B. L'AIDE ALIMENTAIRE : DES CRÉDITS PRÉSERVÉS DES COUPES BUDGÉTAIRES ET MÊME EN LÉGÈRE HAUSSE

1. Abondés en urgence fin 2023 et intouchés par les coupes budgétaires de 2024, les crédits de l'aide alimentaire progresseraient légèrement en 2025
a) L'enveloppe dédiée à l'aide alimentaire, augmentée fin 2023, semble avoir été sanctuarisée en 2024

Fin 2023, l'augmentation de l'insécurité alimentaire, principalement due au renchérissement du coût de la vie durant la crise inflationniste, a placé les associations d'aide alimentaire dans une situation qu'elles qualifient parfois « d'équation insoluble »17(*).

On observait alors un accroissement considérable des besoins en matière d'aide alimentaire. L'inflation sur les dépenses alimentaires touchant davantage les ménages les plus modestes18(*), un nombre plus important d'entre eux peut basculer dans la précarité alimentaire et recourir plus fortement à l'aide alimentaire, conduisant à une augmentation de l'ordre de 25 % de la file active des associations. D'autre part, le coût des denrées avait fortement crû19(*), ce qui a particulièrement affecté les associations dont l'approvisionnement s'appuie en grande partie sur les achats, comme le Restos du Coeur, qui avait annoncé des restrictions inédites des critères d'éligibilité à leur aide alimentaire.

Ainsi, la loi de finances de fin de gestion pour 202320(*) a prévu d'abonder les crédits à destination de l'aide alimentaire de 40 millions d'euros - dont la moitié à l'initiative du Sénat. Ces crédits, ouverts en fin d'exercice 2023, ont été reportés sur l'exercice 2024 pour soutenir les associations. Conformément au souhait des associations, ces crédits ont été budgétés au sein d'une enveloppe nationale. Les Restos du Coeur ont toutefois signalé aux rapporteurs spéciaux que ces crédits exceptionnnels n'étaient pas encore entièrement décaissés.

Ils réitèrent donc les recommandations de leur rapport d'information de 202321(*) pour remédier à la tardiveté de versements dus aux associations subventionnées par la mission.

Malgré les annulations, gels et « surgels » de crédits décidées à compter de février 202422(*), les crédits dédiés à l'aide alimentaire semblent avoir été préservés. En effet, les associations d'aide alimentaire entendues par les rapporteurs spéciaux ont indiqué ne pas avoir été affectées par les restrictions budgétaires.

b) Une hausse modeste des crédits prévus pour 2025, qui permet le financement de mesures nouvelles

Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit d'ouvrir 147,4 millions d'euros de crédits sur l'action n° 14 « Aide alimentaire » du programme 304, soit une progression de 3,4 % par rapport à la LFI 2024.

Évolution des crédits nationaux en faveur de l'aide alimentaire
entre la LFI 2024 et le PLF 2025

(en millions d'euros)

 

LFI 2024

PLF 2025

Évolution

P.304 - Action 14

142,5

147,4

+ 3,4 %

dont contribution nationale au FSE +

11,7

11,7

+ 0,0 %

Prise en charge des dépenses inéligibles au titre des exercices précédents

24,5

10,6

- 56,7 %

(exercices 2021 et 2022)

(exercices
2022 et 2023)

 

dont épiceries sociales

9,1

11,1

+ 22,0 %

dont subventions aux têtes de réseau associatives nationales

5,0

11,2

+ 124,0 %

dont aide alimentaire déconcentrée

19,3

19,3

+ 0,0 %

dont subvention pour charge de service public à FranceAgriMer

2,9

3,5

+ 20,7 %

dont Fonds pour les nouvelles solidarités alimentaires et Programme "Mieux manger pour tous"

70,0

80,0

+ 14,3 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Cette hausse est bien plus modeste que la hausse proposée dans la LFI pour 2023 (+ 21,6 %). Elle dissimule toutefois des avancées notables. En effet, alors que dans le PLF pour 2024 l'augmentation des crédits était particulièrement sensible s'agissant de la participation de l'État aux refus d'apurement au titre du FEAD (+ 14,3 millions d'euros)23(*), cette dépense connait une importante diminution dans le PLF pour 2025 (- 13,9 millions d'euros).

