B. UNE RÉFORME IMPOSSIBLE À METTRE EN oeUVRE SUR LE PLAN PRATIQUE
1. Des difficultés pratiques d'organisation liées à la proximité des prochaines échéances électorales
La proximité des prochaines échéances électorales rendrait extrêmement difficile la mise en oeuvre d'une réforme d'une telle ampleur. La présente proposition de loi, si elle venait à être adoptée, entrerait en effet en vigueur moins de dix mois avant le déroulement des opérations électorales.
a) La possibilité, pour le législateur, de modifier le régime électoral dans l'année qui précède le premier tour d'un scrutin, a été admise par le Conseil constitutionnel
Sur un plan juridique, en principe, « il ne peut être procédé à une modification du régime électoral ou du périmètre des circonscriptions dans l'année qui précède le premier tour d'un scrutin43(*) ».
Il est toutefois loisible au législateur de déroger au cas par cas à cette règle. Ainsi, la loi n° 2025-444 du 21 mai 2025 visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales afin de garantir la vitalité démocratique, la cohésion municipale et la parité a étendu aux communes de moins de 1 000 habitants, à compter du prochain renouvellement général des conseils municipaux, le scrutin de liste paritaire, actuellement seulement applicable aux communes de plus de 1 000 habitants.
Dans sa décision sur la loi précitée, le Conseil constitutionnel a ainsi précisé que « ni les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ni aucune autre exigence constitutionnelle n'interdisent au législateur de procéder à une modification du régime électoral des membres des conseils municipaux dans l'année qui précède la date de leur renouvellement général ».
b) L'ampleur de la réforme envisagée rendrait toutefois son entrée en vigueur très complexe, moins d'un an avant le renouvellement général des conseils municipaux
S'il est donc constitutionnellement admis que le régime électoral peut être modifié dans l'année qui précède une élection, l'ampleur de la réforme envisagée rend impossible sa mise en oeuvre avant les prochaines élections municipales, dans des conditions permettant aux scrutins de se dérouler valablement.
Ainsi, selon la direction des moyens de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur (DMATES), l'entrée en vigueur de la réforme contraindrait le ministère de l'intérieur à procéder à « la réécriture de l'ensemble des circulaires afférentes aux élections municipales, des guides adressés aux maires et aux candidats » ainsi qu'à « la révision des procès-verbaux de décompte des suffrages, ainsi que des dispositions réglementaire du code électoral nécessitant une adaptation à la loi » et aux « développements informatiques au sein des applications électorales (EIREL et SIE2) » très rapidement après la parution du texte, avant le début de la période pré-électorale au 1er septembre 2025, ce qui paraît difficile, compte tenu de la complexité et de l'ampleur des modifications à effectuer.
Ainsi, « l'ensemble des évolutions à conduire dans des délais particulièrement contraints est de nature à fragiliser la capacité des pouvoirs publics à organiser ces scrutins dans des conditions matérielles satisfaisantes ».
Au-delà des seuls aspects matériels, l'adoption de cette proposition de loi laisserait « peu de temps à la fois aux institutions, aux candidats et aux électeurs pour s'adapter à un changement aussi structurant, avec un risque réel de confusion démocratique », selon Geoffroy Boulard, maire du 17e arrondissement de Paris.
Cela contraindrait également les candidats à préparer un programme sans connaître les règles applicables à compter de septembre 2025, et « sans connaître les niveaux de responsabilité de chacun », selon Emmanuelle Pierre-Marie.
2. L'impossibilité d'organiser simultanément plusieurs scrutins, en particulier à Lyon, sur le plan logistique
La réforme envisagée conduirait de plus à l'organisation de deux scrutins concomitants à Paris et Marseille et de trois scrutins simultanés à Lyon, en raison de la tenue des élections métropolitaines, le même jour que les élections municipales44(*).
L'organisation de plusieurs scrutins concomitants apparaît impossible à mettre en oeuvre, tant sur le plan des moyens matériels que sur celui des moyens humains.
a) Une réforme complexe à mettre en oeuvre sur un plan matériel
La réforme envisagée apparaît en premier lieu impossible à mettre en oeuvre sur le plan des moyens matériels.
Concernant d'abord les bureaux de vote, à Lyon par exemple, « la dimension des salles de vote » ne permet pas, selon Rémi Zinck, maire du 4e arrondissement, d'organiser trois élections en même temps. Il faudrait par conséquent trouver de nouvelles salles susceptibles d'accueillir des bureaux de vote et respectant les normes, notamment en termes d'accessibilité pour les personnes en situation de handicap45(*).
En plus des salles de vote supplémentaires à trouver, il faudrait également mettre à disposition, à Lyon, « 1 900 tables, 1 300 chaises, 1 000 isoloirs et 305 urnes supplémentaires » et également mettre en place un troisième jeu de panneaux d'affichage sur la voie publique.
