B. UN RÉGIME ÉLECTORAL SPÉCIFIQUE QUI FAIT L'OBJET DE CRITIQUES ET QUE LES AUTEURS DE LA PROPOSITION DE LOI SE PROPOSENT DE RÉFORMER POUR FAIRE ENTRER PARIS, LYON ET MARSEILLE DANS LE DROIT COMMUN

1. Le mode de scrutin en vigueur à Paris, Lyon et Marseille fait l'objet de vives critiques tenant principalement à son supposé déficit démocratique

Le mode de scrutin applicable à Paris, Lyon et Marseille fait l'objet de plusieurs critiques, mises en avant dans l'exposé des motifs de la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du Conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille, déposée par les députés Sylvain Maillard, David Amiel, Olivia Grégoire et Jean Laussucq.

a) Une « anomalie démocratique », qui peut conduire à l'élection d'un maire avec une minorité de secteurs ou avec une minorité de voix à l'échelle de la ville

En premier lieu, ce mode de scrutin spécifique constituerait « une anomalie démocratique », en ce qu'il permet théoriquement à un maire d'être élu avec une minorité de voix à l'échelle de la commune.

Ce cas s'est par exemple produit lors des élections municipales à Marseille en 1983, lors desquelles Gaston Defferre a été élu maire de Marseille, avec une minorité de voix à l'échelle de Marseille. Comme précisé par la direction des missions de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur (DMATES), « lors des élections municipales de 1983, la gauche menée par Gaston Defferre obtient la majorité au conseil municipal de Marseille alors même qu'à l'échelle de la commune, son opposant Jean-Claude Gaudin a obtenu davantage de suffrages en cumulant les résultats du premier et second tours (179 098 voix contre 176 601 voix). »

En effet, dans chacune des trois villes, les arrondissements n'envoient pas tous le même nombre de membres au conseil municipal.

En raison de cette situation, un maire peut théoriquement être élu avec une minorité de secteurs ou avec une minorité de voix. À titre d'exemple, à Paris - où il faut obtenir 82 des 163 sièges du conseil de Paris pour pouvoir être élu maire - un maire peut théoriquement être élu en ne remportant que les six secteurs disposant du plus grand nombre de sièges au conseil de Paris28(*). Comme l'a résumé Rachida Dati, maire du 7e arrondissement de Paris, « faire basculer un ou deux arrondissements permet de gagner Paris et le maire de Paris peut être élu tout en étant minoritaire en nombre de voix ».

Selon l'ancien député Éric Diard, auteur d'une proposition de loi permettant l'élection au suffrage universel direct des membres du Conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille, déposée le 15 septembre 2020, cette possibilité favoriserait « les campagnes électorales fondées sur la stratégie géographique plutôt qu'essayer de convaincre les électeurs ».

b) Un mode de scrutin qui conduirait à discriminer certains arrondissements au cours du mandat

En deuxième lieu, ce régime électoral particulier conduirait à discriminer certains arrondissements à travers les politiques conduites par la mairie centrale.

Selon Sylvain Maillard, entendu par la rapporteure, « on privilégie les arrondissements dans lesquels on est élu à travers les politiques mises en oeuvre ». Autrement dit, les arrondissements dirigés par un maire d'arrondissement appartenant à l'opposition au niveau municipal seraient discriminés par le maire de la ville et par le conseil municipal.

Ainsi, à Paris, « la mairie réserve la construction de logements intermédiaires, destinés à accueillir des familles, pour les arrondissements dont le maire soutient la majorité au conseil de Paris », selon Rachida Dati.

Ce constat est partagé par Pierre Oliver, maire du 2e arrondissement de Lyon et par Christian Termoz-Mazan, premier adjoint au maire du 6e arrondissement de Lyon, pour qui « l'élection uniquement par secteur peut conduire à avoir des exécutifs de secteur en opposition à l'exécutif municipal et à

la mise en oeuvre d'une pratique de l'exercice du pouvoir différenciée selon la couleur politique du secteur, ne respectant alors guère le choix des électeurs du secteur
 ».

De même, Jeanne d'Hauteserre, maire du 8e arrondissement de Paris, estime que « le fait que les arrondissements de la majorité soient mieux traités que ceux de l'opposition est un fait aisément démontrable, il suffit pour cela de regarder les arbitrages budgétaires. Pour autant, est-ce que la pratique serait différente dans une autre configuration politique ? Il paraît logique que les arrondissements dont le maire partage les orientations politiques bénéficient d'une meilleure écoute de la part du maire de Paris ».

c) Un système électoral qui conduirait à faire varier le poids du vote de chaque électeur en fonction de son lieu de résidence

En troisième lieu, les règles électorales spécifiques en vigueur à Paris, Lyon et Marseille conduiraient à ce que le vote d'un électeur n'ait pas le même poids selon son lieu de résidence.