La diminution des refus d'apurement, qui traduit la diminution des montants des remboursements demandés à l'Union européenne avec la transition du FEAD au FSE +, permet en compensation de poursuivre l'augmentation de crédits réellements affectés à la lutte contre la précarité alimentaire. Ainsi :

- les subventions nationales aux associations « tête de réseau » augmentent de 6,1 millions d'euros, traduisant la mise en place du plan « urgence premiers pas » visant à distribuer des produits alimentaires (3 millions d'euros) et des produits d'hygiène (3 millions d'euros) infantiles ;

- la hausse de 2 millions d'euros des crédits nationaux aux épiceries solidaires (CNES), décidée à l'initiative du Sénat dans le cadre du PLF pour 2024, est pérennisée ;

- le programme « Mieux manger pour tous » (MMPT) poursuit sa progression, avec une hausse de 10 millions d'euros par rapport à 2024.

c) Une fois passée l'urgence du pic inflationniste, la pertinence du programme « Mieux manger pour tous » apparaît mieux établie

Le programme « Mieux manger pour tous », qui s'inscrit dans le « Pacte des solidarités », a été doté de 70 millions d'euros en 2024 après 60 millions d'euros en 2023. Il est distribué en deux volets : un volet national visant à accroître l'offre de denrées plus saines, durables et locales par les associations « têtes de réseau », qui représentait initialement deux tiers des montants distribués, et un volet local visant à développer la couverture des zones blanches où l'offre d'aide alimentaire est limitée, initialement doté d'un tiers de ces montants.

En 2024, les crédits supplémentaires annoncés dans le Pacte des solidarités, à hauteur de 10 millions d'euros, ont permis d'accroître le volet local du programme « Mieux manger pour tous ». Or, si les associations ont uniformément jugé que le bilan du programme « Mieux manger pour tous » est, à ce stade, satisfaisant, l'attribution des subventions au titre du volet local programme « Mieux manger pour tous » par le biais d'appels à projets (AAP) a plus fait l'objet de critiques de la part des acteurs associatifs. Ils demandent ainsi que la nouvelle augmentation des crédits du programme, de 10 millions d'euros pour 2025, soit fléché vers son volet national, qui prévoit une répartition entre acteurs engagés liés par une convention pluriannuelle avec l'État, sans appel à projets et avec célérité.

Répartition des crédits du programme « Mieux manger pour tous »
entre 2023 et 2025

(en millions d'euros)

 

LFI 2023

LFI 2024

PLF 2025

dont volet national

40

40

40

dont volet local

20

30

40

Programme Mieux manger pour tous

60

70

80

Source : commission des finances du Sénat, d'après la DGCS

Comme l'avaient écrit les rapporteurs dans leur rapport sur le projet de loi de finances pour 2023, la logique d'appels à projet conduit à alourdir la charge d'ingénierie des associations alors même qu'elles exercent déjà dans un contexte très tendu. Ce sont au contraire les situations où l'attribution des fonds est réalisée de gré à gré que les associations semblent plébisciter.

Passée l'urgence liée à la crise inflationniste, les acteurs associatifs se sont montré plutôt laudateurs du programme « Mieux manger pour tous » : de l'avis général - et aux yeux des rapporteurs spéciaux - il s'agit là d'une initiative louable et positive pour transformer structurellement et sur le long-terme l'offre d'aide alimentaire, particulièrement dans un contexte de maintien de la précarité alimentaire en conjonction avec de forts besoins d'éducation à la nutrition24(*).

