II. UNE « RÉFORME CONTESTABLE »31(*), QUI POSE DE NOMBREUSES DIFFICULTÉS MISES EN LUMIÈRE PAR LES TRAVAUX PRÉPARATOIRES

Adoptée le 9 avril 2025 par l'Assemblée nationale, la proposition de loi a été, dans la foulée, inscrite à l'ordre du jour du Sénat, avec un examen en commission prévu le 21 mai 2025 et en séance le 3 juin 2025.

En dépit de ces délais contraints, la rapporteure a souhaité entendre l'intégralité des acteurs concernés par cette réforme, ce qui n'avait jusqu'alors jamais été fait. Ont ainsi été entendus, au cours des travaux préparatoires :

- les maires de Paris, Lyon et Marseille ;

- l'ensemble des maires d'arrondissement de Paris, Lyon et Marseille ;

- les présidents de la métropole du Grand Paris, de la métropole de Lyon et de la métropole Aix-Marseille-Provence.

Des demandes de contributions écrites ont également été adressées à tous ses groupes politiques siégeant au sein des conseils municipaux de Lyon et Marseille et du conseil de Paris.

Ces auditions et les contributions écrites reçues ont permis de mettre en lumière leur opposition quasi-unanime à la réforme envisagée.

Ainsi, parmi les maires, seul Benoît Payan, maire de Marseille, a accueilli favorablement cette proposition de loi, qu'il a toutefois jugée insatisfaisante sur plusieurs points. Anne Hidalgo, maire de Paris et Grégory Doucet, maire de Lyon, se sont en revanche montrés opposés à cette réforme.

Les présidents des métropoles32(*), quant à eux, ont tous indiqué qu'ils n'étaient pas favorables à cette réforme.

De même, parmi les maires d'arrondissement de Paris :

- seuls Rachida Dati, maire du 7e arrondissement, Jean-Pierre Lecoq, maire du 6e arrondissement et Delphine Bürkli, maire du 9e arrondissement se sont prononcés en faveur de cette réforme ;

- a contrario, Ariel Weil, maire du secteur « Paris centre », Jeanne d'Hauteserre, Alexandra Cordebard, maire du 10e arrondissement, François Vauglin, maire du 11e arrondissement, Emmanuelle Pierre-Marie, maire du 12e arrondissement, Jérôme Coumet, maire du 13e arrondissement, Carine Petit, maire du 14e arrondissement, Philippe Goujon, maire du 15e arrondissement, Jérémy Redler, maire du 16e arrondissement, Geoffroy Boulard, maire du 17e arrondissement, Eric Lejoindre, maire du 18e arrondissement, François Dagnaud, maire du 19e arrondissement et Eric Pliez, maire du 20e arrondissement, ont exprimé leur opposition.

Similairement, l'intégralité des maires d'arrondissement de Lyon entendus par la rapporteure33(*) se sont montrés opposés à la réforme envisagée.

Enfin, à Marseille, seule Olivia Fortin, maire des 6e et 8e arrondissement a fait part de son accord avec le dispositif proposé. En revanche, Sylvain Souvestre, maire des 11e et 12e arrondissements, Sophie Camard, maire des 1er et 7e arrondissements et Marion Bareille, maire des 13e et 14e arrondissements, ont exprimé leur désaccord.

Les auditions conduites montrent donc une large opposition à cette réforme et ont également permis d'identifier les multiples difficultés que pose la réforme envisagée. Comme résumé par Pierre Oliver, maire du 2e arrondissement de Lyon, et par Christian Termoz-Mazan, premier adjoint au maire du 6e arrondissement de Lyon, « de prime abord, nous sommes favorables à une élection du conseil municipal sur une circonscription électorale unique (...), toutefois, cette proposition de loi appelle de notre part un certain nombre d'observations qui font qu'en l'état, elle ne recueille pas notre assentiment ».

