C. UNE FIN DE GESTION MANQUANT DE LISIBILITÉ ET QUI POURRAIT NE PAS GARANTIR LE FINANCEMENT DE L'ENSEMBLE DES SURCOÛTS POUR 2024

La fin de gestion constitue traditionnellement un enjeu important pour la mission, en ce qu'elle implique de traiter le financement des surcoûts auxquels les armées sont amenées à faire face au titre de leurs engagements opérationnels. Des dispositions spécifiques sont prévues en LPM à cet égard (voir encadré), afin de ne pas faire assumer à la seule mission « Défense » les surcoûts liés aux engagements opérationnels menés pour le compte de la France.

Les dispositions relatives au financement des surcoûts prévus
par la LPM 2024-2030

Cinq types principaux de surcoûts éventuels peuvent apparaître en gestion au titre des engagements opérationnels des armées. La LPM 2024-2030, comme la précédente, prévoit plusieurs dispositifs relatifs à leur financement.

1. Les opérations extérieures et les missions intérieures

L'article 5 de la LPM 2024-30 établit une provision annuelle au titre des opérations extérieures (OPEX) et des missions intérieures (MISSINT). Contrairement à celle qui était prévue par la précédente LPM, cette provision intègre les crédits de masse salariale. Son montant est fixé à 750 millions d'euros pour 2025 (et ce chaque année jusqu'en 2030), contre 800 millions d'euros cette année et 1,1 milliard d'euros en 2023. Cette baisse importante résulte du désengagement opérationnel partiel des forces françaises de la bande sahélo-saharienne.

Toutefois, « en gestion, les surcoûts des opérations extérieures et des missions intérieures, nets des remboursements des organisations internationales, non couverts par cette provision font l'objet d'un financement interministériel. » étant précisé que la « participation de la mission « Défense » à ce financement interministériel ne peut excéder la proportion qu'elle représente dans le budget général de l'État. » En outre, si « le montant des surcoûts nets ainsi défini est inférieur à la provision, l'excédent constaté est maintenu au profit de la mission « Défense » ».

2. Les opérations de renforcement du flanc oriental de l'OTAN en Europe

Les missions menées par les armées françaises depuis février 2022 au titre du renforcement du flanc oriental de l'OTAN (missions AIGLE en Roumanie et LYNX en Estonie, missions aériennes et navales dans plusieurs pays d'Europe), qui ne relèvent pas stricto sensu d'« opérations extérieures », génèrent également des surcoûts importants ayant vocation à être traités dans le cadre des schémas de fin de gestion. La LPM ne comporte toutefois pas de disposition explicite en ce sens.

3. L'effort national de soutien à l'Ukraine

L'article 4 de la LPM 2024-2030 prévoit que s'ajoutent aux ressources prévues au titre de la programmation celles nécessaires au financement de l'effort national de soutien à l'Ukraine, en précisant que celles-ci « concernent notamment le financement de contributions à la Facilité européenne pour la paix, des recomplètements nécessaires, en cas de cessions d'équipements ou de matériels, à la préservation intégrale du format des armées prévu par la programmation [...] ou d'aides à l'acquisition de matériels ou de prestations de défense et de sécurité. Ces moyens seront déterminés en loi de finances de l'année ou en exécution, en cohérence avec l'évolution du contexte géopolitique et militaire ».

4. Le remplacement de matériels prélevés sur les parcs des armées au titre du soutien à l'exportation

Le même article de la LPM 2024-2030 prévoit également qu'« en cas de prélèvement d'équipements ou de matériels sur les parcs des armées au titre du soutien à l'exportation, s'ajouteront les ressources nécessaires au financement des recomplètements nécessaires à la préservation intégrale du format des armées prévu par la programmation militaire présentée dans le rapport annexé à la présente loi. Ces moyens seront déterminés en loi de finances de l'année ou en exécution ».

5. Les énergies opérationnelles

L'article 6 de la LPM 2024-2030 prévoit qu'« en cas de hausse du prix constaté des énergies opérationnelles, la mission « Défense » bénéficiera de mesures financières de gestion, si nécessaire par ouverture de crédits en loi de finances rectificative et en loi de finances de fin de gestion ».