S'agissant ensuite de la propagande électorale, les électeurs devraient être destinataires de deux plis de propagande (une circulaire et un bulletin de vote pour chaque liste de candidats) et les communes de deux livraisons de colis de bulletins de vote. Il en résulterait, dans ces communes, un doublement du besoin en enveloppes de propagande, des opérations d'adressage et de mise sous pli des plis de propagande, ainsi que des opérations de colisage et d'acheminement des plis. Selon la DMATES, « ce dédoublement obligerait à un séquençage et à un suivi très étroit des opérations, d'autant plus complexe pour l'organisation du second tour qui intervient seulement une semaine après le premier tour46(*) ».
En sus, des difficultés relatives à l'acheminement de la propagande électorale pourraient survenir en raison de l'organisation concomitante de plusieurs scrutins. Ainsi, l'organisation des élections départementales et régionales des 20 et 27 juin 2021 avait été marquée par d'importants dysfonctionnements lors de l'envoi de la propagande électorale47(*). Il existe donc un risque important que les marchés publics en cours ne soient pas adaptés pour assurer, dans des délais aussi contraints, l'envoi de la propagande électorale.
b) Une réforme qui nécessiterait la mobilisation de moyens humains supplémentaires conséquents, dans un contexte déjà difficile
D'autre part, la tenue simultanée de deux voire trois élections apparaît également complexe à mettre en oeuvre du point de vue des moyens humains.
Les communes sont en effet déjà
confrontées, à l'heure actuelle, à
des difficultés pour mobiliser suffisamment de
présidents de bureaux de vote, d'assesseurs et de scrutateurs.
Par exemple, à Marseille, les difficultés pour mobiliser
suffisamment de personnes dans les bureaux de vote a conduit la ville de
Marseille à procéder au « paiement de la
journée pour les fonctionnaires, afin d'attirer les personnes dans les
bureaux de vote, en payant 300 € par agent. Et malgré cela, il
était difficile d'avoir des bureaux complets », selon
Sylvain Souvestre, maire des 11e et 12e arrondissements
de Marseille. De même, lors des élections législatives de
2022 à Lyon, la ville de Lyon avait « été
amenée à
proposer à ses agents d'être
assesseur, moyennant rémunération », comme
précisé par Pierre Oliver, maire du 2e arrondissement
de Lyon, et par Christian Termoz-Mazan, premier adjoint au maire du
6e arrondissement de Lyon.
La tenue concomitante de plusieurs élections ne ferait qu'amplifier les difficultés préexistantes, puisqu'elle rendrait nécessaire la mobilisation de moyens humains supplémentaires. Ainsi, à Lyon, la mobilisation supplémentaire de 310 présidents de bureaux de vote, 610 assesseurs et 300 agents de la ville serait nécessaire.
3. Le dédoublement des comptes de campagne générerait d'importantes difficultés pour retracer les dépenses des candidats
L'organisation de deux scrutins distincts imposerait par ailleurs la tenue de plusieurs comptes de campagne distincts pour les candidats.
Ainsi, ceux qui seraient candidats tête de liste au conseil d'arrondissement et au conseil municipal ou au conseil de Paris auraient l'obligation d'ouvrir deux comptes de campagne distincts, pour retracer les dépenses de chacune des deux campagnes. Ils devraient par conséquent désigner deux mandataires financiers ou deux associations de financement électoral48(*), pour chacun des deux scrutins.
Là aussi, la situation se révèlerait encore plus complexe dans le cas lyonnais, en raison de l'organisation concomitante de trois élections. Un candidat aux élections métropolitaines ainsi qu'au conseil municipal et dans un conseil d'arrondissement aurait ainsi l'obligation de tenir trois comptes de campagne distincts.
Or, il sera sans doute impossible de différencier les dépenses effectuées au titre de la campagne pour la mairie, de celles effectuées au titre de la campagne pour la mairie d'arrondissement, tant les enjeux sont liés.
Interrogé sur ce sujet par Guy Benarroche, Christian Charpy, candidat aux fonctions de président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), a indiqué lors de son audition devant la commission des lois que, selon lui, « il est clair que le guide du mandataire relatif aux élections à Paris, Lyon et Marseille promet d'être extrêmement compliqué ».
* 43 Article L. 567-1 A du code électoral.
* 44 Article L. 224-1 du code électoral.
* 45 Article D. 56-1 du code électoral.
* 46 Article L. 56 du code électoral.
* 47 Rapport n° 785 (2020-2021) du 21 juillet 2021 de François-Noël Buffet sur les dysfonctionnements constatés lors des élections départementales et régionales de juin 2021.
* 48 Articles L. 52-4 et L. 52-5 du code électoral.