A. UNE RÉFORME FRAGILE DU POINT DE VUE JURIDIQUE

Le dispositif proposé apparaît premièrement fragile juridiquement, et de nature à entraîner la censure du texte par le Conseil constitutionnel. La rapporteure regrette à cet égard l'absence d'avis du Conseil d'État, lequel aurait pu éclairer utilement les débats.

1. La prime majoritaire de 25 % retenue pour l'élection des conseillers municipaux entraînerait une rupture d'égalité entre les communes et générerait une distorsion de représentation au sein des conseils communautaires
a) Le risque d'une rupture d'égalité entre les collectivités territoriales

En premier lieu, le dispositif proposé apparaît fragile juridiquement en raison de la prime majoritaire retenue pour l'élection des conseillers municipaux et des conseillers de Paris.

Par dérogation à la prime majoritaire de 50 % prévue dans le droit commun34(*), l'article 1er de la proposition de loi prévoit en effet que la liste arrivée en tête pour l'élection au conseil de Paris ou aux conseils municipaux de Lyon et Marseille obtiendrait 25 % des sièges, avant de répartir le reste des sièges entre toutes les listes, à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne.

Le choix d'une prime majoritaire à 25 % semble toutefois contraire au principe d'égalité entre les collectivités territoriales, consacré par le Conseil constitutionnel35(*), et qui impose de traiter de la même manière les collectivités territoriales placées dans une même situation.

Cette interprétation est partagée par Christophe Chabrot, maître de conférences de droit public, lequel estime que cette prime majoritaire dérogatoire au droit commun pourrait être jugée inconstitutionnelle, en ce qu'elle « n'est absolument pas justifiée dans les explications de la proposition de loi et qu'elle ne s'appuie sur aucun élément objectif pouvant fonder cette dérogation », entraînant de facto une rupture d'égalité entre les collectivités territoriales.

De même, aucune raison objective ne justifie le maintien d'une prime majoritaire à 50 % pour l'élection des conseillers d'arrondissement, tandis qu'une prime majoritaire de 25 % s'appliquerait à l'élection des conseillers municipaux et conseillers de Paris.

b) La création d'une distorsion de représentation au sein des conseils communautaires

De plus, le texte proposé conduirait à créer une distorsion de représentation au sein de l'organe délibérant de la métropole du Grand Paris et de la métropole d'Aix-Marseille-Provence36(*).

En effet, les conseillers municipaux et les conseillers de Paris seraient élus avec l'application d'une prime majoritaire de 25 %, et la proposition de loi prévoit par ailleurs que les conseillers communautaires seraient désormais fléchés uniquement depuis les listes constituées pour les élections au conseil municipal ou au conseil de Paris.

En revanche, la proposition de loi ne modifie pas, parallèlement, les dispositions relatives à l'élection des conseillers communautaires. Par conséquent, une prime majoritaire de 50 % serait appliquée à l'élection des conseillers communautaires des deux métropoles37(*).

L'élection des conseillers communautaires

Les conseillers communautaires représentant les communes de plus de 1 000 habitants sont élus au suffrage universel direct en même temps que les conseillers municipaux38(*).

Les candidats au conseil communautaire figurent sur la liste des candidats au conseil municipal (système de fléchage). La liste des candidats au conseil communautaire figure de manière distincte sur le même bulletin que la liste des candidats au conseil municipal dont elle est issue39(*).

Aux termes de l'article L. 273-8 du code électoral, les sièges de conseillers communautaires sont attribués dans l'ordre de présentation des candidats, et répartis entre les listes selon les règles d'élection au conseil municipal des communes de plus de 1 000 habitants, c'est-à-dire avec une prime majoritaire de 50 %.

Selon la DMATES, l'application d'une prime majoritaire de 50 % à l'élection des conseillers communautaires, tandis que les conseillers municipaux et conseillers de Paris seraient élus avec une prime majoritaire de 25 % générerait, « outre une difficulté de cohérence, (...) une distorsion de représentation et des impossibilités pour pourvoir les sièges faute d'un nombre suffisant d'élus sur la liste arrivée en tête à l'élection municipale ».