Autrement dit, selon l'exposé des motifs, « l'importance électorale de sa voix dépend du lieu où l'on réside ». Comme indiqué par les auteurs de la proposition de loi, aller voter aurait par exemple peu d'intérêt pour un électeur de droite résidant dans un arrondissement dirigé par une majorité de gauche. En effet, il ne parviendrait pas à être représenté au conseil municipal, qui constitue l'instance décisionnaire, puisque la liste de droite n'obtiendrait pas un score lui permettant d'obtenir un siège au conseil municipal.

d) Des règles électorales complexes et peu lisibles pour les citoyens

En quatrième lieu, le régime électoral en vigueur serait « complexe et peu compris », selon l'exposé des motifs de la proposition de loi.

À cette complexité du mode de scrutin, s'applique également la complexité de l'organisation institutionnelle des trois villes, avec une répartition des compétences difficile à comprendre pour les électeurs. Comme souligné par Geoffroy Boulard, maire du 17e arrondissement de Paris, « la complexité du système peut nuire à la lisibilité pour les électeurs, chose renforcée par l'émergence des métropoles ».

e) Les autres critiques du fonctionnement de Paris, Lyon et Marseille

D'autres critiques ont été mises en lumière au cours des auditions conduites par la rapporteure.

Premièrement, le régime électoral en vigueur dans ces trois villes repose des bases démographiques qui n'ont pas été révisées depuis plus de quarante ans, hormis à Paris. Ainsi, le nombre de sièges de conseillers municipaux dans chaque arrondissement ou secteur de Lyon et Marseille n'a pas été actualisé depuis les lois « PLM » de 1982, en dépit des évolutions démographiques intervenues depuis lors.

Ainsi, à Lyon par exemple, le 7e arrondissement est passé de 54 000 habitants en 1983 à 87 500 en 2024, ce qui représente 16,8 % de la population lyonnaise. Or, le 7e arrondissement ne dispose que de 9 sièges de conseiller municipal, ce qui représente seulement 12,3 % des sièges.

Deuxièmement, le système en vigueur dans ces trois villes ne laisse que peu de pouvoirs aux maires d'arrondissement, qui sont pourtant en première ligne et qui ne disposent, pour l'essentiel, que d'une compétence consultative.

Ce phénomène est particulièrement exacerbé à Lyon. Comme le soulignaient Mathieu Darnaud et Françoise Gatel dans leur rapport d'information du 7 décembre 2022 sur la Métropole de Lyon29(*), « dans le cas lyonnais, les maires d'arrondissement semblent avoir d'autant moins de capacités d'action que la commune de Lyon est elle-même mise en concurrence, sur son territoire, avec une autre collectivité territoriale disposant d'une clause générale de compétence, d'une force de frappe financière importante, de compétences étendues et de la légitimité du suffrage universel direct. Leur positionnement vis-à-vis des politiques conduites par la métropole sur le territoire de leur arrondissement est donc particulièrement malaisé ».

2. Face à ces critiques, la proposition de loi prévoit l'élection des conseillers municipaux à l'échelle de la commune, afin de faire rentrer Paris, Lyon et Marseille dans le droit commun

Face aux critiques formulées à l'encontre du mode de scrutin, la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du Conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille, déposée par Sylvain Maillard, David Amiel, Olivia Grégoire et Jean Laussucq vise à :

- simplifier le mode de scrutin en faisant entrer Paris, Lyon et Marseille dans le droit commun ;

- rendre le scrutin plus démocratique, selon le principe « un électeur égal une voix ».

À cet effet, le dispositif proposé, tel que transmis au Sénat par l'Assemblée nationale, prévoit l'organisation de deux scrutins distincts et simultanés :

- un premier scrutin pour désigner les conseillers municipaux et les conseillers de Paris, au sein de la circonscription unique de la commune, selon les règles applicables aux communes de plus de 1 000 habitants, mais avec une prime majoritaire de 25 % ;

- un second scrutin pour désigner les conseillers d'arrondissement dans chaque arrondissement ou secteur30(*), selon les règles applicables aux communes de plus de 1 000 habitants, avec une prime majoritaire de 50 %.

Lors des élections municipales, chaque électeur disposerait donc de deux bulletins : le premier avec une liste pour le conseil municipal ou le conseil de Paris, et le second avec une liste pour le conseil d'arrondissement.

Le texte prévoit par ailleurs une dissociation des conseillers d'arrondissement et des conseillers municipaux (ou conseillers de Paris). S'il serait possible d'être à la fois candidat au conseil central et au conseil d'arrondissement, cela ne serait pas systématique.


* 28 Les 15e, 18e, 19e, 20e, 13e et 16e arrondissements envoient respectivement 18, 15, 14, 14, 13 et 13 conseillers au Conseil de Paris, ce qui donne un total de 87 conseillers, suffisant pour être élu maire de Paris.

* 29 Rapport d'information n° 190 (2022-2023) du 7 décembre 2022 de Mathieu Darnaud et Françoise Gatel, « Métropole de Lyon - Communes : le pari d'un destin commun ».

* 30 Le nombre de conseillers d'arrondissement dans chaque arrondissement ou secteur serait désormais fixé directement par la loi.

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