F. UNE RÉFORME ÉLABORÉE DANS LA PRÉCIPITATION ET SANS CONCERTATION DE L'ENSEMBLE DES PARTIES PRENANTES
Au-delà des problèmes de fond posés par la proposition de loi, la méthode ayant présidé à son élaboration apparaît également problématique, témoignant d'un texte préparé dans la précipitation.
1. Une réforme préparée sans concertation de l'ensemble des acteurs concernés
En premier lieu, la réforme a été élaborée sans que toutes les parties prenantes aient été consultées par ses auteurs.
C'est le cas par exemple des maires d'arrondissement qui, jusqu'alors, n'avaient jamais été consultés au sujet d'une réforme du mode de scrutin applicable à Paris, Lyon et Marseille.
Ainsi, Emmanuelle Pierre-Marie, maire du 12e arrondissement de Paris, a indiqué que « cette proposition de loi a été élaborée dans la précipitation, sans concertation, sans même auditionner les maires que nous sommes ».
Cette absence de consultation préalable des acteurs concernés par la réforme envisagée est également regrettée par Pierre Oliver, maire du 2e arrondissement de Lyon et par Christian Termoz-Mazan, premier adjoint au maire du 6e arrondissement de Lyon : « Nous regrettons qu'en amont de son dépôt, cette proposition de loi n'ait pas fait l'objet d'une discussion plus complète avec l'ensemble des parties prenantes (majorité et opposition) sur ces trois villes ».
Si certains acteurs ont néanmoins été entendus par les auteurs de la proposition de loi, leurs remarques n'ont pour autant pas été prises en compte, à l'instar de Bruno Bernard, président de la métropole de Lyon, qui a indiqué : « Depuis deux ans, j'échange avec les auteurs du texte et je les ai alertés sur les obstacles concernant l'application à Lyon. Or, je constate qu'aucune solution n'a été recherchée ou trouvée ».
2. Une réforme reposant sur un diagnostic initial inexact
a) Un diagnostic initial inexact
En deuxième lieu, cette proposition de loi repose sur un diagnostic initial inexact, faute d'évaluation préalable et de consultation approfondie des acteurs concernés, ce qui témoigne là aussi de la précipitation avec laquelle cette proposition de loi a été élaborée.
Selon les auteurs de ce texte, le régime électoral spécifique de ces trois villes constituerait ainsi une « anomalie démocratique », en raison de l'élection « indirecte » du maire, de la discrimination de certains arrondissements, et de la possibilité, pour un maire, d'être élu avec une minorité de voix à l'échelle de la commune.
Or, force est de constater qu'aucune de ces affirmations ne repose sur des faits tangibles.
D'abord, les maires sont élus par le conseil municipal, au scrutin universel indirect, dans l'ensemble des 34 875 communes françaises. L'article L. 2122-4 du code général des collectivités territoriales dispose ainsi que « le conseil municipal élit le maire et les adjoints parmi ses membres ».
Ensuite, la discrimination de certains arrondissements ne repose sur aucun élément objectif. Interrogé sur cette question lors de son audition par la rapporteure, Sylvain Maillard a lui-même avoué « ne pas avoir d'élément objectif pour caractériser la discrimination dont sont victimes les mairies d'arrondissement de l'opposition. Il s'agit seulement d'un ressenti ».
Si les travaux préparatoires ont montré que certains maires d'arrondissement souscrivaient à cette affirmation, il ne s'agit pour autant pas d'un sentiment unanimement partagé. Ainsi, pour Olivier Berzane, maire du 5e arrondissement de Lyon, les arrondissements d'opposition ne seraient pas discriminés puisque « plus de 95% des délibérations sont votées à l'unanimité, traduisant bien un accord allant au-delà des étiquettes politiques ».
De plus, même les maires d'arrondissement indiquant partager ce sentiment d'une discrimination de certains arrondissements admettent que cette problématique n'est pas forcément liée au mode de scrutin actuellement en vigueur, à l'instar de Jeanne d'Hauteserre, pour qui la pratique ne serait pas nécessairement différente avec un changement de régime électoral.
Enfin, la possibilité, largement théorique, pour le maire de Paris, Lyon ou Marseille, d'être élu avec une minorité de voix, ne s'est vérifiée qu'une unique fois depuis 1982, avec l'élection de Gaston Defferre comme maire de Marseille en 1983 - bien loin d'une anomalie démocratique récurrente.
En effet, comme l'a indiqué la DMATES, « il s'agit de la seule élection d'un maire minoritaire en voix. À l'ensemble des autres élections, le maire élu avait obtenu la majorité absolue ou relative des voix à l'échelle de la commune à l'issue du 2e tour de scrutin. Ainsi, à titre d'exemple, en 2001, Bertrand Delanoë a été élu maire de Paris après que ses listes d'union de la gauche avaient obtenu 49,63 % des voix à l'échelle de la commune. De la même façon, Gérard Collomb a été élu maire de Lyon en 2001, ses listes obtenant 48,5 % des voix contre la droite et le centre divisés. Enfin, Anne Hidalgo a été réélue maire de Paris en 2020, ses listes obtenant au 2e tour 48,5% des voix ».
b) Une réforme qui n'aborde pas les véritables problématiques posées par le système applicable à Paris, Lyon et Marseille
Le diagnostic sur lequel repose la réforme envisagée apparaît également inexact et n'aborde pas les véritables problématiques rencontrées à Paris, Lyon et Marseille.
Ainsi, la réforme envisagée est limitée à la seule question du régime électoral, sans que soit abordée la question des compétences des mairies centrales et des mairies d'arrondissement.
Or, lors des auditions conduites par la rapporteure, cette question a pourtant été mentionnée par l'ensemble des acteurs entendus.
Comme indiqué par Sylvain Souvestre, maire des 11e et 12e arrondissements de Marseille, il est indispensable de traiter ces deux questions en même temps et, « quelles que soient nos appartenances politiques, tout le monde se rejoint sur la nécessité de traiter les compétences ». Faute d'aborder simultanément ces deux sujets, la réforme est selon lui perçue comme « un tripatouillage électoral ».
Au final, en raison de ce diagnostic inexact et de l'absence de consultation de l'ensemble des parties prenantes, il en résulte une proposition de loi qui apparaît comme « une réforme bâclée et de circonstance », pour reprendre les mots d'Olivier Berzane, maire du 8e arrondissement de Lyon.