Source : commission des finances du Sénat

Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, les surcoûts au titre des OPEX et MISSINT sont estimés à ce stade à 1,3 milliard d'euros en 2024 (hors dépenses liées à la crise en Nouvelle-Calédonie), soit un montant similaire à 2023 (1,351 milliard d'euros). Par rapport à l'année dernière, la baisse des dépenses des OPEX (causée par la réorganisation du dispositif en Afrique) serait compensée par la hausse de celles liées aux missions intérieures générées par la contribution des armées à la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP).

S'y ajoutent les autres surcoûts, dont les montant n'ont pas été communiqués par le ministère des armées au rapporteur spécial, en raison du fait qu'ils « restent à consolider et sont encore susceptibles d'évoluer compte tenu de l'instabilité du contexte géopolitique23(*) ». Sont concernés en particulier cette année24(*) :

le soutien direct à l'Ukraine, correspondant aux recomplètements liés à des cessions d'équipements, aux actions de formation des forces ukrainiennes et à la contribution nette à la facilité européenne pour la paix (FEP). Le montant estimé des dépenses serait en hausse par rapport à 2023 en raison d'une augmentation des coûts liés aux recomplètements de cessions25(*) ;

les opérations de renforcement du flanc oriental de l'OTAN en Europe (missions AIGLE et LYNX, déploiements aériens et navals) ;

- l'appui des forces armées aux forces de sécurité intérieure et civiles en Nouvelle-Calédonie.

Pour faire face à l'ensemble des surcoûts, comme chaque année, le projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) pour 2024 prévoit l'ouverture de crédits « frais ». 160 millions d'euros sont ainsi ouverts au titre des dépenses de personnel (en AE et CP sur le programme 212 « Soutien de la politique de la défense ») et 677 millions d'euros au titre des autres types de dépenses (programme 178 « Préparation et emploi des forces »), soit 837 millions d'euros au total. Selon ledit projet de loi, ces crédits ont vocation à couvrir les surcoûts liés aux OPEX, aux JOP, aux déploiements sur le front oriental de l'OTAN, aux interventions en Nouvelle-Calédonie et au soutien à l'Ukraine. Ils se cumulent à la provision de 800 millions d'euros au titre spécifiquement des OPEX et des MISSINT, ce qui porte les crédits disponibles pour couvrir les surcoûts sur l'ensemble de l'année à 1 637 millions d'euros.

S'y ajoutent deux financements complémentaires exceptionnels : d'une part, une économie liée à un moindre inflation pour la mission en 2024 (estimée à 600 millions d'euros) et, d'autre part, les ressources tirées du produit des avoirs russes gelés (estimées à 300 millions d'euros)26(*). Cette économie et ces ressources complémentaires sont affectées à l'aide à l'Ukraine. Au total, 2 537 millions d'euros seraient ainsi disponibles pour financer les surcoûts de 2024.

Financements ou économies dédiés au financement des surcoûts pour 2024

Type de financement ou d'économie

Montant

(en millions d'euros)

Provision initiale au titre des OPEX et MISSINT

800

Crédits ouverts par le PLFG au titre des surcoûts de 2024 (OPEX, JOP, déploiements sur le front oriental de l'OTAN, Nouvelle-Calédonie et Ukraine)

837

Total (crédits)

1 637

Économie liée à un moindre coût des facteurs en 2024, affectée à l'aide à l'Ukraine

600

Ressources liées au produit des avoir russes gelés, affectées à l'aide à l'Ukraine

300

Total (crédits, économies et ressources complémentaires)

2 537

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du ministère des armées au questionnaire du rapporteur spécial

Ne disposant pas d'un chiffrage de l'ensemble des surcoûts pour 2024, le rapporteur spécial n'est pas en mesure d'établir si les financements ouverts à cet effet sont suffisants pour les couvrir.


* 23 Réponse du ministère des armées au questionnaire du rapporteur spécial.

* 24 Les énergies opérationnelles ne donnent pas lieu à un surcoût en 2024. Par ailleurs, le rapporteur spécial ne dispose pas d'informations sur le remplacement d'éventuels matériels prélevés sur les parcs des armées au titre du soutien à l'exportation.

* 25 Réponse du ministère des armées au questionnaire du rapporteur spécial.

* 26 Idem.

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