2. Le risque d'une atteinte à l'intelligibilité du scrutin, lié à l'organisation concomitante de plusieurs élections

Le dispositif proposé conduirait en outre à l'organisation de deux élections le même jour à Paris et Marseille - et même de trois élections le même jour à Lyon (conseils d'arrondissement, conseil municipal et Métropole de Lyon), en contradiction avec les objectifs de clarté et d'intelligibilité du scrutin.

Le cas particulier de la Métropole de Lyon

La Métropole de Lyon, créée au 1er janvier 2015 par la loi dite « MAPTAM40(*) », est une collectivité à statut particulier, qui s'est substituée au département du Rhône et à la communauté urbaine de Lyon. Elle est composée de 59 communes réparties au sein de 14 circonscriptions métropolitaines.

Elle exerce, sur le territoire de l'intercommunalité du Grand Lyon, l'ensemble des compétences auparavant exercées par le département du Rhône et la communauté urbaine de Lyon, auxquelles s'ajoutent des compétences définies par l'article 26 de la loi « MAPTAM » en matière par exemple de logement ou de création et de gestion d'équipements culturels.

Les conseillers métropolitains sont élus au scrutin universel direct, dans chacune des circonscriptions métropolitaines, au scrutin de liste à deux tours41(*). Les élections ont lieu en même temps que le renouvellement général des conseils municipaux42(*).

Déjà, à Lyon, l'organisation concomitante des élections municipales et des élections métropolitaines a conduit « à d'énormes confusions, inédites et mettant en péril l'exigence de clarté et d'intelligibilité voire d'honnêteté et de sincérité des scrutins », comme indiqué à la rapporteure par Christophe Chabrot.

La réforme envisagée, qui conduirait à organiser trois élections le même jour à Lyon, aggraverait donc cette situation et créerait une forte confusion parmi les électeurs, en violation du principe d'intelligibilité du scrutin.

Cet avis était d'ailleurs partagé par le rapporteur de ce texte à l'Assemblée nationale, Jean-Paul Mattei, qui avait indiqué souhaiter exclure Lyon de la réforme, car « la concomitance de trois scrutins distincts le même jour, situation inédite dans l'histoire électorale, emporte un fort risque de censure constitutionnelle pour atteinte à l'intelligibilité de chaque scrutin et au sens du vote, du fait de campagnes multiples aux enjeux différents ».

De même, selon la DMATES, la concomitance de trois scrutins le même jour à Lyon, avec des enjeux, des périmètres et des compétences très différents, serait « vraisemblablement inconstitutionnelle ».


* 31 Rapport n° 90 (1982-1983) du 10 novembre 1982 de Roger Romani sur le projet de loi relatif à l'organisation administrative de Paris, Marseille, Lyon et des établissements publics de coopération intercommunale.

* 32 Ont été entendus Patrick Ollier, président de la métropole du Grand-Paris, Bruno Bernard, président de la métropole de Lyon et Martine Vassal, présidente de la métropole Aix-Marseille-Provence.

* 33 Ont été entendus Yasmine Bouagga, maire du 1er arrondissement, Pierre Oliver, maire du 2e arrondissement, Marion Sessiecq, maire du 3e arrondissement, Rémi Zinck, maire du 4e arrondissement, Christian Termoz-Mazan, premier adjoint au maire du 6e arrondissement de Lyon, Fanny Dubot, maire du 8e arrondissement et Olivier Berzane, maire du 8e arrondissement.

* 34 Article L. 262 du code électoral.

* 35 Décision n° 86-209 DC du 3 juillet 1986 sur la loi de finances rectificative pour 1986.

* 36 La métropole de Lyon est régie par des dispositions particulières. L'élection des conseillers métropolitains donne lieu à l'organisation d'une élection distincte de celle des conseillers municipaux.

* 37 Articles L. 273-8 et L. 262 du code électoral.

* 38 Article L. 273-6 du code électoral.

* 39 Article L. 273-9 du code électoral.

* 40 Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles.

* 41 Article L. 224-3 du code électoral.

* 42 Article L. 224-1 du code électoral.

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