnes déclarant ne pas manger les produits qu'ils souhaiteraient faute de moyens.
Évolution du sentiment de restriction sur
le budget alimentaire
dans la population générale
Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport du CRÉDOC précité
Cette question, qui rejoint de nombreux enjeux de santé publique (71 % des bénéficiaires de l'aide alimentaire déclarent au moins un problème de santé lié à l'alimentation surpoids, obésité, des problèmes cardiovasculaires, diabète) est désormais de plus en plus traitée par les associations.