2. La gestion des fonds européens gagne en efficacité, bien que des difficultés demeurent
a) Une sur-programmation des crédits européens pour compenser leur érosion du fait de l'inflation

Pour la programmation 2022-2027, le fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD) a été intégré au nouveau Fonds social européen plus (FSE +). La France a ainsi reçu une dotation de 647 millions d'euros dans le cadre du nouveau FSE +, contre 587 millions d'euros pour la campagne 2014-2020 du FEAD.

Entre 2020 et 2022, le FEAD français s'est également vu allouer 132 millions d'euros de crédits financés à 100 % par l'UE, dans le cadre de l'initiative React-EU, permettant à l'opérateur FranceAgriMer (FAM), en charge de la passation des marchés d'achats publics de denrées pour le compte des associations d'aide alimentaire éligibles au FSE +, d'effectuer des achats complémentaires de denrées.

Les rapporteurs spéciaux ne peuvent que se féliciter de l'important effort national et européen annoncé en faveur de l'aide alimentaire pour la programmation 2022-2027. Toutefois, la programmation a été adoptée avant la poussée inflationniste qui a débuté fin 2021.

Programmation 2022-2027 du FSE + pour l'aide alimentaire

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

En termes réels, la dotation annuelle diminuerait donc de 23 % à l'horizon 2027 d'après les hypothèses d'inflations figurant au rapport économique, social et financier (RESF) annexé au présent projet de loi de finances, diminuant donc d'autant les quantités de denrées pouvant être achetées. Cette estimation actualisée prend en compte les données sur l'inflation à date ; on constate donc une érosion plus importante que celle estimée l'année précédente (« seulement » 12 %).

Si le programme React à permis de compenser partiellement cette érosion durant le pic de la crise inflationniste, il a depuis pris fin. De même, l'évolution du programme « Mieux manger pour tous » ne permets que d'atténuer la diminution en termes réels des crédits européens.

Enfin, l'accès aux fonds européens est encore, comme l'ont à de multiples reprise relevé les rapporteurs spéciaux25(*) trop souvent obéré par un cadre normatif excessivement contraignant. Les contrôles de conformité aux normes européennes aboutissent à ce que d'importants montants engagés par FranceAgriMer soient rendus inéligibles au financement FSE +, devant en conséquence faire l'objet d'une compensation par l'État. Ces situations, dites « d'auto-apurement », connaissent une baisse importante, puisque les montant compensés par l'État passeraient de 24,5 millions d'euros en 2024 à 10,6 millions d'euros en 2025 (- 56,7 %). Les irrégularités en cause sont généralement imputables à des erreurs d'ordre logistique.

Il est à espérer que cette diminution, mécaniquement liée à la transition entre le programme FEAD et le FSE +, se poursuive avec la mise en place d'une nouvelle autorité de certification dans ce nouveau cadre.

Pour faire face à la diminution des crédits européens liés à l'érosion monétaire, et compte tenu des sous-consommations régulières des crédits européens du fait des montants non négligeables faisant l'objet de refus d'apurement, l'administration s'est résolu à « sur-programmer » l'aide versée au titre du FSE+. Concrètement, l'administration prévoit chaque année de consommer 20 millions d'euros supplémentaires pour limiter l'impact de leur sous-consommation prévisible.

Ce véritable « sur-booking budgétaire », comme il a été malicieusement désigné par les associations auditionnées, devrait permettre de solliciter jusqu'à 80 millions d'euros de crédits européens sur quatre ans. Les rapporteurs spéciaux se montreront toutefois vigilants à la potentielle hausse des refus d'apurement qui pourrait résulter de cette sur-programmation.

b) Les mesures de résilience prises par FranceAgriMer commencent à porter leurs fruits, mais les difficultés liées à la gestion des fonds européens demeurent

Entendu par les rapporteurs spéciaux, l'opérateur FranceAgriMer a fait le point sur ses difficultés d'approvisionnement du fait des marchés infructueux - soit des marchés n'ayant fait l'objet d'aucune offre ou ayant fait l'objet de demandes de résiliation pour force majeure par les fournisseurs sélectionnés, finalement dans l'incapacité d'honorer leurs livraisons. Ce phénomène, qui avait connu son apogée en 2022 avec les tensions géopolitiques et la guerre en Ukraine, est désormais moins prévalent. Pour s'en prémunir, FranceAgriMer a en effet mis en oeuvre plusieurs leviers :

- la passation de marchés pluriannuels assortis de clauses de révision annuelles, destinés à donner de la visibilité aux fournisseurs comme à l'ensemble des réseaux associatifs - ces marchés concernent actuellement cinq types de produits ;

la dissociation entre les marchés d'achat et de logistique, qui ont permis, avec des résultats salués par l'ensemble des parties prenantes, de renforcer la sécurité juridique de ces marchés - avec l'appui d'un logisticien recruté grâce à une hausse de la subvention pour charges de service public versée à l'opérateur ;

- la réalisation de marchés multiattributaires, c'est-à-dire de marchés pour lesquels plusieurs offres sont retenues pour fournir le même type de produit et pour lesquels les fournisseurs ne doivent eux-même pas recourir au même site de fabrication.

Si aux dires de FranceAgriMer la problématique des lots infructueux s'est résorbée avec le passage du pic inflationniste, l'opérateur est désormais confronté à de nouvelles difficultés en termes budgétaires et en termes d'effectifs. En effet, la gestion du FSE+ mobilise, selon FranceAgriMer, 25 ETP, un niveau que la subvention pour charges de service public (SCSP) de l'opérateur (2,9 millions d'euros) ne permet pas de couvrir. La nécessité de constituer de nouvelles équipes, notamment pour développer le sourcing des produits, explique l'augmentation de la SCSP de FranceAgriMer, portée à 3,5 millions d'euros (+ 20,6 %) dans le PLF pour 2025.

Surtout l'opérateur est confronté à d'importantes difficultés budgétaires liées à la tardiveté des remboursements dus au titre du FSE+. Ne pouvant obtenir de paiement de l'administration, l'opérateur s'est résolu à mobiliser un financement auprès de l'Agence France Trésor, aux conditions du marché. Se sont ainsi 220 millions d'euros qui ont été empruntés par FranceAgriMer depuis le début du programme FSE+.


* 17 « Conventions entre l'État et les associations : des relations à rééquilibrer », Rapport n° 757 (2022-2023) fait par MM. Arnaud Bazin et Eric Bocquet au nom de la commission des finances du Sénat - 21 juin 2023.

* 18 Note de conjoncture INSEE : « L'alimentation - comme l'ensemble des dépenses peu compressibles - pèse davantage dans le budget des ménages les plus modestes (18 à 19 % du budget pour les 40 % des ménages les plus modestes) que dans celui des plus aisés (14 % du budget pour les 20 % des ménages les plus aisés), et ce quelles que soient leurs autres caractéristiques sociodémographiques. »

* 19 Selon l'Insee, les prix de l'alimentation avaient augmenté sur un an de 13,7 % en juin 2023, après avoir atteint + 14,3 % en mai 2022.

* 20 Loi n° 2023-1114 du 30 novembre 2023 de finances de fin de gestion pour 2023

* 21 « Conventions entre l'État et les associations : des relations à rééquilibrer », rapport cité.

* 22 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 23 Ces dépenses visent à permettre à FranceAgriMer de rembourser ses emprunts non couvert par les fonds européens, faute de certification.

* 24 CRÉDOC, BLEHAUT, Marianne, GRESSIER, Mathilde, et PAQUET, Nolwenn. « La précarité alimentaire, en hausse, est liée à moins de diversité dans l'alimentation. » Cahier de recherche N  C357, Décembre 2023

* 25 « Aide alimentaire : un dispositif vital, un financement menacé ? Un modèle associatif fondé sur le bénévolat à préserver », rapport d'information d'Arnaud Bazin et Éric Bocquet, fait au nom de la commission des finances du Sénat octobre 2018.

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